CHAPITRE 3
LES RÈGLES DE BASE
POUR UNE POLITIQUE
COMMERCIALE
CONSTANTINE MICHALOPOULOS, MAURICE SCHIFF ET DAVID G. TARR
L’effet de la réforme commerciale sur la croissance dépendra d’une
variété de politiques complémentaires et des institutions. Dans les pays à
faible revenu, les politiques et les institutions clefs qui doivent être analy-
sées couvrent les domaines suivants :
(a) la politique macro-économique et particulièrement la politique de
taux de change ;
(b) le fonctionnement du marché du travail, puisque les pauvres sont
souvent concentrés dans le secteur informel ;
(c) le fonctionnement des marchés de l’agriculture — qui est la source
principale de revenu et représente une grande partie des dépenses
des ménages pauvres ;
(d) l’accès des pauvres aux services liés au commerce — par exemple,
le crédit, le marketing, le transport ;
(e) l’accès aux filets de sécurité.
D’autres questions, telle que la gouvernance, sont importantes aussi bien
ici que dans le cas d’autres réformes. Dans ce chapitre, nous fournissons une
« liste de contrôle » des questions et des problèmes auxquels on devrait prê-
ter attention dans la conception et la poursuite de la réforme commerciale.
Les éléments de base d’une bonne politique commerciale sont la pré-
visibilité, la transparence et l’uniformité. Les points suivants résument ce
qui constitue une politique commerciale libérale. Ils fournissent un point
de référence pour juger le régime commercial actuel d’un pays.
Aucune obligation de licence d’importation, ou autres approba-
tions, sauf pour la santé, la sécurité et des raisons environnementales ; une
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LES RÈGLES DE BASE POUR UNE POLITIQUE COMMERCIALE 43
délivrance automatique de licences employées uniquement à des fins
statistiques ; aucune autre restriction quantitative (RQ).
Des droits de douane bas et uniformes. Si on utilise plus d’un taux,
ils doivent demeurer bas et la dispersion doit rester faible. Éviter surtout
l’existence de quelques secteurs avec des droits de douane très élevés.
Si les droits de douane sont indispensables en vue d’engendrer des
recettes, l’uniformité implique que le niveau global des tarifs devrait per-
mettre de produire les recettes requises. Toutefois, quelques produits
comme l’alcool et les produits du tabac — peuvent être soumis à des
droits élevés pour accroître les recettes, dans la mesure où des droits
d’accises équivalents sont imposés sur la production domestique.
Une procédure de dédouanement efficace, associée à une bureau-
cratie légère qui assurent l’accès libre aux importations intermédiaires
pour des exportateurs.
Un seul instrument de protection conditionnelle — une disposition
de sauvegarde. Pas d’initiatives antidumping.
Des marchés de services ouverts à la contestation, des mesures pour
garantir l’existence d’une concurrence, l’absence de discrimination à
l’égard des fournisseurs étrangers qui chercheraient à s’implanter sur le
marché et la mise en œuvre des réglementations appropriées.
Un certain nombre de questions sont pertinentes pour déterminer si la
réforme commerciale doit être une priorité dans le contexte de la réduc-
tion de la pauvreté.
Q
UEL EST L
IMPACT DES POLITIQUES COMMERCIALES
EN VIGUEUR SUR LES PAUVRES
?
Il est important de déterminer l’effet de la structure actuelle de pro-
tection et de subvention à l’égard des pauvres. De tels effets peuvent être
positifs ou négatifs et ils peuvent affecter des produits particuliers consom-
més par les pauvres ou les revenus d’un grand nombre de pauvres, que ce
soit à l’échelle nationale ou dans une région particulière. En particulier, les
taxes ou les subventions à l’endroit de produits de première nécessité ou
des intrants agricoles, devraient être identifiées et leur incidence exami-
née. Dans les cas où la structure de protection ne profite pas aux pauvres,
la mise en œuvre d’une réforme est bien fondée. Dans les cas où certains
pauvres vont pâtir de la réforme, on doit évaluer l’ampleur relative de ces
pertes potentielles et des gains à l’échelle nationale.
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Des barrières non-tarifaires sont-elles en place pour des raisons
autres que pour la santé, la sécurité et l’environnement ?
La réforme peut facilement se justifier lorsque des barrières non-tari-
faires importantes sont en place, — en commençant par la conversion de
ces barrières en droits de douane. Cette réforme va probablement plus
profiter aux pauvres qu’aux autres couches de la société puisque les béné-
ficiaires de licences qui reçoivent d’habitude les rentes provenant de ce
type de mesures, ne sont vraisemblablement pas pauvres (presque par
définition), et la compétition pour l’obtention de licences gaspille des res-
sources qui pourraient être utilisées de façon productive.
Quel est le droit de douane moyen et quel est le degré de dispersion ?
Avec la dispersion des taux, le traitement des secteurs économiques et
des différents segments de la société va probablement se révéler très dif-
férencié, ce qui rend d’autant plus urgente une réforme. La dispersion,
souvent fruit à la fois d’exemptions et d’une escalade des tarifs conduit à
des taux élevés de protection effective et a toutes les chances de provoquer
un fonctionnement inefficace de l’économie.
Y a-t-il discrimination contre l’agriculture ?
Le bilan complet des politiques affectant l’agriculture doit être entre-
pris, en commençant par une comparaison du taux effectif de protection
dans ce secteur par rapport au secteur manufacturier (voir Schiff et Val-
des, 1992, pour la description d’une méthodologie adaptée à cette ques-
tion). L’agriculture est un secteur vital car une grande partie des pauvres
vit en secteur rural.
Comment les marchés de services critiques fonctionnent-ils ?
Les pauvres ont-ils accès aux services auxiliaires importants comme
le transport ? Les politiques sont-elles discriminatoires à l’encontre des
fournisseurs étrangers et entraînent-elles une offre domestique coûteuse
et de basse qualité ? Est-ce qu’il est possible pour les sociétés étrangères
d’entrer sur le marché dans des secteurs à forte intensité de main-
d’œuvre comme le tourisme ou les services de back-office (services ges-
tionnaires et comptables) ? La concurrence prévaut-elle dans les sec-
teurs fondamentaux comme le transport, les finances et les communica-
tions ? Une réglementation encourageant la concurrence appropriée est-
elle en place ?
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LES RÈGLES DE BASE POUR UNE POLITIQUE COMMERCIALE 45
L’administration douanière est-elle efficace ?
Combien de temps faut-il pour dédouaner un conteneur ou pour
l’expédition de fret aérien ? Comment cela se compare-t-il aux performan-
ces des pays voisins et à la meilleure pratique dans le monde ? Quelle est
l’ampleur des paiements de facilitation commerciale « non officiels » ?
Y a-t-il un mécanisme d’admission temporaire qui fonctionne ?
L’analyse complète du régime commercial devrait autoriser un juge-
ment préliminaire sur l’opportunité de la réforme commerciale. Les
détails devraient être alors passés en revue en tenant compte des effets
potentiels à court terme de la réforme commerciale sur les pauvres et sur
les autres groupes qui risquent de pâtir de la réforme. Si des effets négatifs
sont probables, il est important d’identifier dès le départ les produits et les
secteurs concernés afin de concevoir les remèdes aux impacts défavorables
de la réforme et pour développer des stratégies qui établissent un consen-
sus en faveur des réformes. La réforme commerciale aura toujours ses
perdants ; par définition, la politique commerciale est un instrument par
lequel le revenu est redistribué dans l’économie. Dans de nombreux cas,
ce ne sont pas les pauvres qui perdront, mais plutôt ceux qui profitent des
rentes occasionnées par les restrictions au commerce.
L’engagement total du gouvernement dans la réforme est essentiel.
Le gouvernement devrait essayer d’expliquer les avantages de la réforme
et d’obtenir l’appui de certaines parties de la société civile. La réalisation
d’un large consensus peut être une tâche difficile. Les gains de la réforme
vont probablement être dispersés, incertains et échelonnés dans le temps
tandis que les coûts individuels pour les secteurs qui feront face à une
concurrence accrue des importations seront évidents à court terme et
vont probablement être concentrés sur des groupes politiquement puis-
sants.
Il serait tentant en concevant la réforme commerciale d’identifier les
secteurs qui sont importants pour les pauvres — que ce soit du côté de la
consommation ou du côté du revenu — et de moins les ouvrir à la con-
currence que le reste de l’économie. Si, par exemple, beaucoup de pau-
vres produisent du maïs, comme au Mexique, il pourrait sembler raison-
nable d’exclure ce produit d’une réduction tarifaire. Cette approche
présente au moins deux problèmes. L’un est fondamental et l’autre se
rapporte à l’économie politique. Le problème fondamental est que la
politique commerciale est un instrument unique et un principe de base
dans la formulation d’une politique économique et qu’un instrument uni-
que ne peut pas viser des cibles multiples. Le problème d’économie poli-
tique est le suivant : une fois qu’un régime commercial fortement diffé-
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rencié est adopté, il est presque impossible d’empêcher que des groupes
d’intérêts spéciaux ne cherchent à convaincre le gouvernement que leur
secteur mérite un traitement spécial pour une raison ou une autre. En
retournant à l’exemple du maïs, que nous décidions de maintenir ou de
lever la protection, nous allons probablement constater qu’il existe un
autre groupe de pauvres pour qui le maïs est un poste de dépense impor-
tant.
Il est préférable de se concentrer sur le développement de deux types
d’instruments — l’un, la politique commerciale, visant la mise en place
d’une structure d’incitations appropriées pour la production et l’utilisation
efficace des biens et services, et l’autre (la politique distributive), visant la
réduction de la pauvreté. En différenciant ces instruments, la politique
commerciale peut être exprimée au moyen de directives simples et com-
préhensibles. Un ensemble d’instruments distributionnels aura nécessai-
rement une gamme beaucoup plus large en y comprenant des investisse-
ments pour augmenter l’accès à l’éducation, la disposition de filets de
sécurité, et un ensemble d’investissements d’infrastructure nécessaires en
vue de permettre aux personnes des régions plus pauvres d’accéder aux
marchés et autres possibilités déjà ouvertes aux personnes relativement
plus favorisées.
P
OLITIQUES COMPLÉMENTAIRES
La réforme de la politique commerciale et le renforcement des institu-
tions doivent être mis en œuvre dans le contexte d’un ensemble varié de
politiques complémentaires. Certaines d’entre elles sont générales et
d’autres sont spécifiquement conçues pour que la réforme de la politique
commerciale profite aux pauvres.
Politiques macroéconomiques : La stabilisation macro-économique
et un taux de change compétitif sont essentiels pour soutenir l’intégration
dans les marchés mondiaux. La dépréciation du taux de change dans la
phase initiale des grands programmes de réforme commerciale facilitera
l’ajustement. Il faut éviter à tout prix que le taux de change réel s’apprécie
au moment de la libéralisation des importations. Pour cela, il est vital que
les politiques macro-économique et fiscale, soient gérées de manière com-
patible avec la réforme commerciale.
Les marchés : Si les marchés ne sont pas compétitifs ou n’existent
pas, les réformes commerciales ne peuvent pas profiter aux pauvres. Les
obstacles critiques au fonctionnement des signaux du marché doivent être
identifiés. Les questions suivantes doivent entre autres, être posées :
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