Les dessous de la visite de Kerry

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Les dessous de la visite de Kerry
John Kerry aime le surf. Il en a pratiqué lors de sa jeunesse baba cool en Californie. Ceci
implique que le secrétaire du Département d’État américain sait sentir les vagues. Celle qu’il
va prendre à Alger suscite espoir et interrogations.
Après deux visites avortées, le successeur de la glaciale Hillary Clinton s’est finalement décidé à venir à Alger.
Sa tournée maghrébine ayant été reportée deux fois en quatre mois.
La première fois en novembre 2013, Kerry était trop occupé à Genève lors des négociations avec les Iraniens
pour le dossier du nucléaire. La main tendue iranienne allait lui offrir l’opportunité de briller. Alger pouvait
attendre. La seconde fois, la relance américaine, en février, avait reçu un accueil assez froid de la diplomatie
algérienne.
Le MAE, Ramtane Lamamra, que, dit-on, les Américains apprécient avec modération, reste inflexible. Les
Américains le connaissent déjà lors de joutes entre l’Ofac et le comité chargé des programmes des sanctions au
sein de l’Union africaine. On le décrit comme “aimable, mais coriace”. Les groupes de travail algéro-américains
qui planchent sur le second round du dialogue stratégique du même nom avancent péniblement à cause des
variations dans les agendas. À Alger, on avale mal le report. Il faut dire que même El-Aurassi a été réquisitionné
avec ses suites présidentielles. Entre-temps, le ministre algérien des Affaires étrangères avait fait son effet à
New York où la diplomatie algérienne post-Medelci retrouve des couleurs. Mais aucune date n’est calée. Le
rapprochement de la date de l’élection présidentielle fige apparemment les positions.
Le SOS (Secretary of State) semble embarrassé par autre chose. Lors de la première programmation de la
visite, c’est Rabat qui est monté au créneau. Comme à son habitude, le résident du Palais royal fait sa crise de
nerfs habituelle. L’enfant gâté du Maghreb, Mohammed VI, veut que le Maroc soit la première étape de John
Kerry. “Sinon qu’il ne vienne pas”, répètent les journaux proches de l’autre amateur des vagues.
Le roi du jet-ski est un coutumier des sabordages des visites. De Sarkozy à Clinton en passant par Hollande, il
sort toujours la même rengaine. Le Maroc doit être la première destination avant l’Algérie. Les caprices du roi
sont souvent pris en considération à Washington ou à Paris. Sarkozy était assez teigneux pour que personne ne
lui impose son plan de vol. Hollande avait su s’extirper de la polémique. Clinton l’avait “payé” cash en étant
reçu par le MAE au lieu du roi (à moins qu’il l’ait reçue discrètement pour ne pas perdre la face). En définitive, le
pragmatisme de Kerry aura eu raison des sautes d’humeur de Rabat.
En choisissant Alger avant Rabat, Kerry envoie un signal assez fort quant à la pertinence du rôle et de la
puissance algérienne dans la région. C’est un bon point pour l’Algérie, mais certains candidats à la
présidentielle préfèrent critiquer sa venue au lieu d’en comprendre le sens stratégique.
Si Clinton avait rencontré une société civile algérienne anglophone et choisie cliniquement, Kerry n’est pas du
genre à vouloir s’ériger en donneur de leçons.
Pas dans un contexte aussi incertain. Les observateurs de la scène diplomatique évoquent également d’autres
signes positifs. Alors que le staff de John Kerry confirme les dates de sa tournée maghrébine, la militante
sahraouie, la courageuse Aminatou Haïder, se voit dérouler le tapis rouge au Congrès américain.
Pour la première fois dans les couloirs du Capitole, où les lobbyistes américains pro-marocains dépensent un
argent fou pour faire oublier le Sahara Occidental, une figure de la résistance du Polisario est reçue avec les
honneurs et écoutée avec attention. Le peuple sahraoui a un visage et une voix. Et les Américains, souvent
alignés sur les desiderata de Rabat, accordent du crédit à cette dame. Certes, la fondation Kennedy (RK — le
centre Robert Kennedy pour la justice et les droits de l’Homme), dont la nièce Kennedy est proche de Kerry, lui-
même ex-sénateur du Massachussetts, fief des Kennedy, a, paradoxalement, placé la diplomatie américaine en
porte-à-faux.
La passe d’armes entre Paris et Rabat suite à la tempête provoquée par un autre acteur engagé, l’Espagnol
Javier Bardem, avait fini par convaincre certains politiques américains que le dossier sahraoui mérite plus de
considération et d’équité. En somme, la position qu’Alger avait toujours défendue. Second bon point pour
l’Algérie.
Reste maintenant le contexte électoral. Sur ce point, les choses sont claires du côté américain. Sauf que
personne ne semble vouloir entendre. L’ambassadeur des USA à Alger, Henry Ensher, n’a eu de cesse de
répéter ces dernières semaines que “les États-Unis soutiendront le président que le peuple algérien aura élu”.
Étant un des rares pays arabes où le sentiment anti-américain n’est pas exacerbé, les déclarations de
l’ambassadeur Ensher tombent sous le sens.
Le président Bouteflika est en exercice encore. Le système constitutionnel algérien fait en sorte qu’il est chef
d’État jusqu’à la prestation de serment. Les Américains semblent vouloir exploiter la brèche en programmant
cette visite pour la première semaine d’avril. Il faut dire qu’une visite de haut rang a été déprogrammée début
mars dans la plus grande discrétion. Celle du général David Rodriguez, commandant de l’Africom, qui n’est pas
venu à Alger. Le vice-ministre de la Défense, le général de corps d’armée, Ahmed Gaïd Salah, n’aura pas sa
photo avec le général américain.
Est-ce un autre signe de la disgrâce que certains observateurs politiques évoquent ? En tout cas, les Américains
marchent sur des œufs. Mais dans un contexte régional aussi troublé, la visite de Kerry ne pouvait pas attendre
aussi longtemps.
Car même si rien ne transpire sur les détails de cette visite, Kerry veut transmettre des messages à Alger et pas
ceux auxquels on pense. Dans la vision globale des Américains, l’accompagnement politique et économique de
la Tunisie, le soutien militaire et logistique à la Libye, le rapprochement éventuel avec le Maroc, le contrôle de
l’armement lourd au Sahel et la prolifération salafiste en Afrique sont des sujets tout aussi importants, si ce
n’est plus, que la présidentielle en Algérie. En un mot, les Américains voteraient aussi pour une stabilité dans un
État pivot.
Et même si on espère que le cas de Chakib Khelil mérite d’être au menu des discussions politiques, il ne le sera
certainement que dans un cadre judiciaire bilatéral.
Les États-Unis étant l’invité d’honneur à la future Foire internationale d’Alger 2014, le fait de ne pas perdre
encore du temps pour replacer leurs intérêts rationnels au cœur du Maghreb saura s’accommoder de quelques
vagues critiques de candidats dans des salles vides.
M. B.
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