
La revue électronique en sciences de l’environnement VertigO, Vol7no2, septembre 2006
VertigO, Vol7 No2
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Si cette distance rappelle l’effectivité relative des actions en
faveur du développement durable, elle ne réduit pourtant pas
l’actualité de la visée « politique » du rapport Brundtland. Car
comme le note I. Sachs, «le rapport Brundtland n’a rien apporté
sur le plan conceptuel, mais il a énormément compté sur le plan
politique. » (2002, p7). Le prologue du Rapport Brundtland,
signé par Gagnon et Mead, situe d’ailleurs explicitement cette
ambition politique dans une double logique d’identification des
problèmes et de proposition de solutions globales. La
Commission « a clairement identifié les problèmes
environnementaux les plus importants » (p XIII) et elle « propose
des mesures permettant de solutionner les problèmes à l’échelle
mondiale » (p XIV). Le décalage entre les intentions et les
réalisations masque donc un écart beaucoup plus significatif pour
l’économiste : l’écart entre quelques succès -Kyoto- et des échecs
massifs -la situation économique et sociale des pays du Sud.
Le constat de ce décalage constitue la motivation première des
interrogations développées dans ce texte. L’objectif est donc de
progresser dans la compréhension des enjeux de l’avènement du
développement durable pour les pays du Sud. En d’autres termes,
cet avènement peut-il constituer une opportunité nouvelle pour
les nations qui ne sont pas parvenues à se développer ? L’analyse
vise à montrer que, dans la mesure où le projet initié par le
rapport Brundtland ne s’accompagne pas d’un changement de
paradigme, le développement durable n’entraîne pas les
modifications indispensables à l‘impulsion d’un développement
et , a fortiori, d’un développement durable.
Après avoir précisé, dans un premier temps, la démarche retenue
dans ce papier, qualifiée d’économie politique du développement
durable, un second point éclairera les relations sémantiques,
conceptuelles et historiques entre trois notions : le
développement, l’écodéveloppement et le développement
durable. Dans un troisième et dernier point, ce texte montrera
enfin en quoi le développement durable dans sa version la plus
consensuelle ne constitue pour le Nord qu’une nouvelle façon de
« tirer l’échelle » au pays du Sud, en leur fermant la voie qu’ils
ont eux-mêmes empruntée pour se développer.
Quelle démarche pour quel développement durable ?
La prolifération des publications proposant des typologies des
travaux consacrés au développement durable est révélatrice de la
grande diversité des postures méthodologiques de ces derniers De
manière générale, ces typologies mettent en avant la nécessité
pour le chercheur de préciser cette posture, en amont de toute
amorce de réflexion3.
L’objectif poursuivi ici amène à proposer une démarche en
économie politique, que l’on peut définir par la préférence
donnée à deux angles d’attaque :
3 Sur ces tentatives en français se reporter notamment à Hatem
(1990), Godard (1994) et Vivien (2004).
• l’analyse des stratégies d’acteurs, et en particulier les
stratégies des Etats-Nations, des institutions
internationales ou des ONG –y compris des « ONG, ou
coalition, d’entreprises4». Ces acteurs interviennent en
effet à la fois dans les choix entre projets concurrents,
mais également dans celui des modalités pratiques au
moment du passage à la mise en œuvre.
• l’analyse des interactions entre les sphères politiques et
économiques, essentielles à la compréhension des
compromis adoptés. La définition de l’Economie
Politique Internationale (EPI) formulée par G.
Kébabdjian (1999, p8) permet de progresser dans la
détermination d’une démarche en économie politique.
En effet, l’EPI « cherche à analyser la sphère des
relations économiques internationales, centrées sur les
phénomènes de richesse (production et circulation de la
« richesse des nations ») en prenant en compte les
articulations avec la sphère du politique, centrée sur les
phénomènes de pouvoir. » Cette façon de raisonner sera
ici transposée à des domaines qui ne sont pas
nécessairement « internationaux ».
Cette orientation d’« économie politique du développement
durable » n’est pas sans implications analytiques fortes.
Premièrement, elle entraîne un certain rapport à l’économie. Le
détour par les stratégies d’acteurs tant sur le plan de la production
de richesse que sur celui du pouvoir, invite en effet à une
approche économique qui, par essence, se préoccupe des activités
des hommes en vue de satisfaire leurs besoins, avant de lire les
impacts de ces activités sur l’environnement5. Cette posture n’est
pas incompatible avec une vision « forte » de la soutenabilité
dans la mesure où elle reconnaît une forte spécificité au
« capital » naturel, auquel le capital n’est que très partiellement
substituable6. La démarche en économie politique proposée ici
4 Se référer notamment à C. Giorgetti, NYU environnemental law
journal (1999)
http://www.law.nyu.edu/JOURNALS/ENVTLLAW/issues/vol7/
2/v7na2.pdf.
5 L’anthropologie réside dans l’étude de la dimension sociale de
l’homme. L’anthropocentrisme est une conception, une attitude,
qui rapporte toute chose à l’univers de l’homme (définitions
Larousse). D’où l’impossibilité de distinguer une approche
« anthropocentrée » (dans laquelle l’économie englobe les
sphères environnementale et sociale) d’une démarche « socio-
centrée » dans laquelle c’est la sphère sociale qui englobe les
deux autres, comme le font Sébastien et Brodhag (2004).
6 A ceux qui prétendent « qu’il faut « être deep » ou ne pas être,
car si on ne prend pas une position deep, finalement, la logique
économique va finir de détruire entièrement l’écosystème »
[Smouts, 2005, p58], il peut être répondu qu’ils réduisent une
fois encore le développement durable à deux de ses pôles. Or
l’optique qui est ici défendue vise au contraire un recentrage sur
le pôle social comme priorité dans la hiérarchie des objectifs du