déduit qu’il doit s’agir du résultat d’un processus de «construction
sociale», au cours duquel des faits passés ont été présentés comme un
problème contemporain. Ipso facto, j’en ai tiré qu’il doit être possible
de retracer ce processus et de dater le moment à partir duquel la ques-
tion des «fonds en déshérence» a commencé à exister en tant que pro-
blème. Autrement dit, mon introduction suppose que, si un problème
est publiquement identifié à un moment donné, son origine est suscep-
tible d’être datée. Ce raisonnement routinier ne paraît souffrir aucune
discussion. Mais il implique que les «problèmes publics » et les
«espaces publics» dans lesquels ils existent pourraient être analysés
comme des objets et des environnements naturels. Pour le dire de
manière provocante, ce raisonnement suppose que les «problèmes
publics», en tant que « construits sociaux», seraient assimilables à des
objets issus d’une production manufacturière ou industrielle. À l’instar
de ces derniers, ils renverraient à une date (celle de leur «émergence»)
et à un contexte de production (un «espace public»). Cette analogie
matérialiste, fort répandue dans la littérature, a le mérite d’attirer
l’attention sur le caractère historiquement, socialement et discursive-
ment construit des problèmes publics. Cependant, elle repose sur un
pari ontologique pour le moins osé. Elle oublie en effet que, si de tels
«objets» existent indéniablement, l’attention ordinaire qui leur est
portée ne s’interroge pas sur leur localisation. À ce point, il apparaît
que la métaphore matérialiste de l’objet de sa production appliquée
aux problèmes publics perd de vue la spécificité de l’attention et de
l’expérience dont ils relèvent. Mais je vais tâcher de montrer qu’elle a
surtout pour conséquence de paralyser la recherche empirique.
Est-il possible de saisir un problème public ?
L’expérience ordinaire des problèmes publics ne se pose pas la
question de leur localisation. En revanche, cette question est pertinen-
te dès les premiers pas de toute recherche sociologique. En effet, les
enquêtes consacrées à un problème public supposent de « construire un
objet», de «formuler une problématique» et de « poser une question de
départ». Mais elles impliquent également une opération pratique:
récolter des données, c’est-à-dire tenter de saisir cet objet et de le fixer
sous la forme matérielle d’un corpus délimité et localisable. Cette acti-
vité, banale en apparence, pose de nombreux problèmes, notamment
parce que sa conduite revient à trancher quant au mode d’existence des
L’expérience constitutive des problèmes publics
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