Limites passages transformations - Laboratoire Analyse Architecture

laa Limites, passages et transforma! ons
Chris Younès
Limites, passages et transforma! ons
en jeu dans une architecture des milieux
2008
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laa Limites, passages et transforma! ons
La reproduc! on, en tout ou par! e, des travaux publiés sur le site du laa suppose l’autorisa! on
formelle de leurs auteurs. En par! culier la diff usion à des ns commerciales n’est pas libre de droit.
Laboratoire Analyse Architecture
Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale, d’urbanisme
Place du Levant 1, boîte L5.05.02
1348 Louvain-la-Neuve
Belgique
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La manière de tracer des limites et d’opérer des passages par transferts,
incursions, interférences notamment, rend compte du mode d’expression propre à
l’architecture et de sa façon d’agencer le stable et l’instable, le délimité et l’illimité, la
mesure et l’incommensurable, la con! nuité et la discon! nuité. Entre Terre et Monde,
l’art de les me$ re en œuvre par le projet architectural, urbain et paysager est une
des probléma! ques d’une architecture des milieux. Ce qui requiert d’envisager aussi
bien les limites et passages entre disciplines qu’entre nature et artefact.
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Limites et passages disciplinaires
Le travail disciplinaire lié à l’enseignement et à la recherche tend à partager
et à découper le savoir en territoires clos. La discipline signifi e ac! on d’apprendre,
de s’instruire et par suite enseignement, doctrine, méthode, éduca! on, forma! on
disciplinaire. Edgar Morin a souligné que « la discipline est une catégorie
organisa! onnelle au sein de la connaissance scien! que : elle y ins! tue la division
et la spécialisa! on du travail Bien quenglobée dans un ensemble scien! que
plus vaste, une discipline tend naturellement à l’autonomie par la limita! on de
ses fron! ères, le langage qu’elle se cons! tue, les techniques qu’elle est amenée
à élaborer ou à u! liser, et éventuellement par les tories qui lui sont propres.
Lorganisa! on disciplinaire s’est ins! tuée au 19e siècle, notamment avec la forma! on
des universités modernes, puis sest développée au 20e siècle avec l’essor de la
recherche scien! que ; c’est-à-dire que les disciplines ont une histoire : naissance,
ins! tu! onnalisa! on, évolu! on, dépérissement, etc.; ce$ e histoire s’inscrit dans
celle de l’universi qui, elle-même, s’inscrit dans l’histoire de la société »1.
Toute discipline est appelée à construire et reconstruire son propre objet, ses
probléma! ques, ses thodes, ses modèles, ses références, à se redéfi nir voire
à perdre de son infl uence, s’aff aiblir et même disparaître. Dans le développement
des sciences, la rigueur et la spécialisa! on disciplinaires ont été fécondes en
délimitant des domaines, des objets d’étude afi n de déterminer une forme donnée
de connaissance et d’éviter sa dissolu! on préalable requis pour envisager des
rencontres avec d’autres disciplines.
Mais d’autres voix s’élèvent, telle celle de Michel Serres, qui insistent sur les
passages et les liens qui établissent des rapports entre les nouvelles pra! ques
scien! ques et les domaines du uctuant et du composite. Il sagit de considérer
les champs et disciplines comme « un con! nuum qui est le siège de mouvements
et déchanges : méthodes, modèles, sultats circulent partout en son sein,
exportés ou importés, de tous lieux en tous lieux… Le nouvel esprit scien! que
se développe en une philosophie du transport : intersec! on, interven! on,
intercep! onAutrement dit, le partage a moins d’importance que la circula! on
le long des chemins ou des fi bres, la circonscrip! on d’une région a moins d’intérêt
que les nœuds de confl uence des lignes, nœuds qui sont, selon la thèse, les régions
elles-mêmes. Dans cet espace nouveau, l’inven! on se développe selon un ars inter
veniendi ; l’intersec! on est heuris! que, et le progrès est entrecroisement ; on rend
compte ainsi de la complexité. »2
1. Colloque « Interdisciplinarité », Paris, 1990, texte publié dans les Cahiers de la recherche
architecturale et urbaine n°12, « Interdisciplinarités », Ed. du patrimoine, janvier 2003.
2. M. Serres, Hermès II, l’interférence, Paris, Ed. de Minuit, 1972, p.10 et p.13
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Larchitecture confi gure le monde entre limite et illimité, stable et instable : quels
passages ?
Larchitecture établit des limites et des passages pour confi gurer un monde
alors que l’illimité (en grec l’apeiron) est inhabitable. Larchitecture est confrontée
à ces entrelacs. La no! on de limite du la! n « limes » qui signifi e un chemin qui
borde une propriété ou bien un sen! er entre deux champs, et qui traduit le mot
grec « péras » renvoie à des confi ns, que ce soit ceux du connaissable et de
l’inconnaissable, du fi ni et de l’infi ni, de l’ordre et du chaos. Les situa! ons de limites
sont des situa! ons cri! ques indissociables de transforma! ons, de transgressions
(Foucault). Elles cons! tuent aussi des ouvertures : « La limite n’est pas ce où quelque
chose cesse, mais bien, comme les Grecs l’avaient observé, ce à par! r de quoi
quelque chose commence à être »3. Dans les Prolégomènes4, Kant élabore le concept
de limites en liaison et en opposi! on avec celui de bornes. Aussi bien les limites que
les bornes sont des fron! ères mais la diff érence entre elles revient à ceci : tandis que
les bornes sont des fron! ères néga! ves (des néga! ons, explique Kant), les limites
sont des fron! ères posi! ves. Elles indiquent du même coup qu’elles déterminent un
espace et le dis! nguent d’un autre qui lui est adjacent. Kant ajoute qu’ « en toutes
limites… il y a quelque chose de posi! f, puisque les limites du connaissable donnent
toujours à penser ». Quant à la no! on de passage, elle conduit à s’interroger sur
des situa! ons intermédiaires mouvantes ce mot renvoyant tout à la fois à l’ac! on
de passer à travers, au trajet, à l’issue, à l’entre-deux ambigu par lequel s’opèrent
des rela! ons, des transi! ons et des média! ons. Le mot apeironformé de « péras »
(limite) et de « a » priva! f désigne ce qui, de façon irréduc! ble, est dépourvu de
délimita! on physique ou logique. Il est sans fi n et indéterminé. La racine « per », au
sens spa! al et temporel de « à travers », « pendant » (présente dans « apeiron » et
« péras ») se retrouve dans plusieurs langues indo-européennes. Maldiney souligne
la proximité du passage (dérivé du la! n tardif passare : « passer », « traverser ») et
de la limite : «Traversée répond à ce$ e racine indo-européenne ‘per, à travers’, qui
est celle du mot expérience, comme celle du grec expeira’ et d’une quan! de mots
dérivés en germanique. Le grec ‘poros’ qui veut dire passage, signifi e aussi bien un
chemin qu’un gué, tout ce qui permet de passer d’un en deçà à un au-delà, à travers
ce$ e ligne ou ce$ e zone d’union et de sépara! on qui défi nit fondamentalement la
plus primi! ve des situa! ons humaines.»5 Le terme de « porosité » dérive du grec
poros. Benoît Goetz explique qu’ « une architecture poreuse est une architecture qui
laisse la vie et les ac! ons des hommes la traverser » en commentant le portrait de la
ville de Naples par Walter Benjamin « poreuse comme ce$ e roche est l’architecture.
Edifi ce et ac! on s’enchevêtrent dans des cours, des arcades et des escaliers. En
tout on préserve la marge qui permet à ceux-ci de devenir le théâtre de nouvelles
constella! ons imprévues. On évite le défi ni! f, la marque. Aucune situa! on n’apparaît
telle qu’elle est, prévue pour durer toujours, aucune gure n’affi rme : ‘’ainsi et pas
3. « Bâtir Habiter Penser » in Essais et conférences [Vorträge und Aufsätze, 1954], trad. André Préau,
Paris, Ed. Gallimard, 1958, p.183.
4. E. Kant, Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science, 1783.
5. « A l’écoute de Henri Maldiney » in C. Younès, Ph. Nys et M. Mangematin (codir.), Larchitecture au
corps, Bruxelles, Ed. Ousia, 1997, p.13
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