L`identité métisse en question

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La première partie aborde les identités métisses dans une perspective historique, personnelle et communautaire en analysant le contexte des sociétés
postcoloniales, de la mixité culturelle, de l’adoption internationale et des relations de subalternité. La seconde partie traite des revendications identitaires de
communautés métisses du Canada : les Métis-Inuits du Labrador, les Métis de
la Gaspésie, les Métis acadiens, les Magouas et les Métis de Saint-Laurent au
Manitoba. La troisième partie aborde les stratégies et les dynamismes à l’œuvre
dans l’ouverture d’espaces sociaux, notamment sur des Gitans en France, sur les
enjeux linguistiques des langues métisses de l’Ouest canadien et sur les défis
qu’affrontent les femmes métisses en milieu urbain à Winnipeg. Enfin, les directeurs de ce livre présentent en quatrième partie l’état de la situation des études
métisses en Europe et au Canada, confirmant la grande portée de ces réflexions
et l’intérêt des développements à venir dans ce domaine.
Illustrations de la couverture : Monique Larouche
Anthropologie\Ethnologie
Stratégies identitaires et dynamismes culturels
C
et ouvrage propose de riches
réflexions sur la condition des
identités métisses et des processus de métissage. Employant une
approche historique, anthropologique,
sociologique ou psychologique, les
auteurs de ce livre basent leurs analyses
sur des cas canadiens, français, espagnol
et suisse. Ils se positionnent par rapport aux
grands débats qui ont affiné ce champ d’étude qui
semble toujours très pertinent pour décrire l’expérience culturelle et sociale
vécue par de plus en plus d’individus, de familles et de communautés.
L'identité métisse en question
Stratégies identitaires et
dynamismes culturels
Sous la direction de
Denis Gagnon et Hélène Giguère
L'identité métisse en question
Sous la direction de
Denis Gagnon et
Hélène Giguère
L'identité
métisse
en
question
Stratégies
identitaires et
dynamismes
culturels
L’identité métisse en question
Stratégies identitaires et dynamismes culturels
Sous la direction de Denis Gagnon et Hélène Giguère
L’identité métisse en question
Stratégies identitaires et
dynamismes culturels
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du
Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec
une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Mise en page : Hélène Saillant
Maquette de couverture : Laurie Patry
Illustration de la couverture : Le manteau d’Arlequin, hommage à Michel Serres,
peinture acrylique de Monique Larouche.
Quatrième de couverture : Quetzalcóatl-Ehacatl, peinture acrylique de Monique
Larouche.
© Presses de l’Université Laval. Tous droits réservés.
Dépôt légal 1er trimestre 2012
ISBN : 978-2-7637-9111-1
PDF : 9782763711119
Les Presses de l’Université Laval
www.pulaval.com
Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque
moyen que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université Laval.
Table des matières
Remerciements.......................................................................................XI
Introduction – Le métissage : un processus identitaire
incontournable et des enjeux négligés........................................1
Denis Gagnon et Hélène Giguère
Partie I
Identité personnelle et communautaire :
une question de choix ou de contingence
1 – Identification et existence sociale des Métis : réflexion
à partir du cas des sociétés postesclavagistes.............................17
Jean-Luc Bonniol
2 – Essai de typologie de la construction identitaire en milieu
culturellement mixte en France..................................................37
Sonia Gerard
3 – Métissage culturel et adoption : coutumes, politiques
et variations identitaires..............................................................55
Marie-Andrée Ciprut
4 – De la subalternité aux métissages du quotidien :
les minorités face aux politiques publiques en France..............79
Roselyne de Villanova
Partie II
Émergence et essais de reconnaissance de
communautés métisses canadiennes françaises
5 – La spécificité culturelle des communautés métisses
du Labrador méridional..............................................................99
Paul Charest
VIII
L’identité métisse en question
6 – Politique de la mémoire chez les Métis de la Gaspésie............129
Fabien Tremblay
7 – Les Acadiens métis, les Métis magouas et les Métis
de Saint-Laurent : contexte et construction
des identités métisses...................................................................155
Emmanuel Michaux
Partie III
Stratégies et dynamismes :
l’ouverture des espaces sociaux
8 – Dire les Autres : métissages et renouvellement
des civilités générales. Les Gitans et la question scolaire.........181
Lamia Missaoui
9 – Langues et identités langagières des Métis du Canada............205
Robert A. Papen
10 – Les groupes de femmes métisses à Winnipeg :
transmission identitaire et discrimination................................237
Joanna Seraphim
Partie IV
Europe – Canada :
un état de la situation en études métisses
11 – Les études européennes sur les processus de métissage.
Un essai bibliographique.............................................................267
Hélène Giguère
12 – Les études métisses subventionnées et les travaux
de la Chaire de recherche du Canada
sur l’identité métisse....................................................................315
Denis Gagnon
Présentation des auteurs.......................................................................341
À Gabriel Dufault,
Président de l’Union nationale métisse
Saint-Joseph du Manitoba
Pour son courage, sa détermination et sa vision
d’une Nation métisse unie et pancanadienne.
Remerciements
Cet ouvrage collectif est le résultat du Troisième atelier international
sur les identités et cultures métisses qui a eu lieu à Winnipeg du 17 au
19 mai 2010, à l’Université de Saint-Boniface (anciennement le Collège
universitaire de Saint-Boniface). Organisé par Denis Gagnon, titulaire
de la Chaire de recherche du Canada sur l’identité métisse, et par Annick
Foucrier, directrice du Centre de recherches d’histoire nord-américaine
(CRHNA – Panthéon-Sorbonne – Paris I), cet atelier a réuni quatorze
spécialistes du métissage dont douze participent au présent ouvrage,
­auxquels s’ajoute la contribution d’Hélène Giguère.
Nous tenons à remercier pour leur participation financière : le
Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, pour la subvention accordée dans le cadre du Programme d’aide aux colloques et ateliers ; le Programme de Chaires de recherche du Canada ; l’Université de
Saint-Boniface ; et la section régionale manitobaine de l’Association francophone pour le savoir – section Manitoba (Acfas-MB). Nous remercions également Amy Pépin pour son appui logistique à toutes les étapes
du projet, et aussi, tout particulièrement, Annick Foucrier, pour son
­accueil chaleureux à la Sorbonne en 2008 et son implication dans l’organisation des ateliers subséquents, mais qui n’a malheureusement pu participer à la publication de cet ouvrage. Tous les textes présentés ici ont été
évalués puis révisés par les auteurs et n’ont jamais été publiés auparavant.
Introduction
Le métissage : un processus identitaire
incontournable et des enjeux négligés
Denis Gagnon et Hélène Giguère
Ouverture
Qui est Métis ou métis ? Pour certains, ce terme polysémique relève
d’un essentialisme racial discriminant, salvateur ou opportuniste ; pour
d’autres, c’est un ethnonyme qui désigne une réalité généalogique et culturelle ou, plus spécifiquement, un peuple autochtone canadien reconnu
par la Loi constitutionnelle. Qu’il s’agisse d’ un nom commun ou un nom
propre, ce terme, ainsi que le processus de métissage qui l’engendre, demandent à être précisés. Être métis peut représenter une bouée de sauvetage pour les individus et communautés qui n’entrent pas dans les couleurs sociales distinctes prenant une majuscule : il n’est ni Blanc, ni Rouge,
ni Noir, ni Jaune, il est métis, avec une minuscule.
Être métis, c’est aussi une étiquette affichant la différence raciale,
comme en France, pays qui ne reconnaît pas ses minorités ethniques mais
où l’enfant d’un Noir et d’une Blanche est appelé métis. Le métissage peut
être un concept associé à une « race cosmique » qui illustre la réussite de
l’intégration sociale au détriment de l’identité amérindienne, comme au
Mexique1. C’est aussi un processus qui donne naissance à des commu  1. Le concept de « race cosmique », développé par Vasconcelos dans les années 1940,
visait à démontrer la mission ethnique jouée par le mestizo dans le futur de la nation
mexicaine. Voir López Caballero (2009).
2
L’identité métisse en question
nautés qui, en transcendant les conceptions binaires de l’identité, deviennent victimes d’une double discrimination raciale.
Le Métis est un autre que l’Autre même rejette hors réserve, sans
statut. Il est un nous que le Nous même rejette hors norme, stigmatisé.
Comme le fait dire Salman Rushdie (2008 : 357) à un de ses personnages : « Le drame des hommes n’est pas que nous soyons tellement différents les
uns des autres, mais que nous soyons tellement semblables » [en italique dans
le texte]. Une réflexion qui fait écho à celle de Toshiaki Kozakaï (2007 :
47-48) [C’est nous qui soulignons].
[…] le vecteur de différenciation se renforce pour maintenir la frontière
d’autant plus qu’elle devient floue. […] Le racisme n’a pas pour cause la différence objective, mais il s’agit plutôt d’un mouvement de différenciation
provoqué face à l’homogénéité […]. Cependant, force est de reconnaître que
plus que la différence elle-même, c’est la similitude qui est problématique
sur le plan psychologique […]. La comparaison sociale est le fondement
même de notre identité. Celle-ci est fabriquée grâce au mouvement de différenciation. L’intérieur et l’extérieur apparaissent en même temps par la création d’une frontière. C’est pourquoi la similitude est plus problématique que
la différence.
Le statut du m/Métis, cet autre trop semblable, et la modélisation du
métissage varient grandement selon les pays. Voici quelques exemples qui
ne sont pas traités dans cet ouvrage. Aux États-Unis, la question du
m/Métis s’est posée à nouveau après près d’un siècle d’occultation et de
silence2 avec le recensement de 2000 qui, pour la première fois, incluait la
catégorie « Indien d’Amérique en combinaison avec une ou plusieurs
races »3. Le résultat a été étonnant, 4 119 301 individus ont choisi cette
catégorie. Le nombre d’Indiens statués étant de 2 475 956, il y aurait
donc 1 643 345 « mixed-blood (Metis Indians) » aux États-Unis, et les résultats du recensement de 2010 seront encore plus précis à ce sujet car il
contenait la catégorie Metis Indians. Cette nouvelle revendication d’une
culture distincte s’observe également en Polynésie française avec les revendications identitaires de ceux qui s’identifient comme les « Demis ».
Ailleurs, c’est une identité qui disparaît lentement en même temps que la
  2. Voir l’ouvrage très peu connu de Louise Seymour Houghton (1918) sur le rôle des
Métis et des French-Indians dans le développement des États-Unis. Nous n’avons
trouvé cette référence dans aucun des nombreux ouvrages que nous avons lus et
consultés depuis plusieurs années sur le métissage et les Métis.
  3. Voir : http : //www.usmetis.org/census_2010
Introduction. Le métissage : un processus identitaire incontournable
3
langue, comme celle des Marrons de la Louisiane4. Issue d’un métissage
multiple entre esclaves en fuite, Indiens houmas, colons français et espagnols et déportés cajuns, cette communauté noire parle français, même si
ses membres disent parler créole, et subit le même type de discrimination
linguistique que les Cajuns. Enfin, dans certains pays, le métis est assimilé à l’un ou l’autre des groupes en présence, comme en Nouvelle-­
Calédonie où le métissage biologique n’engendre pas de métissage culturel en raison du cloisonnement des communautés ethniques, ou en
Nouvelle-Zélande où le métis doit choisir entre l’identité britannique ou
maorie.
Le métissage se construit et se vit, simultanément ou non, au niveau
individuel, communautaire et culturel. Au plan de l’identité individuelle,
l’individu métissé5 issu d’une mère d’une culture/ethnie6 donnée, et d’un
père d’une culture/ethnie différente doit, dans certains pays où le métissage est problématisé, se fabriquer une identité avec des pièces qui ne
s’emboîtent pas toujours. Au plan de l’identité communautaire, le Métis7
oscille entre une culture dominante et une culture minoritaire, selon son
phénotype, selon les espaces identitaires existants et souvent en alternance, selon les contextes. Au plan de l’identité culturelle, les mêmes phénomènes s’observent, bien que l’on grandisse généralement imprégné par
une importance inégale des apports culturels en fonction des influences
parentales, sociales et environnementales. L’identité métisse n’est pas fixée
et, comme le disent François Laplantine et Alexis Nouss (1997 : 9) : « La
grande et seule règle du métissage consiste en l’absence de règles. Aucune
anticipation, aucune prévisibilité ne sont possibles. Chaque métissage est
unique, particulier et trace son propre devenir. Ce qui sortira de la rencontre demeure inconnu ». Ainsi, il est impossible d’établir des normes
figées de construction de l’identité métisse, bien que ce soit le but du gou-
  4. De l’espagnol, cimarron (animal domestiqué redevenu sauvage), ce terme désigne
aussi les sociétés nées des esclaves évadés du Surinam et de la Guyane. Voir le documentaire d’André Gladu (2005) sur les Marrons de la Louisiane.
 5. Nous entendons ici les individus issus d’unions entre des membres de groupes
culturels et (ou) ethniques différents et qui doivent choisir, subir ou se fabriquer une
identité dans une société discriminante.
  6. Malgré le fait que le terme « ethnique » puisse renvoyer à un certain racisme associé
au métissage, il nous semble important d’en tenir compte, tout comme le fait Barth
(1993) afin de le différencier du concept de culture – une culture pouvant englober
plusieurs communautés ethniques.
  7. Nous entendons ici les individus membres de communautés métisses, reconnues
officiellement ou non, où l’identité est en partie déterminée par la culture.
4
L’identité métisse en question
vernement canadien (Gagnon, 2009), mais on peut néanmoins relever
quelques tendances.
Bien que de nombreuses disciplines des sciences sociales et humaines
s’intéressent à l’étude du métissage sous des angles qui leur sont propres,
c’est l’anthropologie qui est particulièrement appelée à jouer un rôle plus
important en adaptant les outils théoriques, conceptuels et méthodologiques dont elle dispose à ce champ d’étude. Comme le remarquent Gagnon
et Tremblay dans cet ouvrage, il est tout de même surprenant de constater l’absence d’intérêt ou peut-être même la gêne des anthropologues face
à l’étude de ce sujet pourtant profondément inscrit dans l’histoire de leur
discipline et dans sa trajectoire intellectuelle principalement axée sur
l’identité, l’altérité, le racisme, la discrimination et les expériences et
conceptions culturelles, qu’elles soient frontalières, minoritaires ou majoritaires. L’analyse d’expériences individuelles, personnelles, mise en
commun avec celle des expériences collectives ouvre la porte à de riches
considérations rendant également souhaitable une plus grande contribution de l’anthropologie des émotions (Giguère dans ce livre).
L’anthropologie est également invitée à tenir compte de la complexité
des positionnements identitaires expérimentés par les Métis. Ces positionnements répondent à la fois à des stratégies sociopolitiques et à des
émotions plus ou moins fluides qui orientent les identités et projettent ou
reproduisent des modèles. Par exemple, un métis euromaghrébin peut
aisément être assimilé à la masse espagnole et n’expérimentera aucune stigmatisation sociale basée sur son phénotype si et seulement si son degré
d’adhésion à la culture et à l’expression linguistique ambiantes ainsi qu’aux
pratiques socioculturelles en vigueur est élevé ; pourtant, il pourra projeter
sur ses diverses sociétés d’appartenance des caractéristiques qu’il rejettera
ou valorisera en fonction de son projet individuel d’ascension sociale. Cet
exemple s’applique également au Métis canadien qui, selon son phénotype,
peut être confondu avec un Amérindien, un Inuit, un Latino-américain,
un Mexicain ou un Euro-canadien, et qui expérimentera la possibilité du
choix ou la contingence identitaire d’un milieu culturel donné. La discrimination, même si elle base idéologiquement ses justificatifs sur des critères phénotypiques, s’appuie en fait généralement sur des facteurs sociaux
et culturels d’intégration et « d’invisibilisation » de la différence.
L’impact des relations coloniales marque sans contredit un avant et
un après pour plusieurs sociétés non occidentales, et, de façon symétrique, pour l’Occident également. Les travaux réalisés en Europe au cours
de ces dernières décennies, depuis que les analyses sur la globalisation et
Introduction. Le métissage : un processus identitaire incontournable
5
les relations postcoloniales valorisent les bricolages, mélanges et syncrétismes comme s’il s’agissait du salut des sociétés modernes, montrent, au
niveau discursif, que le métis n’est plus le bâtard et le sans-statut. Il serait
devenu le trait d’union, symbolique et politique, entre des appartenances
et des mondes différents. Paradoxalement, au niveau des pratiques, il dérange encore. Par exemple, la France ignore la mixité culturelle et les identités ethniques qui sont associées à la raciologie et au communautarisme,
et le métissage est le plus souvent abordé sous le schème de la métaphore.
Bref, le métis est pratique en autant qu’il ne se matérialise pas. Idéalement, l’identité fluide qui doit être fixée et qui se construit grâce à l’altérité, ne devrait plus renier l’impact de la coexistence des cultures, non
seulement dans le sens politique du multiculturalisme et de la mosaïque
culturelle, mais aussi dans le sens de ce « vivre ensemble », la convivencia,
qui implique l’interpénétration des expériences et des références culturelles, selon des degrés divers, en fonction des proximités relatives.
La relation d’altérité, entre groupes majoritaires et minoritaires, entre
marginaux et dominants, décrite dans un contexte colonial auquel certains voudraient limiter l’usage du concept de métissage, se retrouve de
façon symétrique dans les pays colonisateurs, les anciens Empires,
­lesquels ont transporté dans le monde leurs propres conceptions de
pureté et d’impureté, tant sur le plan social que racial. Mais cette altérité
s’exerce aussi simplement entre des agents d’allégeances différentes dont
la mise en commun ou le rapprochement (habituellement de valeur et
d’intensité inégales) provoque des transformations au sein du modèle de
reproduction sociale et produit aussi de nouvelles identités. Ainsi, la dynamique de fond omniprésente dans les analyses menées sur le phénomène processuel du métissage est bel et bien une dynamique d’altérité ;
un regard multidimensionnel sur les rapports interculturels, sur la manipulation d’idéologies raciale et d’ascension sociale, qui ne sera sans doute
jamais tout à fait libre des a priori ethnocentristes. La production de nouvelles identités et la transformation d’identités existantes constituent l’un
des observatoires privilégiés de l’anthropologie ; elles évitent de simplement évacuer le problème du racisme de son objet d’étude pour permettre
plutôt de le traiter.
Cet ouvrage a pour objectif de proposer non pas une définition formelle du métissage mais plutôt un cheminement ou un parcours constitué d’expériences identitaires individuelles et collectives ancrées dans des
contextes historique et contemporain. Une attention particulière est accordée à la mise en relation du contexte européen et du contexte canadien
afin de donner sa part au métissage dans les réflexions internationales
6
L’identité métisse en question
théoriques et empiriques qui ont toujours négligé sa spécificité8. Encore
là, il faudra désormais parler « des » cas canadiens et non « du » cas canadien, puisque les exemples exposés diffèrent grandement en fonction des
variables territoriales, linguistiques, sexuelles et politiques. La plupart des
auteurs font ici la démonstration de la préséance du culturel sur le biologique lorsqu’il est question de métissage. Même si les parcours métis impliquent une dimension biologique pouvant être évaluée à différentes
échelles, la dimension culturelle constamment présente complexifie le
phénomène et génère une diversité étendue de modèles, d’où la difficulté,
voire l’impossibilité d’en proposer une typologie.
Les acteurs du métissage incorporent les relations de domination et
les perceptions collectives historiques tout en étant pleinement créateurs
de leur propre modélisation, s’inscrivant ainsi dans un processus d’agencéité permanent. L’agencéité, en tant que pouvoir et projet d’action intentionnels des acteurs sociaux (Ortner, 2006), est d’ailleurs une des dimensions du métissage qui apparaît de façon constante au sein des travaux ici
recensés. De façon à enrichir la mise en commun des conclusions et à
proposer de nouvelles orientations de recherche, cet ouvrage présente des
exemples de métissage issus du contexte colonial et des exemples en
contextes non coloniaux qui élargissent le champ de réflexion. Hautement privilégié dans les travaux sur le métissage, le contexte (post)colonial est représenté par les contributions sur les Métis du Canada de
­Charest, Michaux, Papen, Seraphim et Temblay, auxquelles s’ajoutent les
exemples franco-antillais de Bonniol et de Gerard. Ces contributions en
contextes non coloniaux sont présentées par les travaux de Missaoui sur
les Gitans, de De Villanova sur les immigrés et de Ciprut sur l’adoption.
De toute façon, comme le métissage provoque une diversité de réflexions
et d’orientations de recherche, il nous semble plus juste d’adopter une
vision intégrative et inclusive plutôt que de déterminer une fois de plus
des zones d’exclusion. De là, l’importance des exercices de catégorisation
à des fins analytiques présentés dans la dernière partie du livre par
­Giguère et Gagnon. Inversement, cette même société d’accueil – et son
degré de valorisation de la diversité culturelle – influent sur les choix
identitaires privilégiés. À l’intérieur de cette dialectique, l’individu adopté
modèle et compose lui-même son identité au même titre qu’il est aussi
modelé par les stéréotypes et symboles d’ascension sociale. Même dans le
  8. L’invisibilité des Métis canadiens dans toutes les études européennes sur le métissage que nous avons consultées est difficilement explicable, surtout que les Métis
sont un des trois peuples autochtones reconnus par la Loi constitutionnelle du
Canada au même titre que les Amérindiens et les Inuit.
Introduction. Le métissage : un processus identitaire incontournable
7
cas de franc déni des origines biologiques, on ne peut prévoir les effets à
plus long terme sur les deuxième et troisième générations. Une piste de
recherche intéressante en études autant sur l’adoption que sur l’identité
métisse serait de développer la question de l’après-choix : une fois que
l’individu adopté/identifié, conscient de ses origines, est confronté à la
paternité/maternité et à sa responsabilité de transmettre certaines ­valeurs
à une descendance très certainement métissée à tous points de vue, comment s’opèrent les positionnements et choix de chaque génération et en
fonction de quels critères ? Dans ce sens, les récents développements réalisés en psychologie, en psychiatrie et en éducation contribuent positivement à la compréhension phénoménologique des expériences métisses,
pour lesquels on s’attendrait à davantage d’implication de l’anthropologie.
Comme le précise clairement Gerard dans son introduction : « Le parti
pris de présenter quelques cas issus de notre pratique en psychiatrie n’est
pas révélateur d’un lien de causalité entre mixité culturelle et psychopathologie. Ces cas offrent l’avantage de pouvoir rendre particulièrement
visibles certains mécanismes discrets. »
Présentation de l’ouvrage
Variées dans leurs styles, leurs disciplines d’origine et leurs sujets
d’étude, les contributions réunies dans ce livre divisé en quatre parties
s’intéressent aux m/Métis et au métissage au Canada, en France, en Espagne et en Suisse. Elles sont le fruit des recherches de quatre doctorant(e)
s, de cinq professeur(e)s et de trois chercheures professionnelles. La première partie, qui s’intéresse à l’identité métisse aux plans historique, personnel et communautaire, réunit les textes de Jean-Luc Bonniol sur les
concepts du métissage dans les sociétés postcoloniales, de Sonia Gerard
sur les enjeux de l’identité et la mixité culturelle en France, de Marie-­
Andrée Ciprut sur l’adoption internationale, et de Roselyne de Villanova
sur la subalternité et des minorités en France. Plusieurs des textes contenus dans cet ouvrage renvoient aux notions de violence et de frontière
présentes au sein des processus de métissage, deux notions intimement
associées aux concepts d’identité et d’altérité.
Dans le premier chapitre, Jean-Luc Bonniol introduit la pertinence
de ces notions ainsi que celle de race dans la compréhension du métissage.
Il analyse la dissymétrie des ascendances et l’importance des rapports de
domination, à la fois raciaux et sexuels, apparaissant dans la plupart des
expériences métisses, historiques et contemporaines. En ce sens, il parle
de « violence double, rappelant la pertinence des études sur les rapports
8
L’identité métisse en question
de genre dans ce champ ». Il évoque aussi cette frontière « que l’on voudrait absolue entre les deux segments sociaux de l’ordre juridique colonial ». La notion de frontière nous apparaît dès lors nécessaire pour aborder le métissage comme un processus identitaire (Barth, 1993). Barth
postule d’ailleurs en faveur d’une « variabilité des identités se jouant aux
frontières » et d’une « géométrie instable des identités », énoncés qui correspondent tout à fait aux développements des réflexions sur le métissage.
Cette frontière juridique de l’époque coloniale entre les peuples rappelle
les frontières nationales aujourd’hui traversées avec plus d’aisance, et qui
comportent aussi leurs parts juridique et politique – on ne les traverse
pas tous avec la même facilité, que l’on soit lié ou non par la filiation ou la
génétique au territoire concerné. La frontière théorique, qu’elle soit géographique, politique, et même culturelle, diffère grandement des frontières expérimentées par la réalité ethnographique au sein de laquelle les
êtres circulent, échangent, cohabitent, parfois avec un sentiment de profonde légitimité (par exemple, à la frontière des États-Unis et du Mexique). Par conséquent, pour traiter des processus de métissage, la notion
de chevauchement nous paraît tout aussi importante que celle de frontière et la catégorie antillaise des « libres de couleur » énoncée par Bonniol
représente fort bien ces chevauchements.
Dans le second chapitre, Sonia Gerard explore la dimension subjective de l’identité métisse en France dans un contexte de non-­reconnaissance
légale. À partir d’exemples cliniques, l’auteure s’intéresse aux facteurs individuels et environnementaux qui font que certains sujets développent
une identité métisse tandis que d’autres la renient. Cette approche psychologique ouvre la réflexion sur le caractère projectif de toute identité et
dresse enfin des ponts entre les expériences métisses – a priori éloignées
– de l’adopté et du sujet colonial. Toutefois, cette projection ne saurait
être dénuée de contenu culturel et des rapports de domination installés
par des forces extérieures au sujet. Gerard distingue deux modes opposés
de conceptualisation de la culture chez le sujet en situation de métissage :
l’opposition culturelle et la recherche de consensus. Elle évoque également les notions de frontière de l’altérité et de stratégies identitaires, affirmant la valorisation de certaines « compétences psychiques telles que la
plasticité et la mobilité ». Indirectement et par la voie d’une analyse psychiatrique, elle renvoie donc au principe d’agencéité et aux stratégies identitaires, établissant des ponts entre une perspective d’anthropologie politique et son approche psychiatrique.
Au chapitre trois, Marie-Andrée Ciprut s’intéresse à l’identité personnelle métisse à partir d’analyses cliniques d’enfants adoptés dans une
Introduction. Le métissage : un processus identitaire incontournable
9
culture autre que celle de leur lieu de naissance. L’auteure explore les caractéristiques et les conséquences du métissage en jeu dans l’adoption
internationale, source de déracinement et d’aménagements spatiaux
culturels, et, par cette voie, remet en question les dimensions biologique
et culturelle de la quête identitaire, une démarche qui provoque des critiques et des réflexions importantes sur les limites du métissage. Sans l’évoquer directement, Ciprut aborde la violence identitaire vécue à travers le
rejet et les choix sélectifs expérimentés par les adoptés et elle nous montre
à quel point le rejet ou la négation de la culture correspondant à l’origine
biologique entraîne un effet culturel qui peut s’exprimer par l’absorption
complète du modèle proposé par la société d’accueil, dont tout rappel
« d’inauthenticité9 » est susceptible de générer une violence symbolique.
Au chapitre quatre, Roselyne de Villanova propose une étude sur les
populations immigrantes en France. Elle considère l’expérience des minorités sous l’angle de la subalternité et évoque la violence symbolique exercée par les institutions publiques dans leur processus de socialisation, en
déstabilisant les parents immigrés ou en les dépossédant de leur rôle de
parent éducateur. Cette relation asymétrique de subalternité héritée d’un
passé colonial fait en sorte que les décideurs politiques ne tiennent pas
compte de l’apport culturel potentiel de ces populations en opposant les
appartenances culturelles et en ignorant la pluralité des identités. Selon
de Villanova, la socialisation serait trop souvent perçue par les institutions publiques françaises comme une « inculcation qui fera table rase des
savoirs de l’autre, loin des pédagogies interculturelles ».
La seconde partie, qui traite des revendications identitaires des communautés métisses du Canada, réunit les textes de Paul Charest sur les
Métis-Inuits du Labrador méridional, de Fabien Tremblay sur les Métis
de la Gaspésie et d’Emmanuel Michaux sur les Acadiens, les Magouas et
les Métis de Saint-Laurent au Manitoba. Au cinquième chapitre, Paul
Charest amène la notion de « double métissage » entre les peuples inuit,
amérindien et européen, phénomène qui semble unique au Canada.
L’auteur souligne la variabilité des composantes métisses et la diversité
historique du métissage au Canada et aux États-Unis. Cette variabilité
  9. Comme nous le verrons dans plusieurs des contributions, le concept d’authenticité
culturelle, lié à ceux d’origine, de pureté, d’impureté et de souillure, pour reprendre
le concept de Mary Douglas (1992), semble être un des éléments majeurs des problèmes sociaux reliés aux métissages. Il y aurait des métissages plus « impurs » que
d’autres ; plus ils sont visibles, plus ils seraient risqués. Mais la visibilité ne dépend
pas seulement de la couleur de la peau ; les pratiques et usages linguistiques rendent
aussi visible l’invisible.
10
L’identité métisse en question
rappelle les évocations d’Amselle (2001) et de Gruzinski (1999) sur la
fluidité et la perméabilité des identités métissées. Charest analyse clairement l’association entre la pratique de la chasse et de la pêche et les revendications de droits aborigènes. Cette intime association entre la pratique
et la revendication identitaires des cas canadiens nous conduit à poser
ouvertement la question d’une façon générale : la judiciarisation des identités métisses améliore-t-elle la convivencia interculturelle et atténuet-elle la stigmatisation de la différence ? Charest affirme que la « non-­
évocation du métissage comme tel par les populations n’annule pas le
phénomène »10. Il évoque les discriminations à l’endroit de ceux qui expriment leurs origines (par la tenue vestimentaire, la langue, l’apparence ou
le comportement), ce qui conduit souvent à une autocensure pour contrer
la stigmatisation. Ces observations replacent les cas des Métis du Canada
au cœur des réflexions anthropologiques plus générales sur l’altérité et les
discriminations.
Au sixième chapitre, Fabien Tremblay aborde de front le sujet de
l’identité et de la mémoire collective, réalités qui renforcent la compréhension des revendications des Métis de la Gaspésie en particulier et du
Québec en général. Inversement, le cas de la Gaspésie contribue aux réflexions sur la mémoire collective par sa position contestataire face à
­l’ordre établi ainsi qu’aux catégories simplistes et binaires héritées du
­colonialisme. Ce serait en partie la question d’authenticité culturelle reliée
à la conception de l’Autochtone qui serait responsable du manque d’intérêt des chercheurs du Québec pour l’identité métisse. Tremblay ancre les
revendications des Métis dans un discours et une orientation intellectuels
très contemporains et voisins des réflexions sur le patrimoine culturel
immatériel, lequel vise à valoriser les identités minoritaires et leurs pratiques transmises de génération en génération, sans tomber dans la quête
des essentialismes. En ce sens, le champ d’analyse que propose Tremblay
constitue un pas de plus dans la valorisation des identités et des pratiques
dynamiques, non figées, et non authentiques. Son analyse relate la découverte « des racines autochtones » par la société dominante et la diminution du racisme à l’endroit des peuples autochtones ainsi que les perceptions opportunistes à l’endroit des revendications des Métis. La
déracialisation générale des rapports entre les Canadiens et les Autochtones fera sans doute place avec le temps à une plus grande acceptation du
fait métis, marqueur de l’histoire culturelle du Canada et du Québec, et,
peut-être, à une diminution des revendications juridiques au profit d’une
10. C’est d’ailleurs une réalité aussi observée chez les Gitans de Jerez par Giguère (2009).
Introduction. Le métissage : un processus identitaire incontournable
11
meilleure convivencia. La découverte des racines, parfois occultées durant
plusieurs générations, prend parfois la tangente d’une révélation, nous dit
Tremblay, comme si elle venait expliquer ou justifier un comportement,
une position sociale ou des stratégies identitaires.
Sous l’angle de l’ethnolinguistique, Emmanuel Michaux propose au
chapitre sept une analyse comparative entre trois groupes métis canadiens français : les Métis acadiens de la Nouvelle Écosse, les Métis magouas du Québec et les Métis de Saint-Laurent au Manitoba. Il évoque le
recouvrement de la fierté identitaire chez ces groupes métis et l’importance de l’identification territoriale, le local. On peut associer cette identification locale à la fragilité ou à l’absence du sentiment d’appartenance à
un groupe culturel plus large. La création d’un lieu ouvert à diverses
formes d’appartenance constitue en soi une stratégie de production identitaire. Michaux analyse le caractère doublement minoritaire des Métis
francophones au sein d’un Canada majoritairement anglophone, et même
triplement minoritaire puisque ceux-ci se retrouvent également minoritaires parmi les Métis du Canada. Les observations de Michaux sur
l’identification spécifique des Magouas renforcent notre questionnement
sur le processus de judiciarisation de l’identité des Métis. Cette légalisation est-elle nécessaire pour la reconnaissance et la valorisation des expériences identitaires mixtes ayant subi des préjudices historiques ?
La troisième partie aborde les stratégies et dynamismes à l’œuvre
dans l’ouverture d’espaces sociaux et réunit les textes de Lamia Missaoui
sur la situation des Gitans en France, de Robert A. Papen sur les enjeux
linguistiques des langues métisses de l’Ouest, et de Joanna Seraphim sur
les défis qu’affrontent les femmes métisses en milieu urbain à Winnipeg.
Dans le chapitre huit, Lamia Missaoui s’intéresse au métissage familial et à la scolarisation des enfants gitans du sud de la France face à l’idéologie d’intégration et d’assimilation d’un système scolaire qui ignore les
altérités culturelles. Elle présente les résultats d’une enquête menée sur
les Gitans catalans et italiens en France et, ce faisant, elle propose une
riche analyse de la mixité et du métissage au sein des mariages biculturels
et de la construction de réseaux de femmes traditionnelles et non traditionnelles, fuyant souvent la violence familiale. L’auteure explore les réseaux, les unions stratégiques, la relation au territoire et la scolarisation et
elle ancre sa réflexion dans un contexte moderne et urbain, explorant les
stratégies des femmes dans leur rapport à la vie familiale et à leurs relations intergénérationnelles.
12
L’identité métisse en question
Au chapitre neuf, Robert A. Papen relie les identités collectives et
individuelles en analysant l’ambiguïté associée au nom « michif » donné à
plusieurs langues métisses au Canada. Il s’intéresse aux revendications
associées à ces langues et aux tentatives de revitalisation et de mise en
valeur de la langue métisse franco-crie appelée aussi Michif et désignée
langue nationale des Métis du Canada par le Ralliement national métis.
Cet angle ethnolinguistique contribue grandement à l’appréhension des
mouvements identitaires et dévoile des conceptions erronées par rapport
à cet objet de revendication que peut être la langue dans un contexte éminemment politique. Papen fait la preuve que la maîtrise du michif (langue
franco-crie) passe obligatoirement par l’apprentissage du français et du
cri, un élément important qui est totalement ignoré, pour des raisons
politiques, par les associations métisses anglophones de l’Ouest canadien.
Joanna Seraphim, au chapitre dix, analyse le processus de métissage
sous l’angle des rapports de genre qui révèlent une double domination
ainsi qu’une agencéité forte au sein de la communauté métisse de Winnipeg au Canada. Première anthropologue à s’intéresser aux associations de
femmes métisses de la ville de Winnipeg, Seraphim explore les relations
de pouvoir vécues par les femmes métisses et leur minorisation face aux
hommes métis et amérindiens, et nous montre comment l’identité métisse est transmise malgré la discrimination sexuelle et ethnique dont ces
femmes sont victimes. Seraphim ancre son étude dans le contexte urbain,
décrivant les difficultés des femmes métisses dans leurs tentatives d’identification à la culture métisse à travers la maternité, et leur distanciation
par rapport à certains schémas traditionnels. L’auteure apporte sur la réalité contemporaine des femmes métisses un éclairage précieux qui constitue un avancement des connaissances sur les collectifs métis canadiens.
Enfin, la quatrième partie de l’ouvrage présente un état de la situation
en études métisses en Europe et au Canada. Cette partie nous permet de
faire le point sur l’évolution des orientations de recherche afin de mieux
cibler les perspectives dans les études sur les processus de métissage et les
identités métisses. Dans le onzième chapitre, Hélène Giguère trace le
portrait des études européennes sur le métissage sous forme d’essai, en
s’appuyant sur une analyse de catégorisation théorique et géoculturelle
recouvrant plus de cinq cents entrées bibliographiques, tandis que Denis
Gagnon présente au chapitre douze les travaux de la Chaire de recherche
du Canada sur l’identité métisse dans le contexte des études métisses subventionnées par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada
de 1997-1998 à 2009-2010.
Introduction. Le métissage : un processus identitaire incontournable
13
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Partie I
Identité personnelle et
communautaire : une question
de choix ou de contingence
1
Identification et existence sociale
des Métis : réflexion à partir du cas
des sociétés postesclavagistes
Jean-Luc Bonniol
Quelques considérations méthodologiques sont nécessaires en préalable. La notion de métissage, telle qu’elle est largement employée
aujourd’hui, relève d’une métaphore qui projette dans le domaine culturel
l’image d’une rencontre procréatrice entre deux géniteurs perçus comme
physiquement différents et héréditairement distants. Forgé au début du
XIXe siècle à partir du terme métis, beaucoup plus ancien, servant à désigner le fruit de telles unions, le mot se situe d’abord dans la sphère savante. Utilisé à l’origine dans la zootechnie, il revêt une dimension temporelle, celle d’un processus cumulatif au long cours, engageant une
succession de générations et aboutissant au développement de nouveaux
segments de population caractérisés par leurs ascendances mêlées. On
retrouve cette dimension temporelle dans son principal usage actuel, qui
réfère à la mise en place progressive, dans les rencontres de cultures, de
nouvelles configurations, caractérisées elles aussi par des interpénétrations d’éléments de diverses provenances.
Nous allons nous dégager de cette extension métaphorique, et des
connotations qui risquent d’être subrepticement plaquées sur les nouveaux référents qu’on voudrait leur attribuer (Benoist, 1996), en nous
centrant sur l’appellation métis, qui s’inscrit strictement dans un mode de
désignation et de catégorisation des personnes propre à l’entreprise coloniale occidentale. Nous entendons donc scruter un phénomène socialement efficace, à partir de ses fondements cognitifs et de la symbolique
qu’il mobilise…
18
L’identité métisse en question
Un mode de désignation et de catégorisation
Il est possible de dater assez précisément l’apparition du terme métis
dans la pensée occidentale : elle remonte à l’époque où furent massivement mis en contact les hommes des différents continents restés jusquelà largement séparés, c’est-à-dire à l’aube des rencontres coloniales. Il faut
alors désigner les individus issus de ces rencontres improbables entre dissemblables : on fait appel à un mot qui existe depuis le Moyen-âge dans
les langues romanes, dérivant du bas-latin mixticium, lui-même issu du
verbe miscere (mélanger), le mot mestiz, présent en français dès le
XIIIe siècle, qui sert désormais à nommer cette nouvelle catégorie d’êtres
humains issue des mélanges coloniaux (à l’instar de son homologue espagnol mestizo). On peut cependant remarquer que le terme a tendance à se
spécialiser, puisqu’il finit par désigner avant tout les unions des rejetons
entre Indiennes et Européens. C’est le terme mulâtre qui détient en fait
l’antériorité pour qualifier, dans le contexte de l’émergence de sociétés esclavagistes fondées sur la traite africaine, le produit des unions entre
« blancs » et « noirs ».
Ces désignations se situent donc du côté de la procréation, c’est-àdire d’un phénomène qui met en jeu trois individus (les deux géniteurs et
leur rejeton), engageant, au-delà de l’union fugace – volontaire ou forcée
– des géniteurs, l’expérience existentielle du métis tout au long de sa vie
sociale. On peut remarquer que la résonnance actuelle du terme métissage tient toujours à cette conjonction fondatrice de deux êtres séparés
par la différence de leurs apparences, censés rompre par la confluence de
leurs hérédités la continuité de puretés originelles et fixes. La fascination
même exercée aujourd’hui par la notion – et sa puissance symbolique –
tiennent certainement à la force de cette fusion des substances, et à la dimension sexuelle évoquée : derrière le mot, c’est toujours l’étreinte des
« races », et des corps, qui se profile (Bastide, 1961).
Les logiques cognitives à l’œuvre se déploient dans le champ de la
sexualité, de la biologie de la reproduction et de la transmission des caractères… Au cœur même de ces logiques agissent des dispositifs perceptifs
censés saisir une réalité « naturelle » : ces dispositifs se fondent sur la
conscience d’une distance, appuyée sur les seuls contrastes qui touchent à
certains caractères visibles des géniteurs (Benoist, 1992). Nous avons
ainsi toujours coutume de désigner comme « métis » le produit d’une
union entre des individus ayant des apparences physiques différentes, qui
semblent relever le plus souvent de ces collections d’êtres humains habituellement distinguées par les traits visibles, souvent socialement discri-
1 • Identification et existence sociale des Métis
19
minants, de leurs membres, comme la couleur de la peau. Il y a là un point
nodal qui n’a peut-être pas suffisamment retenu l’attention des analystes :
la vieille dénomination de métis (tout comme, aujourd’hui, l’idée de métissage qui en procède), se situe dans l’argumentaire essentialiste dans
lequel se situe aussi la notion émergente de « race », qui se constitue progressivement du XVIe au XVIIIe siècle, porteuse d’une attention particulière aux apparences physiques et articulée autour d’un discours sur la filiation et la généalogie (Bonniol, 2001).
On voit par là que l’appellation « métis » renvoie non pas à une réalité
naturelle, mais à une sélection de traits censés représenter une discontinuité ; elle correspond à un construit de la perception. C’est un fait culturellement contrôlé, la distance perçue entre deux partenaires engagés dans
une union procréatrice, qui se trouve naturalisé, et le naturel apparaît
ainsi médiatisé, saisi qu’il est à travers ce prisme sélectif. Remarquons au
passage que ce champ relève aujourd’hui d’une pensée scientifique forte,
celle de la génétique. Or, celle-ci se révèle impuissante à légitimer ce type
de désignation. Chaque être humain correspond en effet à une séquence
particulière – et unique – de gènes : comment dès lors opposer une union
« métissante » à une autre qui ne le serait pas (Benoist, 1996) ?
L’identification du métis porte au premier chef sur le mélange premier, et le lexique utilisé désigne d’abord ces individus qui sont issus de
parents conçus comme « racialement » différents. Dans l’emploi actuel du
terme métis, on trouve une persistance de cette sémantique : ainsi, aux
Antilles françaises, on désigne avant tout comme métis le rejeton d’un
couple « mixte » Antillais-Européen, alors même que le partenaire antillais peut être lui-même d’ascendance mêlée (Mulot, 2008)… Mais, une
fois cette catégorie distinctive constituée, s’est immédiatement posée la
question de sa perduration intergénérationnelle, dans la mesure où la catégorisation met à part des individus qui vont généralement constituer un
cercle privilégié d’unions reproductrices : comment se transmet la qualité
de métis, dans une dynamique où les mélanges se cumulent et se complexifient de génération en génération ? Et, une fois cette mise à part
opérée, quelle est la place sociale qui va être réservée à cette catégorie ?
20
L’identité métisse en question
L’espace social des métis. Le cas des sociétés coloniales
esclavagistes et postesclavagistes
Les Antilles de colonisation française offrent un cas certainement
privilégié pour suivre le traitement social distinct imposé aux individus
mêlés, dans un contexte historique marqué par (1) la coprésence de blancs
d’origine européenne et de noirs d’origine africaine, (2) un ordre esclavagiste strict et (3) un fort préjugé de couleur, qui dérive largement des
contradictions de ce même ordre, et qui lui a survécu après son abolition
légale.
De manière générale, la vieille colonie est, du côté des dominants,
animée d’une mixophobie fondamentale. Reportons-nous aux débuts de
la colonisation, dans ces Tropiques qui reçoivent alors les premiers établissements français : d’emblée, les unions mixtes et la naissance d’individus mêlés sont la cible d’une stigmatisation fondamentale. « Crime que
Dieu déteste », « désordre... épouvantable et presque sans remède », du
fait de la rareté de l’élément féminin, le métissage rappelle durablement,
selon ces mots des premiers chroniqueurs, l’illégitimité qui marque la
naissance « honteuse » des Mulâtres. Dans un premier temps, ceux-ci
sont l’objet d’une sollicitude relative : ils sont certes mis à l’index pour leur
naissance honteuse et l’illégitimité qui a présidé à leur conception, mais
ils sont déclarés libres. Très vite cependant, une nouvelle donne idéologique s’impose, en réaction contre le « libéralisme » qui a précédé : s’opère
alors à l’égard des Mulâtres un infléchissement de la règle. Ils sont en effet
privés de liberté, grâce à la remise en honneur de l’ancienne loi romaine
sur le statut de la descendance fondé sur la matrilinéarité (partus sequitur
ventrem), tandis que l’on s’efforce d’empêcher de telles naissances, en prenant des dispositions pénales contre les mariages mixtes ou les maîtres
qui « débauchent » leurs négresses.
La multiplication des mulâtres apparaît en effet comme une résultante des contradictions mêmes qui minent le schéma binaire initial
­maîtres-esclaves : elle tient directement au non-respect par les hommes
blancs, pris individuellement, de la règle collective, implicite, d’étanchéité
reproductive entre les deux segments sociaux (car les individus mêlés
brouillent, par les liens de parenté qu’ils entretiennent des deux côtés, la
frontière qui se voudrait absolue entre les deux segments antagonistes de
l’ordre juridique colonial). Elle s’articule d’autre part sur le développement de la catégorie des « libres de couleur » (qui échappent à la servitude
grâce à la « soupape de sûreté » du système que sont les procédures d’affranchissement). Pendant toute la période esclavagiste a ainsi régné un
1 • Identification et existence sociale des Métis
21
chevauchement, qui n’a disparu qu’à l’Abolition. Entre deux jeux combinés de classement : l’un, strictement racial, qui se déploie entre le pôle
blanc et le pôle noir, et dans lequel s’inscrivent toutes les gradations du
métissage ; l’autre, tout à la fois juridique et racial (tel qu’il apparaît dans
l’expression même « libres de couleur », regroupant noirs et mulâtres affranchis et excluant tous ceux qui restent dans la servitude, non seulement noirs, mais aussi mulâtres). Certes les mulâtres nés dans l’esclavage,
fils illégitimes de maîtres blancs, étaient en majorité assez systématiquement affranchis, et dotés par leurs pères… Ils n’en subissaient pas moins
collectivement, comme l’ensemble des gens de couleur libres, l’établissement à leur encontre d’un ordre juridique ouvertement ségrégationniste,
lié à la macule servile qui continuait à les marquer, du fait de la nature
récente de leur liberté et des liens familiaux qu’ils entretenaient avec les
esclaves. Une législation de discrimination systématique s’est ainsi mise
en place, surtout à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle. La liste de
ces vexations a été souvent dressée, on ne la reprendra pas ici (signalons
cependant l’interdiction essentielle de la donation entre vifs, visant à empêcher la transmission de biens de maîtres blancs à leurs enfant mulâtres,
de manière à annihiler la contradiction entre normes collectives et échappatoires individuels). Il faudra attendre près d’un siècle pour que le critère racial laisse la place, et que l’égalité complète de tous les libres, blancs
et de couleur, soit, dans toutes les colonies françaises, actée en 1843.
La reconnaissance d’un groupe mêlé se heurte en fait à une logique
raciale extrême, fonctionnant sur une base dichotomique, imprégnée
d’une idéologie hiérarchique. Il est possible d’observer, poussé jusqu’au
bout de sa logique, ce système de représentations qui installe la dominance sans partage du Blanc, cela dans une situation historique précisément localisée et datée, la Saint-Domingue du XVIIIe siècle, certainement l’une des plus intenses expérimentations capitalistes esclavagistes
de l’histoire, qui dura à peu près un siècle, de la prise de possession par la
France à l’indépendance haïtienne. Les colons blancs y sont socialement
dominants, mais ils sont concurrencés par le groupe des Gens de couleur,
qui est arrivé, au bout d’un siècle, à posséder un quart des terres et un tiers
des esclaves. Ce système, que nous pouvons profiler grâce aux écrits de
Moreau de Saint-Méry, observateur zélé de la colonie, se fonde sur un
schéma cognitif généalogique qui mesure des coefficients d’ascendance
caractérisant les individus. Premier élément du système, la stricte séparation installée entre les Blancs et tous les autres, ramenés, quel que soit
leur degré de décoloration, à l’autre couleur primitive pour la raison qu’ils
en sont en partie issus (Debbasch, 1967). C’est la logique de la ligne de
22
L’identité métisse en question
couleur qui fuit jusqu’à l’infini (Moreau de Saint-Méry, 1797), séparant la
descendance blanche de l’autre et enfermant le groupe blanc derrière une
véritable ligne de démarcation. Dans cette tâche de cantonnement,
l’ouvrage n’est jamais terminé, et il convient de rejeter au-delà de la ligne
ceux qui pourraient être estimés issus d’une ascendance mêlée : gare aux
suspects ! L’opprobre risque de leur rester même lorsque la justice reconnaît leur droit, après qu’ils ont exhibé leur arbre généalogique, ce « prisme
magique par lequel les colons s’assurent des couleurs mères et primitives », selon les termes d’un mémoire de l’époque. C’est l’opinion blanche
qui reste en dernier ressort la véritable régulatrice, répartissant les individus et les familles de part et d’autre de la ligne de couleur.
Mais cette logique binaire s’accommode dans le même temps de la
réalité humaine luxuriante qui caractérise la colonie, par l’établissement
de catégories de métissage, elles aussi à fondement généalogique. Chaque
individu est considéré comme l’assemblage de 128 parties, qui correspondent à 128 positions d’ascendance (nous sommes très proches, on le voit,
de la logique exactement contemporaine des quartiers de noblesse) représentant, si on se livre à un rapide calcul, à une profondeur généalogique de
sept générations. Les catégories sont édictées en fonction des proportions
d’ascendance blanche ou noire et correspondent à des « fourchettes » de
valeurs : ainsi un individu issu d’un géniteur blanc et d’un géniteur noir, le
« mulâtre », se caractérise par 64 « parties » blanches et 64 « parties »
noires, mais la catégorie mulâtre correspond à une fourchette plus étendue, placée en position médiane. Moreau de Saint-Méry nous a rapporté
l’ensemble des termes de la classification. Sur le versant « noir », le retour
vers le noir est rapide : on ne compte que trois catégories intermédiaires ;
par contre, de l’autre côté, la progression vers le blanc s’effectue par un
plus grand nombre de catégories (au nombre de cinq), aux fourchettes de
plus en plus étroites au fur et à mesure que l’on se rapproche de la ligne de
couleur, jusqu’à la catégorie « sang-mêlé », qui qualifie des individus séparés des Blancs par une distance infinitésimale, mais qui ne pourront
jamais être assimilés à eux du fait du principe infini de la ligne de couleur…
Un tel système de catégorisation s’apparente à celui des castas, qui fut
institué en Nouvelle-Espagne, et dont une série de tableaux célèbres restituent la complexité. La logique de la ligne de couleur, cohérente dans les
perspectives du segment racialement dominant, s’est donc maintenue
dans la période postesclavagiste. La domination sans partage exercée par
le groupe blanc requérait une nette séparation entre les segments sociaux
qui ne pouvait être assurée que par un strict contrôle de ses alliances au
1 • Identification et existence sociale des Métis
23
sein desquelles était garantie la procréation légitime assurant la reproduction du groupe. Ce sont des contraintes raciales de ce type qui ont
gouverné l’évolution des groupes dans ces sociétés : on peut par exemple
se référer au cas de la Martinique jusqu’à une date récente. Les Blancs
originaires (Békés) s’y sont enfermés dans une stricte endogamie, admettant difficilement l’éventualité de mariages interraciaux, maintenant part
là la « pureté » du groupe. Ce maintien s’est appuyé sur une étroite surveillance de la sexualité des femmes, censées ne procréer qu’avec les seuls
hommes du groupe, permettant par là la perpétuation de celui-ci, identique à lui-même, de génération en génération : un contrôle généalogique
exercé avec constance par le groupe lui a toujours permis d’exclure tout
individu suspecté d’ascendance mêlée ou tout déviant à la règle d’alliance.
Catégories de métissage à Saint-Domingue (pour chaque catégorie,
sont mentionnées les parts « blanches » et les parts « noires »)
Mais les valeurs liées à l’idéologie de couleur ont diffusé dans le reste
du corps social, tenté d’utiliser les nuances chromatiques (pouvant correspondre à des catégories de métissage) comme autant de paliers reliant
les deux pôles raciaux. Cette entreprise distinctive s’est articulée sur un
versant essentiel du préjugé de couleur, qu’on a pu appeler le « sous-­
racisme » des gens de couleur, dans la mesure où il constitue une intériorisation et un reflet du préjugé global : c’est en effet toute une « cascade de
mépris » qui dévalait la hiérarchie des nuances… Le « métissage » comme
processus social a ainsi installé le paradoxe de l’apparition d’un groupe
intermédiaire, qui a permis d’atténuer les segmentations raciales et, par
les solidarités familiales qu’il pouvait mobiliser, a pu servir de liant social,
alors qu’il peut aussi être interprété comme l’inverse d’une fusion, comme
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