Vous reprendrez bien un peu d`égérie

publicité
Vous reprendrez bien un peu d’égérie ?
01/02/2005- Françoise Vidal – Luxe-magazine.com
Chacun veut la sienne : actrices et top-models sont élevées au rang d’icône par les marques de luxe et
quelques autres.
L’idée n’est pas nouvelle : dès 1926 et durant plus de 70 ans, le savon Lux, rebaptisé savon des
stars, a nourri l’histoire de sa marque des plus grands noms du cinéma : Bette Davis, Grace Kelly,
Marlène Dietrich, Marilyn Monroe, Brigitte Bardot, Catherine Deneuve, Sophie Marceau...
1.500 stars auront ainsi porté ses couleurs.
L’indémodable N°5 a également assis sa légende avec des égéries choisies autant pour leur beauté
que l’univers qu’elles incarnent.
Point d’orgue de cette stratégie : l’entrée événementiellissime en publicité de Nicole Kidman sur un
scénario de Baz Lurhman. Déjà culte !
Communiquer sur les produits accessibles via des stars inaccessibles
Le luxe n’est pas à un paradoxe près : sur ses produits les plus accessibles (parfums, accessoires …), il
essaie de faire naître notre désir et une irrépressible envie d’appropriation en nous montrant des
femmes, par essence…inaccessibles !
Afin de nous faire rêver, les fragrances se battent à coup de stars et de topmodels! En feuilletant une
collection de Elle, Marie Claire, Vogue ou l’Officiel… vous pouvez surprendre Nicole Kidman en
N°5 de Chanel, adorer Charlize Theron en Dior, vous sentir Provocative Woman avec Catherine
Zeta-Jones (Elizabeth Arden) ou Very irresistible avec Liv Tyler (Givenchy), partir à la chasse à
l’amour et donc au Trésor avec Inès Sastre (Lancôme), croire au Miracle avec Diane Kruger
(Lancôme toujours), rêver d’un moment d’éternité avec Scarlett Johansson (Calvin Klein), devenir
une reine de la nuit à l’image de Milla Jojovich (Emporio Armani), avoir fière Allure avec Anna
Mouglalis (Chanel), vous adonner à Opium avec Kate Moss (Yves Saint Laurent)…
N’en jetez plus, c’est à vous demander si vous aurez encore le temps d’être vous-même !
Internationalisation et diversification nécessitent un lien identitaire
Le luxe qui ne fait pas toujours bon ménage avec le marketing, croirait-il avoir trouvé la recette
universelle ? Sans doute : rien de tel qu’une star à l’aura internationale pour conforter la démarche
identitaire d’une marque, appelée à nourrir un territoire s’étendant hors de ses métiers d’origine et une
communication de plus en plus globale !
Mais, est-il besoin de rappeler que le premier principe inscrit dans l’ADN d’une marque est qu’elle doit
se démarquer ? Principalement sur un marché, où l’on vend de l’unique, du rare, du rêve …
Trop d’icône, tue l’icône
Devant une telle profusion d’égéries et un réel risque de cannibalisation, il n’y a que deux voies
possibles pour émerger : choisir un autre vecteur de communication ou bien passer en force avec une
star plus connue, plus chère, qui en fait plus que les autres et un scénario hollywoodien : c’est la
stratégie de Chanel avec Nicole Kidman pour le N°5, dont une variante consiste à choisir une égérie
suffisamment en décalage avec la marque pour créer la surprise (exemple : Louis Vuitton qui
s’encanaille avec la sulfureuse Jennifer Lopez).
Car, pour parodier l’éternel Jacques Séguéla *, trop d’icône, tue l’icône !
Parfums, bagages, montres, mode… le phénomène s’étend
D’autant qu’au même moment, Vanessa Paradis, qui a été, au lancement du parfum en1991, l’égérie
de Coco de Chanel, continue à prêter son concours à la marque mais, cette fois, sur la ligne des sacs
Cambon; Cindy Crawford est à l’heure Omega et Claudia Schiffer à celle d’Ebel et pas un
magazine n’a oublié d’annoncer qu’après Jennifer Lopez, Uma Thurman a été choisie par Marc
Jacobs, directeur artistique de Louis Vuitton, pour être la nouvelle icône de la campagne publicitaire
printemps-été. Féminissime et sophistiquée, elle présente (dès février) dans un décor inattendu fait de
ciment et de béton, le nouveau sac Manhattan en toile monogram. L’impétueuse héroïne de “Kill
Bill” (réalisateur : Quentin Tarantino), fait également partie de la nouvelle "dream team" de Tag
Heuer, avec Brad Pitt et le coureur automobile Juan Pablo Montoya. Ils rejoignent les sportifs Kimi
Raikkonen et Tiger Woods; leur participation ne se cantonnant pas à prêter leur image, mais les
faisant aussi s’impliquer dans la création d’une montre.
Madonna au bureau pour Versace
Il est bien fini le temps où l’on considérait que le luxe était quelque chose de discret, incompatible avec
le show-off ! Madonna, annoncée par le journal spécialisé américain Women’s Wear Daily et depuis
confirmée par Versace, devient la nouvelle ambassadrice de la mode de sa copine Donatella. Mais, à
contre emploi, puisque Mario Testino vient de la photographier sur le thème de la femme au bureau
pour la collection printemps-été 2005 !
Dans cette situation qui est celle de la vie de tous les jours, son rôle est, comme celui de toute égérie,
de recréer de la distance, du rêve, de l’émotion, de la sophistication ; les marques ayant comme
impératif de conserver une image et un imaginaire forts.
Les marques plus "populaires" se parent aussi des atours du luxe
La perte de repères, l’entrecroisement des signes est d’autant plus grand que la starmania ne se
cantonne pas aux marques de luxe : Penelope Cruz vante avec le même sourire enjôleur la mode de
Ralph Lauren et le modèle Jazz des automobiles Honda. Sarah Jessica Parker, l’héroïne de l’ex
série "Sex and the city" fait la publicité de GAP. La jet-setteuse Paris Hilton ne jure plus que pour les
jeans Guess, pour laquelle elle a été photographiée par Ellen Von Umwerth dans les endroits les
plus stéréotypés : au bord d’une piscine, en Rolls Royce … Charlotte Gainsbourg entame sa
deuxième saison comme égérie de la marque de prêt-à-porter Gérard Darel. Le photographe Mario
Testino l’a surprise en pleine répétition dans les coulisses d’un tournage…
Lizzy Jagger, la fille de Mick et de Jerry Hall (qui a elle-même été longtemps l’icône du parfum
Angel) squattera également la presse magazine à partir du 15 février pour représenter la marque
espagnole Mango. Ce n’est pas un coup d’essai ; elle a déjà posé pour Burberry et Tommy Hilfinger
et on murmure que son premier contrat avec Lancôme en 2002 dépassait 200.000 dollars annuels
(elle est également l’ambassadrice de Miracle so-magic !, la dernière fragrance de la marque).
Attention au mélange des genres
Bref, les marques plus "populaires", n’hésitent pas à se parer des atours du luxe, utilisant désormais
les mêmes mannequins , les mêmes photographes, les mêmes mises en page et les mêmes
ambassadrices ! Que Lou Doillon, après avoir incarné Givenchy (parfums et maquillage) passe à
Morgan, n’est pas un problème même si les images des deux sociétés sont très éloignées, car leurs
communications s’inscrivent à des moments différents. Que la belle et blonde oscarisée Charlize
Théron (pour Monster de Patty Jenkins) joue la "Diorissime" égérie de J’adore enroulée dans un
drap en satin doré après avoir prêté son image à la teinture Elsève Color Vive de l’Oréal, dans une
publicité pour sûr efficace mais pas du tout glamoureuse, est déjà plus discutable. Que Jennifer
Lopez pose pour Louis Vuitton, tout en lançant sa propre marque d’accessoires l’est encore plus.
Mais quand le coeur de Monica Belluci bat pour les effluves d’Angel (Thierry Mugler) et celles de
Sicily (Dolce & Gabbana) on ne s’y retrouve vraiment plus ! Et quant à Kate Moss, on ne sait plus
vous dire ce qu’elle aime, ayant, entre autres, prêté son image pour vendre des parfums Calvin Klein,
Yves Saint Laurent, Chanel…
Chanel : trois ans pour signer LE contrat
D’où l’intérêt pour les marques de signer des contrats précis encadrant l’utilisation et les obligations de
l’égérie (le produit, les marchés, la durée, le type d’opérations…). Elles doivent s’y prendre longtemps
à l’avance, avec l’handicap de ne pas savoir ce que sera plus tard l’actualité de l’égérie. Jacques
Helleu, directeur artistique de Chanel, a ainsi raconté à diverses reprises, qu’il lui avait fallu "trois ans
de négociations" pour mettre au point le contrat de Nicole Kidman !
Les hommes aussi
Faut-il y voir un indice de l’égalité des sexes, même les hommes s’y mettent et pas seulement les
sportifs ! L’acteur Samuel Le Bilhan est, par exemple, l’image de Chevignon. Les héros du film
"Innocents the dreamers" de Bernardo Bertolucci - Eva Green, Michael Pitt et Louis Garrel - sont
les nouveaux visages d’ Emporio Armani, tandis que le footballeur Ricardo Izecson Santos Leite
fait la pub de la marque Armani. On peut aussi rappeler quelques exemples célèbres : Zinedine
Zidane et Johnny Hallyday ont joué les mannequins pour Eau Sauvage (Dior), Mathieu Kassovitz
pour Miracle pour Hommes (Lancôme), Michael Schumacher pour l’Oréal… Quant à l’acteur de
films X Rocco Siffredi, il a été rhabillé avec humour par Olly Gan, une marque de prêt-à-porter
masculin bcbg.
Encore mieux : le couple
Mais la nouvelle valeur sûre, ce pourrait bien être le couple. La prochaine campagne de l’excentrique
Vivienne Wetswood va ainsi être incarnée par Marilyn Manson et sa girl friend Dita von Teese.
"Choisis par Miuccia Prada elle-même", dixit Elle (daté 24/01/05), les acteurs et futurs parents
Ludivine Sagnier et Nicolas Duvauchelle seront, quant à eux, les prochains héros de la publicité
Miu Miu. Là encore l’idée n’est pas nouvelle, mais elle amène parfois des surprises. Les Japonais ont
ainsi pu voir la superstar David Beckman vanter une crème anti-vieillissement et d’autres soins du
visage pour hommes, à la suite d’un contrat avec la firme Tokyo Beauty Center (TBC)
signé, en duo, avec son épouse Victoria.
Le comble ? Qu’on n’identifie pas l’ambassadrice !
Parfois, on se demande à quelle fin on utilise une personnalité connue, car… on ne la reconnaît pas !
Tel a été, par exemple, le cas d’une campagne pour Lancel avec Estelle Lefébure (en 2002). Est-ce
pour la même raison que le nom de Catherine Zeta-Jones est inscrit sur le visuel Provocative
woman, où elle apparaît transformée à la palette graphique ? Car évidemment, tout comme les
marques de luxe, les égéries veulent avoir le contrôle de leur image. Pas question donc, qu’elles
laissent passer la moindre imperfection !
Gare aussi au télescopage de l’image véhiculée par la star sur papier glacé et dans la vraie vie. Le
numéro Spécial Luxe du magazine CB News (daté 6/12/04) cite l’exemple d’Emmanuelle Béart qui
"s’est révélée trop peu élitiste au goût de la maison Dior", après être allée manifester pour les sanspapiers.
L’ouverture de la marque sur le monde contemporain
Choisie le plus souvent sur une rencontre, un coup de coeur et parce que son image et celle de la
marque se ré-enchantent l’une, l’autre, la star apparaît aussi comme un élément de renouvellement,
de modernité. Certes elle vient s’inscrire dans une histoire, dans des valeurs, dans un capital de
marque, mais elle est aussi la preuve de la volonté d’ouverture de cette marque, de sa nouvelle vision
du monde contemporain habité par des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Cette dimension
ressortira d’autant plus que la communication faite autour de l’égérie sera visible dans des médias plus
jeunes et plus branchés que ceux que la marque investit habituellement.
Parfois aussi, le choix de l’égérie est plus prosaïque : pour lancer, en 1994, Fleur d’Interdit, le
premier parfum pour adolescentes vendu en distribution sélective, Givenchy a fait appel à Laetitia
Casta, l’un des mannequins les plus en vogue auprès des jeunes filles. De même, c’est pour entrer en
force sur le marché américain où elle prévoyait de gros investissements à la fin des années 90, que la
maison Dior a choisi l’actrice US Gwyneth Paltrow (photographiée sur fond de Central Park) comme
ambassadrice du sac "City".
Un temps limité
Malgré les déclarations des maisons de luxe expliquant à chaque révélation de nouvelle élue, qu’il "n’y
avait qu’elle (ou lui) de possible pour incarner la marque", trouver la bonne égérie, on l’aura compris,
n’est pas chose aisée. Et même si pouvoir disposer de millions d’euros facilite la tâche, cela n’assure
pas que le choix se révélera excellent à l’usage. D’autant que les femmes assumant de mieux en mieux
les contradictions de leurs multiples facettes, il est plus délicat de leur proposer un modèle unique.
Du coup, L’Oréal, Lancôme, Allure (Chanel)… ont préféré s’incarner dans des visages multiples, au
féminin comme au masculin. Cela explique aussi que la durée de vie d’une égérie se soit
singulièrement raccourcie. Il est impensable aujourd’hui de renouveler les expériences d’une Isabella
Rosselini (ambassadrice de Lancôme de 1983 à 1996 et notamment du parfum Trésor de 1990 à
1996), d’une Inès de la Fressange ou d’une Carole Bouquet (sept ans et plus chez Chanel). Et pas
seulement parce que les actrices vieillissent, même si c’est la raison pour laquelle le contrat de la
trentenaire Uma Thurman (d’un montant annoncé de 22 millions de dollars) n’aurait pas été
renouvelé chez Lancôme.
Surtout pas une rivale
S’il n’y a pas de recette miracle pour choisir une égérie, il est prudent de s’en tenir à quelques
principes.
Primo, elle doit pouvoir nourrir l’imaginaire autour de la marque.
Secundo, elle doit fonctionner auprès de toutes les cibles. Elle doit donc plaire aux jeunes gens que la
marque cherche à conquérir, tout en fidélisant ses consommateurs actuels et surtout, elle ne doit pas
être perçue comme une rivale par les femmes (prescriptrices sur de nombreux marchés).
Enfin, elle doit avoir ce petit quelque chose qui fait que, même si elle n’est pas encore une star, elle en
a le potentiel.
N°5 a fait connaître Carole Bouquet et vice versa
Ainsi, Carole Bouquet n’était pas encore starifiée lorsqu’elle a été choisie par Jacques Helleu pour
incarner le mythique N°5 (et quasi inconnue aux Etats-Unis où Catherine Deneuve a d’abord été
l’égérie du parfum). Fonctionnant à l’envie, le directeur artistique de Chanel n’a pas de conduite bien
établie.
L’arrivée de Nicole Kidman est logique dans une saga qui a aligné de grandes vedettes sur N°5 :
Lauren Hutton, Marylin Monroe, Candice Bergen, Jean Schrimpton, Ali Mc Grav… Sauf qu’entre
temps, Jacques Helleu a tablé sur Estelle Warren (déguisée en petit chaperon rouge par Luc
Besson), qui s’était seulement fait remarquer dans une publicité pour l’Eau d’Eden de Cacharel.
Pour lancer Chance, il a également fait appel à Anne Vyalitsyna, une jeune russe inconnue.
Bien vu : faire partie de la jet-set
Etre est trop jeune pour avoir percé auprès du grand public, n’est pas rédhibitoire si l’ambassadrice fait
partie de la jet set, ce qui entretiendra le buzz dans les rubriques people. Un exemple ? Le nom de
Danielle Riley Keough choisie par John Galliano pour présenter sa mode de l’été 2005 vous est
étranger ? Pourtant, vous aurez envie de découvrir cette nouvelle beauté, devenue mannequin à 14
ans (et ayant défilé pour la première fois à Milan pour Dolce & Gabana) en apprenant qu’elle est la
fille de Lisa Marie Presley et donc la petite fille d’Elvis !
Entretenir le buzz dans la presse people
Car faire appel à une égérie, c’est un peu, toutes proportions gardées, comme faire appel à un grand
directeur artistique ou un grand designer : on est sûr que les médias relayeront l’information, assurant
un bon départ à la communication.
Et si la marque s’est attachée une grande star internationale lui permettant d’avoir d’emblée une
communication mondiale et cohérente, cela peut tourner à la folie médiatique.
Même la plus junior des attachée de presse est alors capable d’obtenir des reportages sur le makingoff, des interviews de la star, voire la "Une" des magazines ou des émissions de TV qui amplifient, de
façon exponentielle, l’effet de la campagne.
Mais le recours à une égérie ne doit en aucun cas faire oublier qu’une bonne publicité, c’est d’abord et
avant tout une idée. Or, le luxe a toujours eu tendance à créer de belles images plutôt que de bons
concepts. Pourtant, ni une égérie, ni un grand talent de réalisation, n’arriveront jamais à compenser
un manque d’imagination !
Demain, l’égérie sera –t-elle toujours une valeur sûre ?
L’augmentation de la diffusion des magazines people (+50% en 15 ans selon une étude Prisma Presse
datant de 2003), laisse à penser que les égéries ont encore de beaux jours devant elles !
Mais il ne faut pas mésestimer la montée dans l’opinion, de nouvelles valeurs qui peuvent, à moment
donné les mettre en porte à faux. Exemple : l’hyper consommation illustrée, entre autres, par la
campagne Lancel avec Liz Hurley et ses multiples sacs… est une valeur plutôt en décroissance sur
tous les marchés - dont le marché français - qui ont une approche plus culturelle du luxe et sur
lesquels on sent monter des préoccupations majeures de développement durable.
De l’égérie au développement durable
Or, il apparaît que les individus concernés par ces préoccupations "qui désirent être traités non pas en
consommateurs mais en sujets au sens plein du terme" (¼ de la population en France regroupés sur le
terme d’"alter"), ont globalement envie d’une alternative à "l’archétype de l’hyper consommateur
tenant entre ses mains un objet fétiche transformant sa personnalité individualiste", explique Laurent
Vallé du cabinet d’études Thelma, sur le site utopies.com.
Plus le luxe se démocratise, moins il pourra mésestimer cette opinion grandissante. Et même si
aujourd’hui les grandes maisons ont le regard résolument tournés vers les marchés émergents (Chine,
Inde…) qui sont à l’inverse de ces préoccupations, elles ne doivent pas oublier qu’elles les découvriront
forcément demain. Autant commencer à nourrir autrement le territoire de marque.
De l’ostentatoire à l’authentique
Car, au fur et à mesure de l’évolution des marchés vers un luxe plus culturel, on assiste un glissement
de la demande : de l’ostentatoire à l’authentique. D’où l’obligation, si égérie il y a, qu’elle ne soit pas
plaquée sur la marque, mais apporte un supplément d’âme (c’est pourquoi les actrices ont supplanté
les topmodels). D’où l’obligation encore que, derrière la belle image de façade véhiculée par l’égérie,
les maisons se mettent en position de pouvoir exprimer, un autre message, plus "citoyen".
On peut en effet se demander combien de temps le remue-ménage autour de ces égéries supplantera
dans les médias un remue-méninges sur les préoccupations environnementales des marques de luxe ?
Or, malgré d’énormes efforts entrepris sur les mono-matériaux plus faciles à recycler, sur l’élimination
de certains plastiques, il y a encore de gros progrès à trouver notamment sur les flaconnages et les
packagings.
Mais, bien sûr, ce n’est pas avec cela que l’on va faire rêver !
* "Trop de pub, tue la pub"
Nicole Kidman, fille de pub : un cas d’école !
Le lancement du nouveau spot N°5 de Chanel, fin novembre, a été le coup médiatique le plus
spectaculaire de l’année 2004 et bien au-delà !
Tous les ingrédients du succès avaient été savamment dosés :
- Un produit star, N°5 de Chanel, toujours au top des parfums les plus vendus au monde, et tellement
présent qu’on n’a même plus besoin de le montrer : son numéro est "simplement" évoqué à la fin du
spot sur un collier en or blanc serti de 320 diamants, créé spécialement par Chanel Joaillerie.
- Une égérie star, Nicole Kidman, auréolée de ses récents succès au cinéma (elle a été oscarisée pour
sa prestation dans The Hours de Stephen Daldry où elle incarne l’écrivaine Virginia Woolf).
Reconnue comme une icône de mode, elle a l’avantage, ce qui devient très rare, de n’avoir jamais
galvaudé son image en publicité. Et cerise sur le gâteau, elle a déclaré, en super pro : "N°5 a été mon
premier parfum et je lui suis fidèle depuis que j’ai 14 ans". Une phrase qui n’aura sans doute pas le
destin de la réplique culte de Marilyn Monroe, répondant naturellement à un journaliste (en 1954, au
Japon) qu’elle ne dormait qu’avec "quelques gouttes de N°5", mais qui créé une respiration dans un
monde où les stars changent de contrat presque comme de couturiers !
- Un spot, quasi un film à gros budget. D’une longueur inhabituelle, puisque outre le 30 et le 60
secondes, il existe en version 2 minutes; le double des formats longs passant habituellement au
cinéma. Et d’un coût en rapport : s’étant risqué à donner un montant, le "Journal du Dimanche" l’a
estimé "entre 7 à 11 millions d’euros", auxquels il faudrait ajouter les "7,5 millions d’euros", touchés
par l’actrice. D’autres estimations font état de "seulement" 3,6 millions de dollars (2,78 millions
d’euros) pour trois ans, pour incarner à la fois Chanel (vêtements, mode et maquillage) et N°5.
- Un scénario hollywoodien mis en image par Baz Lurhman, le réalisateur de Moulin Rouge qui a
donc, et c’est important à l’image, une vraie complicité avec l’actrice.
Cinq jours de tournage ont été nécessaires pour mettre en boîte le rôle de la star traquée par les
photographes qui, pour leur échapper, s’engouffre dans le taxi d’un bel inconnu. Après le coup de
foudre, un peu téléphoné il faut bien l’admettre (mais qui ne succomberait pas au sex-appeal de
l’acteur brésilien Rodrigo Santoro ?), la star retournera à son destin.
Mais cette belle histoire d’amour contrariée ne pouvant finir que sur un happy end, lors d’une
cérémonie officielle, sentant un regard fixé sur son dos, elle se retourne. C’est lui ! Au cut final, elle
sourit à son bel amant.
- Une débauche de moyens dans le décor et les costumes : 140 mètres de tulle rose ont été utilisés
par Karl Lagerfeld pour créer la première robe de Nicole, "avec une traîne de 4 mètres en plume
d’autruche rebrodées de 3.000 cristaux argentés. Au final : 10 personnes ont travaillé 700 heures pour
que la robe épouse la moindre courbe de Nicole Kidman", raconte Vogue (dans son numéro de
novembre 2004). Quant au fourreau en velours de soie noire, il "a été modifié à trois reprises dans les
ateliers haute couture de Chanel", poursuit le magazine "afin de mettre en valeur l’incroyable
pendentif d’un mètre de long" (et de 13 carats) qui tombe sublimement dans le décolleté de la star
(les bijoux sont estimé à 45 millions de dollars ).
- Une opération de relations presse et de relations publiques hors pair : de la médiatisation de la
collaboration plusieurs mois à l’avance, à la montée en puissance sur le spot de 2 minutes, en passant
par le dossier de presse et les informations distillées aux journalistes, tout a été prévu, pensé et
organisé à la perfection.
Projetée lors des défilés haute couture à Paris en octobre (Nicole étant arrivée au bras de Karl
Lagerfeld pour assister à celui de Chanel et s’étant ensuite rendue à son dîner), la version longue du
spot n’est passée ensuite qu’une seule fois à la télévision le 21 novembre (en exclusivité à 20H40 sur
TF1 pour un tarif brut de 450.000 euros). Mais, fait exceptionnel, elle a été annoncée par des pleines
pages dans les quotidiens ! Résultat : selon Médiamétrie, 9 millions de personnes ont vu le spot, qui a
eu une audience de 19,4% sur les femmes de 15 ans et plus, et de19,3% sur les femmes de 25 à 49
ans. Historique !
Dans le combat qui oppose Chanel et Dior à travers N°5 et J’adore, l’entrée en scène de Nicole
Kidman a été un raz-de marée supplantant l’arrivée de Charlize Theron, filmée par Nick Knight
dans les studios de Sony à Los Angeles. Mais dans ce combat de blondes pour être l’icône absolue de
la féminité, cette dernière n’a sûrement pas dit son dernier mot !
Wait and see …
Vous reprendrez bien un peu d’égérie ? - LUXE-MAGAZINE.COM
Françoise VIDAL
Téléchargement