IMAGE COMMENTÉE EN... ... Cancérologie Cancer de l’œsophage cervical Isabelle Trouilloud*, Tarek Boussaha*, Olivier Dubreuil*, Julien Taïeb*, Bruno Landi* * Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. Observation Un homme, âgé de 63 ans, est admis en décembre 2009 aux urgences pour aphagie. Ses antécédents sont marqués par un carcinome épidermoïde du larynx atteignant les 3 étages, traité par laryngectomie totale et chimiothérapie adjuvante par 5-FU et cisplatine en 1997. Il persiste une insuffisance rénale modérée depuis la chimiothérapie. La gastroscopie réalisée initialement met en évidence une sténose tumorale infranchissable du tiers supérieur I M A G E S Image 1. Tomodensitométrie cervicale, reconstructions sagittales : tumeur œsophagienne au contact de la face postérieure de la trachée, s’étendant sur 5 cm de hauteur, bombant sur le bord supérieur de la trachéostomie. de l’œsophage, à 17 cm des arcades dentaires et à 1,5 cm de la bouche de Killian. L’examen anatomopathologique des biopsies conclut à un carcinome épidermoïde infiltrant différencié et mature. Sur le scanner est décrite une formation tissulaire latéroœsophagienne gauche mesurant 4 cm, au contact de la face postérieure de la trachée, s’étendant sur 5 cm de hauteur, bombant sur le bord supérieur de la trachéostomie (image 1). Le bilan d’extension est complété par un PET scan qui retrouve un hypermétabolisme intense de la tumeur et un autre plus modéré d’une adénopathie du groupe IIB droit, sans autre hypermétabolisme à distance (image 2). La fibroscopie bronchique ne retrouve pas de lésion suspecte. Il est décidé en réunion de concertation pluridisciplinaire un traitement par radio-chimiothérapie concomitante qui délivrera 50 Gy avec une chimiothérapie par carboplatine et 5-FU aux semaines 1 et 5. Avant de commencer le traitement, le patient bénéficie d’une pose de prothèse œsophagienne métallique, entièrement couverte, extirpable, à largage proximal, avec une collerette proximale de 0,5 cm de longueur (image 3). Le bord proximal de la prothèse est positionné juste en dessous de la bouche de Killian, permettant à cette dernière de continuer à se fermer normalement. Les suites endoscopiques sont simples, avec une reprise progressive de l’alimentation liquide. La radio-chimiothérapie débute la première semaine de février. Quelques jours après le début du traitement, le patient présente un syndrome fébrile associé à l’apparition d’une collection à gauche de la trachéotomie de 5 cm de diamètre environ, avec un écoulement purulent associé, ainsi qu’une dysphagie. L’irradiation est alors interrompue et une antibiothérapie est instaurée. On conclut à une probable surinfection de nécrose tumorale avec fistulisation cutanée (image 4). Image 2. PET scan : hypermétabolisme intense de la tumeur sans autre hypermétabolisme à distance. 116 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIII - n° 3 - mai-juin 2010 Après l’amélioration du syndrome septique, la radiochimiothérapie est reprise. Au terme du traitement, le patient présente de nouveau une aphagie, mais la lésion cutanée a entièrement régressé. Une nouvelle gastroscopie est réalisée, mettant en évidence une sténose IMAGE COMMENTÉE I M A G E S en 2000 (1). Six pour cent des patients ayant un cancer de l’œsophage ont un antécédent de cancer des voies aéro-digestives supérieures. Un dépistage systématique par gastroscopie pourrait être proposé à ces patients, mais il n’existe pas de recommandation, car plusieurs études ont suggéré qu’une telle attitude n’avait pas d’impact sur le pronostic. L’intérêt d’un dépistage systématique reste donc très débattu (2). Image 3. Mise en place d’une prothèse œsophagienne sous contrôle radioscopique. Image 4. Tomodensitométrie cervicale : nécrose tumorale étendue. Image 5. Sténose œsophagienne non franchissable en endoscopie, au-dessus de la prothèse. Image 6. Tomodensitométrie cervicale : obstruction prothétique tissulaire. infranchissable de la bouche de Killian, le pôle supérieur de la prothèse ne pouvant être visualisé (image 5). Sur le scanner, il existe une légère diminution du volume tumoral et une obstruction de l’extrémité supérieure de la prothèse par un bourgeon tissulaire qui pourrait être inflammatoire et non tumoral (image 6). On conclut donc à une réponse partielle à la radio-chimiothérapie et on prévoit une nouvelle évaluation endoscopique et scannographique plus à distance du traitement. Discussion L’incidence du cancer de l’œsophage en France était de 4 040 cas chez l’homme et 928 cas chez la femme Les prothèses œsophagiennes sont actuellement le traitement le plus utilisé pour la palliation des sténoses néoplasiques de l’œsophage. Le développement récent de prothèses extirpables a permis d’élargir les indications des prothèses œsophagiennes aux patients présentant un cancer de l’œsophage potentiellement “curable” (3). Il est habituellement recommandé de ne proposer ce traitement qu’aux patients dont le pôle supérieur de la tumeur se situe à plus de 2 cm de la bouche de Killian (4). Cependant, plusieurs études ont montré que les prothèses œsophagiennes pouvaient être tolérées par les patients avec un cancer de l’œsophage cervical (5). La tolérance est de plus améliorée par le développement de prothèses à collerette supérieure plus courte et aussi meilleure chez les patients ayant eu une laryngectomie totale. Chez les patients atteints d’une tumeur localement évoluée opérable, la radio-chimiothérapie exclusive a les mêmes résultats que la chirurgie en termes de survie globale. Il s’agit donc du traitement recommandé en première intention pour les cancers de l’œsophage cervical, qui nécessitent une chirurgie lourde et mutilante (4). Le cancer épidermoïde de l’œsophage a un pronostic très sombre, malgré les progrès de la chirurgie et l’apport de la radio-chimiothérapie. Le traitement est palliatif d’emblée dans environ 40 % des cas, et après traitement curatif les récidives sont fréquentes et précoces. La dysphagie est souvent le symptôme le plus invalidant et le développement des prothèses œsophagiennes permet d’améliorer la qualité de vie de ces patients. ■ Références bibliographiques 1. Faivre J. Variation in survival of patients with digestive tract cancers in Europe, 1978-1989. Eur J Cancer Prev 2001;10:173. 2. Petit T, Georges C, Jung GM et al. Systematic esophageal endoscopy screening in patients previously treated for head and neck squamous-cell carcinoma. 4. Thésaurus national de cancérologie digestive Ann Oncol 2001;12:643-6. (www.tncd.org). 3. Sreedharan A, Harris K, Crellin A, Forman D, 5. Profili S, Meloni GB, Feo CF et al. Self-expandable Everett SM. Interventions for dysphagia in oemetal stents in the management of cervical oesophasophageal cancer. Cochrane Database Syst Rev geal and/or hypopharyngeal Clin Radiol La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - mai-juin 2010 | 117 • Vol. XIII - n° 3strictures. 2009;7:CD005048. 2002;57:1028-33.