Philosophie Que puis-je faire pour être heureux ?
qui a la faveur des dieux. Ainsi, est eudaimôn celui qui sait tirer parti des
circonstances extérieures de l’existence.
Cette faveur des dieux n’est donc pas laissée à la seule action divine,
l’homme peut, par son action, attirer ou éloigner cette faveur. Nous sommes
alors dans la dimension morale du bonheur : il dépend de nous d’agir pour
être heureux. Aristote va d’ailleurs distinguer alors l’eudaimonia, le bon-
heur, de l’eutukhia, la bonne fortune. Tukhê désigne en effet le sort ou la
fortune. Le bonheur se distingue donc de la bonne fortune dans le sens où
la bonne fortune dépend totalement des hasards de la vie et est donc très
volatile, très aléatoire, tandis que la stabilité du bonheur est garantie, selon
Aristote, par les activités vertueuses. Le rapport au temps et à la volonté
permet donc de distinguer le bonheur de la bonne fortune. Le bonheur pos-
sède une réelle stabilité temporelle alors que la bonne fortune est fluctuante.
Il peut en partie dépendre des conséquences de nos décisions alors que nous
n’avons pas de prise sur les coups du sort.
Ajoutons une chose importante : pour Aristote le bonheur est une
mise en acte, une energeia de l’âme qui suit la vertu. Nous prendrons le temps
d’expliquer ce qu’est la vertu chez Aristote plus loin dans ce cours. Déjà,
notons que le bonheur n’est pas un simple état d’âme mais une « énergie de
l’âme », une mise en acte, nous dirions aujourd’hui, « un acte ou une action ».
Le bonheur n’est donc pas quelque chose qui se vit dans la passivité, dans
l’inactivité ou dans le fait de rester statique. Le bonheur se vit grâce à nos
actes. C’est déjà une définition très différente de celle que nous trouvons dans
le dictionnaire qui a une tendance fâcheuse à tirer la notion de bonheur vers
celle de la bonne fortune.
La maladie d’un proche relève bien de quelque chose qui ne dépend pas
de moi : comment pourrais-je en effet choisir qu’un de mes proches tombent
gravement malade ? Il ne dépend donc pas de moi que cet événement arrive ou
non. En revanche, la manière dont je vais réagir à cet événement va dépendre
en partie de moi. Ma manière de réagir ne sera peut-être pas totalement
maîtrisable dans le sens où je vais vivre des émotions malgré moi : je vais
subir des émotions. En même temps, même si je subis des émotions, je garde
la possibilité de les accueillir ou de les rejeter, de les faire grandir en moi ou
d’essayer de les apaiser. En définissant le bonheur comme « mise en acte »,
Aristote nous montre que même là où tout semble s’imposer à nous, il
reste une part d’activité possible, et c’est dans cette part que le bonheur est
possible. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il est facile, mais cela veut dire
que je garde la capacité de choisir : vais-je écouter ma tristesse ou la refouler
et chercher à me divertir ? Vais-je pleurer sur ma malchance ou prendre le
temps de m’occuper de la personne qui est malade ? Évidemment, c’est plus
facile à dire qu’à faire, nous le verrons quand nous développerons les vertus.
Terminales ES et S 5/32 Année 2014-2015