Distribution limitée
SHS/YES/COMEST-8EXTR/14/3
Paris, le 31 juillet 2015
Original anglais
Science, technologie et société du point de vue de l’éthique :
une contribution au programme pour l’après-2015
Rapport de la COMEST
La gouvernance de la science et les relations entre science et société sont
des préoccupations de longue date de l’UNESCO et l’un des aspects des
travaux de la Commission mondiale d’éthique des connaissances
scientifiques et des technologies (COMEST) depuis sa création. La
Commission a arrêté l’orientation générale de sa réflexion actuelle sur cette
question à sa session extraordinaire de novembre 2008, à l’issue d’une
discussion approfondie, puis a examiné des versions successives du présent
document à ses sessions ordinaires et extraordinaires suivantes, de 2009 à
2013. À sa 8e session ordinaire, en mai 2013, la COMEST a examiné un
projet révisé du présent document, et a demandé à son Groupe de travail sur
l’éthique scientifique de le mettre au point. Le projet ainsi finalisé, intitulé
Ethical Issues in Science Governance and the Science-Society Relationship
lui a été présenté et a été discuté par elle à sa 8e session extraordinaire, en
octobre 2014. La COMEST a ensuite décidé d’établir un texte définitif à la
lumière de cette discussion, et a chargé le Groupe de travail de viser le
rapport en vue d’en faire un « document de travail » lié à la révision de la
Recommandation concernant la condition des chercheurs scientifiques
(1974). La COMEST a également décidé que le rapport s’intitulerait Science,
technologie et société du point de vue de l’éthique : une contribution au
programme pour l’après-2015. La version révisée du projet de rapport a été
présentée à tous les membres de la Commission après la session
extraordinaire et adoptée par email en juillet 2015.
2
SCIENCE, TECHNOLOGIE ET SOCIÉTÉ DU POINT DE VUE DE L’ÉTHIQUE :
UNE CONTRIBUTION AU PROGRAMME POUR L’APRÈS-2015
RAPPORT DE LA COMEST
Table des matières
I. INTRODUCTION ................................................................................................................... 3
II. UNE DYNAMIQUE NOUVELLE, SOURCE DE DÉFIS .......................................................... 5
II.1 Le changement scientifique et technologique .............................................................. 6
II.2 Intégrité de la science et bien public dans les nouveaux contextes sociaux et
institutionnels .................................................................................................................. 7
II.3 Les tensions entre intérêts privés et bien public ......................................................... 8
II.4 Une mondialisation qui divise........................................................................................ 9
II.5 Éthique du développement et inclusion sociale ......................................................... 10
III. PRINCIPES ET ENJEUX ESSENTIELS .............................................................................. 11
III.1 Production et partage des avantages et gestion des risques ..................................... 13
III.2 Réduire et combler les fractures sur le plan du savoir ................................................ 14
III.3 Encourager l’intégrité et une recherche et une innovation responsables ................. 15
III.4 S’assurer de la participation du public et redéfinir l’expertise ................................... 16
IV. QUE FAIRE : QUELQUES PRIORITÉS .............................................................................. 16
IV.1 Le libre accès ................................................................................................................. 18
IV.2 Les codes de conduite ................................................................................................... 19
IV.3 L’éducation à l’éthique ................................................................................................... 19
IV.4 Consultation des citoyens sur les technologies novatrices controversées .............. 19
IV.5 Savoirs locaux, autochtones et traditionnels ............................................................... 20
V. CONCLUSIONS .................................................................................................................. 20
3
SCIENCE, TECHNOLOGIE ET SOCIÉTÉ DU POINT DE VUE DE L’ÉTHIQUE :
UNE CONTRIBUTION AU PROGRAMME POUR L’APRÈS-2015
RAPPORT DE LA COMEST
I. INTRODUCTION
1. La gouvernance de la science et les relations entre science et société sont des
préoccupations de longue date à l’UNESCO et l’un des aspects des travaux de la COMEST depuis
que celle-ci a été créée. Le présent rapport expose les résultats d’une série d’activités et de
réflexions menées pour donner suite à une résolution adoptée en 2005 par la Conférence générale
de l’UNESCO dans laquelle celle-ci priait le Directeur général de lui faire rapport sur l’opportunité
d’élaborer une « déclaration internationale sur l’éthique scientifique » qui servirait de base à un
« code de conduite éthique à l’intention des scientifiques »
1
. Cette résolution répondait aux
préoccupations que suscitaient la pertinence sur le fond et le statut normatif d’instruments
existants tels que la Recommandation concernant la condition des chercheurs scientifiques (1974)
et la Déclaration sur la science et l’utilisation du savoir scientifique
2
(1999). À sa 4e session
ordinaire (mars 2005), la COMEST a adopté une recommandation proposant d’entreprendre une
étude de faisabilité relative à une déclaration internationale sur l’éthique de la science dont la
Conférence générale a pris note. Mais en 2006, plutôt qu’à l’élaboration d’un nouvel instrument
normatif, l’UNESCO a été invitée à travailler à un cadre général d’éthique propre à guider l’activité
scientifique.
2. L’orientation générale du présent document a été adoptée par la COMEST à l’issue d’une
discussion détaillée à sa session extraordinaire de novembre 2008, puis des versions successives
ont été examinées aux sessions ordinaires et extraordinaires suivantes organisées de 2009 à
2013. À sa 8e session ordinaire, tenue à Bratislava (Slovaquie) en mai 2013, la COMEST a
examiné une version révisée du présent document et a demandé au Groupe de travail sur l’éthique
scientifique de la mettre au point. Le projet ainsi finalia été présenté et examiné sous le titre
Ethical Issues in Science Governance and the Science-Society Relationship [Aspects éthiques de
la gouvernance de la science et de la relation entre science et société] à sa 8e session
extraordinaire à Québec (Canada) en octobre 2014. La COMEST a décidé de prendre en compte
dans le document final la teneur de la discussion qu’elle avait eue au cours de cette session, et de
modifier le titre du rapport, qui s’intitulerait « Science, technologie et société du point de vue de
l’éthique : une contribution au programme pour l’après-2015 », rapport qu’elle a ensuite révisé et
adopté en juillet 2015.
3. Parallèlement, la COMEST a été étroitement associée au processus de suivi et d’examen
mené par l’UNESCO au sujet de l’opportunité de réviser la Recommandation concernant la
condition des chercheurs scientifiques (1974)
3
(ci-après dénommée « la Recommandation de
1974 »). Elle a également été associée à l’étude préliminaire sur les aspects techniques et
juridiques liés à l’opportunité de réviser la Recommandation de 1974, qui a été réalisée par un
groupe d’experts ad hoc au sein duquel six de ses membres ont siégé à titre individuel. À sa
8e session ordinaire en 2013, la COMEST a approuvé le projet d’étude préliminaire, dont la version
finale a été présentée en novembre 2013 à la Conférence générale, laquelle a décidé sur cette
base de lancer un processus de révision de la Recommandation de 1974. Bien que distinct sur le
plan institutionnel du présent rapport, l’examen de l’opportunité d’une révision de la
Recommandation de 1974 soulève de nombreuses questions d’éthique proches de celles qui ont
1
Résolution 33 C/39. Actes de la Conférence générale, 33e session, Paris, 3-21 octobre 2005, vol. 1,
Résolutions, UNESCO, 2005, p. 91. [http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001428/142825f.pdf].
2
La Déclaration sur la science et l'utilisation du savoir scientifique a été adoptée par les participants à la
Conférence mondiale sur « La science pour le XXIe siècle: Un nouvel engagement », le 1er juillet 1999 à
Budapest, en Hongrie. [http://www.unesco.org/science/wcs/fre/agenda.htm].
3
Le texte de la Recommandation concernant la condition des chercheurs scientifiques (1974) est disponible
sur le site de l'UNESCO :
http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=13131&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html.
4
trait, de manière plus générale, à la gouvernance de la science et à la relation entre science et
société.
4. En outre, le programme des Nations Unies pour l’après-2015 a donné lieu à une analyse des
menaces et des défis qui caractérisent la situation mondiale (changement climatique, croissance
de la population humaine, creusement des inégalités, etc.) et propose des moyens d’infléchir ces
tendances afin d’améliorer certaines situations particulières. Les politiques de la science, de la
technologie et de l’innovation comptent parmi les objectifs du programme. Le présent document
doit être considéré aussi comme une contribution de la COMEST mettant en relief les enjeux
éthiques particuliers liés à la nouvelle dynamique de la science et de la technologie, en relation
avec la société.
5. Le concept d’« éthique de la science » se réfère aux principes qui doivent guider l’activité
scientifique et aux mécanismes utilisés pour en encourager, faciliter ou assurer la bonne
application. Une approche éthique de la science fait valoir que la quête du savoir et de la
compréhension suppose l’adhésion à des valeurs éthiques primordiales, comme l’intégrité, la
vérité et le respect de l’argumentation raisonnée et de la preuve. Les critères qui décident de ce
qui est de la « bonne science » sont, en partie, d’ordre éthique. Les valeurs défendues sont
universelles dans le sens qu’elles suscitent une large adhésion, à un niveau général, par-delà les
frontières entre disciplines, entre nations et entre cultures. De fait, elles sont expressément
reconnues dans des instruments normatifs internationaux.
6. Il y a d’autre part débat sur la manière dont ces règles devraient s’appliquer dans des
circonstances particulières. L’idée de science est compatible avec de multiples interprétations de
ce qu’elle implique, et la diversité est donc un élément indispensable de l’application concrète de
l’éthique de la science. Les pressions auxquelles est soumise l’activité scientifique aujourd'hui font
qu’on ne peut être assuré que les valeurs éthiques qui fondent toute investigation honnête seront
toujours reconnues ou honorées. De plus, le public ne soutient la science que s’il a le sentiment
que la quête du savoir est menée avec diligence et impartialité en tant que fin en soi, et qu’elle
contribue de surcroît au bien-être général de l’humanité ou à la satisfaction de ses besoins. La
science est donc liée à des valeurs extérieures qui n’entrent pas en conflit avec sa propre logique
interne, ni ne la reproduisent purement et simplement.
7. Le champ de l’éthique de la science est vaste et, à certains égards, sujet à controverse. Il ne
concerne pas seulement les chercheurs professionnels, mais aussi tous les responsables des
politiques de la recherche et de la communication des connaissances scientifiques auprès des
publics intéressés. Il déborde donc de beaucoup celui de « l’éthique de la recherche », qui ne se
rapporte qu’à un seul aspect particulier de la pratique professionnelle.
8. L’éthique de la science recouvre des domaines thématiques et disciplinaires également
étendus. Tel qu’il est défini à l’article 1 (a) (i) de la Recommandation de 1974, le mot « science »
« désigne l’entreprise par laquelle l’homme, agissant individuellement ou en groupes, petits ou
grands, fait un effort organisé pour découvrir et maîtriser au moyen de l’étude objective de
phénomènes observés la chaîne des causalités »
4
. Il y aurait lieu de se demander si cette
conception de la science s’étend aussi aux sciences humaines, la notion de « causalité » n’est
peut-être pas pertinente. De plus, les débats épistémologiques actuels pourraient remettre en
question le type d’« objectivité » qui était considécomme allant de soi en 1974. Néanmoins,
l’accent mis sur la science en tant qu’activité socialement organisée, caractérisée par ses
4
L’article 1 (a) (i) de la Recommandation de 1974 insiste plus avant sur ce point, en apportant deux
précisions à cette définition. Tout d’abord, la science « rassemble les connaissances ainsi acquises, en les
coordonnant ». Les sciences sont donc expressément conçues comme des composantes de la science.
Ensuite, la science fournit à l’humanité des connaissances dont celle-ci peut « tirer parti ». Par conséquent,
aucune limite ne sépare dans la définition la science de la technologie, ou les sciences théoriques de leurs
applications. Enfin, pour parer au moindre doute, l’article 1 (a) (ii) déclare explicitement, que « l’expression
« les sciences » désigne un ensemble de faits et d’hypothèses pouvant faire l’objet de constructions
théoriques normalement vérifiables [et] englobe dans cette mesure les sciences ayant pour objet les faits et
phénomènes sociaux ».
5
structures et ses procédures, garantit l’inclusion dans la définition des multiples modes de science
différents.
9. Ce rapport reflète dans sa structure les préoccupations résumées plus haut. Il n’a pas pour
objet premier d’examiner les principes éthiques fondamentaux sur lesquels devrait se guider la
science, puisque ceux-ci ont déjà été, dans une large mesure, consacrés par des instruments
normatifs internationaux. La réflexion sur ces principes devrait donc viser à clarifier, et si
nécessaire étoffer, le cadre éthique existant. Les principes n’ont toutefois guère de poids s’ils ne
sont ni appliqués, ni ancrés dans la pratique scientifique quotidienne. Outre les lacunes de longue
date, de nouveaux défis pourraient soumettre à des pressions particulières la déontologie des
scientifiques. Le rapport vise avant tout la concrétisation des principes éthiques, en prêtant dûment
attention au contexte dans lequel la science s’exerce de nos jours.
10. Une deuxième partie crit la nouvelle dynamique des activités scientifiques et les diverses
formes de relations qui se sont tissées entre la science et la société. La troisième partie énonce les
principes essentiels face aux nouveaux enjeux. La quatrième partie énumère les priorités en
matière de gouvernance de la science. Une récapitulation générale conclut le rapport.
II. UNE DYNAMIQUE NOUVELLE, SOURCE DE DÉFIS
11. La science et la technologie sont prises aujourd’hui dans un processus de changements
rapides. Ces changements concernent des domaines de recherche offrant la promesse de
nouveaux et puissants moyens d’intervenir sur les éléments constitutifs de la matière et de la vie,
grâce à des applications qui pourraient transformer le monde.
12. Mais le changement est aussi d’ordre institutionnel et social. Les formes d’organisation de
l’activité intellectuelle et scientifique établies au XXe siècle ont été bouleversées et à certains
égards métamorphosées. Être un scientifique en 2015n’a plus la même signification que celle
qu’incarnaient des figures telles qu’Albert Einstein et Marie Curie dans les années 1930, ou même
James Watson, Francis Crick et Jacques Monod dans les années 1960.
13. Les significations culturelles et la vision sociale de la science ont elles-mêmes changé, en
partie pour des raisons bien connues, liées aux évolutions du XXe siècle (déploiement de la
science et de la technologie, armes de destruction massive), mais aussi sous l’effet de facteurs
sociaux plus difficiles à cerner, en rapport avec l’évolution du concept d’autorité et l’érosion, du
moins en Europe occidentale et en Amérique du Nord, de la foi dans la science et le progrès
modernes.
14. On observe en toile de fond une certaine peur de la science et de la technologie dans les
sociétés occidentales. La dynamique sociale du débat sur l’« homme augmenté » et le « post-
humanisme », de même que la crainte de dévoiements particuliers de la technologie et, plus
encore, de risques inconnus pour l’être humain et pour l’environnement sont autant d’exemples de
cette peur de l’innovation scientifique.
15. Le concept de « technoscience » éclaire utilement ces tendances. Il entend résumer une
nouvelle conception de la science intrinsèquement liée aux outils technologiques et une relation
entre la science et la société dans laquelle la première et la réflexion publique à son sujet est
de plus en plus axée sur les applications technologiques. Dans le même temps, la science gagne
en complexité et en spécialisation et comporte des degrés d’incertitude accrus. La technoscience a
aussi une dimension mondiale, une orientation économique et un caractère privé plus marqués
que des formes d’organisation plus traditionnelles de la production de connaissances.
16. Cette nouvelle conception du rôle de la science et de la technologie dans le développement
économique a peu à peu gagné du terrain depuis les années 1990, influençant les politiques aussi
bien que les pratiques institutionnelles. La recherche est conçue aujourd’hui comme un facteur
d’innovation essentiel, et donc comme un enjeu prioritaire dont dépend la compétitivité
économique. Il s’ensuit que le financement de la recherche et le statut des chercheurs sont de plus
en plus déterminés par des considérations d’efficience et de compétitivité sans liens directs avec
l’objet même de l’activité scientifique. La tendance à une évaluation plus quantitative des individus
et des institutions dont procède la mode consistant à noter les établissements et les revues et
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