D-04 Correspondances entre les arts et avec les lettres en asie, les notions de vide et d’inachevé en regard de la «
perfection » d’une œuvre / correspondences between arts and with literatures in asia notions of « emptiness » and
« incompleteness » facing the « perfection » of a work
Regard sur le « vide » dans l’art chinois
Jia Jinli
les dix mille êtres en ce bas monde procèdent aux extrémités de la vie du “无” (néant)
et c’est
justement que le “无” engendre et détermine le “有”. Mais ce “无” n’est pas une totalité vide
mais une totalité inexprimée, intégrative emplissant la vie. « La Voie engendre le un, le un engendre le
deux, le deux engendre le trois, le trois engendre les dix mille êtres. Les dix mille êtres portent le yin
sur leurs épaules [dos] et le yang dans leurs bras [devant], les souffles confluent en harmonie »
. La
voie, le Dao “道”, est ce qui n’est pas.
Le visuel qui ne se voit pas est dit imperceptible, l’audible qui ne s’entend pas est dit
imperceptible
, l’inaccessible est dit subtil. … Le cycle infini est dit retour à l’origine des dix
mille êtres, c’est-à-dire l’apparence du sans forme, la figuration du sans image.
La voie (le Dao) est invisible, inaccessible, insaisissable, l’homme ne peut qu’expérimenter la
vacuité (静虚) pour l’éprouver. C’est pourquoi le discernement de l’être et du non-être (有无之辩) de la
philosophie traditionnelle chinoise donne lieu ensuite à l’engendrement mutuel du vide et du plein (虚
实相生)
. Le monde ne cesse de se transformer et dans ce monde mouvant, il y a vie et mort, vide et
plein, les dix mille êtres du monde évoluent dans ce vide, agissent et se transforment. L’impact de
l’engendrement mutuel du vide et du plein (虚实相生) dans la théorie picturale chinoise est sans
limites. Ce vide et ce plein diffèrent du « proche plein, lointain vide » (近实远虚) de la peinture
occidentale. Ici, le vide est vacuité, le plein est la forme visible. Le vide et le plein ne sont pas opposés
mais s’harmonisent l’un avec l’autre et se complètent mutuellement ; dans leur interaction, ils
co-existent et sont en dépendance mutuelle.
2. LE BLANC DANS LA PEINTURE CHINOISE EXPRIME LE « VIDE »
Dans la peinture classique chinoise, du fait de l’emploi du matériau (couleurs de l’encre, papier
à dessin vierge), prend forme un goût esthétique particulier, une résonance des souffles naturelle, un
engendrement mutuel du vide et du plein. Dans la peinture chinoise le blanc est, dans une certaine
mesure, même plus important que les traces d’encre ; non seulement il représente formellement
l’équilibre et la pause de la transformation en cours, mais en plus la dimension spirituelle d’une
œuvre accomplie (son profondeur et sa prolongation. Les peintres de la dynastie des Song du sud 马远
Ma Yuan (actif vers 1190-1225 ou 1230) et 夏圭 Xia Gui (vers 1180-1224 ou 1230) dits « Ma un
coin, Xia la moitié » (“马一角、夏半边”) ; on dirait qu’ils traitent du blanc comme du plein dans leurs
œuvres où le plein comble les cerveaux du créateur et du spectateur, tandis que le blanc est souvent
utilisé pour figurer l’eau, les brumes, le vent, etc …, ce qui vise à exprimer en général le rêve, cette
technique est plus implicite et discrète que d’utiliser directement la couleur. L’encre pour exprimer le
manifesté (有), le blanc pour exprimer le non manifesté (无), ce que cette vacuité crée est le
positionnement artistique, c’est-à-dire l’âme de l’œuvre d’art. Le blanc laissé dans la peinture,
expliqué sur le plan formel, c’est la façon dont s’expriment les rythmes et les transformations
harmonieuses spécifiques à la peinture chinoise ; expliqué sur le plan de la relation entre l’espace et le
temps, c’est l’étendue sur le plan spatial qui incarne la modification temporelle ; sur le plan esthétique,
c’est l’incarnation et l’expression de la discrétion (dimension implicite). De ce fait, dans la peinture
chinoise, c’est employer l’encre pour la réalité, créer des espaces blancs de transformations illimitées.
En médecine traditionnelle chinoise, 根结 est à la fois la racine et le bourgeon terminal (des méridiens).
Laozi, chap. 42.
希 xī et 夷 yí, respectivement « imperceptible pour l’ouïe » et « imperceptible pour la vue », sont ensemble une évocation
de la Voie.
Laozi, chap. 14.
Le grand dictionnaire Ricci indique : 1. (Bouddh.) Existence et non-existence. 2. (Philos. chin. – Tao.) a. Présence ou
absence de qualités sensibles dans l’être. Le double aspect de la réalité, manifestation de la voie (道 Dao), l’origine (无 wú)
et les manifestations (有 yǒu) des êtres. b. Dans le néo-confucianisme : invisible et visible.