DOSSIER IL YA75 ANS, LE KRACH
RUDY LE COURS
En1929,on ne parle pasde mon-
dialisation,maisle capitalignore
déjàlesfrontières.
Montréalest alors etvarester
une vingtaine d’annéesencorele
centrefinancierduCanada.C’est
àsaBoursequesontnégociées
lesactionsdesgrandessociétés
canadiennesde l’époque:Inter-
nationalNickel (Inco),Montreal
Power,CanadianCaretautres
CanadianPacificouDominion
Bridge. Entout,unpeuplus d’une
centaine de titres.
Lesplus fortesde cescapi-
talisationssontaussicotéesàNew
YorketàLondresoùsefontl’es-
sentiel destransactionssur leurs
titresd’ailleurs.
Quand laBoursedeNewYork
semetàchanceler,celle de Montréal
trébuche viteaussi.
«La Boursesubitune autre
chute»,lit-on àlaune de l’édition
d’après-midi de La Pressedumardi
noir29octobre. Danssespages
financières,unlong titreenitalique
imitantlesrubanstéléscripteurs
desparquets donne lamesuredes
dégâts :«Lesstockss’écrasenten
Bourselocale –N.Y.dégringole».
«Lespertescauséesparlachute
d’hieretd’aujourd’huisontincal-
culables,ylit-on. Nombredegens,
considéréscomme richesil ya
quelquesjours sontmaintenant
dansle completdénuement.Les
profits accumuléssur le papier
ontdisparu en untour de main et
lesspéculateurs restentpante-
lants.»
Cesspéculateurs,àl’époqueon
appelaitunchatunchat,affluent
chezleurs courtiers Foster,Barrette
Rupert &Low,AEAmes&Co,
RoyalSecuritiesetautresNesbitt
Tomson de larueSaint-Jacques
tandisque,sur le parquetde la
rueSaint-François-Xavier,les
commiss’épuisentàexécuterles
ordresde vente.
Lescomptessur marge sont
liquidésavecprécipitation. «Tous
lesstockssansexception ontété
jetéspar-dessus bordetlestran-
sactionsontprisune allureaffolée»,
ajoutelereporter,anonyme selon
l’usage en vigueur àl’époque.
BrazilianTraction Lightand
PowerCompanyLimited (aujour-
d’huiBrascan),untitre-vedette
de l’époque,est desplus malmenés
pour ladeuxième journée d’af-
filée. La veille,on aapprisquela
Bourseducafé de Rio de Janeiro
avaitfermé sesportespour cause
de «crisefinancière».
ÀOttawa, oùdespressions
s’exercent,c’est en l’absencedu
ministredesFinancesqueson
bureaupublie uncommuniqué
pour tenterde calmerlesesprits.
«Iln’yarien danslasituation
générale duCanadaquipeut
justifierune paniqueàlaBourse,
lit-on. Cequisepasseactuellement
n’est qu’une phasetemporairedue
àlaspéculation sur marge.»
La «phasetemporaire» durera
deux ansetdemi. Selon lescalculs
de CharlesKindleberger,auteur
de The World in Depression,la
capitalisation de laBourselocale
aurafondude 84,5% entreson
sommetde septembre1929etson
creux de juin 1932,soitpresque
autantquelesindicesDowJones
etS&P 500.
Avantetaprès1929,il yaeubien
d’autreskrachsetcorrectionsbour-
sières,maisjamaisle marché des
actionsn’auramisaussilongtemps
às’en remettre:unquart de siècle,
pasmoins.
Onacomptésixautresrécessions
auXXesiècle aprèslaGrande Crise
de 1929-1933,maisaucune n’aura
euson ampleur ni sadurée :une
chutede40%delavaleur duproduit
intérieur brut quimettra10anspour
reveniràniveau.
«L’industrie financièreétaitbien
moinsstable durantlesannées20
qu’aujourd’hui,notaitdanslafoulée
dukrachde1987,Philip Cross,
directeur d’analyseéconomiqueà
StatistiqueCanada.Enplus,elle était
bien moinsréglementée.»
«La théorie de gestion de por-
tefeuille n’avaitpasencoreété
développée àl’époque,renchérit
Raymond Théoret,professeur de
financesàl’École dessciencesde la
gestion de l’UQAM.Onn’apaseu
de mesuredurisqueavantlesannées
50.»
La diversification est d’autantplus
possible aujourd’huiquel’économie
est beaucoupmieux ramifiée main-
tenantquedurantlesannées20.
L’agricultureoccupaitalors 29% de
lamain-d’oeuvreauCanadacontre
àpeine 4% de nosjours.Àl’opposé,
le secteur trèsdiversifié desservices
employait37%desforcesactives,
contre70%aujourd’hui.
Or,une économie fondée sur les
servicesconnaîtdescyclesécono-
miquesmoinsprononcés.Lescrises
de surcapacitégénéralisée,comme
c’est le casdanslesannées30sont
désormaisimprobables,carlesservices
ontcettebelle propriétédenepouvoir
êtrestockés.«C’est le secteur de la
production quiprovoquelesréces-
sions»,préciseM.Théoret.
Aprèsquelquesannéesde sur-
chauffe etd’investissements excessifs,
l’économie avaitdéjàcommencéà
déclinerdanslesmoisquiontprécédé
le krachde1929.
1987:grandkrach,petitecrise
Enrevanche,avantceluidu19
octobre1987oùle DowJoness’était
affaisséde22,6%,l’économie était
toujours en pleine croissance,sans
surchauffe.
Deux ansaprès,le DowJonesaura
d’ailleurs regagné lessommets qui
l’avaientprécédé. Ilseserapurgé
deseffets de laspéculation causée
parlesémissionscolossalesde junk
bonds,cestitresàhauts risquesqui
promettaientaux détenteurs des
rendements hors norme. La récession
n’est aurendez-vous qu’en 1990et
dureramoinsd’unan.
La corrélation entrelaBourseet
l’économie resteradifficile àsaisir.
«Lelien entrelesmarchésfinanciers
etl’économie est d’ordrecompor-
tementaldansune large mesure,
expliquePhilip Cross.Iln’est pas
bien comprisparleséconomisteset
lesstatisticiens.»
AuCanada, latempêteboursière
d’octobre1987coûte11,3%aumarché
boursiertorontois,lamoitié exac-
tementde lapurge new-yorkaise.
MaislaBoursedelaVille reine met
plus de sixansàs’en remettre.
L’explication serésume en unnom:
John Crow.Sa politiquemonétaire
dogmatiqueentantquegouverneur
de laBanqueduCanadafaisaitgrimper
indûmentle loyerde l’argent.
Ledollarcanadien s’est apprécié
artificiellementfaceaubilletvert,
«aumomentoùlesentreprises
faisaientdespiedsetdesmainspour
s’adapteraux nouvellesconditions
de marché crééesparl’entrée en
vigueur de l’Accorddelibre-échange
aveclesÉtats-Unis»,faitremarquer
Stéfane Marion,économisteenchef
adjointàlaFinancièreBanque
Nationale.
AlanGreenspan,quiétaitdéjàaux
commandesde laFed,avaitagi avec
plus de doigtéensachantsemontrer
accommodant.
L’investissementexcessif
Aujourd’huicomme hier,l’in-
vestissementexcessif demeureune
réalitépériodique. Ilsesoigne comme
autrefoisaumoyen de purgesradicales,
tantdansl’industrie pardeslicen-
ciements massifscomme chezNortel
qu’en Bourseparune plongée en
piquédesvaleurs.
Cefut le casaux États-Unisen
1973-1974,aprèsunemballement
pour lestitrestechnologiquesqui
n’allaitpasêtreledernier.«Lemarché
baissierafaitsuiteàl’euphorie pour
Polaroid,Xeroxetlesautrestitres
de croissancedel’époquequ’on appe-
laitlesNifty Fifty (les50chouettes)»,
confiaiten 1997àBloombergRoy
Neuberger,courtieràWall Streetet
actif durantleskrachsde 1929etde
1987.La Boursemettrabien dutemps
às’en remettrecarl’économie amé-
ricaine traverseune durerécession
en 1975causée parle chocpétrolier
de 1973 etune flambée générale des
prixsur fond de Watergate.
La techno-bulle quiaballonné les
marchésboursiers àlafin desannées
90témoigne aussidesdégâts qui
fontsuiteaux investissements excessifs
accapareurs de bénéfices.Son écla-
tementauracependantétésuivi
seulementparunralentissementde
lacroissanceéconomiqueauCanada
etparune trèsfaible récession aux
États-Unis,laplus légèreenfaitdepuis
laGrande Crise. Enoutre,le choc
externe causéparlesattentats du11
septembreauraparalysél’économie
américaine etfreiné lesexportations
canadiennespendantunmois.
Sesstigmatessur lesmarchés
boursiers perdurerontlongtemps,par
contre,en particuliersur laBourse
NASDAQ.
Une politiquemonétaire différente
Outreladiversification desporte-
feuillesetde l’économie,laconduite
de lapolitiquemonétaires’est beau-
coupraffinée pour limiterl’amplitude
descycleséconomiques,même si
OCTOBRE1929,UN
KRACH DE 1929
DowJones
Sommetducycle:381,17le 3septembre 1929
Creux :41,32 le 8juillet1932
Ampleurdelacorrection:89,16%
Retourausommet:382,73 le 23 novembre 1954.
Temps derécupération :25ans ,2mois et82jours
Standard&Poor’s 500
Sommetd’avantchute:31,83le 6septembre 1929
Creux:4,41 le 8juillet1932
Ampleurdelacorrection:86,15%
Retourausommet:32,00 le 22 septembre 1955
Temps derécupération :26 ans et16jours
KRACH DE 1929… …À1954
Les bulles despéculation partagenttoutes
le même outil financier quiprenddes formes
différentes,selon les époques. C’estl’effet
delevier.
Voicisamécaniquedans les comptes
surmarge proposés alors parles maisons
decourtage :avec200$comptants,on
vousenavance800.Vousachetezpour
1000$d’actions quevouspourrezrevendre
bientôt1200$puisqu’on vousbaratine
quelemarché ne cesse degrimper. Profit
del’opération:200$,soitunrendement,
20%sur1000 $,mais de100 %pour
vousquivousretrouvezavec400 $de
valeursurpapier.
Sivousavezlasagesse devousretirer du
marché,bravo!l’effetdelevier vousaenrichi.
Mais vousêtes l’exception. La plupartdes
spéculateurs,éblouis parleursagacité,sont
convaincusqu’ils peuventfaire mieux encore.
Quandles marchés se mettentàculbuter
etqueleurs actions valentmoins queles
800$avancés parlabanqueoulamaison
decourtage,on demandeaux détenteurs
decomptes derenflouer leurmarge. Bref,
non seulement,ont-ils perduleurs 200$,
mais ils devrontavancer d’autres dollars
dans l’espoir deles récupérer.
Jusqu’en 1928,les banques canadiennes
etles maisons decourtage ontexigé seule-
ment10%decomptantpouruncompte
surmarge. En1928,quandlabulle spécu-
latives’approchaitdeson ballonnement
critique,les banques canadiennes ontporté
de10à35% lacouverture des comptes
surmarge,pourseprotéger.
L’effetdelevier
La Bourse
deMontréal
s’affaisse aussi
NOM VALEUR DES ACTIONS PERTE DE CAPITALISATION
SommetCreux
Inco72,50$4,00$940millions
ImperialOil*41,75$7,88$895 millions
CanadianPacific* 265,00$8,50$790millions
MontrealPower 180,00$20,88 $285 millions
Consol. Smelters 575,00$25,00 $279 millions
*Laloi 101n’étaitpasenvigueur
Source:A.B.Jamieson; CharteredBanking in Canada.
Les cinq grandes perdantes
RUDY LE COURS
3SEPT.1929
DOW JONES
381,17
DOW JONES
41,32
89,16%
8JUIL.1932
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