Latitude 5 n°102 - dossier Sur orbite…

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Dossier
Dossier préparé
par Typhanie Bouju et Karol Barthelemy
© TASS
Sur orbite…
Après plus de onze années d’observation des océans,
le satellite JASON-1 a rendu son tablier le 1er juillet dernier.
Quelques jours plus tôt, SPOT-4 échangeait ses
dernières informations avec la Terre.
Une retraite bien méritée après avoir
survécu trois fois plus longtemps que
prévu. En juin dernier, utilisant ses
derniers litres d’hélium, le téléscope spatial
européen HERSCHEL rejoignait son orbite
cimetière, autour du Soleil. Ce ne sont que trois
des plus récentes opérations de fin de vie dont l’Espace
a été témoin. Depuis 1957, plus de 7000 satellites ont
rejoint Spoutnik, le premier à graviter autour de la Terre.
800 sont encore en activité, dont 70 français… et les
autres, que sont-ils devenus ? Depuis, la parution de
la Loi sur les Opérations Spatiales (LOS) donne en France
un cadre réglementaire strict aux opérations de contrôle
de la fin de vie des systèmes orbitaux. Focus sur les
satellites du CNES mis à la retraite.
NIK
SPOUT
Photo de fonds : l’arche de la Voie Lactée au-dessus du VLT (Very Large Telescope) de l’Observatoire Européen Austral (ESO) au Cerro Paranal (Chili).
14 / LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013
© ESA
L’anneau clairement formé par les satellites
sur orbite autour de notre planète est
une zone déclarée protégée pour limiter
le nombre de satellites “morts”.
et après ?
Satellite inactif = débris spatial
pas la capacité technique d’identifier et de suivre la trajectoire des débris
inférieurs à 10 cm. C’est pourquoi ils ne sont pas catalogués. Si nous avions
la possibilité de les repérer, nous le ferions puisque l’on sait qu’un objet
de quelques centimètres à peine peut détruire ou faire disparaître un autre
objet», précise Fernand Alby, chargé de mission des débris spatiaux
au CNES Toulouse (DCT/DA). Au 26 juin 2013, le registre national
des objets français dans l'espace contenait 120 satellites (dont 70
opérationnels) et 191 étages ou éléments de lanceurs. «Le catalogue
américain contient 286 débris attribués à la France », ajoute très
précisément l’expert. Une part bien mince si on la compare aux
nations spatiales historiques que sont les Etats-Unis et la Russie,
engagées dans la course aux orbites une décennie avant la France.
1
© ESO/H H HEYER
De l’eau a coulé sous les ponts depuis Astérix, le premier satellite
français mis sur orbite autour de la Terre. Il quittait le plancher
d’Hammaguir en 1969. Il lui faudra encore plusieurs siècles
avant de plonger dans l’atmosphère et s’y désintégrer. Depuis,
la circulation sur les orbites terrestres s’est densifiée et les agences
spatiales du monde entier se sont accordées, en 2002, sur un code
de conduite à tenir face à cet encombrement. D’après les radars
et télescopes au sol de l’USSTRATCOM1, l’entité américaine en
charge de la surveillance de l’Espace, 22 000 objets d’une taille
supérieure à 10 cm gravitent hasardeusement autour de la Terre
et 15 000 sont référencés dans le catalogue public. Les débris de
taille inférieure ne sont pas catalogués mais ils sont estimés à plus
de 200 000 entre 1 et 10 cm. «Les radars qui surveillent ces débris n’ont
United States Strategic Command
LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013 /
15
© S. QUARTARARO
2
de responsabilité pour les dommages causés par des objets spatiaux.
En 1993, naissait l’IADC, la communauté internationale de gestion
des débris spatiaux. Parmi les membres : le CNES et l’ESA, mais
aussi leurs homologues italiens, britanniques, chinois, allemands,
indiens, japonais, américains, canadiens, ukrainiens et russes. Tous
se sont accordés, en 2002, sur un ensemble de règles de base visant
à conserver les orbites terrestres “propres”, notamment les zones
dites d’intérêt pour les applications et missions spatiales. C’est
ce que l’on appelle les zones protégées.
“ 22 000 objets d’une taille
supérieure à 10 cm gravitent
hasardeusement autour de la Terre”
L’orbite basse (ou zone LEO, pour Low Earth Orbit) est l’une
d’entre elles. C’est là, sous les 2 000 km d’altitude de la Terre,
que sont placés les satellites d’observation de la Terre, ainsi que l’ISS
(400 km). C’est là également que les débris spatiaux sont les plus
nombreux. Seconde zone protégée, l’orbite géostationnaire (ou zone
GEO, pour Geostationary Earth Orbit) qui accueille les satellites
de télécommunications. Elle se situe à environ 35 785 km.
© S. QUARTARARO
© CNES/EMMANUEL GRIMAULT/2009
Sous le terme débris,
se cachent plusieurs types
d’objets. « Il peut s’agir
d’un objet intègre qui a
Fernand Alby,
été abandonné, comme un
chargé de mission
satellite, de débris résultant
des débris spatiaux
au CNES
d’une explosion, d’une
collision, d’une fragmentation
ou encore d’objets libérés »,
décrit le spécialiste. Parmi
les objets catalogués, 6%
sont des satellites en fonction et 22% sont des satellites abandonnés.
Risques majeurs : la collision d’un débris avec des satellites actifs
qui aurait pour conséquence la destruction de l’objet mais aussi
l’apparition de nouveaux débris. «Si le risque de collision existe, nous
sommes encore loin d’atteindre la saturation des orbites, relativise Fernand
Alby. En orbite basse, à environ 800 km d’altitude, le nombre de débris
va continuer à augmenter. L’IADC 2 (groupement des agences spatiales
internationales en charge de la question des débris spatiaux) estime que dans
cette zone, la population satellitaire augmentera de 30% d’ici 200 ans
si les mesures de fin de vie préconisées sont correctement appliquées». Si on
est “propre”, la problématique de ne plus pouvoir traverser l’orbite
basse ou y résider ne se posera donc pas pour les deux prochains
siècles. « En GEO, poursuit-il, le risque d’atteindre le syndrome Kessler
(voir ci-dessous) est encore plus faible, voire nul».
Inter-Agency Space Debris Coordination
Le syndrome Kessler
Ou la théorie d’un scénario catastrophe, celui d’une réaction en chaîne
de collisions. L’ingénieur de la NASA Donald Kessler
avait imaginé, et ce dès 1978, qu’une
collision entre débris pouvait
entraîner la fragmentation de ces
derniers et donc de nouveaux
risques de collisions. Résultat :
les orbites les plus fréquentées
deviendraient inaccessibles à
plusieurs générations de satellites
artificiels.
Orbites protégées
Prévenir la formation de débris spatiaux passe par une meilleure
“maîtrise” des charges utiles et des lanceurs en Fin De Vie (FDV),
comme le stipule la Loi relatives aux Opérations Spatiales (LOS),
entrée en vigueur en 2010. Si la parution de ce texte peut paraître
tardive, la prise de conscience remonte aux années 1960 et dépasse
les frontières de l’Europe. Deux ans à peine après la toute première
mise sur orbite d’un satellite artificiel, les Nations Unies créaient
un comité pour l’utilisation pacifique de l’espace extraatmosphérique. Plus tard, en 1972, se dessinait l’ébauche des
premières lignes directrices du code de conduite actuellement suivi
par la communauté internationale, et dont découlent les législations
nationales comme la LOS : l’ONU faisait naître la notion
16 / LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013
Entre les deux, les orbites moyennes sont à la fois moins encombrées
par les débris spatiaux et moins utilisées. Seuls y naviguent les
satellites de positionnement, notamment des systèmes russe
(GLONASS), américain (GPS) et européen (GALILEO).
LEO
Libérer les orbites
Maîtriser la fin de vie d’un satellite, « cela signifie
le transférer sur son orbite de fin de vie, ou le faire rentrer
dans l’atmosphère, et le passiver pour éviter tout risque
d’explosion », résume Fernand Alby. En clair :
on désorbite ou on réorbite. Objectif : libérer
les orbites utiles et prévenir la formation de débris
spatiaux.
Ces opérations de retrait de service
des satellites sont aujourd’hui
conçues comme une phase de leur
vie. Elles sont gérées comme une
mission à part entière. Les opérateurs
satellites contribuent activement à la prévention
de la formation de débris spatiaux, en développant
des adaptations des charges utiles elles-mêmes, mais
aussi des commandes/contrôle et des opérations.
Pour les satellites actuellement en exploitation
sur orbite, la logique du “best effort” est appliquée
en s’accommodant du satellite tel qu’il a été conçu
par le passé et en prenant en compte son état
et ses ressources réelles. Notons que le CNES
a développé un logiciel, STELA (Semi-analyti Tool
for End of Life Analysis) qui permet, en parallèle
de la surveillance des débris spatiaux (zones de
croisement et risques de collision, durée de vie…),
de proposer des orbites de retrait de service.
(Low Earth Orbit)
Orbite basse
Desserte de la station spatiale
[de 300km à 1 000km]
SSO
(Sun Synchronous Orbit)
Orbite héliosynchrone
MEO
Observation de la Terre - Météo
[800km]
(Medium Earth Orbit)
Orbite moyenne
Constellations de satellites
Localisation - Navigation
[20 000km]
GEO
(Geostationary Earth Orbit)
Orbite haute
Télécommunications
Télévision - Météo
[36 000km]
“Symptômes” de FDV
Le principal critère et le cas le plus fréquent est l’estimation de l’épuisement
des ergols. Mais d’autres symptômes peuvent apparaître. SPOT-1 a subi une panne
de l’un de ses panneaux solaires. Dans un tel cas, l’exécution des opérations de fin
de vie peut être urgente. Pour Jason-1, il s’agissait d’une perte partielle de contact.
Le satellite est devenu muet mais pas sourd : il a donc pu exécuter tous les ordres
de passivation qui lui ont été envoyés. Il était déjà sur son orbite cimetière où
il avait été placé préventivement pour ne pas gêner son successeur. Autre
symptôme rare mais possible : la “panne” électrique. Ne pouvant plus être
alimenté, COROT n’est plus utilisable pour sa mission nominale mais des
expérimentations sont prévues avant sa désorbitation.
 En zone LEO, les satellites sont désorbités : il s’agit d’abaisser
leur orbite afin de les “laisser redescendre” en moins de 25 ans.
En traversant l’atmosphère, ils seront partiellement désintégrés.
«La désorbitation consiste en une série de manœuvres à l’apogée, le point
de l’orbite où la distance à la Terre est maximale, permettant d’abaisser
le périgée, le point le plus proche de la Terre», schématise Fernand Alby.
Les opérations sont menées jusqu’à épuisement des ergols afin
de rapprocher le satellite au plus près de la planète bleue et de sa
désintégration dans l’atmosphère. Un objet qui se trouve à 600 km
d’altitude bénéficie encore un peu de l’atmosphère résiduelle qui
suffit à le freiner et donc à le faire descendre. Ce phénomène permet
un nettoyage naturel des orbites. Le déséquilibre est créé par la
prolifération de débris, due aux explosions spontanées, comme celle
de l’étage supérieur Breeze-M du lanceur russe Proton-M en octobre
dernier, aux explosions volontaires et aux collisions.
L’objectif premier de la désorbitation est de limiter ces risques dans
les zones utiles, en libérant l’orbite. C’est dans ce but que le CNES
a mené sa première désorbitation, celle du satellite d’observation
de la Terre SPOT-1, sept ans avant que la LOS n’entre en vigueur.
Après une défaillance de son panneau solaire en 2001 et, surtout,
pour céder sa place aux autres membres de sa constellation, SPOT-1
a été désorbité le 17 novembre 2003. « A la fin des opérations
de désorbitation, son périgée se trouvait à une altitude de 580 km, soit
un abaissement de 270 km», détaille l’expert des débris spatiaux. Après
dix-sept ans de bons et loyaux services, il lui restait tout autant
à vivre, à l’issue des manœuvres d’abaissement, avant sa rentrée dans
l’atmosphère. «Si aucune opération n’était engagée, un satellite comme
SPOT-1 mettrait 200 ans à retomber. La LOS fixe une durée de vie
maximale de 25 ans», ajoute Fernand Alby.
© NASA
26/09/2008. Rentrée atmosphérique
contrôlée de l’ATV1 Jules Verne,
cargo ravitailleur européen de la Station
Spatiale Internationale (ISS).
LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013 /
17
Le CNES a mené sa toute
première ré-orbitation en 1983,
soit plus de 20 ans avant que la LOS
ne paraisse. Il s’agissait du premier satellite
de télécommunication européen Symphonie 1,
lancé en 1974 depuis Cap Canaveral, en Floride.
Lui et son compagnon de constellation Symphonie 2,
lancé et ré-orbité depuis la même base un an après,
ont été rehaussés de 60 km. Un autre exemple, celui
de Telecom 2B, témoigne de cette anticipation et des
progrès réalisés. Ce satellite de télécommunication
(civil et militaire), lancé depuis le CSG en 2004,
a été rehaussé de 185 km, une altitude très
proche de la recommandation
IADC.
 En orbite géostationnaire, on parle de ré-orbitation :
les satellites sont rehaussés sur une orbite dite “cimetière”,
la plus circulaire possible, à plus de 200 km de l’arc GEO,
au-delà de la zone protégée selon les recommandations
de l’IADC. Les durées de vie orbitale dans cette zone
sont infinies. Inertes et hors de portée, les satellites n’y sont
pour autant abandonnés. « Si, aujourd’hui, nous ne sommes
pas en capacité de les récupérer, leur mouvement reste prévisible»,
confirme Fernand Alby. S’il n’est plus opérationnel,
un satellite comme TC2C, de la constellation Telecom 2,
lancé en 1995 et ré-orbité en octobre 2009, est toujours
en vol. Après de nombreuses manœuvres entrecoupées
de calculs permettant de déterminer son orbite cimetière,
il a finalement été positionné à 575 km au-dessus de l’arc
GEO, où il se trouve toujours.
Un ATV pesant plus de 20 tonnes, il n’est pas possible
de le laisser retomber sur Terre de façon aléatoire.
Le Centre de Contrôle de Toulouse contrôle
sa désorbitation, lui commandant deux manœuvres
d’abaissement pour le faire retomber dans l’Océan
Pacifique, loin de toute zone habitée.
ASA
©N
18 / LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013
Prévenir la formation de débris
Une fois l’orbite libérée, les satellites en fin de vie vont rester en vol
pendant plusieurs années (le temps de rentrer dans l’atmosphère)
voire plusieurs siècles (en GEO). C’est pourquoi l’IADC
recommande d’épuiser toutes sources d’énergie (fluide et
électrique). L’objectif de cette phase est d’éviter l’explosion
spontanée. La chaleur du soleil sur un satellite qui contiendrait
encore des ergols peut provoquer un effet “cocotte-minute” :
les ergols se vaporisent à l’intérieur des réservoirs, augmentant
la pression, et le font exploser. Le registre américain recense
154 explosions spontanées et plus de 50 explosions volontaires.
Pour parvenir à cette passivation totale, les réservoirs sont vidangés,
les batteries déchargées et la pression abaissée au maximum.
En tête des bonnes conduites spatiales : tout engin spatial en fin de mission,
élément de lanceur ou satellite, doit être passivé.
La passivation fluidique est entamée en phase de ré-orbitation ou
de désorbitation : les manœuvres de changement d’orbite
sont poursuivies jusqu’à épuisement des réservoirs d’ergols. La
passivation électrique implique de décharger, voire déconnecter
les batteries électriques. Les générateurs solaires sont court-circuités
ou orientés à l’opposé du Soleil. Enfin, les émetteurs sont éteints.
Le satellite ne communiquera plus et ne pourra pas interférer avec
d’autres satellites. La conception de certains satellites, capables
de détecter une panne électrique, les rend plus récalcitrants à
ce type de manipulation. Il peut alors être nécessaire de détruire
l’intelligence à bord, comme cela a été fait pour la filière Myriades
en effaçant le logiciel de vol.
© CNES
Expérimenter
Avant leur réorbitation ou leur désorbitation, certains satellites
se voient offrir l’opportunité d’une seconde partie de carrière.
Cette pré-retraite expérimentale en fin de mission nominale n’est
envisageable qu’à deux conditions : « s’il reste du carburant et
à condition d’en garder suffisamment pour maîtriser sa fin de vie», précise
Fernand Alby.
Lors de la fin de mission opérationnelle de chaque satellite,
le CNES lance un appel à idées auprès de la communauté des
experts pour des expérimentations destinées à améliorer notre
connaissance du fonctionnement du satellite et de sa charge utile
dans des conditions particulières. Il peut s'agir d'opérations
mettant en œuvre le satellite complet, la Charge Utile ou
seulement la Plateforme. Chaque proposition est évaluée par
un comité Directeur selon divers critères, incluant notamment
le risque induit sur le succès de la phase de retrait de service.
C’est l’exemple de SPOT-4 dont la mission opérationnelle était
prévue fin 2012. Pendant quatre mois, il est devenu un simulateur
des séries temporelles à forte revisite que fournira la mission
Sentinel-2 de l’ESA dont le lancement est prévu en 2014
(expérimentation TAKE 5). 4
Une rentrée atmosphérique
plus rapide ?
Selon les recommandations
de l’IADC, la LOS autorise
un délai de 25 ans entre
la phase de désorbitation
et la libération de la zone
protégée de l’orbite basse.
L’avancée est déjà notable
lorsqu’il faut 200 ans à un
satellite de type SPOT pour
redescendre dans l’atmosphère. La rentrée contrôlée de l’Etage
à Propergol Stockable d’Ariane 5, utilisé pour la mise sur orbite de l’ATV,
donne l’exemple d’une désintégration quasi-immédiate à la fin de sa
mission, après rallumage de son système de propulsion. Pour les satellites
désorbités, la phase de rentrée atmosphérique n’est pas contrôlée.
Pour ce faire, il faudrait que le satellite puisse être ré-allumable (ce qui
sous-entend la présence d’ergols, et l’absence de panne) et commandable
(or les systèmes électriques sont passivés). Les satellites les plus anciens,
comme Asterix, n’ont pas de propulseur. A noter : comme l’ATV, l’EPS
d’Ariane 5 retombe au-dessus du Pacifique. Mais pas d’inquiétude pour
l’Océan : les objets présents dans l’espace, quand bien même il serait
possible de tous les faire retomber, représentent une masse très faible
de 6 000 tonnes environ.
Pour en savoir plus
Lisez les dossiers de Latitude 5 bien sûr ! N°84 sur les débris
spatiaux et N°90 sur la mise sur orbite des engins spatiaux.
LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013 /
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© ESA/ILL. DAVID DUCROS
SPOT-4 a effectué sa dernière
poussée vers la Terre le 29 juin
dernier, épuisant ainsi ce qui lui
restait d’ergols dans ses réservoirs.
Acteur
Quand TC2D
s’en va…
Claire Fremeaux (DCT/OP/MO) a accompagné de nombreux
satellites du CNES jusqu’à leur fin. Elle nous fait revivre l’un
de ces moments de vive émotion et de prouesse technique :
la ré-orbitation de Telecom 2 D.
nouvelles, comme la dépressurisation et l’extinction électrique. Pour
TC2D, nous avons opéré seize manœuvres en sept jours, à raison
de deux puis trois par jour : nous travaillions bien-sûr en horaires
décalés. Avant J0, nous sommes entraînés sur simulateur au cours
des phases de qualification, notamment avec les experts et l’industriel
(ici, Astrium). Dix jours avant la première manœuvre, le carburant
est refroidi : de l’ergol en phase vapeur se condense à l’état liquide
et devient utilisable pour les manœuvres. Pour être conforme à
la LOS, il nous fallait environ 10 kg d’ergols pour ré-orbiter TC2D.
Or, les réserves étaient évaluées à plus ou moins 10 kg. Les opérations
ont commencé lorsqu’il restait 20 kg pour être sûr d’atteindre l’orbite
minimale. Chaque poussée faisait élever le satellite de 30 km et
consommait 1 kg. Au bout de dix manœuvres, nous l’avions donc
élevé de 300 km. A partir de la onzième, nous surveillions
La première
le satellite en temps réel pour interrompre la poussée
manœuvre consiste
au premier signe de vidage : cela s’est produit au cours
à déplacer le satellite
en longitude. La deuxième
de la seizième manœuvre pour TC2D, en pleine nuit.
Lancé en 1996 pour une durée de vie prévue de 10 ans, TC2D
a été ré-orbité fin 2012. Pourquoi avoir prolongé sa mission ?
En 2006, il arrivait à la fin de ses ergols mais fonctionnait encore
très bien. Pour des raisons financières évidentes, dans ce cas, le client
essaie de prolonger sa vie au maximum. On peut économiser
des ergols en arrêtant de rectifier la latitude du satellite. En un mois,
le gain représente une année supplémentaire sur le contrôle de
sa longitude (il ne doit pas interférer avec les satellites qui
se trouvent à côté). Six mois avant la fin de mission opérationnelle
de TC2D, on a pu prolonger sa durée de vie jusqu’à 2012. La légère
oscillation Nord-Sud ainsi générée ne permet plus d’assurer
certaines missions, comme la télévision directe pour les particuliers.
Mais les missions de télécommunications qui utilisent des
antennes de poursuite peuvent être prolongées.
Quand et comment a-t-on décidé de sa FDV ?
Principalement en fonction des ergols restant, dont
un suivi régulier est assuré. La date précise des est donc critique tant que
l’orbite n’est pas circularisée.
opérations est décidée environ un an avant en accord Le satellite entre dans Puis vient la passivation…
avec le client. On commence à élaborer un échéancier
A commencer par la dépressurisation. Nous avions
les fenêtres de ses
voisins, notamment
des manœuvres et à dimensionner leur nombre, leur
calculé qu’elle devait s’opérer de nuit. Nous avons
ici, Eutelsat.
durée, mais aussi la disponibilité du réseau de stations
décidé de laisser passer 24h, histoire de récupérer un peu
de contrôle et celle des équipes. Plusieurs contraintes sont
de sommeil. Pour dépressuriser, on met le satellite en mode
à respecter avant de déterminer une date : en période d’éclipse, survie puis on pousse dans une direction opposée au Soleil. Lors
le satellite n’aurait pas assez d’énergie. Si la Lune ou le Soleil des opérations de FDV précédentes, cette phase avait duré entre
se trouvaient derrière la Terre, les senseurs, les “yeux” du satellite, 6 et 12 h, avec plusieurs réajustements de la commande d’ouverture
qui lui permettent de s’orienter, seraient “éblouis”, etc. Pour TC2D, des tuyères, lorsque le satellite se dépointait du Soleil. Pour TC2D,
le démarrage des opérations initialement prévu le 15 octobre a été ce fut la surprise : très peu de perturbation. Le satellite était stable,
reporté de trois semaines, les équipes étant mobilisées sur le tir sa vitesse de roulis aussi. Mais la pression diminuait très doucement.
de Galileo.
L’opération a duré presque trois jours.
Comment se sont passées les deux semaines d’au revoir ?
La première manœuvre consiste à déplacer le satellite en longitude.
La deuxième est donc critique tant que l’orbite n’est pas circularisée.
Le satellite entre dans les fenêtres de ses voisins, notamment ici,
EUTELSAT.
Les manœuvres de ré-orbitation sont similaires aux corrections
orbitales effectuées pendant la durée de vie du satellite, mais plus
fréquentes et plus fortes. D’autres opérations sont complètement
20 / LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013
Et finalement, l’adieu.
Pour la fin, tout le monde revient. Le moment où l’on envoie
la dernière télécommande est très émouvant. Puis vient la révélation
des gagnants de nos petits “paris” : qui était tombé juste
sur l’altitude atteinte, le nombre de manœuvres, … ! De quoi clore
sur une note joviale cette expérience intense, fatigante mais
passionnante, réunissant de nombreux anciens et vécue dans
une cohésion totale entre CNES et industriels. 4
© CNES/CYRILLE DUPONT 2006
Rencontre
Ménage orbital
Christophe Bonnal (DLA/SDT) est expert sénior des systèmes
de transports spatiaux et président de la commission débris
de l’Académie Internationale d’Astronautique (IAA). Regard
sur le risque de prolifération de débris spatiaux, l’une
des raisons qui font de la gestion de la FDV des satellites
un enjeu international.
Quel est le rôle du groupe de travail Règlementation de l’IADC
dont vous faites partie ?
En 2002, les membres de l’IADC ont approuvé à l’unanimité
des lignes directrices : tu n’exploseras point (passivation obligatoire
des satellites), tu ne relâcheras point un objet en orbite
volontairement, tu ne laisseras pas un objet abandonné plus de
25 ans dans la zone protégée de la LEO et de la GEO. Ces règles
sont édictées par des experts qui n’ont aucun pouvoir d’action pour
faire respecter ces recommandations. Notre objectif est de
transformer ces guidelines en standards ainsi qu’en lois internationales
et nationales. La plupart des agences spatiales les ont déclinées
en “codes de bonne conduite”. La France est la première, et la seule,
à en avoir fait une loi. Le CNES était déjà en avance avec
l’élaboration d’un standard en 1999. Un premier pas a été franchi
en 2007 lorsque les Nations Unies ont approuvé ces guidelines, car
elles peuvent agir. Nous travaillons depuis dix ans sur l’élaboration
de standards, comme les normes ISO, pour faire de ces guidelines
des exigences auxquelles les constructeurs ne pourraient pas couper.
La situation sur orbites LEO et GEO est-elle vraiment critique ?
Jusqu’en 2007, on a vu évoluer progressivement le nombre d’objets
dans l’espace. On comptabilisait alors 200 nouveaux objets par an.
L’année 2007 marque un tournant : les Chinois détruisent un
de leur satellite, Feng Yung 1C. Une démonstration technologique
remarquable… mais tragique puisqu’elle a généré un nuage de 3 000
débris de plus de 10 cm (qui sont encore en vol) et ce dans le pire
endroit possible : à environ 800 km d’altitude, l’orbite des SPOT
et de la plupart des satellites d’observation de la Terre. En 2009,
un deuxième événement aggrave la situation en LEO, déjà très
encombrée par les résidus de la Guerre Froide : la collision entre
le satellite russe Cosmos-2251 et le satellite américain de
télécommunication Iridium 33. Conséquence : 2 000 gros débris.
Au total, sur cette période, cela équivaut à une augmentation
de 1 000 nouveaux débris par an.
On voit des progrès en GEO où le principal enjeu est la gestion du
trafic orbital. En LEO, ce qu’il faut craindre, c’est un déséquilibre
entre la part de nettoyage naturel de l’atmosphère et l’augmentation
des débris. Car l’orbite basse est encombrée de ces objets envoyés
dans les années 70 et morts depuis 40 ans, qui font augmenter
le risque de collision. Risque ultime : le syndrome Kessler.
Et si on récupérait ces satellites “morts” ? Où en sont les études
sur le sujet ?
La priorité principale, au niveau international, est la consolidation
de l’évaluation de la population orbitale à long terme. S’il s’avérait
qu’un risque d’emballement était à craindre, il faudrait envisager
d’aller rechercher de gros débris orbitaux pour les désorbiter. Cette
démarche, appelée ADR (Active Debris Removal) fait partie
des solutions étudiées par la communauté internationale. Sur
le sujet, le CNES travaille avec des industriels comme Astrium,
Thales, Bertin Technologies. Les difficultés associées ne sont pas
que techniques, mais nécessitent aussi l’élaboration d’un cadre
juridique. L’idée d’un “chasseur” multi-cible apparaît comme la
solution la moins onéreuse. D’un point de vue technique, nous ne
maîtrisons pas encore toutes les phases de ce type d’opération. Nous
savons faire un rendez-vous lointain entre deux objets, comme c’est
le cas entre l’ATV et l’ISS. Ce qui pose problème, c’est précisément
le rapprochement de deux objets non-coopératifs : le satellite “mort”
ne communique pas, se déplace et n’a pas de possibilité d’accostage
prévue. De très nombreux travaux dans le Monde sont en cours :
un grappin, une pince, un système de harpon… La NASA a déjà fait
des expériences en vol et les allemands ont développé le programme
DEOS (démonstrations de technologies d’élimination contrôlée,
en orbite, d’un satellite défectueux). L’ESA, qui a développé un
système de filet, a fait un grand pas en avant avec son programme
CleanSpace, qui englobe le processus ADR. Ils ont réalisé trois
études industrielles et démarrent deux phases A sur 14 mois auprès
de deux industriels. Cela signifie qu’ils ont déjà lancé les appels
d’offres pour la désorbitation d’un gros satellite scientifique
de l’ESA en 2021. 4
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