Dossier Dossier préparé par Typhanie Bouju et Karol Barthelemy © TASS Sur orbite… Après plus de onze années d’observation des océans, le satellite JASON-1 a rendu son tablier le 1er juillet dernier. Quelques jours plus tôt, SPOT-4 échangeait ses dernières informations avec la Terre. Une retraite bien méritée après avoir survécu trois fois plus longtemps que prévu. En juin dernier, utilisant ses derniers litres d’hélium, le téléscope spatial européen HERSCHEL rejoignait son orbite cimetière, autour du Soleil. Ce ne sont que trois des plus récentes opérations de fin de vie dont l’Espace a été témoin. Depuis 1957, plus de 7000 satellites ont rejoint Spoutnik, le premier à graviter autour de la Terre. 800 sont encore en activité, dont 70 français… et les autres, que sont-ils devenus ? Depuis, la parution de la Loi sur les Opérations Spatiales (LOS) donne en France un cadre réglementaire strict aux opérations de contrôle de la fin de vie des systèmes orbitaux. Focus sur les satellites du CNES mis à la retraite. NIK SPOUT Photo de fonds : l’arche de la Voie Lactée au-dessus du VLT (Very Large Telescope) de l’Observatoire Européen Austral (ESO) au Cerro Paranal (Chili). 14 / LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013 © ESA L’anneau clairement formé par les satellites sur orbite autour de notre planète est une zone déclarée protégée pour limiter le nombre de satellites “morts”. et après ? Satellite inactif = débris spatial pas la capacité technique d’identifier et de suivre la trajectoire des débris inférieurs à 10 cm. C’est pourquoi ils ne sont pas catalogués. Si nous avions la possibilité de les repérer, nous le ferions puisque l’on sait qu’un objet de quelques centimètres à peine peut détruire ou faire disparaître un autre objet», précise Fernand Alby, chargé de mission des débris spatiaux au CNES Toulouse (DCT/DA). Au 26 juin 2013, le registre national des objets français dans l'espace contenait 120 satellites (dont 70 opérationnels) et 191 étages ou éléments de lanceurs. «Le catalogue américain contient 286 débris attribués à la France », ajoute très précisément l’expert. Une part bien mince si on la compare aux nations spatiales historiques que sont les Etats-Unis et la Russie, engagées dans la course aux orbites une décennie avant la France. 1 © ESO/H H HEYER De l’eau a coulé sous les ponts depuis Astérix, le premier satellite français mis sur orbite autour de la Terre. Il quittait le plancher d’Hammaguir en 1969. Il lui faudra encore plusieurs siècles avant de plonger dans l’atmosphère et s’y désintégrer. Depuis, la circulation sur les orbites terrestres s’est densifiée et les agences spatiales du monde entier se sont accordées, en 2002, sur un code de conduite à tenir face à cet encombrement. D’après les radars et télescopes au sol de l’USSTRATCOM1, l’entité américaine en charge de la surveillance de l’Espace, 22 000 objets d’une taille supérieure à 10 cm gravitent hasardeusement autour de la Terre et 15 000 sont référencés dans le catalogue public. Les débris de taille inférieure ne sont pas catalogués mais ils sont estimés à plus de 200 000 entre 1 et 10 cm. «Les radars qui surveillent ces débris n’ont United States Strategic Command LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013 / 15 © S. QUARTARARO 2 de responsabilité pour les dommages causés par des objets spatiaux. En 1993, naissait l’IADC, la communauté internationale de gestion des débris spatiaux. Parmi les membres : le CNES et l’ESA, mais aussi leurs homologues italiens, britanniques, chinois, allemands, indiens, japonais, américains, canadiens, ukrainiens et russes. Tous se sont accordés, en 2002, sur un ensemble de règles de base visant à conserver les orbites terrestres “propres”, notamment les zones dites d’intérêt pour les applications et missions spatiales. C’est ce que l’on appelle les zones protégées. “ 22 000 objets d’une taille supérieure à 10 cm gravitent hasardeusement autour de la Terre” L’orbite basse (ou zone LEO, pour Low Earth Orbit) est l’une d’entre elles. C’est là, sous les 2 000 km d’altitude de la Terre, que sont placés les satellites d’observation de la Terre, ainsi que l’ISS (400 km). C’est là également que les débris spatiaux sont les plus nombreux. Seconde zone protégée, l’orbite géostationnaire (ou zone GEO, pour Geostationary Earth Orbit) qui accueille les satellites de télécommunications. Elle se situe à environ 35 785 km. © S. QUARTARARO © CNES/EMMANUEL GRIMAULT/2009 Sous le terme débris, se cachent plusieurs types d’objets. « Il peut s’agir d’un objet intègre qui a Fernand Alby, été abandonné, comme un chargé de mission satellite, de débris résultant des débris spatiaux au CNES d’une explosion, d’une collision, d’une fragmentation ou encore d’objets libérés », décrit le spécialiste. Parmi les objets catalogués, 6% sont des satellites en fonction et 22% sont des satellites abandonnés. Risques majeurs : la collision d’un débris avec des satellites actifs qui aurait pour conséquence la destruction de l’objet mais aussi l’apparition de nouveaux débris. «Si le risque de collision existe, nous sommes encore loin d’atteindre la saturation des orbites, relativise Fernand Alby. En orbite basse, à environ 800 km d’altitude, le nombre de débris va continuer à augmenter. L’IADC 2 (groupement des agences spatiales internationales en charge de la question des débris spatiaux) estime que dans cette zone, la population satellitaire augmentera de 30% d’ici 200 ans si les mesures de fin de vie préconisées sont correctement appliquées». Si on est “propre”, la problématique de ne plus pouvoir traverser l’orbite basse ou y résider ne se posera donc pas pour les deux prochains siècles. « En GEO, poursuit-il, le risque d’atteindre le syndrome Kessler (voir ci-dessous) est encore plus faible, voire nul». Inter-Agency Space Debris Coordination Le syndrome Kessler Ou la théorie d’un scénario catastrophe, celui d’une réaction en chaîne de collisions. L’ingénieur de la NASA Donald Kessler avait imaginé, et ce dès 1978, qu’une collision entre débris pouvait entraîner la fragmentation de ces derniers et donc de nouveaux risques de collisions. Résultat : les orbites les plus fréquentées deviendraient inaccessibles à plusieurs générations de satellites artificiels. Orbites protégées Prévenir la formation de débris spatiaux passe par une meilleure “maîtrise” des charges utiles et des lanceurs en Fin De Vie (FDV), comme le stipule la Loi relatives aux Opérations Spatiales (LOS), entrée en vigueur en 2010. Si la parution de ce texte peut paraître tardive, la prise de conscience remonte aux années 1960 et dépasse les frontières de l’Europe. Deux ans à peine après la toute première mise sur orbite d’un satellite artificiel, les Nations Unies créaient un comité pour l’utilisation pacifique de l’espace extraatmosphérique. Plus tard, en 1972, se dessinait l’ébauche des premières lignes directrices du code de conduite actuellement suivi par la communauté internationale, et dont découlent les législations nationales comme la LOS : l’ONU faisait naître la notion 16 / LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013 Entre les deux, les orbites moyennes sont à la fois moins encombrées par les débris spatiaux et moins utilisées. Seuls y naviguent les satellites de positionnement, notamment des systèmes russe (GLONASS), américain (GPS) et européen (GALILEO). LEO Libérer les orbites Maîtriser la fin de vie d’un satellite, « cela signifie le transférer sur son orbite de fin de vie, ou le faire rentrer dans l’atmosphère, et le passiver pour éviter tout risque d’explosion », résume Fernand Alby. En clair : on désorbite ou on réorbite. Objectif : libérer les orbites utiles et prévenir la formation de débris spatiaux. Ces opérations de retrait de service des satellites sont aujourd’hui conçues comme une phase de leur vie. Elles sont gérées comme une mission à part entière. Les opérateurs satellites contribuent activement à la prévention de la formation de débris spatiaux, en développant des adaptations des charges utiles elles-mêmes, mais aussi des commandes/contrôle et des opérations. Pour les satellites actuellement en exploitation sur orbite, la logique du “best effort” est appliquée en s’accommodant du satellite tel qu’il a été conçu par le passé et en prenant en compte son état et ses ressources réelles. Notons que le CNES a développé un logiciel, STELA (Semi-analyti Tool for End of Life Analysis) qui permet, en parallèle de la surveillance des débris spatiaux (zones de croisement et risques de collision, durée de vie…), de proposer des orbites de retrait de service. (Low Earth Orbit) Orbite basse Desserte de la station spatiale [de 300km à 1 000km] SSO (Sun Synchronous Orbit) Orbite héliosynchrone MEO Observation de la Terre - Météo [800km] (Medium Earth Orbit) Orbite moyenne Constellations de satellites Localisation - Navigation [20 000km] GEO (Geostationary Earth Orbit) Orbite haute Télécommunications Télévision - Météo [36 000km] “Symptômes” de FDV Le principal critère et le cas le plus fréquent est l’estimation de l’épuisement des ergols. Mais d’autres symptômes peuvent apparaître. SPOT-1 a subi une panne de l’un de ses panneaux solaires. Dans un tel cas, l’exécution des opérations de fin de vie peut être urgente. Pour Jason-1, il s’agissait d’une perte partielle de contact. Le satellite est devenu muet mais pas sourd : il a donc pu exécuter tous les ordres de passivation qui lui ont été envoyés. Il était déjà sur son orbite cimetière où il avait été placé préventivement pour ne pas gêner son successeur. Autre symptôme rare mais possible : la “panne” électrique. Ne pouvant plus être alimenté, COROT n’est plus utilisable pour sa mission nominale mais des expérimentations sont prévues avant sa désorbitation. En zone LEO, les satellites sont désorbités : il s’agit d’abaisser leur orbite afin de les “laisser redescendre” en moins de 25 ans. En traversant l’atmosphère, ils seront partiellement désintégrés. «La désorbitation consiste en une série de manœuvres à l’apogée, le point de l’orbite où la distance à la Terre est maximale, permettant d’abaisser le périgée, le point le plus proche de la Terre», schématise Fernand Alby. Les opérations sont menées jusqu’à épuisement des ergols afin de rapprocher le satellite au plus près de la planète bleue et de sa désintégration dans l’atmosphère. Un objet qui se trouve à 600 km d’altitude bénéficie encore un peu de l’atmosphère résiduelle qui suffit à le freiner et donc à le faire descendre. Ce phénomène permet un nettoyage naturel des orbites. Le déséquilibre est créé par la prolifération de débris, due aux explosions spontanées, comme celle de l’étage supérieur Breeze-M du lanceur russe Proton-M en octobre dernier, aux explosions volontaires et aux collisions. L’objectif premier de la désorbitation est de limiter ces risques dans les zones utiles, en libérant l’orbite. C’est dans ce but que le CNES a mené sa première désorbitation, celle du satellite d’observation de la Terre SPOT-1, sept ans avant que la LOS n’entre en vigueur. Après une défaillance de son panneau solaire en 2001 et, surtout, pour céder sa place aux autres membres de sa constellation, SPOT-1 a été désorbité le 17 novembre 2003. « A la fin des opérations de désorbitation, son périgée se trouvait à une altitude de 580 km, soit un abaissement de 270 km», détaille l’expert des débris spatiaux. Après dix-sept ans de bons et loyaux services, il lui restait tout autant à vivre, à l’issue des manœuvres d’abaissement, avant sa rentrée dans l’atmosphère. «Si aucune opération n’était engagée, un satellite comme SPOT-1 mettrait 200 ans à retomber. La LOS fixe une durée de vie maximale de 25 ans», ajoute Fernand Alby. © NASA 26/09/2008. Rentrée atmosphérique contrôlée de l’ATV1 Jules Verne, cargo ravitailleur européen de la Station Spatiale Internationale (ISS). LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013 / 17 Le CNES a mené sa toute première ré-orbitation en 1983, soit plus de 20 ans avant que la LOS ne paraisse. Il s’agissait du premier satellite de télécommunication européen Symphonie 1, lancé en 1974 depuis Cap Canaveral, en Floride. Lui et son compagnon de constellation Symphonie 2, lancé et ré-orbité depuis la même base un an après, ont été rehaussés de 60 km. Un autre exemple, celui de Telecom 2B, témoigne de cette anticipation et des progrès réalisés. Ce satellite de télécommunication (civil et militaire), lancé depuis le CSG en 2004, a été rehaussé de 185 km, une altitude très proche de la recommandation IADC. En orbite géostationnaire, on parle de ré-orbitation : les satellites sont rehaussés sur une orbite dite “cimetière”, la plus circulaire possible, à plus de 200 km de l’arc GEO, au-delà de la zone protégée selon les recommandations de l’IADC. Les durées de vie orbitale dans cette zone sont infinies. Inertes et hors de portée, les satellites n’y sont pour autant abandonnés. « Si, aujourd’hui, nous ne sommes pas en capacité de les récupérer, leur mouvement reste prévisible», confirme Fernand Alby. S’il n’est plus opérationnel, un satellite comme TC2C, de la constellation Telecom 2, lancé en 1995 et ré-orbité en octobre 2009, est toujours en vol. Après de nombreuses manœuvres entrecoupées de calculs permettant de déterminer son orbite cimetière, il a finalement été positionné à 575 km au-dessus de l’arc GEO, où il se trouve toujours. Un ATV pesant plus de 20 tonnes, il n’est pas possible de le laisser retomber sur Terre de façon aléatoire. Le Centre de Contrôle de Toulouse contrôle sa désorbitation, lui commandant deux manœuvres d’abaissement pour le faire retomber dans l’Océan Pacifique, loin de toute zone habitée. ASA ©N 18 / LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013 Prévenir la formation de débris Une fois l’orbite libérée, les satellites en fin de vie vont rester en vol pendant plusieurs années (le temps de rentrer dans l’atmosphère) voire plusieurs siècles (en GEO). C’est pourquoi l’IADC recommande d’épuiser toutes sources d’énergie (fluide et électrique). L’objectif de cette phase est d’éviter l’explosion spontanée. La chaleur du soleil sur un satellite qui contiendrait encore des ergols peut provoquer un effet “cocotte-minute” : les ergols se vaporisent à l’intérieur des réservoirs, augmentant la pression, et le font exploser. Le registre américain recense 154 explosions spontanées et plus de 50 explosions volontaires. Pour parvenir à cette passivation totale, les réservoirs sont vidangés, les batteries déchargées et la pression abaissée au maximum. En tête des bonnes conduites spatiales : tout engin spatial en fin de mission, élément de lanceur ou satellite, doit être passivé. La passivation fluidique est entamée en phase de ré-orbitation ou de désorbitation : les manœuvres de changement d’orbite sont poursuivies jusqu’à épuisement des réservoirs d’ergols. La passivation électrique implique de décharger, voire déconnecter les batteries électriques. Les générateurs solaires sont court-circuités ou orientés à l’opposé du Soleil. Enfin, les émetteurs sont éteints. Le satellite ne communiquera plus et ne pourra pas interférer avec d’autres satellites. La conception de certains satellites, capables de détecter une panne électrique, les rend plus récalcitrants à ce type de manipulation. Il peut alors être nécessaire de détruire l’intelligence à bord, comme cela a été fait pour la filière Myriades en effaçant le logiciel de vol. © CNES Expérimenter Avant leur réorbitation ou leur désorbitation, certains satellites se voient offrir l’opportunité d’une seconde partie de carrière. Cette pré-retraite expérimentale en fin de mission nominale n’est envisageable qu’à deux conditions : « s’il reste du carburant et à condition d’en garder suffisamment pour maîtriser sa fin de vie», précise Fernand Alby. Lors de la fin de mission opérationnelle de chaque satellite, le CNES lance un appel à idées auprès de la communauté des experts pour des expérimentations destinées à améliorer notre connaissance du fonctionnement du satellite et de sa charge utile dans des conditions particulières. Il peut s'agir d'opérations mettant en œuvre le satellite complet, la Charge Utile ou seulement la Plateforme. Chaque proposition est évaluée par un comité Directeur selon divers critères, incluant notamment le risque induit sur le succès de la phase de retrait de service. C’est l’exemple de SPOT-4 dont la mission opérationnelle était prévue fin 2012. Pendant quatre mois, il est devenu un simulateur des séries temporelles à forte revisite que fournira la mission Sentinel-2 de l’ESA dont le lancement est prévu en 2014 (expérimentation TAKE 5). 4 Une rentrée atmosphérique plus rapide ? Selon les recommandations de l’IADC, la LOS autorise un délai de 25 ans entre la phase de désorbitation et la libération de la zone protégée de l’orbite basse. L’avancée est déjà notable lorsqu’il faut 200 ans à un satellite de type SPOT pour redescendre dans l’atmosphère. La rentrée contrôlée de l’Etage à Propergol Stockable d’Ariane 5, utilisé pour la mise sur orbite de l’ATV, donne l’exemple d’une désintégration quasi-immédiate à la fin de sa mission, après rallumage de son système de propulsion. Pour les satellites désorbités, la phase de rentrée atmosphérique n’est pas contrôlée. Pour ce faire, il faudrait que le satellite puisse être ré-allumable (ce qui sous-entend la présence d’ergols, et l’absence de panne) et commandable (or les systèmes électriques sont passivés). Les satellites les plus anciens, comme Asterix, n’ont pas de propulseur. A noter : comme l’ATV, l’EPS d’Ariane 5 retombe au-dessus du Pacifique. Mais pas d’inquiétude pour l’Océan : les objets présents dans l’espace, quand bien même il serait possible de tous les faire retomber, représentent une masse très faible de 6 000 tonnes environ. Pour en savoir plus Lisez les dossiers de Latitude 5 bien sûr ! N°84 sur les débris spatiaux et N°90 sur la mise sur orbite des engins spatiaux. LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013 / 19 © ESA/ILL. DAVID DUCROS SPOT-4 a effectué sa dernière poussée vers la Terre le 29 juin dernier, épuisant ainsi ce qui lui restait d’ergols dans ses réservoirs. Acteur Quand TC2D s’en va… Claire Fremeaux (DCT/OP/MO) a accompagné de nombreux satellites du CNES jusqu’à leur fin. Elle nous fait revivre l’un de ces moments de vive émotion et de prouesse technique : la ré-orbitation de Telecom 2 D. nouvelles, comme la dépressurisation et l’extinction électrique. Pour TC2D, nous avons opéré seize manœuvres en sept jours, à raison de deux puis trois par jour : nous travaillions bien-sûr en horaires décalés. Avant J0, nous sommes entraînés sur simulateur au cours des phases de qualification, notamment avec les experts et l’industriel (ici, Astrium). Dix jours avant la première manœuvre, le carburant est refroidi : de l’ergol en phase vapeur se condense à l’état liquide et devient utilisable pour les manœuvres. Pour être conforme à la LOS, il nous fallait environ 10 kg d’ergols pour ré-orbiter TC2D. Or, les réserves étaient évaluées à plus ou moins 10 kg. Les opérations ont commencé lorsqu’il restait 20 kg pour être sûr d’atteindre l’orbite minimale. Chaque poussée faisait élever le satellite de 30 km et consommait 1 kg. Au bout de dix manœuvres, nous l’avions donc élevé de 300 km. A partir de la onzième, nous surveillions La première le satellite en temps réel pour interrompre la poussée manœuvre consiste au premier signe de vidage : cela s’est produit au cours à déplacer le satellite en longitude. La deuxième de la seizième manœuvre pour TC2D, en pleine nuit. Lancé en 1996 pour une durée de vie prévue de 10 ans, TC2D a été ré-orbité fin 2012. Pourquoi avoir prolongé sa mission ? En 2006, il arrivait à la fin de ses ergols mais fonctionnait encore très bien. Pour des raisons financières évidentes, dans ce cas, le client essaie de prolonger sa vie au maximum. On peut économiser des ergols en arrêtant de rectifier la latitude du satellite. En un mois, le gain représente une année supplémentaire sur le contrôle de sa longitude (il ne doit pas interférer avec les satellites qui se trouvent à côté). Six mois avant la fin de mission opérationnelle de TC2D, on a pu prolonger sa durée de vie jusqu’à 2012. La légère oscillation Nord-Sud ainsi générée ne permet plus d’assurer certaines missions, comme la télévision directe pour les particuliers. Mais les missions de télécommunications qui utilisent des antennes de poursuite peuvent être prolongées. Quand et comment a-t-on décidé de sa FDV ? Principalement en fonction des ergols restant, dont un suivi régulier est assuré. La date précise des est donc critique tant que l’orbite n’est pas circularisée. opérations est décidée environ un an avant en accord Le satellite entre dans Puis vient la passivation… avec le client. On commence à élaborer un échéancier A commencer par la dépressurisation. Nous avions les fenêtres de ses voisins, notamment des manœuvres et à dimensionner leur nombre, leur calculé qu’elle devait s’opérer de nuit. Nous avons ici, Eutelsat. durée, mais aussi la disponibilité du réseau de stations décidé de laisser passer 24h, histoire de récupérer un peu de contrôle et celle des équipes. Plusieurs contraintes sont de sommeil. Pour dépressuriser, on met le satellite en mode à respecter avant de déterminer une date : en période d’éclipse, survie puis on pousse dans une direction opposée au Soleil. Lors le satellite n’aurait pas assez d’énergie. Si la Lune ou le Soleil des opérations de FDV précédentes, cette phase avait duré entre se trouvaient derrière la Terre, les senseurs, les “yeux” du satellite, 6 et 12 h, avec plusieurs réajustements de la commande d’ouverture qui lui permettent de s’orienter, seraient “éblouis”, etc. Pour TC2D, des tuyères, lorsque le satellite se dépointait du Soleil. Pour TC2D, le démarrage des opérations initialement prévu le 15 octobre a été ce fut la surprise : très peu de perturbation. Le satellite était stable, reporté de trois semaines, les équipes étant mobilisées sur le tir sa vitesse de roulis aussi. Mais la pression diminuait très doucement. de Galileo. L’opération a duré presque trois jours. Comment se sont passées les deux semaines d’au revoir ? La première manœuvre consiste à déplacer le satellite en longitude. La deuxième est donc critique tant que l’orbite n’est pas circularisée. Le satellite entre dans les fenêtres de ses voisins, notamment ici, EUTELSAT. Les manœuvres de ré-orbitation sont similaires aux corrections orbitales effectuées pendant la durée de vie du satellite, mais plus fréquentes et plus fortes. D’autres opérations sont complètement 20 / LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013 Et finalement, l’adieu. Pour la fin, tout le monde revient. Le moment où l’on envoie la dernière télécommande est très émouvant. Puis vient la révélation des gagnants de nos petits “paris” : qui était tombé juste sur l’altitude atteinte, le nombre de manœuvres, … ! De quoi clore sur une note joviale cette expérience intense, fatigante mais passionnante, réunissant de nombreux anciens et vécue dans une cohésion totale entre CNES et industriels. 4 © CNES/CYRILLE DUPONT 2006 Rencontre Ménage orbital Christophe Bonnal (DLA/SDT) est expert sénior des systèmes de transports spatiaux et président de la commission débris de l’Académie Internationale d’Astronautique (IAA). Regard sur le risque de prolifération de débris spatiaux, l’une des raisons qui font de la gestion de la FDV des satellites un enjeu international. Quel est le rôle du groupe de travail Règlementation de l’IADC dont vous faites partie ? En 2002, les membres de l’IADC ont approuvé à l’unanimité des lignes directrices : tu n’exploseras point (passivation obligatoire des satellites), tu ne relâcheras point un objet en orbite volontairement, tu ne laisseras pas un objet abandonné plus de 25 ans dans la zone protégée de la LEO et de la GEO. Ces règles sont édictées par des experts qui n’ont aucun pouvoir d’action pour faire respecter ces recommandations. Notre objectif est de transformer ces guidelines en standards ainsi qu’en lois internationales et nationales. La plupart des agences spatiales les ont déclinées en “codes de bonne conduite”. La France est la première, et la seule, à en avoir fait une loi. Le CNES était déjà en avance avec l’élaboration d’un standard en 1999. Un premier pas a été franchi en 2007 lorsque les Nations Unies ont approuvé ces guidelines, car elles peuvent agir. Nous travaillons depuis dix ans sur l’élaboration de standards, comme les normes ISO, pour faire de ces guidelines des exigences auxquelles les constructeurs ne pourraient pas couper. La situation sur orbites LEO et GEO est-elle vraiment critique ? Jusqu’en 2007, on a vu évoluer progressivement le nombre d’objets dans l’espace. On comptabilisait alors 200 nouveaux objets par an. L’année 2007 marque un tournant : les Chinois détruisent un de leur satellite, Feng Yung 1C. Une démonstration technologique remarquable… mais tragique puisqu’elle a généré un nuage de 3 000 débris de plus de 10 cm (qui sont encore en vol) et ce dans le pire endroit possible : à environ 800 km d’altitude, l’orbite des SPOT et de la plupart des satellites d’observation de la Terre. En 2009, un deuxième événement aggrave la situation en LEO, déjà très encombrée par les résidus de la Guerre Froide : la collision entre le satellite russe Cosmos-2251 et le satellite américain de télécommunication Iridium 33. Conséquence : 2 000 gros débris. Au total, sur cette période, cela équivaut à une augmentation de 1 000 nouveaux débris par an. On voit des progrès en GEO où le principal enjeu est la gestion du trafic orbital. En LEO, ce qu’il faut craindre, c’est un déséquilibre entre la part de nettoyage naturel de l’atmosphère et l’augmentation des débris. Car l’orbite basse est encombrée de ces objets envoyés dans les années 70 et morts depuis 40 ans, qui font augmenter le risque de collision. Risque ultime : le syndrome Kessler. Et si on récupérait ces satellites “morts” ? Où en sont les études sur le sujet ? La priorité principale, au niveau international, est la consolidation de l’évaluation de la population orbitale à long terme. S’il s’avérait qu’un risque d’emballement était à craindre, il faudrait envisager d’aller rechercher de gros débris orbitaux pour les désorbiter. Cette démarche, appelée ADR (Active Debris Removal) fait partie des solutions étudiées par la communauté internationale. Sur le sujet, le CNES travaille avec des industriels comme Astrium, Thales, Bertin Technologies. Les difficultés associées ne sont pas que techniques, mais nécessitent aussi l’élaboration d’un cadre juridique. L’idée d’un “chasseur” multi-cible apparaît comme la solution la moins onéreuse. D’un point de vue technique, nous ne maîtrisons pas encore toutes les phases de ce type d’opération. Nous savons faire un rendez-vous lointain entre deux objets, comme c’est le cas entre l’ATV et l’ISS. Ce qui pose problème, c’est précisément le rapprochement de deux objets non-coopératifs : le satellite “mort” ne communique pas, se déplace et n’a pas de possibilité d’accostage prévue. De très nombreux travaux dans le Monde sont en cours : un grappin, une pince, un système de harpon… La NASA a déjà fait des expériences en vol et les allemands ont développé le programme DEOS (démonstrations de technologies d’élimination contrôlée, en orbite, d’un satellite défectueux). L’ESA, qui a développé un système de filet, a fait un grand pas en avant avec son programme CleanSpace, qui englobe le processus ADR. Ils ont réalisé trois études industrielles et démarrent deux phases A sur 14 mois auprès de deux industriels. Cela signifie qu’ils ont déjà lancé les appels d’offres pour la désorbitation d’un gros satellite scientifique de l’ESA en 2021. 4 LATITUDE 5 / N°102 / OCTOBRE 2013 / 21