Don Juan disparaît aux Enfers : « Mes gages ! Mes gages ! ». Sganarelle n’existe que par sa
relation au maître.
B. La dimension triviale et comique des valets.
Les valets de comédie se caractérisent par un parler populaire (emploi de jurons,
notamment chez Marivaux, de patois dans Dom Juan). D’ailleurs, lorsqu’ils sont déguisés en
maîtres, les valets de L’Ile des esclaves de Marivaux se trahissent par leur manière de
s’exprimer, qui demeure familière et populaire. Alors qu’ils se sont s’emparés du rôle et du
statut des maîtres, non seulement ils persistent à parler comme les valets qu’ils ne cessent
d’être, mais en outre, ils manifestent leur profonde incompréhension du langage châtié des
maître qu’ils tentent en vain d’imiter.
Les valets sont également triviaux car ils incarnent la vie du corps : ils aiment boire,
dormir, manger, vivre des plaisirs physiques : ce sont des personnages simples, qui vivent
dans le temps présent, dans l’optimisme et dans le bon sens. Dans la pièce de Marivaux, Le
Jeu de l’Amour et Hasard on observe des effets de symétrie et de contraste dans les scènes où
interviennent les maîtres et celles où interviennent les valets : au couple d’amoureux des
maîtres, grave et parfois poignant, s’oppose le couple de valets, toujours drôle et un peu
ridicule. A la scène de révélation franchement comique où les valets amoureux font tomber
leur masque et se révèlent l’un à l’autre, dans la bonne humeur, qu’ils ne sont que des valets,
fait écho la scène grave et sérieuse dans laquelle les maîtres, également amoureux, doivent
eux-aussi, se faire reconnaître pour ce qu’ils sont réellement, c’est-à-dire des maîtres (III, 6 et
III, 8).
Le valet, est donc toujours un peu ridicule et trivial. Par exemple, Sganarelle essaie de
prendre la parole quand il est en fuite avec son maître. Il revêt alors un habit de médecin mais
cet habit qui semble l’autoriser à parler, à s’exprimer « en son nom », et l’arracher enfin à son
statut de valet (il peut enfin de lancer dans un long discours de « remontrances » face son
maître) s’avère n’être qu’un leurre, de surcroît temporaire et sans effet réel : à la fin de sa
démonstration , comme chacun sait, Sganarelle « se casse la figure » et sa tirade le ridiculise
au lieu de lui conférer l’autorité dont il était en quête (Don Juan lui dit « Voilà ton
raisonnement qui se casse la figure »). Daniel Mesguich, dans sa mise en scène de la pièce,
enfonce le clou : il revêt le comédien qui joue le rôle de Sganarelle d’un habit d’infirmière :
habit inapproprié, qui a la lettre le « travestit » et le déclasse, par rapport à son désir
d’identification au médecin, provoquant d’emblée le rire chez le spectateur. Il ne faut pas
oublier, en outre, que dans le théâtre de Molière, le médecin est un « faux savant », toujours
ridicule.
Toutefois Molière, dans Dom Juan, amorce une complexification de la problématique liée
au personnage de valet au théâtre. Molière dépasse ici, en effet, la simple dimension
comique du personnage. Sganarelle suit Dom Juan comme son ombre, jusque dans la fuite,
forcé d’épouser un destin qui n’est pas le sien et que, de surcroît il réprouve. Il va même
jusqu’à employer le pronom personnel « nous », lorsqu’il rapporte les paroles de son maître,
faisant ainsi siennes les paroles de celui qu’il condamne en son for intérieur : « Nous nous
moquons bien du Ciel, nous autres » s’écrie Sganarelle le pieux, réduit ici à être « la voix de
son maître » dans la profération de l’impiété de ce dernier. « Tel maître, tel valet » :
Sganarelle est comme l’âme damnée de Dom Juan, un double malgré lui. Que Sganarelle
renonce à son « être », qu’il fasse siennes des paroles qu’il réprouve, dans une pièce dans
laquelle le Ciel et l’Enfer sont omniprésents ne peut conduire au comique ( sous-titre de la
pièce : L’Athée foudroyé ). Une gravité sous-jacente s’insinue dans cette comédie, dans
laquelle, soit dit en passant le personnage principal est un parjure, et dont le dénouement va
encore plus loin que la mort (les Enfers).