1 Les rapports maîtres et valets dans le théâtre Le couple maître

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Les rapports maîtres et valets dans le théâtre
Le couple maître/valet est présent au théâtre depuis l’Antiquité, notamment dans la
comédie. Dans la tragédie, ce couple est souvent remplacé par le couple confident-nourrice-
précepteur / maître- maîtresse.
Ce couple maître-valet constitue donc un topos du théâtre : les figures et les rapports que
celles-ci entretiennent entre elles sont codifiés par l’histoire littéraire.
Le couple maître-valet met en scène des rapports de pouvoir : la subordination du valet
au maître, ou, au contraire, l’affrontement des deux, revêtent donc une dimension politique.
Sur le plan strictement théâtral, le serviteur n’est souvent un adjuvant , alors que le maître
est un acteur.
Enfin, le valet est le personnage qui permet d’introduire le comique dans la pièce.
1. Le couple maître-valet de l’Antiquité jusqu’à Molière.
A. De la comédie antique au théâtre du 17ème siècle.
Les auteurs latins, Plaute et Térence parmi d’autres, mettent en scène, dans leur théâtre,
maîtres et valets. Dans ce théâtre, les personnages, qu’il s’agisse des maître ou des valets, sont
des types : le plus souvent, le valet sert un jeune maître, avec dévouement et affection, lequel
maître est un amoureux contrarié par son propre père qui lui impose une épouse de son choix.
La valet joue alors le rôle de complice du jeune maître dans l’intrigue que celui-ci mène pour
désobéir à l’autorité paternelle. Ainsi, dans le théâtre de l’Antiquité romaine, ce type de
serviteur ou de valet est appelé le servus callidus, ce qui veut dire « le serviteur rusé ». C’est
ce type de personnage que l’on retrouve, des siècles plus tard, chez Molière, dans Les
Fourberies de Scapin. Scapin n’agit que par la ruse : il n’a pas de « légitimité ». Le titre
annonce d’ailleurs les qualités essentielles du valet. C’est pourquoi ce personnage n’est qu’un
type : il n’a pas d’histoire personnelle, et ses faits et gestes sont toujours subordonnés à la
personne du maître (voir Sganarelle, dans Dom Juan).
Dans la terminologie de Greimas ( schéma actanciel) l’esclave et le valet ne sont que des
adjuvants : cela signifie qu’ils aident le personnage principal dans sa quête. Ils n’ont donc
pas d’histoire propre. Ils sont actants sans jamais être bénéficiaires de l’action : dans
Tartuffe, Dorine (qui est une servante), vient en aide aux jeunes amoureux pour empêcher le
mariage de la fille de Monsieur Orgon et de Tartuffe ; dans Le Barbier de Séville, Figaro aide
le comte Almaviva à conquérir Rosine.
On pourrait objecter que souvent, dans ces comédies, le valet « trompe » son maître, ou
cherche à « tirer son épingle du jeu », servant son intérêt propre. Dans La Marmite de Plaute,
l’esclave tente de s’approprier le trésor du maître : certes, l’esclave vise ici son intérêt
personnel aux dépens de son maître, mais toutefois, il demeure toujours second par rapport à
ce maître. Il s’agit juste pour le valet de s’approprier ce qui, symboliquement, représente le
statut du maître, c’est-à-dire son argent. C’est en ce sens qu’il est comique : il cherche à
s’approprier un statut qui n’est pas le sien, il se ridiculise, il fait rire. À ce stade, l’esclave ne
cherche aucunement à s’émanciper ou à s’affranchir. D’ailleurs, le maître comme le valet
n’ont pas de dimension proprement sociale : ce ne sont que des rôles codifiés, dont
l’affrontement est comique. On pourrait dire que l’esclave agit toujours « en douce », « en
cachette », à la dérobée, furtivement. Il est « rusé », « callidus », mais en dehors de la légalité.
Le valet agit toujours dans l’ombre de son maître : comment pourrait-il en être autrement,
puisqu’il n’a ni pouvoir ni légitimité ? Chez Molière, de manière générale, le serviteur n’a ni
statut propre, ni « destin » personnel ; Sganarelle, dans Dom Juan, par exemple, n’est
rien sans son maître : c’est ainsi qu’il faut comprendre l’exclamation de Sganarelle quand
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Don Juan disparaît aux Enfers : « Mes gages ! Mes gages ! ». Sganarelle n’existe que par sa
relation au maître.
B. La dimension triviale et comique des valets.
Les valets de comédie se caractérisent par un parler populaire (emploi de jurons,
notamment chez Marivaux, de patois dans Dom Juan). D’ailleurs, lorsqu’ils sont déguisés en
maîtres, les valets de L’Ile des esclaves de Marivaux se trahissent par leur manière de
s’exprimer, qui demeure familière et populaire. Alors qu’ils se sont s’emparés du rôle et du
statut des maîtres, non seulement ils persistent à parler comme les valets qu’ils ne cessent
d’être, mais en outre, ils manifestent leur profonde incompréhension du langage châtié des
maître qu’ils tentent en vain d’imiter.
Les valets sont également triviaux car ils incarnent la vie du corps : ils aiment boire,
dormir, manger, vivre des plaisirs physiques : ce sont des personnages simples, qui vivent
dans le temps présent, dans l’optimisme et dans le bon sens. Dans la pièce de Marivaux, Le
Jeu de l’Amour et Hasard on observe des effets de symétrie et de contraste dans les scènes où
interviennent les maîtres et celles où interviennent les valets : au couple d’amoureux des
maîtres, grave et parfois poignant, s’oppose le couple de valets, toujours drôle et un peu
ridicule. A la scène de révélation franchement comique où les valets amoureux font tomber
leur masque et se révèlent l’un à l’autre, dans la bonne humeur, qu’ils ne sont que des valets,
fait écho la scène grave et sérieuse dans laquelle les maîtres, également amoureux, doivent
eux-aussi, se faire reconnaître pour ce qu’ils sont réellement, c’est-à-dire des maîtres (III, 6 et
III, 8).
Le valet, est donc toujours un peu ridicule et trivial. Par exemple, Sganarelle essaie de
prendre la parole quand il est en fuite avec son maître. Il revêt alors un habit de médecin mais
cet habit qui semble l’autoriser à parler, à s’exprimer « en son nom », et l’arracher enfin à son
statut de valet (il peut enfin de lancer dans un long discours de « remontrances » face son
maître) s’avère n’être qu’un leurre, de surcroît temporaire et sans effet réel : à la fin de sa
démonstration , comme chacun sait, Sganarelle « se casse la figure » et sa tirade le ridiculise
au lieu de lui conférer l’autorité dont il était en quête (Don Juan lui dit « Voilà ton
raisonnement qui se casse la figure »). Daniel Mesguich, dans sa mise en scène de la pièce,
enfonce le clou : il revêt le comédien qui joue le rôle de Sganarelle d’un habit d’infirmière :
habit inapproprié, qui a la lettre le « travestit » et le déclasse, par rapport à son désir
d’identification au médecin, provoquant d’emblée le rire chez le spectateur. Il ne faut pas
oublier, en outre, que dans le théâtre de Molière, le médecin est un « faux savant », toujours
ridicule.
Toutefois Molière, dans Dom Juan, amorce une complexification de la problématique liée
au personnage de valet au théâtre. Molière dépasse ici, en effet, la simple dimension
comique du personnage. Sganarelle suit Dom Juan comme son ombre, jusque dans la fuite,
forcé d’épouser un destin qui n’est pas le sien et que, de surcroît il réprouve. Il va même
jusqu’à employer le pronom personnel « nous », lorsqu’il rapporte les paroles de son maître,
faisant ainsi siennes les paroles de celui qu’il condamne en son for intérieur : « Nous nous
moquons bien du Ciel, nous autres » s’écrie Sganarelle le pieux, réduit ici à être « la voix de
son maître » dans la profération de l’impiété de ce dernier. « Tel maître, tel valet » :
Sganarelle est comme l’âme damnée de Dom Juan, un double malgré lui. Que Sganarelle
renonce à son « être », qu’il fasse siennes des paroles qu’il réprouve, dans une pièce dans
laquelle le Ciel et l’Enfer sont omniprésents ne peut conduire au comique ( sous-titre de la
pièce : L’Athée foudroyé ). Une gravité sous-jacente s’insinue dans cette comédie, dans
laquelle, soit dit en passant le personnage principal est un parjure, et dont le dénouement va
encore plus loin que la mort (les Enfers).
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-II-Le grand bouleversement des Lumières.
Les rapports maîtres/valets vont considérablement évoluer au 18ème siècle, siècle des
Lumières et de la Révolution.
A. Marivaux.
Chez Marivaux, il y a deux types de rapports possibles entre maîtres et valets : soit il y a un
échange clandestin des costumes, résultant d’une ruse des maîtres qui veulent paraître
incognito aux yeux de leur promis(e), soit il y a un échange officiel (Iles des esclaves).
Dans le premier cas ce n'est qu'un jeu, et le titre de la pièce Le Jeu de l’Amour et du
Hasard, l'indique bien. L’échange de rôles permet aux maîtres et aux maîtresses de vérifier
que leur « nature « profonde » de maître est inaltérable : la « vérification » et la
reconnaissance de la noblesse d’esprit des maîtres accompagne l’expérience amoureuse, celle
de la rencontre, puis de la reconnaissance de soi dans les yeux de l’aimé(e), puis enfin, celle
de la déclaration et du consentement.
Dans le second cas, il s’agit d’une expérience politique et morale. À la fin de l'expérience,
le maître Iphicrate tente de se racheter après avoir compris l'horreur d'être un valet. Une leçon
est donnée aux maîtres, et aux maîtres seuls : les valets dans le rôle de maître s’avèrent encore
plus cruels que leurs maîtres et de surcroît, ridicules. Marivaux n'a donc rien d'un
révolutionnaire. En outre, l'échange de rôles, dans les deux cas, n’excède pas une durée
limitée, qui serait celle d’une pièce dans une pièce, d’une comédie dans la comédie. À la fin,
tout rentre dans l'ordre immuable du clivage maîtres/valets : ainsi, à la fin du Jeu de l'Amour
et du Hasard, les valets sont comme par hasard tombés amoureux des valets et les maîtres des
maîtres, malgré l’échange de costume et le masque qu’ils portent . Dans le théâtre de
Marivaux, le changement provisoire de statut ne remet pas en cause la hiérarchie
maîtres/valets mais semble bien davantage confirmer l'ordre social. Dans l'Ile des esclaves,
lorsque Cleanthis et Arlequin prennent la place des maîtres, ils se livrent en réalité à un jeu
grotesque parce que les valets restent des valets, même lorsqu'ils tentent de faire comme les
maîtres.
B. Beaumarchais
Avec Beaumarchais, on passe une étape supplémentaire. Dans le Mariage de Figaro, non
seulement l'action tourne autour du valet, mais la quête du valet prend une dimension
existentielle et politique. Figaro est amoureux de la servante Suzanne, laquelle excite la
convoitise de son maître Almaviva . Figaro doit s’opposer de toutes ses forces au maître. On
note que dans cette pièce, le valet n’est plus simple adjuvant. Il est acteur et s’expose comme
bénéficiaire de l’action qu’il entreprend. Pour triompher du maître, il se sert de son
intelligence, exceptionnelle, et ridiculise le maître dont il révèle la sottise. Ici la valet n’agit
plus par ruse faute de légitimité : il a cessé d’être le « servus callidus » de la tradition, et agit
en homme intelligent, dont l’intelligence, justement, le prédestine à surpassé son maître(
auquel il dit, certes « de loin », dans un monologue : « Parce que vous êtes un grand seigneur,
vous vous croyez un grand génie ! ... Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si
fier ! Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien
de plus. Du reste, homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu! perdu dans la foule
obscure, il m'a fallu déployer plus de science et de calculs, pour subsister seulement, qu'on
n'en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes : et vous voulez jouter... … ». Le
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valet est hissé au rang de héros. Dans ce fameux monologue dans lequel il rappelle quel sont
ses talents et ses combats, Figaro exprime aussi des sentiments et un amour propre. C’est la
raison pour laquelle on peut dire que le valet ici cesse d’être un type et devient un personnage,
voire une personne. D’ailleurs, Figaro donne son nom à la pièce. Cette évolution du valet, on
la retrouve à l'intérieur même de l'œuvre de Beaumarchais. Dans Le Barbier de Séville, Figaro
n'est encore qu'un valet, un auxiliaire, toutes ses actions convergent vers l'intérêt du maître.
Une pièce plus tard, le valet est sur le devant de la scène. Il surpasse par son intelligence le
comte. Dans le monologue, on apprend que ce valet a été « journaliste », auteur de comédie,
barbier, auteur de pamphlets grâce à ces informations, le spectateur peut identifier Figaro à
Beaumarchais. Toutefois, à la fin, tout retrouve son ordre. Les maîtres restent les maîtres, les
valets restent les valets et tout se termine en chansons.
Beaumarchais, aurait dit Napoléon « …c’est la révolution en action » . On note que cette
révolution s’échelonne au fil de la trilogie. Dans le Barbier de Séville, Figaro est un valet au
service du comte Almaviva. Certes, la pièce porte le nom du personnage, mais ce personnage
reste au service d’Almaviva, et ses actions sont liées à ce dernier, voire, lui sont dédiés.
Changement dans la deuxième pièce. On passe du mariage du comte au mariage du valet.
Dans la scène 1 de l’acte I, nous voyons Suzanne et Figaro, qui, dans les préparatifs du
mariage, sont en train de mesurer l’espace de leur petit appartementsymboliquement, nous
voyons les valets prendre possession de leur espace.
Ce n’est plus comme dans les Fourberies de Scapin où le valet agit contre son maitre sur le
mode de la délinquance, en désobéissant. En effet, maintenant, c’est le maitre qui va tenter de
nuire à son valet. Aussi, y aura-t-il deux conséquences. Il y aura d’une part un conflit entre le
valet et le maître. Ce conflit va prendre une forme quasi juridique (fameuse scène du procès
dans Le Mariage de Figaro, dans laquelle Almaviva, par un abus de pouvoir, joue le rôle du
juge et tente de léser son valet. Cette mise en scène, outre qu’elle dénonce d’abord l’abus de
pouvoir , inscrit aussi Figaro dans le registre du droit : Figaro peut aussi avoir des droits et les
revendiquer. Il ne se contente pas de recevoir des coups de bâtons mais peut se défendre et,
surtout, il revendique le droit de se défendre. Dans un second temps, il y a bien croisement
des intrigues entre maîtres et valets sur le plan amoureux. Chez Marivaux, cela ne se
produisait pas, ou alors, lorsque cela était envisagé, comme, par exemple dans L’île des
esclaves, cela constituait un scandale ( scène 6). Chez Beaumarchais, les intrigues amoureuses
semblent s’ébaucher (pas davantage) entre maîtres et valets, suscitant la jalousie des uns et
des autres.
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