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C’est tout simplement faux. Une maxime de Démocrite (5ème siècle avant J.-C.)
stipule : « L’homme bienfaisant n’est pas celui qui envisage une récompense, c’est
celui qui a choisi librement de bien faire »3. Il existe beaucoup de
développements ultérieurs. Un seul, de Cicéron, mort en 43 avant J.-C., suffira :
« Ajoutons que si la vertu est recherchée, non pour sa valeur
propre, mais pour ce qu’elle rapporte, cette vertu méritera
qu’on l’appelle malice. Plus, en effet, un homme rapporte
toutes ses actions à l’intérêt, moins il est homme de bien et
par suite, mesurer la vertu au prix qu’elle peut valoir, c’est
croire qu’il n’y a de vertu que la malice. Où est la
bienfaisance si l’on ne fait pas le bien pour l’amour
d’autrui ? »4.
La plus fine pointe de la charité chrétienne serait d’englober les ennemis.
L’affirmation est très répandue, jusqu’à aujourd’hui. On y a vu une véritable
révolution. Gabriel Ringlet suit le cortège, bien sûr, et notamment le poète
Grosjean qui y voit « le fond de la révolution évangélique »5. Un professeur de
l’Université de Louvain a fait placer une de ses pensées en exergue de sa
nécrologie : « Je suis fier d’appartenir à la seule religion qui enseigne qu’il faut
aimer son prochain, ennemi ou ami, condition essentielle d’un véritable progrès
de la civilisation »6.
Pourtant, le précepte d’aimer ses ennemis se trouve dans le judaïsme
d’après l’exil : Exode 23, 4-5 ; Proverbes 25, 21 et dans la Lettre d’Aristée, 227.
Mais il se trouve aussi dans le paganisme. Sénèque, un strict contemporain de
Paul, fait dire aux fondateurs du stoïcisme :
« Jusqu’au terme suprême de la vie, nous agirons, nous ne
cesserons de travailler au bien de la société, de soulager
chacun en particulier, de venir en aide même à nos
ennemis… »7.
Et Marc-Aurèle (2ème siècle après J.-C.) écrit : « Le propre de l’homme, c’est
d’aimer même ceux qui l’offensent »8.
En ce qui concerne l’universalité, un seul témoignage suffira, parmi
beaucoup d’autres. Cicéron écrit :
3 Fragment B 96.
4 Lois, I, XVIII, trad. Appuhn. Cicéron n’invente pas, il s’inspire de textes grecs bien antérieurs
qui, pour nous, sont perdus.
5 Cité par G. Ringlet, L’évangile d’un libre penseur, Albin Michel, 1998, p. 120.
6 Nécrologie de Robert De Smet, Le Soir du 15-04-78. Elle n’a pas été reprise par G. Ringlet dans
Ces chers disparus, 1992.
7 De otio, I, 4.
8 Pensées VII, 22, parmi d’autres.