Journée d’étude et atelier
REVES ET SOCIETE
21 février 2014, IMéRA, Marseille
(Photo : Tuia Cherici)
Organisation :
- Arianna Cecconi, IMéRA (AMU)
- Tuia Cherici, IMéRA (AMU)
- Laura Centemeri, LAMES (CNRS/AMU)
Lieu : IMéRA, Institut d’Etudes Avancées d’Aix-Marseille Université
2 place Le Verrier, 13004 Marseille
ENTRÉE LIBRE
Séminaire organisé par l’IMéRA dans le cadre des résidences d’Arianna Cecconi,
ethnologue, et Tuia Cherici, artiste.
Rêves et société
Roger Bastide écrivait en 1967 que « la sociologie ne s’intéresse qu’à l’homme éveillé,
comme si l’homme endormi était un homme mort », critiquant ainsi le désintérêt des
sciences sociales pour l’expérience onirique. Bien que des études aient depuis abordé
la dimension sociale du rêve, ce constat reste d’actualité. Le propos de cette journée
d’étude est d’apporter une contribution à ce débat, en cherchant à l’ouvrir sur de
nouvelles perspectives par le dialogue interdisciplinaire et la rencontre art-science.
La journée d’étude se déroulera en deux temps. Le premier sera consacré à la
discussion entre une historienne des sciences, un politiste, un ethnologue et une
neuroscientifique. Cette rencontre interdisciplinaire va permettre d’aborder la question
du rêve comme expérience à la fois individuelle et collective, et de tenter de
comprendre quels sont les conditionnements environnementaux, neurophysiologiques,
sociaux et culturels qui influencent les expériences, interprétations et narrations des
rêves. Si pour explorer les rêves il faut tenir compte du contexte dans lequel ils ont été
expérimentés et racontés, à l’inverse, l’étude des narrations oniriques peut permettre
de comprendre certains aspects du contexte social et culturel dans lequel de tels rêves
ont été expérimentés. La discussion sera organisée autour de deux ordres de
questions. D’une part, il s’agira de s’interroger sur ce qu’est le rêve. Comme l’a
souligné Crapanzano (1975), la psychologie a construit un vocabulaire (réalité
psychique, inconscient, expérience subjective) pour définir l’expérience onirique, qui
est connoté culturellement et qui ne peut pas être universalisé. Les différentes
interventions pourront ainsi mettre en lumière comment les définitions et
représentations de ce qu’est le fait de rêver varient selon les cultures, mais également
selon les disciplines. De l’autre, on approfondira de façon comparative et
multidisciplinaire la question de l’usage des rêves. En effet lesves peuvent inspirer
des actions et des décisions, ou encore influencer des relations sociales, participant
ainsi à la construction de la réalité. Les rêves ne sont donc pas uniquement subjectifs
mais aussi collectifs, et leur statut n’est pas uniquement privé puisqu’ils peuvent aussi
avoir un impact sur la vie publique.
Dans la deuxième partie l’ethnologue Arianna Cecconi et l’artiste Tuia Cherici
présenteront les avancées de leur projet Rêver la Méditerranée : projet de recherche
anthropologique et artistique sur les rêves dans les Quartiers Nord de Marseille,
développé dans le cadre de leur résidence à l’Iméra. La journée se terminera en
proposant à l’ensemble des présents un Oniroscope. Il s’agit d’une pratique artistique
qui a été développée au cours de la recherche, pour aller à la rencontre de différents
groupes et donner l’occasion aux participants de partager leurs rêves, avec les
chercheurs et entre eux. Pour participer à cette expérience il est important que chaque
participant(e) apporte avec lui (elle) un petit objet « offrande » à l'Oniroscope. L’objet
doit être en relation avec le rêve que la personne voudra raconter à l’ensemble des
participants.
PROGRAMME
8:30 Accueil-café
9:00-9:20 Arianna Cecconi (IMéRA) et Laura Centemeri (LAMES- AMU/CNRS)
Présentation de la journée
9:20-10:00 Jacqueline Carroy (EHESS, Centre Alexandre Koyré)
Rêves exemplaires. Maury, Freud et Lacan
10:00-10:40 Perrine Ruby (Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon
INSERM/CNRS/UCBL1)
en est la recherche sur le rêve ?
10:40 Pause café
10:50-11:30 Damien de Blic (LabTop, Université Paris 8)
Propositions pour une sociologie pragmatique du rêve
11:30-12:10 Jacques Galinier (CNRS, Laboratoire d’ethnologie et de sociologie
comparative ; Université Paris Ouest Nanterre La Défense)
Le corps du rêve et le « monde d’en bas » : Dialogues chamaniques avec
la théorie freudienne (Indiens Otomi du Mexique oriental)
12:10-12:30 Discussion
jeuner
14:00-14:40 Arianna Cecconi (IMéRA)
Communications nocturnes: le rêve, pour dépasser des frontières
14:40-15:30 Tuia Cherici (IMéRA)
Oniroscope
15:30 Pause ca
15:45-16:45 Arianna Cecconi (IMéRA) et Tuia Cherici (IMéRA)
Rêver la Méditerranée - projet de recherche anthropologique et artistique
sur les rêves dans les Quartiers Nord de Marseille
16:45-17:30 Discussion
RESUMES DES INTERVENTIONS
Jacqueline Carroy, historienne des sciences, EHESS/Centre Alexandre Koyré
Rêves exemplaires. Maury, Freud et Lacan
Ce parcours historique dessinera à grands traits, au prisme de deux rêves
exemplaires, l’un de Maury (voir ci-dessous), autrefois célèbre et actuellement
oublié, l’autre de Freud (l’injection faite à Irma, Interprétation du rêve, chap. II),
élevé au statut de « rêve des rêves » par Lacan en 1955, comment la
psychanalyse a accrédité en France de nouveaux modèles de récits oniriques. Il
invitera ainsi, plus généralement, à s’interroger sur l’exemplarité de certains rêves
au sein des savoirs et des cultures d’une époque.
Maury guilloti
« J’étais un peu malade, et je me trouvais couché dans ma chambre, ayant mare à mon chevet. Je
rêve de la Terreur : j’assiste à des scènes de massacre, je comparais devant le tribunal révolutionnaire,
je vois Robespierre, Marat, Fouquier-Tinville, toutes les plus vilaines figures de cette époque terrible ;
je discute avec eux ; enfin, après bien des évènements, que je ne me rappelle qu’imparfaitement [et
dont je ne voudrais pas vous ennuyer, messieurs,] je suis jugé, condamné à mort, conduit en charrette,
au milieu d’un concours immense, sur la place de la Révolution ; je monte sur l’échafaud ; l’exécuteur
me lie sur la planche fatale, il la fait basculer, le couperet tombe, je sens ma tête se séparer de mon
tronc ; je m’éveille en proie à la plus vive angoisse, je me trouve sur le col [cou] la flèche de mon lit qui
s’était détachée et qui était tombée sur mes vertèbres cervicales à la façon du couteau de la guillotine.
Cela avait eu lieu à l’instant, ainsi que ma mère me le confirma, et cependant c’était cette sensation
externe que j’avais prise, comme dans le cas que j’ai cité plus haut, pour point de départ d’un rêve où
tant de faits s’étaient succédé. » (Maury Alfred, « Nouvelles observations sur les analogies des
phénomènes du rêve et de laliénation mentale. Mémoire lu à la Société médico-psychologique dans sa
séance du 25 octobre 1852 », Annales médico-psychologiques, I, 1853, p. 404-421 ; repris dans Le
sommeil et les rêves. Études psychologiques sur ces phénomènes et les divers états qui s’y rattachent,
Paris, Didier, 1878, 1e éd. 1861, p. 161-162)
Arianna Cecconi, ethnologue, IMéRA
Communications nocturnes : le ve, pour dépasser des frontières.
Les obstacles à la communication entre les individus, en raison de la distance
spatiale, de la mort, ou encore des différences linguistiques, sont parfois
dépassés dans les rêves. Dans de nombreuses sociétés humaines, passées ou
actuelles, ce qui arrive en rêve est considéré d’une grande valeur et d’une grande
réalité. Dans cette intervention nous explorerons, selon une approche
comparative, certaines formes de communications oniriques qui peuvent s’établir
dans les contextes où la parole diurne est empêchée, et les effets que ces
communications peuvent produire. Le rêve est un registre narratif en soi, grâce
auquel peuvent circuler certaines expériences et mémoires individuelles et
collectives.
Damien de Blic, politiste, Laboratoire Théorie du Politique (LabTop), Université Paris 8
Vincennes-Saint Denis
Propositions pour une sociologie pragmatique du rêve
Quand la sociologie s’intéresse au rêve, elle s’efforce le plus souvent d’articuler
des contenus oniriques avec des contextes sociaux ou avec des variables socio-
économiques. Nous proposons dans cette communication de réfléchir à la
possibilité d’une sociologie qui s’intéresserait moins au matériau onirique qu’aux
conditions de sa production et de son usage. Il s’agit autrement dit de considérer
le rêve comme une activité requérant des compétences, depuis les techniques du
corps favorable à la remémoration des rêves (ou, à l’inverse, favorisant sa
répression) jusqu’à la définition des domaines de vérité et de pertinence du rêve.
En portant, à partir d’exemples, l’attention sur ces compétences et sur leur
distribution historique et sociale, nous espérons interroger autrement
l’individualisation, la dépolitisation, et finalement la marginalisation du rêve dans
les sociétés contemporaines.
Jacques Galinier, ethnologue, CNRS-Laboratoire d’ethnologie et de sociologie
comparative ; Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Le corps du rêve et le « monde d’en bas » : Dialogues chamaniques avec la
théorie freudienne (Indiens Otomi du Mexique oriental)
Dans les rituels chamaniques otomi, le monde nocturne fait l’objet de
représentations sous la forme d’idolos, figurines en papier découpé, « images-
force » personnifiant les entités du rêve, qui interviendront lors de la cure, ou
dans les attaques de sorcellerie. En séance, le chamane donne à voir le contenu
du Vieux Sac, sorte d’inconscient ethnique dans lequel sont stockés les épisodes
oniriques et les souvenirs qui marquent l’expérience du sujet et de la
communauté. La théorie indigène fait écho à l’hypothèse freudienne, tout en s’en
démarquant radicalement, de par son étroite articulation avec une conception
amérindienne de l’univers.
Perrine Ruby, chercheur en neurosciences cognitives, Centre de Recherche en
Neurosciences de Lyon (INSERM-CNRS-UCBL1)
Ou en est la recherche sur le rêve ?
Le rêve est un objet de recherche insaisissable. On ne sait pas à quel moment
de notre sommeil les rêves surviennent, ils sont incontrôlables et leurs contenus
imprévisibles ne sont accessibles que par un souvenir évanescent au réveil.
Malgré ces difficultés, des chercheurs ont trouvé des astuces pour étudier la
fréquence, le contenu et la neurophysiologie du rêve. L’organisation
psychologique (influence de l’environnement, impact sur la vie éveillée), les
bases neurophysiologiques, et la ou les fonctions du rêve se précisent ainsi,
même si le mystère n’est pas encore élucidé.
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