La valeur de la vie humaine
et sa nature relationnelle
(Mgr Blanchet)
Quand nous nous penchons sur la problé-
matique de la vie, nous touchons à l’essentiel
de nos relations, de la place de la personne
dans la société et des liens qui nous unissent.
Les gens sont très souvent tentés de parler
de la vie comme d’un bien de consommation ou
comme d’une chose parmi d’autres. Une telle
perspective en dit long sur l’argumentation des
partisans de l’euthanasie ou de l’aide au suicide.
Nous croyons que la vie diffère essentiellement
des autres biens humains et que cette position
conditionne directement nos «droits » sur elle.
Dans la tradition chrétienne, cette différence
essentielle tient à l’origine divine de la vie hu-
maine, don de l’amour de Dieu. Nous sommes
les intendants et non les maîtres de ce qui de-
meure toujours un don extrêmement précieux.
La vie est aussi une réalité relationnelle, un
don, certainement reçu de Dieu au sens reli-
gieux, mais aussi reçu des autres puisque nous
demeurons bénéficiaires et donateurs de la
vie. La vie n’est pas tant un bien absolu qu’un
prérequis fondamental à tous les autres biens
et tous les autres droits. Elle est la source pre-
mière de toutes nos relations et, bien entendu,
de la justice qui régit la qualité des relations
entre les personnes. La justice d’une société
s’évalue par sa capacité à promouvoir et à pro-
téger la vie de ses membres, compte tenu que
la vie constitue la base de tous les autres biens
dans la société. C’est pourquoi les traditions
juridiques, philosophiques et religieuses de
l’Occident ont mis l’accent sur la défense de la
vie contre toute agression.
De par sa nature, la vie humaine implique
interdépendance et responsabilité mutuelle
puisqu’elle est relation. À la limite, nous sa-
vons que nos efforts pour maîtriser la vie bu-
tent contre un obstacle absolu : la réalité de la
mort en soi. Pareillement, la gestion de notre
vie et la poursuite même de notre existence
dépendent fortement de la bienveillance et de
l’appui des autres. Cette dépendance remet
radicalement en question l’autonomie de l’in-
dividu. Ce concept de vie échappe inévitable-
ment à notre contrôle tout en sollicitant
constamment notre attention; il nous amène
Juillet-Août 2001 • 37
Le 4 mars 2000, suite à la publication du texte
«Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie » (rapport
du Comité consultatif national d’éthique),
Mgr Louis-Marie Billé, président de la Conférence
des évêques de France, s’est exprimé sur la
question du droit à l’euthanasie :
(…) À propos de l’euthanasie, le Comité commence
par énoncer deux positions répandues en France :
le respect jusqu’au bout de toute vie humaine, le droit
à l’euthanasie sur demande personnelle. Constatant
leur opposition irréductible et un décalage important
entre le droit et certaines pratiques, il propose ce qui
lui apparaît comme une voie de conciliation : ne pas
dépénaliser, mais inscrire dans la loi, au nom de
la «solidarité humaine et de la compassion », une
«exception d’euthanasie », pour des cas supposés
rares et exceptionnels. Comment ne pas voir que
le compromis proposé, contrairement à ce qui est
affirmé, modifierait profondément nos règles
juridiques et représenterait une véritable acceptation
sociale de l’euthanasie?
Le Comité reconnaît que dans toute société «la valeur
de l’interdit du meurtre demeure fondatrice ». Telle
est aussi la ferme conviction de l’Église catholique,
maintes fois réaffirmée: «Tu ne tueras pas » est
un commandement de Dieu. C’est aussi le fondement
de toute vie sociale respectueuse d’autrui, spécialement
des plus faibles et de ceux qui en viennent à douter
de la valeur de leur propre vie, surtout s’ils estiment
représenter une charge pour leur entourage. Il est de la
plus haute importance de ne pas affaiblir la force d’un
tel repère. Le droit d’une société ne peut, sans se ruiner
lui-même, faire place à toute forme d’arrangement.
Une exception juridiquement reconnue conduirait
rapidement à l’oubli progressif d’un principe jugé
cependant fondateur.
Les évêques de France savent qu’il existe pour les
malades en fin de vie des situations très éprouvantes.
Ces situations appellent à la solidarité humaine et à
la compassion. Encore faut-il s’entendre sur les termes.
La véritable compassion ne craint pas la souffrance
née de la proximité avec l’épreuve d’autrui, elle
s’efforce d’atténuer cette épreuve en s’ingéniant à
trouver des moyens appropriés, elle reconnaît jusqu’au
bout la grandeur et la dignité de toute personne.
C’est cette reconnaissance, et non pas la mise à mort
délibérée d’une personne, fût-ce sur sa propre
demande, qui permet d’inscrire la mort – pour
reprendre des expressions du texte du Comité – «au
sein de la vie elle-même et de ne pas exclure d’un
monde humanisé les derniers instants d’une existence ».
DC 2000, n°2223, p. 333.
LA POSITION DE L’ÉGLISE DE FRANCE