Juillet-Août 2001 • 35
Définitions (Mgr Gervais)
Nous croyons, comme beaucoup de vos in-
tervenants, à l’importance de définir d’abord
certains termes, non seulement pour éclairer
le sens de nos propos, mais aussi pour contre-
carrer la désinformation qui obscurcit le dé-
bat public.
On rapporte que l’une des plus grandes
craintes des gens serait de mourir dans un
environnement dépersonnalisé, branchés
sur un appareillage technologique impuis-
sant à guérir, mais uniquement capable de
retarder la mort. L’Église catholique consi-
dère la mort comme un phénomène naturel :
nous voudrions être très clairs sur ce point.
Nous comprenons bien les limites de la mé-
decine et de la condition humaine, et il ne
saurait être question d’envisager le maintien
de la vie physique à n’importe quel prix.
Nous espérons que les définitions suivantes
contribueront à atténuer quelques-unes des
inquiétudes entretenues par les gens au su-
jet de la mort.
L’euthanasie est :
une action ou une omission qui a pour but
d’éliminer toutes les souffrances, mais qui, en
soi ou par intention délibérée, entraîne la mort
de la personne en cause. Une injection mor-
telle est typique de cette action, quon appelle
parfois « euthanasie active »; supprimer ou
refuser un traitement médical prescrit ou ap-
proprié sans le consentement du patient serait
un exemple domission, qualifiée parfois et
de façon erronée d’« euthanasie passive ».
Nous sommes davis, comme beaucoup de
vos intervenants, quil faudrait cesser dutiliser
ces adjectifs «active » ou «passive », qui ne
sont source que de confusion. Lexpression
«euthanasie passive », en particulier, alimente
limpression quil est contraire à l’éthique de
supprimer les moyens de maintenir la vie,
Le 26 octobre 1994, les porte-parole de la
Conférence des évêques catholiques du Canada
(CECC) ont exposé le point de vue de la CECC au
Comité du Sénat canadien sur l’aide au suicide et
l’euthanasie. Nous présentons ici les interventions
de Mgr Marcel Gervais, membre de la Commission
des Affaires sociales, de Mgr Bertrand Blanchet,
membre du Conseil permanent de la CECC,
et du P. Ron Mercier, spécialiste de l’éthique
fondamentale et de l’éthique sociale. Nous
proposons également la position des épiscopats
français et belges sur la légalisation de
l’euthanasie (voir encadrés p. 37 et 38).
Mgr Gervais donne des définitions précises de
l’euthanasie active et passive, du suicide et de l’aide au
suicide. Mgr Blanchet explique que la vie est un don,
confié à l’homme et dont l’homme, à son tour, est
donateur. Le P. Mercier montre que le désir qu’a
l’homme de contrôler et de choisir le moment de sa
mort remet en question la liberté de l’individu et les
fondements de notre société.
Mgr Gervais intervient une deuxième fois pour
expliquer que la souffrance est intrinsèque à la vie,
et que l’homme devrait en redécouvrir la dimension
sociale, d’où l’importance des soins palliatifs.
Mgr Blanchet rebondit sur le fait que la mort n’est pas
une histoire personnelle, mais nous concerne tous. Il
donne alors une liste des conséquences pour la société,
et surtout pour les plus pauvres, de l’assouplissement
de la loi à l’égard de l’euthanasie et du suicide assisté.
Avant cette intervention, la CECC avait transmis
au Comité du Sénat un mémoire intitulé «La vie et
la mort dans une communauté compatissante ».
Les porte-parole de la CECC reprenaient les idées
principales de ce mémoire pour présenter la réflexion
de l’Église sur les aspects éthiques, philosophiques et
pastoraux du problème.
Texte français du Secrétariat de la CECC. Titre de Questions
Actuelles. Pour les textes intégraux de ces interventions, voir
DC 1994, n°2106, p. 1087-1090.
RÉSUMÉ
PERSPECTIVES
FICHE DE LECTURE
Leuthanasie et
le débat publique
36 Questions actuelles
même lorsque le traitement est vain ou quand
le prix en est disproportionné par rapport aux
bénéfices escomptés. () Cette interprétation
erronée contribue involontairement à apporter
de leau au moulin des partisans de leuthana-
sie et de laide au suicide. Nous considérons
que le vocable «euthanasie » ne doit être uti-
lisé quen référence à des actions ou omissions
dont la mort est le but, et nous rejetons lambi-
guïté deuthanasie «active » et/ou «passive ».
Leuthanasie nest pas :
a) respecter le refus dun traitement ou la
demande dun patient dy mettre fin;
b) suspendre ou omettre un traitement
quand sa complexité est disproportionnée par
rapport aux bénéfices éventuels;
c) administrer des analgésiques, dont on
anticipe, sans délibérément le vouloir, quils
peuvent hâter la mort.
Lintention inhérente à la suppression ou au
refus dun traitement extraordinaire ou dis-
proportionné nest pas de causer la mort, mais
plutôt de permettre au malade de mourir; leu-
thanasie, par contre, vise à causer la mort, et
le patient meurt avant son heure dune mort
qui nest pas naturelle. Quand on refuse ou
supprime un traitement extraordinaire, cest la
maladie du patient qui le fait mourir; dans leu-
thanasie, cest une injection mortelle, une balle
darme à feu ou tout autre moyen qui le tue. La
notion dintention est la clé qui permet de faire
la distinction entre leuthanasie et toute autre
forme de décision de mettre fin à la vie.
Le suicide
Le suicide est lacte délibéré de se donner
la mort. La décriminalisation de la tentative
de suicide en 1973 na créé aucun droit légal
au suicide ; elle a simplement octroyé la li-
berté dattenter à ses jours sans être passible
de poursuites criminelles. Elle na pas davan-
tage sanctionné la pratique du suicide. Notre
société continue de réprouver le suicide et,
en 1986, la Commission de réforme du droit
du Canada affirmait que «le suicide demeure
un acte fondamentalement contraire à la na-
ture humaine ».
Laide au suicide
Dans laide au suicide, un tiers fournit les
moyens par exemple, des médicaments à
une personne qui veut mettre fin à ses jours.
Bien que la loi établisse une distinction entre
leuthanasie et laide au suicide, il nexiste au-
cune différence éthique. Le tiers peut fournir
les pilules ou administrer une injection, sa
responsabilité morale demeure la même.
Lexpression de «suicide avec laide dun mé-
decin » est une tentative à peine masquée
datténuation ou de camouflage de la nature
réelle du geste posé, puisque nous attendons
des médecins quils soient soucieux de la vie
et non quils lenlèvent.
Votre Comité rendrait un signalé service
sil clarifiait ces expressions dusage courant.
Nous sommes inquiets que les résultats de
plusieurs sondages soient fondés sur lidée
fausse selon laquelle les gens agoniseraient
dans la solitude ou seraient lobjet dun
acharnement thérapeutique quils nont
pas autorisé. Nous nous inquiétons aussi de
voir certaines personnes entretenir la confu-
sion entre ce qui est acceptable et ce qui ne
lest pas, afin de promouvoir linacceptable.
() Pour dautres
réflexions sur le
principe de la
proportionnalité,
voir p. 12 et 33
du dossier.
Le 10 avril 2001, le Sénat néerlandais a voté une loi
autorisant leuthanasie, sous certaines conditions.
Les Pays-Bas devient ainsi le premier pays au monde
à la reconnaître officiellement. Même si cette loi ne
fait quentériner une pratique déjà en usage 2123
cas deuthanasie ont été officiellement répertoriés
pour la seule année 2000 elle crée un précédent
qui relance le débat dans les autres pays. Ainsi,
la Belgique envisage de suivre cet exemple.
Peter Van Zoist, porte-parole de l’épiscopat
néerlandais, commentant ce vote, craint que
la pression sociale ne pousse des patients à recourir
à ce moyen, alors que la médecine propose des
traitements qui atténuent, voire suppriment,
la douleur. Lutilisation de ces traitements conduit
souvent le patient à renoncer à son désir de mourir.
Pour Peter Van Zoist, il est indispensable que l’Église
dialogue le plus possible avec la population
néerlandaise, plaçant chacun devant sa responsabilité
de sinformer sur les alternatives qui existent par
rapport à leuthanasie, mais que la loi risque de
faire oublier.
Pour plus de détail, lire larticle «Leuthanasie est légalisée aux Pays-Bas »,
et linterview de Peter Van Zoist, parus dans La Croix du 12 avril 2001.
LEUTHANASIE AUX PAYS-BAS
La valeur de la vie humaine
et sa nature relationnelle
(Mgr Blanchet)
Quand nous nous penchons sur la problé-
matique de la vie, nous touchons à lessentiel
de nos relations, de la place de la personne
dans la société et des liens qui nous unissent.
Les gens sont très souvent tentés de parler
de la vie comme dun bien de consommation ou
comme dune chose parmi dautres. Une telle
perspective en dit long sur largumentation des
partisans de leuthanasie ou de laide au suicide.
Nous croyons que la vie diffère essentiellement
des autres biens humains et que cette position
conditionne directement nos «droits » sur elle.
Dans la tradition chrétienne, cette différence
essentielle tient à lorigine divine de la vie hu-
maine, don de lamour de Dieu. Nous sommes
les intendants et non les maîtres de ce qui de-
meure toujours un don extrêmement précieux.
La vie est aussi une réalité relationnelle, un
don, certainement reçu de Dieu au sens reli-
gieux, mais aussi reçu des autres puisque nous
demeurons bénéficiaires et donateurs de la
vie. La vie nest pas tant un bien absolu quun
prérequis fondamental à tous les autres biens
et tous les autres droits. Elle est la source pre-
mière de toutes nos relations et, bien entendu,
de la justice qui régit la qualité des relations
entre les personnes. La justice dune société
s’évalue par sa capacité à promouvoir et à pro-
téger la vie de ses membres, compte tenu que
la vie constitue la base de tous les autres biens
dans la société. Cest pourquoi les traditions
juridiques, philosophiques et religieuses de
lOccident ont mis laccent sur la défense de la
vie contre toute agression.
De par sa nature, la vie humaine implique
interdépendance et responsabilité mutuelle
puisquelle est relation. À la limite, nous sa-
vons que nos efforts pour maîtriser la vie bu-
tent contre un obstacle absolu : la réalité de la
mort en soi. Pareillement, la gestion de notre
vie et la poursuite même de notre existence
dépendent fortement de la bienveillance et de
lappui des autres. Cette dépendance remet
radicalement en question lautonomie de lin-
dividu. Ce concept de vie échappe inévitable-
ment à notre contrôle tout en sollicitant
constamment notre attention; il nous amène
Juillet-Août 2001 37
Le 4 mars 2000, suite à la publication du texte
«Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie » (rapport
du Comité consultatif national d’éthique),
Mgr Louis-Marie Billé, président de la Conférence
des évêques de France, sest exprimé sur la
question du droit à leuthanasie :
() À propos de leuthanasie, le Comité commence
par énoncer deux positions répandues en France :
le respect jusquau bout de toute vie humaine, le droit
à leuthanasie sur demande personnelle. Constatant
leur opposition irréductible et un décalage important
entre le droit et certaines pratiques, il propose ce qui
lui apparaît comme une voie de conciliation : ne pas
dépénaliser, mais inscrire dans la loi, au nom de
la «solidarité humaine et de la compassion », une
«exception deuthanasie », pour des cas supposés
rares et exceptionnels. Comment ne pas voir que
le compromis proposé, contrairement à ce qui est
affirmé, modifierait profondément nos règles
juridiques et représenterait une véritable acceptation
sociale de leuthanasie?
Le Comité reconnaît que dans toute société «la valeur
de linterdit du meurtre demeure fondatrice ». Telle
est aussi la ferme conviction de l’Église catholique,
maintes fois réaffirmée: «Tu ne tueras pas » est
un commandement de Dieu. Cest aussi le fondement
de toute vie sociale respectueuse dautrui, spécialement
des plus faibles et de ceux qui en viennent à douter
de la valeur de leur propre vie, surtout sils estiment
représenter une charge pour leur entourage. Il est de la
plus haute importance de ne pas affaiblir la force dun
tel repère. Le droit dune société ne peut, sans se ruiner
lui-même, faire place à toute forme darrangement.
Une exception juridiquement reconnue conduirait
rapidement à loubli progressif dun principe jugé
cependant fondateur.
Les évêques de France savent quil existe pour les
malades en fin de vie des situations très éprouvantes.
Ces situations appellent à la solidarité humaine et à
la compassion. Encore faut-il sentendre sur les termes.
La véritable compassion ne craint pas la souffrance
née de la proximité avec l’épreuve dautrui, elle
sefforce datténuer cette épreuve en singéniant à
trouver des moyens appropriés, elle reconnaît jusquau
bout la grandeur et la dignité de toute personne.
Cest cette reconnaissance, et non pas la mise à mort
délibérée dune personne, fût-ce sur sa propre
demande, qui permet dinscrire la mort pour
reprendre des expressions du texte du Comité «au
sein de la vie elle-même et de ne pas exclure dun
monde humanisé les derniers instants dune existence ».
DC 2000, n°2223, p. 333.
LA POSITION DE L’ÉGLISE DE FRANCE
à une distinction fondamentale entre le
meurtre (euthanasie et aide au suicide), le fait
de laisser mourir (suppression ou refus de
traitement quand le prix en est supérieur aux
bénéfices) et les soins palliatifs (qui pour-
voient aux besoins physiques, émotifs, so-
ciaux et spirituels des mourants et de leur
entourage). Tout en reconnaissant les droits
et la dignité de la personne, nous considé-
rons que la dimension relationnelle de la vie
humaine est tout aussi cruciale. Plus préci-
sément, le droit à la vie ne commande pas
lisolement de la personne ni une restriction
de la responsabilité de la société, mais plu-
tôt une réaffirmation de notre dépendance
mutuelle et ainsi de la nécessité de nous
soucier les uns des autres.
Les droits de la personne :
liberté et contrôle
(P. Mercier)
Le cœur du débat sur leuthanasie et
laide au suicide aujourdhui met laccent sur
la question du contrôle ou de la libre dispo-
sition de soi. En effet, des intervenants an-
térieurs appartenant aux deux parties du dé-
bat ont identifié le désir de contrôler et de
choisir le moment et la manière de la mort
comme le principe dune légalisation éven-
tuelle. Leur argumentation assimile souvent
le contrôle à la liberté. Bien que nous esti-
mions grandement la liberté légitime et
lautonomie de la personne, nous ne pou-
vons nous empêcher d’être profondément
38 Questions actuelles
Le 9 décembre 1999, les
évêques de Belgique ont
publié un communiqué
de presse dans lequel ils
condamnaient leuthanasie.
Ce communiqué confirmait
la position des évêques,
exprimée dans leur lettre
pastorale de février 1994
(voir DC 1994 n°2089,
p. 233-236) :
() Nous répétons aujourdhui
que lon doit être proche, par
tous les moyens, des personnes
gravement malades. Quand
le malade ne peut plus espérer
la guérison et que la lutte
avec la mort est entamée,
laccompagnement, lamitié,
les soins et les remèdes contre
la douleur deviennent très
importants. Dans ce contexte
nous demandons une attention
particulière pour lensemble
de laccompagnement
thérapeutique des personnes
âgées. Jamais on ne peut
détourner cette aide jusqu’à
rompre la relation avec le
mourant en mettant fin à ses
jours, dautant plus que
lapproche progressive de
la mort est souvent loccasion
dun approfondissement des
liens avec lentourage. Et si le
malade lui-même demande la
mort, cela ne nous semble pas
être une justification suffisante.
Personne na pleine disposition
de soi-même au point de
pouvoir prendre la décision
dabréger ses jours et de
détourner au service de son
désir de mort lart de guérir.
Aussi sommes-nous
préoccupés par les projets de
modifications législatives qui
approuveraient leuthanasie.
Ce souci grandit à la pensée
quune première facilité
donnée à leuthanasie
permettra peut-être un
élargissement de la loi à
dautres malades qui ne
sont pas dans une situation
irréversible du point de vue
médical et qui choisiront de
mourir. Nous pensons aussi
aux malades pour lesquels des
tiers décideront davoir recours
à leuthanasie. Nous appelons
chacun à ne sengager dans
aucune de ces voies.
En légiférant en faveur de
leuthanasie, les responsables
du bien-vivre des citoyens
fragiliseraient les malades,
leurs familles ainsi que
le personnel soignant dans
la lutte contre la douleur
et finalement dans leur
espérance.
L’Église « mue par la certitude
que la vérité morale ne peut pas
rester sans écho dans lintime
des consciences, encourage
les hommes politiques, à
commencer par ceux qui sont
chrétiens, à ne pas se résigner
et à faire les choix qui, compte
tenu des possibilités concrètes,
conduisent à rétablir un ordre
juste dans laffirmation et
la promotion de la valeur de
la vie » (Evangelium vitae, 90).
Si on légifère en la matière,
nous serons reconnaissants
à ceux qui veilleront à ce que la
loi en la matière se rapproche
le plus possible de la norme
fondatrice « tu ne tueras pas ».
Néanmoins, nous attirons
lattention sur le fait quune
réglementation légale ne
remplace jamais la norme
éthique.
Service de presse et dinformation de la
Conférence épiscopale.
LA POSITION DES ÉVÊQUES BELGES
de la personne selon un mode individualiste
qui saperait le sens de responsabilité mutuelle,
si important dans notre vie collective. Lorsque
ce sens de la responsabilité et de linterdépen-
dance samoindrit, le pauvre, le délaissé et le
faible en paient généralement le prix.
Souffrance et compassion
(Mgr Gervais)
Vous avez eu loccasion dentendre les té-
moignages de personnes qui cherchent quoti-
diennement à soulager la souffrance. Le sens
de la souffrance et la valeur et la dignité de la
personne souffrante sont extrêmement im-
portants. Nous ne soutiendrions pas que la
souffrance ennoblit toujours, ni quelle consti-
tue un bienfait. Dans toutes ses dimensions,
physique, psychologique et sociale, la souf-
france remet en question le fondement même
de la vie humaine. Elle dévoile notre faiblesse
et notre vulnérabilité. Elle peut nous isoler, et
singulièrement, dans un monde qui se dérobe
si souvent devant la réalité de la souffrance et
de la douleur humaine. Dautre part, nous at-
testons la valeur de la souffrance héroïque et,
comme catholiques, nous reconnaissons dune
manière particulière la façon dont la souf-
france nous unit à Dieu et aux autres.
Il arrive fréquemment que le langage des
droits rabaisse le sens de la compassion
cest-à-dire de la participation et de la commu-
nion aux souffrances dautrui au niveau de
pitié condescendante, supprimant ainsi le sen-
timent de tristesse engendré par les souf-
frances de lautre, alors laissé seul face à son
mal. Bien que la pitié puisse devenir de la sym-
pathie, seule, elle risque de nous couper des
autres et de nous laisser distants ou étrangers
à leur souffrance. Nous nous devons de redé-
couvrir la dimension sociale de la souffrance.
Nous devons nous souvenir que, jusqu’à ré-
cemment, la souffrance faisait partie de la vie
de la communauté. Elle suscitait la compas-
sion de la communauté et modifiait à la fois
son activité et le sens de son identité, parti-
culièrement lorsque les moyens de contrôler
la souffrance lui faisaient défaut. Aujourdhui,
la souffrance semble nous isoler les uns des
autres. Ce qui nous rend de plus en plus sus-
ceptibles de recourir aux mécanismes de
contrôle pour résoudre de tels problèmes.
inquiets du fait que le «contrôle » devienne
la valeur fondamentale à laquelle toutes les
autres et la vie elle-même seraient su-
bordonnées.
Dans la tradition chrétienne et dans la civi-
lisation occidentale sur lesquelles sont fon-
dées nos institutions politiques et sociales, la
liberté, par opposition aux débats centrés plus
étroitement sur lautonomie ou le contrôle, a
toujours trouvé son fondement dans le désir
du bien de la personne, intervenant non pas
dans la solitude, mais dans la relation.
Il semble opportun de rappeler comment le
discours sur les droits humains est apparu dans
nos traditions politiques. Il visait surtout à pro-
téger lindividu contre lexercice arbitraire du
pouvoir qui caractérisa toute une période dab-
solutisme royal. Les droits servaient à garantir
l’épanouissement serein des membres dune
communauté en limitant les contraintes et les
contrôles. Il est ironique de constater quon uti-
lise ce même discours des droits pour obtenir
lautorisation de pratiquer leuthanasie et laide
au suicide, sans voir que cette permission au-
rait pour conséquence d’ébranler les droits de
nos concitoyens en venant y ajouter une forme
de pouvoir et de contrôle sur la vie humaine
elle-même. Compte tenu du fait que les profes-
sionnels de la santé ou de la classe politique se-
raient souvent appelés à trancher, il pourrait ar-
river que, dans ce contexte de pouvoir et de
contrôle, une question aussi essentielle que
celle de la vie dégénère en une affaire pure-
ment utilitaire, dordre économique ou social.
Un tel pouvoir sur un droit aussi fondamental
que celui de la vie humaine transformerait in-
évitablement les rapports de force entre les
membres de la société qui, de membres dune
société libre, deviendraient agents de contrôle.
Et ainsi se dégraderait radicalement ce qui a
été un élément clé de la protection des droits
au long de siècles de progrès politique.
La relation intrinsèque entre la liberté per-
sonnelle et la dynamique de notre vie com-
mune constitue lun des traits de la tradition
chrétienne. Laffirmation de la valeur de la per-
sonne, faite pour vivre avec les autres et donc
avec Dieu, se situe au cœur de notre foi. Pour
nous, les droits ne nous séparent pas les uns
des autres, mais nous unissent pour édifier
une vie commune. Nous nous opposons donc
fortement à la tentative de redéfinir les droits
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