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Dossier pédagogique des Equipes Populaires
Belgique - België
P.P. - P.B.
5000 - Namur 1
BC 4854
Bureau de dépôt : 5000 Namur mail. N° d’agréation : P 204078. Photo : M Van Dieren
Bimestriel n° 128 • Septembre-Octobre 2008
Publicité :
La dictature
des marques
pub
Contrastes
sept-oct 2008
Equipe de rédaction :
Valérie Albertuccio,
Françoise Caudron,
Benoît Dassy,
Christine Steinbach,
Monique Van Dieren.
Rédactrice en chef :
Monique Van Dieren
Mise en page :
Hassan Govahian
Impression : Corelio
Editeur responsable :
Michele Di Nanno,
rue de Gembloux,
48, 5002 - Namur
Tél : 081/73.40.86
Fax : 081/74.28.33
Courriel : [email protected]
www.bap.propagande.org
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Marqués
comme du bétail…
La pub est tellement omniprésente que le sentiment de lassitude et de trop plein s’exprime de
plus en plus. Il n’est pas toujours facile de prendre
conscience à quel point elle marque notre culture
et nos habitudes.
Derrière ce phénomène, il y a des techniques
savamment mises au point. Celles-ci s’inscrivent
dans une théorie construite et pensée depuis bien
longtemps sur la manipulation de l’opinion
publique. Cette manipulation ne concerne pas seulement le commerce des produits, elle s’infiltre et
modifie de plus en plus les relations avec la sphère
politique et le monde du travail. Dans ce dossier,
nous présentons l’influence de la publicité dès le
plus jeune âge et les techniques utilisées pour
faire de nos enfants des prescripteurs d’achats.
Nous décodons les nouvelles techniques de marketing à travers des exemples concrets, notamment
Red Bull, Nestlé, Danone et Coca-cola. En fin de
dossier, nous décodons les théories de manipulations mises en place dès le début du 20è siècle
par des penseurs américains, pour nous laisser
«marquer au fer rouge» (technique du branding) par
la publicité…
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Contrastes
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sept-oct 2008
JEUNES ET PUB
De la pub dans le biberon
Les annonceurs publicitaires font preuve d'une
imagination débordante pour cibler en plein
cœur les consommateurs que nous sommes
tous, dès le plus jeune âge.
Les techniques de marketing et les messages
publicitaires sont savamment dosés pour faire
de l'enfant ou du jeune un accro de la
consommation de marques…
Les annonceurs publicitaires ont compris tout l'intérêt d'analyser les comportements et les habitudes de vie des jeunes pour en faire des "prescripteurs de produits". Cela signifie que ce sont de
plus en plus les jeunes qui décident eux-mêmes
ce qu'ils achètent avec leur argent de poche (1) et
qu'ils influencent de plus en plus les choix de
consommation de leurs parents. Observons le
comportement des enfants dans les grandes surfaces : neuf enfants sur dix placent spontanément
des produits dans le caddy des parents !
De nombreuses marques de voiture s'adressent
aux enfants, en vantant tel ou tel gadget ou en
mettant en scène un personnage familier des
enfants, sachant que ceux-ci auront - consciemment ou non - leur mot à dire dans la décision que
prendra leurs parents.
A chaque âge son attitude
A partir de quel âge l'enfant devient-il prescripteur
d'achats ?
Selon une étude du CRIOC, réalisée il y a 3 ans (2),
c'est dès l'âge de 4 ans que l'enfant influence ou
décide de certains achats de ses parents.
Mais les publicitaires n'attendent pas cet âge pour
entreprendre leur travail de laminage de cerveau.
Depuis 2003 en effet, la chaîne de Baby TV channel (3), disponible en Belgique, conçoit des programmes pour les bébés à partir de …6 mois.
Sous des apparences pseudo éducatives, la
chaîne entend les éveiller aux couleurs, aux sons,
aux sensations douces. En réalité, ces programmes sont truffés de publicités cachées prenant la forme de mascottes, de petits animaux ou
de doudous qui se retrouvent sur les emballages
de produits. Dès qu'ils en seront capables, les
bambins trépigneront et hurleront dans le magasin
pour faire craquer leurs parents !
De nombreux psychologues et psychiatres tirent la
sonnette d'alarme pour dénoncer les méfaits de
ces images distillées beaucoup trop tôt dans des
cerveaux-éponges qui n'ont aucune faculté de réagir face aux stimuli sensoriels … et publicitaires.
Pour en revenir à l'étude du Crioc, le monde des
jeunes n'est pas un ensemble indifférencié.
Pour chaque classe d'âge, les stratégies publicitaires sont spécifiques, même si certaines classes
d'âge partagent des comportements communs…
et la même envie d'imiter la classe d'âge supérieure.
4-8 ans : Les produits maternants
Contrastes
pub
Dès l'âge de 4 ans, l'enfant perçoit que faire des
achats permet de satisfaire des envies et des
besoins. De leur côté, les parents souhaitent
encore materner et rassurer leurs chérubins… et
cela passe de plus en plus par l'achat de produits
câlins, sucrés, doux…
Les publicités et emballages présentent donc les
produits comme amusants et étonnants pour les
enfants, et sains pour les mamans. Ils jouent sur
l'utilisation de personnages symboliques et sur
sept-oct 2008
g
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JEUNES ET PUB
g l'imaginaire (animaux, lutins, personnages de dessins animés…)
Les publicités mettent parfois en scène un monde
où les enfants font la loi, où les parents sont non
admis ou même ridiculisés. Ils se créent ainsi progressivement leur univers… et se forgent leurs propres exigences en matière de consommation.
8-11 ans : L'identification aux héros
Cette tranche d'âge ne constitue pas un groupe
homogène : les enfants sont encore proches de
l'univers maternel mais commencent à chercher à
s'affirmer par la désobéissance et l'opposition. Ils
comprennent de mieux en mieux que la publicité
(à la TV, dans la rue…) présente des produits qu'on
peut acheter en magasin. Ils commencent à avoir
un peu de liberté de choix et à se soucier de leur
image.
Les produits "plaisir et fun" apparaissent dans leur
univers de consommation. Tous les sens sont sollicités : le goût (sucré, acidulé,…), le toucher
(formes et matières crémeuses, croustillantes…),
l'odorat (mentholé, fruité,…), la vue (couleurs
vives…). C'est aussi l'âge où la Mc'Donalisation de
la consommation apparaît (hamburgers, coca, chewing gum…). Le développement de "produits dérivés" (4) fait également exploser les ventes. En effet,
cela augmente la visibilité de la marque et accentue l'attachement au produit.
C'est une période de changements rapides dans la
vie des jeunes. Leur identité se construit, l'esprit
critique se développe, ils accordent beaucoup
d'importance aux amis et à ce qu'ils consomment.
Internet et toutes ses applications (jeux, musique,
chat…) remplace petit à petit la télévision.
L'adolescent est un acheteur important. Son
argent de poche augmente avec son passage à la
"grande école"; Il achète un GSM, des DVD, des
jeux, des vêtements, des magazines qu'il choisit
désormais tout seul. Il influence fortement les
choix alimentaires, le lieu de vacances, l'achat de
la voiture ("Peugeot 806, la voiture que les enfants
recommandent à leurs parents").
Les publicitaires développent des produits au look
plus adulte mais financièrement accessibles. A cet
âge, la marque du produit devient un critère de
reconnaissance sociale : elles sont donc rendues
très visibles sur les vêtements, les sacs, les cartables, les chaussures….
14-18 ans : Montrer la différence
Les ados recherchent l'indépendance vis-à-vis des
parents mais l'appartenance, l'identification à un
groupe.
Ils cherchent avant tout à se différencier de l'enfance et de l'âge adulte à travers la mode, les loi-
Quand la pub nous suit à la trace...
Les jeunes sont une cible privilégiée pour les publicitaires, non seulement parce qu'ils sont de plus en plus
des prescripteurs d'achat mais aussi parce que ce sont
les futurs (gros) consommateurs de demain. D'où l'importance d'adapter le langage et l'image, mais aussi du choix
du lieu pour faire de la pub. Et puisque les jeunes passent de moins en moins de temps à la TV et de plus en
plus sur internet et avec leurs copains, les publicités (et
les publicitaires) se déplacent dans la rue, à l'entrée des
dancings, dans les compétitions sportives, dans les festivals...
Passons rapidement en revue ces nouvelles techniques
de marketing.
Le marketing viral (comme un virus) se transmet de
bouche à oreille. Il consiste à encourager le jeune à transmettre à d'autres un message publicitaire.
Exemple : en envoyant en sms, en transférant un mail ou
un site internet….
Le marketing tribal vise à créer un "groupe de jeunes"
(tribu) autour d'un produit auquel on s'identifie. Les
annonceurs publicitaires utilisent un langage spécifique
que seuls les "initiés" peuvent comprendre et organisent
pour eux des évènements tels que sorties, sport,…
Le street marketing (de rue) cible les consommateurs là
4
11-14 ans : L'importance des marques
Contrastes
où ils achètent : centre commerciaux, rue, soirées… il se
caractérise principalement par la distribution d'échantillons ou de gadgets.
Le buzz marketing consiste à créer l'évènement autour d'un
produit avant même son lancement sur le marché. Par
exemple, les publicitaires inventent de faux produits ou utilisent des slogans douteux pour susciter la curiosité des
jeunes, qui se ruent ensuite sur le produit pour le tester.
Le marketing relationnel vise à entrer en relation directe
avec l'acheteur potentiel, principalement via le téléphone
ou internet. Les outils d'accroche sont des concours, des
promotions, des réductions…
L'undercover marketing est une technique qui vise à
approcher le consommateur dans son environnement
mais sans que celui-ci ait conscience qu'il s'agit d'une
démarche commerciale. L'exemple du concours d'avions
en papier sur un site estudiantin organisé par Red Bull en
est l'exemple type.
Citons enfin le marketing d'embuscade qui consiste à utiliser un évènement d'actualité pour construire son message
publicitaire. Ou encore le marketing éducatif qui consiste
par exemple, à offrir du matériel scolaire ou des petits
déjeuners pour faire une percée auprès des plus jeunes.
pub
sept-oct 2008
M Van Dieren
sirs, la musique, les émissions radio, la consommation de produits spécifiques (boissons énergisantes ou alcoolisées…)
L'esprit critique est souvent très développé. C'est un âge où les
publicitaires doivent être très attentifs à ne pas rater leur cible
parce que le jugement des jeunes est souvent implacable ! Ils
sont également ouverts aux idées et aux techniques publicitaires
nouvelles, telles que le buzz marketing et le marketing tribal (voir
encadré).
18-24 ans : Le marketing below-the-line
Les jeunes adultes constituent une classe d'âge paradoxale. Ils
sont majeurs mais habitent encore souvent chez leurs parents,
leur situation ne leur permettent pas une indépendance financière (études, stage d'attente,…). Ils disposent cependant de
beaucoup d'argent de poche ; de 50€ par mois à 18 ans à 200€
à 21 ans, en moyenne.
Les différences de consommation sont très marquées entre les
garçons et les filles, et ils adoptent généralement une attitude
critique vis-à-vis de la culture et des discours officiels. Les stratégies de marketing doivent être très subtiles parce que les jeunes
de cette tranche d'âge comparent les prix et supportent mal les
marques qui trompent ou qui trichent.
Cette tranche d'âge est ciblée quasi exclusivement par les techniques "Below-the-line" (5), c'est-à-dire les techniques autres que
celles utilisées par les médias classiques (TV, journaux, affichage en rue). Il s'agit principalement d'internet, des évènements sponsorisés, des campagnes promotionnelles en rue…
Résignation ou résistance ?
La publicité est donc partout, même là où on s'y attend le moins. Au
point qu'on commence à avoir du mal à imaginer le monde sans pub.
Les enfants sont particulièrement perméables aux messages
publicitaires. Les études scientifiques montrent que leur cerveau
Contrastes
n'a pas encore une maturité suffisante pour se forger une opinion
rationnelle face à la pub. Comment les préserver d'une vie où tout
serait conditionné par le désir -souvent insatisfait- d'acheter ?
Deux tendances s'affrontent sur cette question. Pour caricaturer,
on pourrait dire qu'il y a d'un côté "les résignés", ceux qui pensent
que le système économique ne peut pas se passer de la manne
publicitaire et que, plutôt que d'interdire la pub, il faut "éduquer
les enfants" à la lire intelligemment pour ne pas se faire piéger.
De l'autre côté, il y a les "résistants" qui estiment que l'éducation
aux médias n'est pas suffisante pour préserver et protéger les
enfants de l'influence néfaste de la publicité. D'où la nécessité
de limiter, voire d'interdire la publicité qui cible en particulier les
enfants. Par exemple en supprimant la pub avant 19h à la TV, en
interdisant l'intrusion de la pub dans les écoles, ou les campagnes publicitaires ciblées pour les plus jeunes… Après tout, la
loi n'est-elle pas là pour protéger les plus vulnérables ?
Monique Van Dieren
(1) A 12 ans, les enfants ont en moyenne 25€ par mois d'argent de poche. A 15
ans, ils ont 37€ par mois, à 18 ans 50€ et à 21 ans 200 € par mois.
(2) L'enfant prescripteur. Comment les marques utilisent le marketing générationnel, Marc Vandercammen, mars 2005
(3) Pour en savoir plus, consultez le site www.babytvchannel.fr
(4) Ce sont tous les produits commercialisés au départ d'un héros de film, de
BD, de jeux vidéo. Opération tout bénéfice pour les 2 parties : le fabricant de
biscuits qui augmente ses ventes grâce à l'image des Spiderman et autres
superman sur l'emballage, et le producteur du film qui fait payer les droits de
reproduction de l'image…
(5) La publicité est répartie en 2 catégories : la publicité below the line (hors
médias) et la la publicité above the line, c'est-à-dire la publicité diffusée par
les mass média (presse, TV, panneaux, …). Il est intéressant de savoir que les
investissements publicitaires sont généralement répartis par part égale entre
ces deux catégories. En 2007, Jean-François Sacré, journaliste à l’Echo estime
que les investissements publicitaires toutes catégories confondues s’élevaient
à 6 milliards d’euros. Le centre d’information sur les médias (CIM) annonce
quant à lui que les investissements publicitaires above the line (dans les
médias) de janvier à novembre 2007 s’élevait à 2,8 milliards d’euros.
pub
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5
JEUNES ET PUB
Sois Red Bull… et
tais-toi !
Red Bull est, à lui seul, un véritable phénomène
publicitaire. L’exemple par excellence de la
technique du branding (1) qui vous invite à vous
fidéliser à la marque.
Bien plus que vendre un produit, Red Bull vend
un style de vie. Pour les jeunes, public cible de
la marque, Red Bull incarne l’action, le plaisir,
les sensations fortes, la fête, l’inventivité,
l’extrémité. C’est une vie hyper intense que
Redbull offre aux jeunes en soif de
sensationnel… et au passage, de boisson
énergisante !
M Van Dieren
La marque de boisson énergisante développe une
longue armada marketing pour faire désirer, acheter, consommer, dépenser et in fine faire gagner
beaucoup d’argent aux promoteurs de la marque.
Des méthodes amusantes, surprenantes, fascinantes mais aussi franchement choquantes ; il y a
de tout chez Red Bull. Au départ d’un seul produit,
on peut faire le tour de tout ce dont il faut se
méfier si l’on veut garder un regard critique sur la
consommation !
Red Bull s’adresse donc à un public jeune qu’il va
chercher, en rue, dans les boîtes de nuit, sur
Internet et même dans les salles de cours. Peu de
spots publicitaires ou de campagnes d’affichage.
La marque préfère trouver des relais directement
dans son public cible (marketing tribal et street
marketing). Elle invite les jeunes à rêver et à vivre
des émotions fortes (marketing relationnel ou évènementiel), et ce dans une dynamique de mise en
confiance dans un produit présenté comme sain,
qui aide à la performance (marketing éducatif).
Attention : jeunes adultes pistés !
Si la marque s’adresse notamment aux adolescents de 14-18 ans, c’est surtout vers les jeunes
adultes (18-24) que Red Bull concentre son marketing. Chacun des éléments décrits plus haut
montre que les 18-24 ans constituent bel et bien
leur public cible. En effet, Red Bull vend un mode
de vie basé sur la fête, le loisir, la musique, le
6
Contrastes
pub
sport extrême et la mise en cause du pouvoir (cf.
initiative vis-à-vis des travaux inutiles). Si l’on en
croit une enquête du CRIOC, c’est tout ce que
cherche à construire le jeune adulte : “Les différences de consommation sont très marquées
entre garçons et filles. Les premiers consacrent la
plus grande partie de leur budget aux sorties, loisirs culturels et vêtements (…) Ils s’inscrivent non
pas dans une volonté de contestation mais plutôt
dans des adhésions successives à des actions,
adoptant souvent un comportement cynique, cherchant à subvertir le système en leur faveur. C’est
ainsi qu’ils adoptent une attitude critique vis-à-vis
de la culture officielle et rejettent la standardisation des produits. Nombreuses sont les sous cultures musicales de référence comme le surf, le
hip hop, la techno, …”. (6)
On imagine que Red Bull a de bons motifs pour
s’attaquer à ce public cible. Toujours selon l’enquête du CRIOC (7), les jeunes de 18-24 ans constituent une classe d’âge tout à fait particulière. Tout
d’abord, ils sont majeurs. Ensuite, si la majorité
d’entre eux demeure encore aux études, leurs
revenus sont importants. Enfin, ils sont généralement autonomes dans leur gestion financière (ils
font ce qu’ils veulent avec leur argent). C’est souvent le cas des jeunes qui kottent et aussi de la
génération des “Tanguy” (8).
On comprend donc l’intérêt réel pour un commercial de s’intéresser avant tout à cette catégorie de
la population qui possède pas mal d’argent et sur-
sept-oct 2008
tout peu de contraintes financières.
pour plus de confort individuel, qui n’en rêverait
pas ?
Red Bull… Zorro est arrivé
Red Bull joue sur la tendance des jeunes à vouloir
se positionner de façon critique face au pouvoir en
place. Et comme eux, il développe pour cela une
attitude pour le moins cynique !
Cette posture de Super héros qui offre une vie de
rêve et combat l’injustice a de quoi séduire les
jeunes (et moins jeunes d’ailleurs). Etre dans le
vent et en même temps redresser des injustices
Mais attention, même s’il propose aux jeunes d’investir les travaux inutiles, Red Bull n’invite pas à
développer des actions collectives et citoyennes.
Ce que fait la marque et que nous dénonçons, c’est
la démagogie. Red Bull dénigre sans critique et
analyse. Vous pouvez lire sur leur site : “Qu’est-ce
qui est typiquement belge ? Le chocolat, les frites
mayonnaise, le Manneken Pis, l’Atomium naturellement et … les travaux inutiles !”9 . Ce n’est pas
amusant, ce n’est pas sympathique, c’est tout sim- g
Red Bull et les nouvelles techniques de marketing
Replaçons Red Bull dans
les différentes stratégies
de marketing qui ont
actuellement le vent en
poupe.
• Buzz marketing :
En mars 2008, alors que Red Bull est interdit de vente en France (voir pavé sur ce
sujet), la firme qui prévoit d’envahir le marché envoie 300 ambassadrices qui sillonnent la capitale au volant de mini cooper
peintes aux couleurs de Red Bull et distribuent des canettes à volonté surtout aux
sorties des collèges et des lycées (2).
• Marketing relationnel :
En 2006, Red Bull a infiltré l’université
de Louvain La Neuve. Un élève a proposé un concours d’avions en papier
dans les auditoires. Cette initiative de
prime abord sympathique s’est vite révélée être une campagne de pub, les
papiers utilisés étant un objet de promotion de Red Bull. Cet exemple n’est pas
isolé. En partant à la découverte de leur
site Internet, on peut découvrir toute une
série d’informations sur le championnat
mondial de “lancer d’avion en papier”
organisé par Red Bull, avec éliminatoires
nationaux et épreuves internationales.
• Marketing événementiel :
Red Bull ne se contente pas de soutenir
des événements par le sponsoring. Il
prend part activement à leur organisation. Il en est même parfois l’opérateur
principal. Le “Red Bull caisse à savon” de
Bruxelles en est un exemple : “Stefaan
Bettens de chez Red Bull Belgique, organisateur de l’événement, ne cachait pas
son bonheur après la course : “A chaque
nouvelle édition, je suis épaté par ce que
les teams et les participants réalisent ici
mais aussi par les foules qu’ils peuvent
faire déplacer auprès de nos fans. Je
suis fier que Red Bull puisse être l’insti-
gateur d’un tel forum. Des bolides bigarrés, un folklore tonitruant tout au long du
parcours, plus de 50.000 spectateurs
enthousiastes, un jury de personnalités
attachantes et impliquées dans leur rôle
et, en fin de compte, des milliers de sourires, de fous rires” (3).
• Marketing éducatif :
Attention, Red Bull n’est pas qu’un objet
de plaisir et d’amusement, c’est aussi
une aide à la mémoire, un soutien à la
concentration, bref un véritable outil
éducatif bon pour l’étudiant. C’est du
moins ce que prétend Red Bull lui-même
sur ses dépliants déposés dans les
salles d’études des étudiants (enseignement supérieur et universitaire) à la
veille des blocus. Cet encouragement à
la consommation se base sur les effets
bénéfiques des ingrédients compris
dans sa recette, notamment : caféine,
taurine, acide nicotinique, vitamine B 6
et B 12,… Ingrédients dont l’effet sur le
corps humain n’est pas prouvé et est
même très controversé (voir pavé “Red
Bull Interdit de France”).
• Un mix de marketing tribal, viral et
street marketing :
Pour développer la stratégie décrite
jusqu’à présent, Red Bull a besoin d’alliés parmi les jeunes. Ainsi sur son site,
Red Bull propose au jeune de “décoller
dans ses études sans bûcher”. L’offre
précise ceci :
“Le profil de la fonction :
- Implantation du marketing mix dans
la vie estudiantine.
- Planning, supervision et rapport de
toutes les activités marketing.
- Chercher de nouvelles idées créatives pour approcher les étudiants.
- Collaboration étroite avec le département marketing de Red Bull.
Ton profil :
- Nous recherchons des team players
Contrastes
pub
enthousiastes, extravertis et indépendants, ayant des facilités de
communication.
- Quelqu’un osant prendre des initiatives.
- Il/elle a de bons contacts dans le
monde estudiantin, que ce soit avec
des cercles d’étudiants ou des universités/hautes écoles.
- Il/elle est déjà plongé(e) dans les
bouquins depuis minimum un an.” (4)
C’est donc grâce à cette armée de soldats qui parlent le “rédbuléin ailé” (5)
que l’entreprise s’immisce dans l’univers
des jeunes.
Autre exemple de l’utilisation des jeunes
eux-mêmes comme canal publicitaire,
les vidéos de Red Bull : You Tube, célèbre site Internet qui fait le bonheur des
jeunes. On y retrouve une multitude de
chansons, vidéos, dont… 48 500 vidéos
sur Red Bull. La plupart de ces petits
films ont été mis en ligne par des jeunes
eux-mêmes. Il ne s’agit pas de spots
publicitaires classiques, ce sont des
extraits d’événements (cf. marketing
événementiel) organisés par la firme. On
y trouve par exemple des extraits de la
Red Bull city rage (concours musical), de
la Red Bull break dance compétition, en
Espagne du championnat national de
combat de coqs organisé par Red Bull, …
• Marketing d’embuscade (ou du moins
inspiré par) :
Red Bull dénonce les célèbres “travaux
inutiles” (identifiables sur une carte de
Belgique. Voir www.redbulllosthighways.be)
et invite les jeunes à imaginer des plans
de reconversion pour ces espaces vides.
La firme s’engage à défendre en haut lieu
les projets les plus créatifs. Au travers de
cette technique de marketing, Red Bull
propose aux jeunes de prendre leur avenir
en main !
sept-oct 2008
7
JEUNES ET PUB
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Red Bull interdit
en France
Red Bull est une boisson énergisante dont les concepteurs prétendent (via des folders dans les écoles notamment) qu’elle est bonne pour la santé. Il s’agirait d’un
stimulateur de mémoire, d’un outil de concentration,
d’un complexe de vitamines à prescrire aux étudiants.
C’est loin… très loin d’être l’avis de Roselyne Bachelot,
ministre de la santé en France qui conseille aux parents,
par mesure de sécurité, de boycotter Red Bull .
La ministre française base son conseil sur l’avis rendu
en 1996 par le Haut comité de la santé publique
(CSHPF) et qui affirme ceci : “la boisson contient des
teneurs en taurine et en D-glucuronolactone dont personne ne sait vraiment si elles sont dangereuses pour la
santé” (11). A l’époque, cet avis officiel avait entraîné l’interdiction de vente du produit en France.
En 2003, la position officielle de la France est confortée
par les résultats d’une étude menée conjointement par
l’AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) et le SCF (Scientific committee on food). Cette
étude menée sur des rats affirme que le produit est
toxique pour les reins et entraîne notamment une forte
hyperactivité (les rats vont jusqu’à s’automutiler pendant
l’expérience). Cette étude ne permet pas d’émettre un
avis scientifique définitif mais aucune étude fiable ne
vient lever les interrogations suscitées par ces travaux.
Après pas mal de rebondissements (dont je vous
épargne les détails) (12) et sous la pression de l’UE qui
évoque le principe de la libre circulation des biens (Red
Bull étant un produit autorisé dans d’autres pays de
l’UE), la France s’est vue obligée de s’incliner face au
“bulldozer” commercial. En juillet 2008, Red Bull a
envahi le marché français, laissant la ministre face à
ses inquiétudes et ses mises en garde. Elle évoque
encore “un faisceau d’indices…, de suspicions de décès
en Suède et en Irlande”.
(10)
Contrastes
plement crapuleux. Sous des dehors de défense de l’intérêt des jeunes citoyens, Red Bull flirte avec des propos d’extrême droite et tout cela… pour vendre une boisson ! C’est plus que limite, nous semble-t-il !
Parlons encore de la vie de rêve
Avec Red Bull, vous vivrez des sensations fortes, vous
ferez la fête, vous réussirez vos examens sans vous fatiguer et vous gagnerez votre vie sans étudier. Quel pied !
Décodons : Pour vendre son breuvage, Red Bull fait
appel au côté pulsionnel de la foule (voir article page
16). Même si Red Bull est novateur en matière de forme
et de marketing, sur le fond, il se base sur un vieux principe mercantile à savoir : Ce qui compte c’est votre
désir ! De là, Red Bull imprime la conviction chez les
jeunes, que leurs désirs, c’est la fête, le plaisir et le
rêve. Donc, c’est de boire Red Bull.
Au terme de cet article, nous ne voudrions pas laisser le
lecteur croire que nous diabolisons Red Bull. Red Bull
n’est pas Le Mal. Red Bull est un excellent exemple de la
manipulation permanente que nous vivons tous tout le
temps de la part du monde du commerce. Ce n’est plus à
la criée sur les marchés que les marchands cherchent à
nous convaincre, c’est en s’infiltrant dans nos modes de
pensée. Par ce dossier, par la campagne de sensibilisation menée par les Equipes Populaires, nous vous invi-
pub
sept-oct 2008
Profession :
Panneau publicitaire
M Van Dieren
Un ami parti à Taipei
(capitale officieuse de
Taiwan) écrivait ceci
sur son blog (journal
en ligne) :
tons à vous réapproprier, tant que faire se peut, votre propre pensée. A retrouver votre libre arbitre...
Valérie Albertuccio
(1) Le mot branding vient du verbe anglais To brand qui signifie marquer (le
bétail) au fer rouge. Il s’agit donc ici d’apprendre à consommer des marques et
à fidéliser le client.
(2) Informations trouvées dans : Trends Tendances du 02/04/08.
(3) www.redbullzeepkistenrace.be/mime/.../. Page consultée le 18 septembre
2008.
(4) http://www.redbull.be/#page=CompanyPage.Jobs. Page web consultée le
10 septembre 2008.
(5) Idem.
(6) VANDERCAMMEN.M., L’enfant prescripteur. Comment les marques utilisent
le marketing générationnel !, CRIOC, mars 2005, p. 10.
(7) Idem.
(8) En référence au film du même nom : Jeunes qui restent tardivement au
domicile de papa et maman.
(9) www.redbulllosthighways.be, page consultée le 18 septembre 2008.
(10) VEY.T. dans Red Bull quels dangers ?, dans Le Nouvel observateur, le 18
juillet 2008.
(11) Idem.
“ La taurine est un dérivé d’acide aminé qui aurait une influence sur les transmissions entre neurones au sein du cerveau et le D-glucuronolactone un sucre
produit par le foie à partir du glucose. Une seule cannette de Red Bull contient
pour chacune de ces molécules respectivement 5 et 500 fois les doses apportées par une alimentation quotidienne normale ! La société recommande d’ailleurs de ne pas dépasser une consommation de deux canettes pas jour”.
Ibidem.
(12) Pour plus de détails, lire notamment Red Bull, la boisson qui donne des
ailes atterrit en France
Contrastes
“Parmi les métiers
incongrus que l'on
trouve à Taipei, ma
préférence va pour
celui qui consiste à
rester des heures,
planté à un carrefour,
à tenir simplement un
panneau publicitaire
pour un restaurant ou
un commerce, indiquant la direction à
suivre ...
On voit parfois quatre
ou cinq "porteurs" au
même carrefour, souvent relativement âgés ... un métier
qui, en Occident, a été remplacé par le colson qui permet
de fixer le panneau à un poteau quelconque...
L'intérêt, c'est que le "paysage publicitaire" varie bien plus,
que c'est plus vivant, plus ciblé (le panneau n'est là que
quand le restaurant est ouvert), qu'on ne voit pas de panneaux périmés depuis des mois, que les publicités restent en
bon état ... et puis surtout, ça donne un salaire à quelqu'un,
et rien que pour ça, ça mérite d'exister !”
Ses deux derniers arguments méritent débat. D'une part,
les publicités détournées ou tagées sont parfois fort amusantes. D'autre part, l'intérêt d'un salaire en échange d'un
métier aussi... épanouissant me semble discutable. Mais il
faut dire que je n'ai pas trouvé trace de l'existence d'une
allocation de chômage à Taiwan. Il est donc compréhensible
que “panneeau publicitaire” y devienne un métier...
Pas qu’à Tapei !
Et non, même en Occident tout le monde ne connaît pas
encore le colson…. Un samedi comme un autre... quelques
achats à faire du côté de Rocourt. Je sors de l’autoroute à
Alleur, arrive au rond-point toujours saturé de voitures
pleines de gentils consommateurs et de panneaux indicateurs et publicitaires en tout genre.
Première sortie possible : Décathlon.
Deuxième sortie : ô surprise, j’aperçois un panneau indicateur pas tout à fait comme les autres….un panneau qui
bouge, un panneau vivant, un panneau qui a l’air d’avoir
froid, un panneau qui s’emmerde à mourir, un panneau noir,
un panneau debout sur ses deux pieds affublé d’une pancarte presque plus grande que lui qui m’indique la direction
du Roi du matelas. Un mannequin vivant serait-il moins cher
que le colson d’un panneau indicateur ?
Faut-il se réjouir d’un emploi créé (mais à quelles conditions)
ou s’effrayer de ce qu’on propose à ce pauvre homme ? Et si
on lui demandait son avis ?
pub
FC et BD
sept-oct 2008
9
MARKETING
Le goût,
est-ce bien
nous ?
L’alimentation saine est une
préoccupation pour une part
importante des consommateurs
d’aujourd’hui.
Les
entreprises
agroalimentaires l’ont bien compris.
Aussi les campagnes publicitaires
déclinent-elles sur tous les tons
l’hymne à la nature, à la pureté, à la
vie saine. Bien sûr, il s’agit d’une
image collée au produit. Et derrière
cette image ? Des stratégies de
vente auxquelles les multinationales
consacrent des budgets colossaux.
M Van Dieren
Aujourd’hui, dans les sociétés occidentales
modernes, la majorité de la population n’est plus
hantée par le spectre d’une famine. En revanche,
ces dernières années, des crises comme celle de
la vache folle ou de la grippe aviaire ont suscité
d’autres inquiétudes : qu’y a-t-il exactement dans
notre assiette ? Les cris d’alarme des spécialistes
de la santé à propos de l’obésité, des maladies
cardio-vasculaires gonflent encore cette inquiétude. L’agriculture industrielle, les méthodes de
production, de transport et de distribution sont
mises en cause et l’on se remet à rêver d’une
nourriture “naturelle”, “simple” mais sûre.
A défaut de transformer réellement les modes de
production, les firmes ont compris qu’il fallait
renouveler l’image de leurs produits. A grands
renforts de campagnes publicitaires, elles s’efforcent de nous convaincre qu’elles ont exactement
ce qu’il nous faut, et qu’il n’y a pas plus “nature”
que leurs ingrédients. Voici trois exemples pour
illustrer ces stratégies.
L’eau en bouteille, nouveau symbole
de la pureté
S’il est un produit alimentaire en pleine expansion c’est bien l’eau minérale en bouteille. Il
existe aujourd’hui une gamme impressionnante
de marques, et les bars à eaux connaissent un
succès grandissant. Emporter avec soi sa petite
bouteille est devenu tout à fait “tendance” dans
les années ’80, à l’époque où le jogging devenait
10
Contrastes
pub
à la mode. Qu’on se rappelle des spots publicitaires de Vittel ou Evian montrant inlassablement
des jeunes femmes en tenue de jogging ou des
jeunes pères de famille emmenant leurs enfants
faire du sport dans les bois. Les minéraliers ont
surfé sur la même vague que Nike et ses chaussures : associer la consommation de leur produit
à une vie saine, moderne et sportive. Dans les
années ’90, le marché a explosé, notamment
avec l’utilisation d’emballages PET et grâce à l’arrivée des grandes multinationales qui se disputent désormais les quatre premières places :
Nestlé, Coca-Cola, PepsiCo et Danone.
Elles lanceront de grandes campagnes de marketing destinées à convaincre le public. La stratégie
comprend deux grandes étapes :
Dans un premier temps, on crée une méfiance
vis-à-vis du service public chargé de la gestion du
réseau d’eau. La qualité, le goût de l’eau du robinet deviennent sujets à caution. En France, le
groupe Alma n’hésite pas à frôler l’indécence.
Voici l’un des slogans utilisés pour son eau
Cristaline : “Qui prétend que l’eau du robinet a
toujours bon goût ne doit pas en boire souvent”.
Dans un deuxième temps de campagne, il s’agit
d’apporter la solution qui rassure. A vrai dire,
l’eau est le produit idéal pour un publicitaire,
comme l’explique le publicitaire français Jacques
Séguéla : “L’eau étant incolore, inodore et sans
saveur, la publicité peut façonner son âme et
c’est là où la magie publicitaire agit le mieux.
Après tout, toutes ces bouteilles sont les mêmes.
sept-oct 2008
And the winner is ...
Nestlé, n°1 mondial de l’eau en bouteille
Le département “waters” de Nestlé est en tête des minéraliers. La multinationale suisse détient, entre autres, les
marques Perrier, Vittel, Contrex, San Pelegrino et Acqua
Panna. Son chiffre d’affaires atteint 67 milliards € en 2007,
avec un bénéfice net de 6,6 milliards. Une de ses meilleures
pubs : son engagement volontaire à remplir les critères du
programme européen et canadien conditionnant la publicité à
destination des enfants de moins de 12 ans.
Danone, n°1 mondial des produits laitiers
Son chiffre d’affaires mondial avoisine les 2,9 milliards €,
dont 400 millions, soit 15%, sont injectés dans le budget
publicitaire.
Dès lors, l’imaginaire va les charger d’une valeur distincte, correspondant à une qualité” (1). L’irrationnel entre en scène et voici
que l’eau minérale, dans son emballage et avec ses adjonctions
de sels ou de gaz, devient symbole de pureté.
Objectivement pourtant, les arguments en faveur de l’eau du
robinet ne manquent pas. D’abord son coût est considérablement moins élevé. En Belgique, selon la société Aquawal (2), avec
3 € on peut s’offrir 1.000 litres d’eau provenant du robinet
contre seulement 9 litres d’eau minérale en bouteille (et c’est
loin d’être le prix le plus élevé). L’eau du robinet fait l’objet de
contrôles réguliers, y compris sur sa teneur en pesticides (ce
n’est pas le cas pour l’eau en bouteille). L’eau de réseau fait
l’économie de la production et du transport des bouteilles plastiques, qui représentent 300.000 tonnes de CO2 par an (chiffre
du Crioc). Elle garantit un bon équilibre des différents sels minéraux qui la composent, alors que les eaux minérales favorisent
souvent l’un ou l’autre sel.
Oui mais... trente ans de publicité nous ont appris à préférer
l’eau en bouteille. Ainsi, beaucoup de gens disent aussi que
l’eau du robinet a mauvais goût. Cependant, constate le Crioc,
lors de tests en aveugles, rares sont ceux qui repèrent l’eau du
robinet parmi les différentes eaux en bouteille (1).
Et les services publics n’ont pas les moyens de soutenir un
contre-argumentaire au prix d’une campagne publicitaire. On
peut estimer à 47% environ du prix d’une bouteille d’eau minérale la part qui revient aux frais de distribution et de marketing.
Activia : un pseudo bio devenu alicament
En 2006, l’entreprise Danone a réussi en France une belle campagne publicitaire. Grâce aux 9 millions € injectés pour des
spots publicitaires et 1 million pour l’affichage, sans compter un
bon millier de stands de démonstration dans les magasins,
Danone a fait connaître son yaourt Activia aux consommateurs
et emporté 7,8% des parts de marché de “l’ultra frais” (4).
Sauf qu’en fait on connaissait déjà le produit : c’est l’ancien BIO,
dont l’appellation laissait subtilement entendre qu’il s’agissait
d’un produit dont les ingrédients sont issus de l’agriculture biologique. Mais sans le mentionner explicitement. Ce qui eût été un
gros mensonge, car justement, BIO n’était pas “bio”. C’est pourquoi l’Union européenne a mis le holà. Danone fut sommé de
changer le nom de son yaourt. L’argent dépensé en publicité a
donc servi à relancer le même produit, mais cette fois, les images
et slogans utilisés dans les spots et les affiches laissent entendre
que le produit possède des vertus médicinales. Comment ? En
insistant sur l’apport du bifidus actif, un ferment lactique et de
Contrastes
Coca cola, n°1 mondial des boissons non
alcoolisées
L’entreprise consacre environ 2 milliards $ chaque année à
ses investissements publicitaires, soit près de la moitié de
son bénéfice net en 2005 (4,9 milliards) pour un chiffre d’affaires de 23,1 milliards. Deux milliards $, cela correspond au
budget des Nations Unies.
fibres, mais aussi en mentionnant un partenariat avec un magazine mensuel qui porte le mot “santé” dans son titre.
Le prix d’un tel yaourt est nettement plus élevé que celui d’un
yaourt ordinaire. Est-il meilleur pour autant ? Rappelons-nous
d’abord que tous les yaourts contiennent des ferments lactiques.
Ceux-ci ont une action positive sur la flore intestinale. Avant tout,
il convient de se poser la question : est-ce que mon organisme
est incapable de fonctionner correctement sans l’apport de bifidus actif ? D’autant qu’à côté de cet ajout, il convient de signaler que chaque pot d’Activia contient aussi l’équivalent d’environ
4 morceaux de sucre. (5)
Mettre en avant un atout d’un produit, quitte à en exagérer l’importance ou les effets, est une stratégie de vente qui ne date
pas d’hier. C’est l’occasion de rappeler que si le lait, et par voie
de conséquence ses produits dérivés, est si souvent lié à la
bonne santé dans les esprits, notamment pour sa teneur en calcium, c’est qu’on en a fait la propagande durant les années
d’après guerre, afin d’écouler les surplus de stocks impressionnants en Europe. En fait, d’autres aliments contiennent aussi du
calcium… l’eau du robinet, par exemple !
Coca-Cola ou la potion magique des vainqueurs
Lorsque les soldats américains ont débarqué dans nos régions
pub
sept-oct 2008
g
11
M Van Dieren
MARKETING
g pour en chasser les armées allemandes, ils apportaient
dans leurs havresacs des millions de petites bouteilles
emplies d’une boisson gazeuse qu’ils distribuèrent généreusement à la population en liesse. Joseph avait quatre
ans en 1944 et il s’en souvient : “On a tous reçu du cocacola. Cela avait un goût bizarre ; on ne pouvait pas dire
qu’on aimait vraiment ça mais c’était leur cadeau, le
cadeau des Alliés. C’était le goût de l’Amérique. Et on s’y
est habitués”.
Selon Stéphane Rulot, étudiant à l’Isco et auteur d’un
mémoire sur le branding, (voir article en page 16),
“Conquérir des parts de marché avec l’aide de l’armée
des Etats-Unis, c’est une stratégie que Coca-Cola utilise
systématiquement. La même chose s’est reproduite pendant la guerre du Vietnam, ou la guerre du Golfe. On
associe le soda à la liberté”.
Une stratégie qui s’accorde bien avec une autre, tout
aussi systématique : celle de mettre en scène et de cultiver le mystère : “Depuis toujours, la recette de la boisson
phare de Coca-Cola est conservée dans un coffre-fort au
secret. Il est question d’un ingrédient mystérieux dont le
nom n’a jamais été révélé. C’est un secret de Polichinelle
pour les chimistes, mais cela fait partie de la légende,
tout comme le fait que les immenses bâtiments indutriels de la multinationale sont anonymes : aucun nom
n’est indiqué sur les murs”. Une véritable potion
magique, que distribuent les soldats libérateurs !
Le fameux soda a été inventé par un aide-pharmacien
d’Atlanta, John Pemberton, en 1886. Il fut longtemps vendu
dans ce type de commerce, à côté des médicaments. A
l’origine, on achetait le sirop, que l’on mélangeait ensuite à
de l’eau gazeuse pour le vendre au comptoir, dans un
verre. En 1887, Asa Griggs Candler rachète la formule au
12
Contrastes
pharmacien et entreprend d’investir dans des campagnes
publicitaires constamment renouvelées pour couvrir tout le
territoire. Il fait appel à des stars de cinéma, à des pin-ups,
à l’armée… Un dessinateur sera également appelé à créer
un “personnage symbole” fédérateur, histoire de démontrer
que le coca peut être bu n’importe où et à n’importe quelle
saison. Le résultat, nous le connaissons bien puisqu’il s’agit
de ce personnage ventripotent et barbu, en costume rouge
bordé de blanc sur son traîneau tiré par des rennes, bref la
figure désormais traditionnelle du Père Noël. En fait, le marketing de Coca-Cola se renouvelle bien plus que le produit.
La version light ne sortira qu’en 1982. Peu importe, la multinationale est un empire, qui détient quatre cent marques,
parmi lesquelles Fanta, Sprite, Minute Maid et
Chaudfontaine. La multinationale produit également l’eau
minérale Danisi. Elle a cependant dû admettre récemment,
en Grande-Bretagne, qu’elle la tirait tout bonnement du
robinet ! Un moindre mal pour la multinationale qui symbolise toujours le rêve américain et sait que la plupart des
gens déclarent préférer Coca à d’autres marques.
Curieusement pourtant, lorsqu’on le teste en aveugle parmi
différents sodas, il est rare qu’on le choisisse….
Christine Steinbach
1 Extrait d’une interview réalisée dans le cadre de l’émission A bon
entendeur de la télévision suisse romande, le 24 janvier 2004. Voir
article mis en ligne sur le site www.aqueduc.info/spip.php?article286
2 AquaWal est le nom de l’Union professionnelle des opérateurs
publics du cycle de l'eau en Wallonie
3 L’eau du robinet, étude réalisée et publiée par le Crioc, ocotbre
2006. Mis en ligne sur le site www.oivo-crioc.org
4 Chiffres présentés par la firme Danone sur son site
5 Informations disponibles sur le site du Crioc www.mangerbouger.be Ce
site contient de nombreuses informations et explications sur les ingrédients contenus dans les produits alimentaires, notamment ceux qui font
l’objet d’une publicité spécifique.
pub
sept-oct 2008
Ch. Steinbach
Utiliser les même canaux de diffusion que la pub pour
la remettre en question : c’est le défi que le GSARA (1)
s’est lancé en organisant un concours de scénarios
ouvert au public. L’originalité ? Formatés comme des
messages publicitaires, ces petits scénarios pour la
TV ou la radio constituent autant de messages
critiques, sur un ton mordant, ironiques, décalés, que
les participants ont envoyés pour donner leur avis sur
l’omniprésence publicitaire. Question : les médias
joueront-ils le jeu de la diffusion ? Stéphanie
Dhaenens, responsable du concours, nous le raconte.
Stéphanie Dhaenens
INTERVIEW
Ceci n’est pas un
espace publicitaire !
n Qu’est-ce qui a motivé le Gsara à se positionner par rapport à la publicité et à lancer une
campagne d’éducation permanente à ce sujet ?
n C’est parti de la motivation de personnes qui
avaient un intérêt pour cette question. Ils se
préoccupaient de comprendre quels sont les
effets de la publicité sur l’environnement, l’individu, les relations entre les gens, la vie en
société. Pour le Gsara, il est évidemment pertinent de mettre en débat l’omniprésence de la
pub dans l’espace public.
Le Gsara veut agir, par le biais de l’audiovisuel et des technologies
de la communication, pour favoriser une plus grande participation
citoyenne aux enjeux politiques, sociaux, économiques et culturels
de la société civile. Il propose différents outils pour une réflexion sur
l’image et les médias, l’éthique et les représentations qu’ils génèrent,
à travers des formations, des campagnes, des publications et un travail de proximité.
Contrastes
pub
Il est aussi important de dénoncer le flot de
publicités mensongères qui nous inondent. On
récupère des arguments, environnementaux ou
de santé, pour vendre des produits de toutes
sortes : voitures, insecticides, alicaments, produits d’entretien…
Un jour, je regardais un match de football à la TV
dans un café. Comme je n’ai pas la TV chez moi,
je découvre encore ! Et là, j’ai été sidérée en
découvrant que les pubs affichées autour du terrain ne sont plus de simples banderoles, mais
des panneaux électroniques qui varient. Et les
téléspectateurs, moi en tête, voyaient davantage
les pubs qui bougeaient derrière les joueurs que
le match lui-même. Le regard est irrésistiblement
attiré par ces changements d’images. Un de mes
amis m’a raconté qu’à la fin d’un match de basket, des ballons dirigeables s’étaient élevés dans
la salle, larguant des flyers publicitaires pour
Belgacom vers les spectateurs. En rue aussi, j’ai
la sensation que mes yeux sont constamment
sollicités. C’est une véritable pollution et qui semble se banaliser partout.
n D’où l’intérêt d’une démarche comme le
concours, qui donne l’occasion de réagir, de se
poser des questions sur cette omniprésence…
n C’est exactement cela. La première étape de la
campagne fut de rechercher s’il existait des outils g
sept-oct 2008
13
INTERVIEW
g pour alimenter le regard critique du citoyen, quelles
associations avaient déjà travaillé sur cette problématique et comment. On a donc décidé tout d’abord de
rassembler des individus et des associations ayant
une expertise et de réfléchir comment sensibiliser les
citoyens aux effets de la publicité. Ensuite, nous
avons créé un site web, www.parapub.be, conçu
comme une interface permettant des échanges d’informations, d’opinions et sur lequel on pouvait trouver un inventaire de ces outils.
Et puis on a réfléchi à un mode d’action qui pouvait
permettre de sonder le public sur cette question. Il
existe différentes études qui attestent du ras-le-bol
grandissant de la population vis-à-vis de la présence
massive de la pub. Mais cela reste vague. Ce qui
nous intéresse, c’est de savoir si, à ce ras-le-bol, correspond une envie de se montrer critique, de revendiquer une parole qui pourrait elle aussi prendre sa
place dans l’espace public.
Et puisque nous travaillons dans le champ de l’audiovisuel, l’idée est venue tout naturellement de proposer un concours de scénarios. Nous avons donc
invité le citoyen à décortiquer, se moquer, ironiser ou
analyser la pub, ses mécanismes, son langage ou
ses effets. Concrètement, il s’agissait de rédiger en
quelques lignes un court récit soit pour un billet
radiophonique, soit pour un vidéogramme. Pour participer, il n’était nullement besoin de disposer d’un
bagage spécifique.
Le choix de procéder par le biais d’un concours s’imposait pour des raisons de limites financières. Il fallait
opérer une sélection dans les scénarios proposés.
n Quel a été le résultat du concours et quelles
leçons en tirez-vous ?
Quand nous avons annoncé le concours, des gens
nous ont dit que cela ne marcherait pas, parce que
l’exercice était trop rébarbatif : mettre des idées par
écrit n’est pas facile pour tout le monde, alors pour
14
Contrastes
pub
un scénario… Certains craignaient que seuls des
élèves d’écoles de l’audiovisuel y prennent part. Et
pourtant, au bout des trois mois prévus pour remettre un scénario, nous en avons reçu 91, proposés
par 42 personnes. On peut dire que, pour une première expérience, ce n’est pas mal ! Et il y a eu très
peu de participants rompus aux techniques de l’audiovisuel. Au contraire, il y a eu des participations
que l’on aurait pu juger à première vue improbables,
comme des groupes de personnes inscrites au CPAS.
Nous avons reçu aussi les propositions de quatre
groupes d’élèves de l’enseignement secondaire,
dont les professeurs avaient introduit le thème de la
pub dans leur cours. Un public varié, donc, et intéressé par le thème, plus que par le volet technique.
Personnellement, la lecture de ces projets m’a beaucoup enthousiasmée. J’y ai trouvé une grande créativité, de nombreuses idées. Certains scénarios étaient
assez longs mais je me suis rendu compte qu’il était
tout à fait possible d’en tirer quelques idées précises
à scénariser. Et plus simplement, je dirai que la participation démontre, à mes yeux, qu’il y a effectivement
une envie de réagir, d’exprimer une critique, fondée
sur une analyse, de la part des citoyens.
Pour sélectionner les gagnants, vous avez aussi mis
sur pied un jury composé de personnes venant de
plusieurs organisations, d’horizons très divers :
audiovisuel, journalisme, éducation permanente,
enseignement, … Cette lecture croisée a-t-elle
apporté un “plus” ?
n Oui. L’idée de composer ainsi le jury a permis des
lectures et des appréciations sur plusieurs niveaux
et d’affiner le tri. Les sensibilités étaient très variées,
de sorte que cela a constitué un temps de formation
pour tous, à commencer par moi. Et puis, en soi, la
qualité de participation de toutes ces personnes est
une réussite car tout le monde a préparé avec soin
son choix et ses commentaires et l’échange autour
de la table était très riche. Chacun a joué le jeu à
fond.
sept-oct 2008
Concrètement le travail du jury a abouti à la sélection des six scénarios gagnants, trois pour un billet radio et trois autres pour un
vidéogramme.
n Le concours proprement dit est achevé. Il y a eu des gagnants.
Puis une autre étape a commencé, puisque les scénarios retenus seront réalisés.
n En effet. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai
trouvé très important, dès le début, d’intéresser tout le personnel
du Gsara à la démarche. C’était une occasion formidable de les
associer à un processus d’éducation permanente, ce que leur
métier de monteur, de réalisateur, etc. ne permet pas d’habitude.
Cela a donné lieu à quelques réunions que je qualifierais d’historiques et cela avait tout son sens puisque, dans la suite du
concours, évidemment, les autres métiers interviennent. Cet été,
le réalisateur a rencontré les lauréats et co-scénarisé les projets :
découpage en séquences, etc. C’est une partie importante
puisqu’elle offre, dans la foulée, aux lauréats d’acquérir des bases
de langage audiovisuel. Ensuite une équipe s’est constituée avec
un chef opérateur. Elle a cherché les acteurs, les décors, les costumes, bref tout ce que nécessite la réalisation d’un vidéogramme
(les billets radio n’exigent pas cela bien sûr). Le tournage et l’enregistrement sont maintenant en cours et nous prévoyons que les
spots radio et visuels seront prêts pour décembre.
L’associatif ne dispose pas forcément de tels outils. On a réussi à
en trouver mais on n’a pas les mêmes moyens. Il faut savoir que
dans le privé, un spot publicitaire de 10 secondes, depuis sa coscénarisation jusqu’au montage final, coûte entre 12.000 et
14.000 €. Ne disposant pas de sommes pareilles, notre défi est
de réaliser six spots pour le prix d’un, soit 12.000 €.
Et la contrainte financière ne s’arrête pas à la réalisation.
Ensuite il faut pouvoir payer la diffusion. Par exemple, le coût de
diffusion d’un spot publicitaire de 30 secondes pour une
banque, durant deux semaines, revient au minimum à 50.000 €.
n Cependant, les spots issus du concours ne sont pas des pubs.
Etant donné le contenu, ne peuvent-ils pas être considérés
comme messages dits d’intérêt général ?
n De fait, nous allons solliciter la Coordination des télévisions
communautaires, organisme public qui a pour mission de reconnaître et, le cas échéant, de faire passer des messages dits d’intérêt général par les canaux publics. Il faut souligner que l’intérêt
général n’existe pas en soi. Un message est toujours situé, il
donne un point de vue, par exemple sur une question de santé
publique. Il est donc très important de considérer que le fait de
pouvoir diffuser des messages à caractère non marchand dans
l’espace public constitue une base pour discuter de l’intérêt général et le construire. Sinon, c’est celui qui peut payer qui dicte.
n Vous avez opté pour un format particulier, puisque les billets
et les vidéogrammes ont un timing de 30 secondes. Ce n’est pas
anodin !
n Certainement pas. Il s’agit d’un format de spot publicitaire.
Notre intention est de demander la diffusion de ces spots aux gestionnaires d’espaces publicitaires, y compris les canaux de service
public. Nous visons les radios et TV, mais aussi les centres culturels, salles de cinéma, et même les supermarchés ou la STIB, via
leurs haut-parleurs. Cette campagne de demande de diffusion est
la troisième étape de l’action, après le concours et la réalisation
des scénarios. Elle est cruciale et nous y attachons une très
grande importance. Car l’enjeu est de faire valoir un droit à la diffusion de messages qui contribuent à ce qu’exprime très bien
François Brune, co-fondateur de RAP (Résistance à l’Agression
Publicitaire) : “accroître la conscience critique des citoyens, en
démystifiant les discours dominants de nos espaces publics”. En
fait, dès que nous avons eu l’idée du concours, nous avons réfléchi
aussi à la manière d’organiser une campagne de demande de diffusion. C’est ainsi que nous avons opté pour un format publicitaire.
Evidemment, un tel format nous place devant un défi. Nous
sommes, en quelque sorte, tenus d’enfiler le costume d’un publicitaire. Je veux dire que nous devons adopter le langage spécifique de la pub pour pouvoir faire passer en 30 secondes un
message qui interroge ce langage. Idem sur le plan de la forme :
le décor, la mise en scène, les comédiens, le fond sonore, bref,
tout ce qui compose le vidéogramme ou le billet radio doit contribuer à réussir une parodie du message publicitaire.
n Un défi technique mais aussi financier, car le Gsara, comme
l’associatif en général, n’a pas les mêmes moyens qu’une
grande agence de communication…
n C’est d’autant plus vrai que le monde publicitaire utilise des
outils techniques (comme des caméras) bien spécifiques.
Contrastes
Interview réalisée par Christine Steinbach
Les trois scénarios gagnants des spots TV
Cerveaux à vendre :
Une famille plutôt atypique regarde la télévision. A moins
que ce ne soit la TV qui la regarde ?
En passant en revue chacun des membres de cette famille,
elle définit le profil type et analyse les réactions après le
passage d’une pub.
L’avaleur de pub
Un homme se prépare à un festin de publicités, tandis que
les déchets s’amoncellent dans son jardin. Un régime de
toutes-boîtes n’est pas forcément digeste.
Futur consommateur
La vie grandit dans le ventre d’une femme. Mais vu le chemin qu’il emprunte, le foetus n’est pas loin d’aboutir sur le
tapis roulant d’une caisse de supermarché.
Les trois scénarios gagnants des spots radio
On nous promet la lune
Une super voiture, un corps de rêve, un boulot d’enfer… Peu
de chances de trouver cette combinaison gagnante sur
notre planète. Une fusée sera votre moyen de transport.
La “publiscite” aiguë
Un enfant souffre de symptômes étranges : il veut toujours
de nouvelles voitures, donne son avis sur les achats du
ménage. C’est grave docteur ?
Le repentir
Vanessa a baigné dans l’univers de la pub pendant dix ans.
Le Groupe d’anonymes auquel elle assiste pourra-t-il l’aider
à s’en sortir ?
pub
sept-oct 2008
15
BRANDING
Manipulation
Relations publiques ...
Ne dites pas
dites
Il y a près d’un siècle, l’américain Edward
Bernays écrivait le mode d’emploi de la
propagande moderne. Il y explique pourquoi
l’art de manipuler les foules est une nécessité
pour les sociétés démocratiques. Mais au fait,
quel est le rapport avec la publicité ?...
Dans un régime dictatorial, les dirigeants s’imposent et se maintiennent par la force et la censure.
Mais que faire en démocratie quand on veut imposer sa loi ? Comment éviter l’anarchie si les gens
se mettent à penser ? Et surtout - surtout - comment leur faire désirer ce qu’il faut qu’ils achètent
(sinon ça ne se vendra pas) ? C’est la question
sensible qui se pose aux élites politiques et économiques au début du 20e siècle, alors que la démocratie gagne du terrain. L’américain Edward
Bernays leur proposera le mode d’emploi de la
propagande moderne. Avec son Agence de
Relations publiques, il apprend aux entreprises
comment communiquer, et aux hommes politiques
comment devenir “people”. Le but : transformer
les citoyens naissants en troupeau de consommateurs, pour préserver l’élite du chaos.
Toute personne qui s’est promenée ne serait-ce
qu’une fois dans un marché local aura entendu
quelqu’un crier “allez, trois kilos de tomates pour
le prix d’un” ou bien “il est frais mon poisson” ou
encore “qui veut des beaux choux ?”. Cette façon
de faire de la réclame a comme un charme désuet, un côté pittoresque. Mais s’il s’agit de vendre
une crème de soin ou une voiture, voilà belle
lurette que l’on procède tout autrement. Plus question de supplier le client de venir acheter votre produit. Désormais, il faut que le client vous supplie
de le lui vendre.
Cela nécessite de la manipulation “intelligente” et
c’est à Edward Bernays que nous devons la mise
au point, la pratique et la théorie de ce concept.
Ce “conseiller en relations publiques” comme il se
désignait, est l’auteur d’un livre publié en 1928 et
intitulé “Propaganda”1. Il y explique en quoi l’art
de manipuler les foules est une nécessité pour les
sociétés modernes, devenues démocratiques. Les
Américains appellent cela le spin, c’est-à-dire la
manipulation systématique et à grande échelle de
l’interprétation et d’une présentation partisane
des faits2. Bien que son nom est assez peu connu
du public, Edward Bernays en est, sinon le seul, en
tous cas l’un des principaux inventeurs. Il a ainsi
contribué à transformer profondément non seule-
16
Contrastes
pub
ment les techniques publicitaires mais aussi le
rapport aux hommes politiques et les relations de
travail au sein des entreprises. Car avec les techniques de marketing qu’il énonce et met en pratique, on peut vendre aussi bien un produit ou un
service qu’une idée politique ou l’image d’une
entreprise.
Trouver des leaders et l’opportunité
Edward Bernays est né en 1891 et mort un bon
siècle plus tard, en 1995. Après des études d’agriculture qui ne l’enthousiasment pas, il est un
temps journaliste et, alors qu’il s’occupe d’une
revue médicale, une occasion va lui mettre le pied
à l’étrier. Il s’est engagé à faire monter une pièce,
Damage Goods, dont le sujet est polémique et
tabou pour l’époque (1912) : elle traite d’un
enfant syphilitique et des méthodes de santé
publique pour éviter les maladies sexuellement
transmissibles. Bernays a alors une idée dont il se
servira à maintes reprises par la suite : créer un
“tiers” objectif, qui favorisera un retournement
d’opinion. Dans ce cas-ci, il met sur pied un
comité de fonds auquel participeront des centaines de personnalités. Le fonds a pour mission
de soutenir la création de la pièce. Toutes ces personnes respectables prendront la parole pour féliciter l’initiative, “méritoire œuvre d’éducation
publique sur un sujet de la plus haute importance”. Du coup, tout le monde va voir la pièce qui
connaît un immense succès et une critique élogieuse.
Bernays quitte alors la revue et devient publiciste.
Il n’a que 21 ans. L’un de ses premiers clients est
une compagnie de ballets russes. Le ballet n’est
pas un art qui enthousiasme les Américains.
Bernays comprend bien qu’il ne tirera rien en plaçant des affiches sur les murs. Il lance alors une
vaste campagne vers les journalistes : il n’y parle
pas seulement des artistes et de la danse. Il vante
surtout les couleurs, le style, la beauté des costumes. Les femmes découvrent ces merveilles
dans leurs magazines féminins, les fabricants de
costumes sont invités à les copier, les hommes
sept-oct 2008
De même, si votre enfant s’est subitement découvert une passion
pour tel sport ou tel style de vêtements, c’est peut-être bien parce
qu’il aura vu cela dans une série télévisée ou un film…
Préserver l’élite du pouvoir démocratique
Un troisième épisode dans la carrière de Bernays va à la fois lui
donner son plein essor et nous éclairer sur l’ampleur du phénomène en train de naître.
Nous sommes en pleine première guerre mondiale. Les
Américains n’y ont pas encore pris part et l’opinion publique n’y
est pas favorable. En 1917, le gouvernement met sur pied la
Commission Creel, chargée de renverser cette opinion.
trouvent dans leur journal cette question : L’Américain a-t-il peur
d’être gracieux ? Le résultat suit : le ballet sera lui aussi un
grand succès et les écoles de ballet se remplissent.
Les techniques utilisées dans ces deux exemples nous sont
aujourd’hui familières. Des produits de maquillage sont vendus
en pharmacie, des emballages d’aliments font état de leurs qualités diététiques, et des comédiens enfilent une blouse blanche
pour déclamer les vertus nettoyantes des enzymes de tel produit
de lessive. Le soutien scientifique constitue le “tiers objectif”
qui sert de relais auprès de l’opinion publique.
Une vaste opération
de manipulation de l’opinion
La commission Creel a été mise sur pied par le gouvernement
américain en 1917. Elle était composée d’un grand nombre de
journalistes, d’intellectuels et de publicistes, dont Bernays.
Ensemble ils ont mis en œuvre à très grande échelle tous les
moyens de communication imaginables pour diffuser l’idée
qu’il faut entrer en guerre : posters, documents audiovisuels,
communiqués… mais aussi les “four minute men” : “il s’agit
de ces dizaines de milliers de volontaires - le plus souvent des
personnalités bien en vue de leur communauté - qui se lèvent
soudain pour prendre la parole dans des lieux publics (salles
de théâtre ou de cinéma, églises, synagogues, locaux de réunions syndicales…) afin de prononcer un discours ou réciter
un poème qui fait valoir le point de vue gouvernemental sur la
guerre, inciter à la mobilisation, rappeller les raisons qui justifient l’entrée en guerre des Etats-Unis ou inciter à la méfiance
- voire à la haine - de l’ennemi”.
Contrastes
C’est ainsi que l’élite dirigeante prend conscience de l’énorme
potentiel d’une campagne de propagande telle qu’on peut désormais la conduire. Elle y témoigne d’un intérêt d’autant plus
sérieux qu’en ce début de 20e siècle, la classe possédante a
vécu des moments difficiles. La démocratie gagne du terrain, la
conscience sociale se développe, l’instruction s’étend. Les luttes
des travailleurs ont mis à mal la conviction qu’avaient les entreprises de pouvoir faire leurs affaires en vase clos.
L’extrême concentration des richesses réalisée dans la seconde
moitié du 19e siècle par la formation de monopoles géants a
conduit à des crises successives provoquant “le froid, la faim et
la mort aux gens du peuple, tandis que les Astor, les Vanderbilt,
les Rockefeller et les Morgan poursuivent leur ascension”.
Dénoncées, confrontées aux grèves multiples, les entreprises
recherchent les moyens de redorer leur image et rétablir la
confiance. Et surtout à se prémunir contre cette menace que
représente la démocratie : “la grande bête doit être domptée”,
comme dit Alexander Hamilton.
Bernays sera l’un des principaux “conseillers en relations
publiques” auxquelles cette élite va s’adresser. Lui-même assume
sereinement une telle mission, convaincu que “la manipulation
consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées
des masses joue un rôle important dans un société démocratique”. Telle est la première phrase de Propaganda. Selon son
auteur, les dirigeants des grandes entreprises, des institutions
politiques, culturelles, financières forment une sorte de “gouvernement invisible”, sans pour autant se concerter nécessairement
entre eux : “Nous sommes pour une large part gouvernés par des
hommes dont nous ignorons tout, qui modèlent nos esprits, forgent nos goûts, nous soufflent nos idées”. La propagande est “l’organe exécutif” de ce gouvernement invisible, indispensable pour
“créer de l’ordre à partir du chaos”.
La foule est guidée par ses pulsions
Edward Bernays trouve une large part de son inspiration dans
les idées qui circulent depuis quelques temps sur la psychologie
de foules, notamment depuis les travaux du Français Gustave Le
Bon (3). Lui-même est un neveu de Sigmund Freud, ce qu’il rapg
pelle volontiers.
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sept-oct 2008
17
BRANDING
Un président starisé
En 1924, on se plaignait que le président des Etats-Unis Coolidge
paraisse trop distant, froid et austère dans l’esprit de l’homme de
la rue. C’est Bernays, encore lui, qui trouva la solution. Il souffla au
président l’idée d’organiser des déjeuners-rencontres avec des
stars du cinéma, de la chanson pour populariser son image. Voilà
pourquoi, des années plus tard, Marilyn chantonnait “pom-pom-pidoo” à l’anniversaire du président Kennedy, pourquoi les tribulations romantiques du président Clinton ont fait les choux gras de la
presse. Et cela explique peut-être aussi pourquoi tous nos présidents de partis se sont sentis obligés d’assister au match de football qui allait consacrer le Standard champion de Belgique ! Et
pourquoi la politique perd du crédit...
g
Bernays part du principe que la masse n’est pas “pensante”. Au sein d’une foule, ce sont les pulsions inconscientes qui dominent. Les masses sont guidées par “l’impulsion, l’habitude, l’émotion”. De plus, l’esprit grégaire
la pousse à suivre l’avis d’un leader.
Il faut comprendre ce qui motive la masse et en tirer
parti. “La vapeur qui fait tourner la machine sociale, ce
sont les désirs humains”. Le travailleur espère s’élever
dans l’échelle sociale ? On peut associer le statut social
à l’achat d’une voiture. La femme aspire au droit de vote
? Bernays récupère pour lui faire acheter des cigarettes.
L’humain a besoin de lien social ? Excellent pour vendre
du savon.
Et Bernays expose l’idée clé du marketing moderne : “Au
lieu de s’attaquer de front aux résistances des acheteurs,
ils cherchent à les supprimer. A cet effet, ils créent les circonstances qui, en canalisant les courants émotionnels,
vont produire la demande”. Et de fait, les techniques de
marketing utilisées de nos jours découlent de là (voir article sur Red Bull en page 4) : créer l’événement, passer par
des leaders de groupe, etc. pour mettre à la mode un produit. Il s’agit véritablement de “fabriquer le consentement”, selon l’expression du linguiste Noam Chomsky (4).
Le branding, avatar de la propagande commerciale
C’est dans la foulée des préceptes de Bernays que le
branding est devenu un véritable phénomène, propre aux
grandes marques. De quoi s’agit-il ? Stéphane Rulot, étudiant à l’ISCO (Institut supérieur de culture ouvrière) à
Arlon, y a consacré son mémoire (5) : “le branding s’attache à développer, chez les consommateurs, une attitude en conformité avec la marque. Le mot vient de l’anglais to brand qui signifie marquer (le troupeau, le bétail)
au fer rouge. Il s’agit donc ici d’apprendre à consommer
des marques. Et toutes les grandes marques ont développé un système de branding pour fidéliser les consommateurs”. Un exemple souvent cité est le cas de la
marque Nike (6), qui fut l’une des premières à développer
ce concept. A la fin des années ’70, aux Etats-Unis, la
mode est au jogging, pour entretenir sa forme. Le patron
de Nike, Philip Knight, a l’idée de surfer sur cette mode
pour écouler son stock de chaussures invendues. “Mais
il ne s’est pas contenté de vanter ses chaussures pour
courir, explique S. Rulot. Il a financé des campagnes
publicitaires qui mettent en scène des sportifs de haut
niveau, des vedettes, de manière à associer la marque
Nike au sport. Ou plutôt, d’associer le sport à Nike ! Le
message est que Nike vend ‘l’essence du sport’”.
18
Contrastes
Rencontre entre une star et un président...
un formidable outil de propagande.
Aujourd’hui, la marque n’a plus la moindre usine de
chaussures aux Etats-Unis, elles sont confectionnées
dans des sweatshops (littéralement, magasins de sueur),
ces fameux ateliers où la main-d’œuvre est exploitée, en
Indonésie ou au Vietnam. Peu lui importe, du moment
que les consommateurs sont convaincus qu’être sportif
c’est porter du Nike.
Manipuler sans abuser ?
En tant que conseiller en relations publiques, Edward
Bernays ira souvent prendre conseil auprès du corps
médical, des scientifiques, et s’intéresse de près aux
sciences sociales. Elles servent d’inspiration tout autant
que de caution à ses techniques, dont il assure qu’elles
sont fondées sur des connaissances précises.
On trouve par ailleurs, dans Propaganda l’ambiguïté d’un
discours publiciste toujours d’actualité : tout en s’efforçant de prouver l’efficacité et la nécessité de manipuler
l’opinion publique, Bernays cherche à rassurer en invoquant souvent l’éthique de sa profession et exposant à
plusieurs reprises qu’il s’agit de comprendre ce que
désire la masse, de trouver une cohésion entre le désir de
son client et celui de la foule. Bernays serait-il naïvement
convaincu que l’on peut manipuler sans abuser ?
Certainement pas. Il a pleinement assimilé le préjugé partagé par nombre de scientifiques de l’époque, selon
lequel le peuple est incapable de comprendre ce qui se
passe. “La masse est tenue pour ne rien engendrer
qu’anarchie et violence” note Sandrine Aumercier, psychologue (7). Dans son métier, c’est la “vérité” que ses commanditaires veulent communiquer au public qui compte.
Bernays “oublie” souvent, dans son souci de justifier le
rôle social de la propagande, que ses clients sont le plus
souvent motivés par des considérations purement mercantiles.
Un bon exemple de cette duplicité est celui du concours
de sculptures de savons (le savon blanc Ivory), qu’il organise dans les années ‘20 pour le compte de Procter &
Gamble. Ce concours est ouvert à des catégories d’écoliers et aux artistes professionnels. Bernays a bien sûr
veillé à ce qu’un artiste connu affirme que ce savon est
idéal pour sculpter. Le Centre artistique de New York parraine le concours. Les écoles rentrent dans le jeu. Les
mères s’attendrissent devant les œuvres et récupèrent
les copeaux pour leur lessive. Un grand musée new-yorkais accueille la finale. Les savons se vendent, Procter &
Gamble sont sympa.
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sept-oct 2008
La cigarette,
flambeau de la liberté
des femmes
Comme Bernays l’explique lui-même dans son livre : “S’agissant
de la propagation des idées, une des méthodes les plus efficaces
consiste à se servir de la structure de groupe de la société
moderne”. Il précise que les ressorts psychologiques utilisés ici
sont le goût esthétique, la compétition, la sociabilité, le snobisme
(l’impulsion à suivre un chef de file), l’exhibitionnisme et la sollicitude maternelle. Mais il va plus loin, et souligne, non sans
cynisme, combien il est important de rencontrer les intérêts de
chaque leader : “les enseignants et les artistes illustres […] prêtent volontiers leurs services et leurs noms à une opération indéniablement utile à un intérêt qui leur tient à cœur : la culture des
impulsions esthétiques des jeunes générations”. Depuis, les
choses ont encore évolué aux USA : “aujourd’hui, le lycéen qui
réussit son programme de lecture reçoit un bon de commande
chez Pizza Hut ou Mc Donald” (8). Dans l’intérêt de qui ?
Si la chose ne plaît pas, on l’appellera autrement, voilà tout
On le voit, Bernays ne s’occupe pas seulement de faire vendre
un produit. Il conseille aussi les entreprises sur l’image qu’elles
ont intérêt à donner d’elles au public. Les méthodes qu’il introduit ou développe contribueront à ce qu’on appelle la nouvelle
culture d’entreprise (9). Stéphane Rulot : “Le mot hiérarchie a été
barré au profit du mot ‘adhésion’ . C’est comme si l’on remplaçait le mot “fouet” par “instrument de remise à niveau”.
L’entreprise ne cherche pas seulement à convaincre les clients.
Elle a développé un mode de relations interne qui vise à emporter l’adhésion y compris des travailleurs. La marque sert aussi à
cela : chez Nike, les “collaborateurs” - nouveau nom des
employés et ouvriers - se font tatouer sur le front, la cheville ou
l’avant-bras le célèbre logo, un dessin représentant une lame de
patin argentée (le swoosh). Ils participent ainsi à la célébration
du dynamisme de leur entreprise. Chez Bricorama, tous les
employés ont reçu la chemise verte et la cravate blanche rappelant le logo”.
Changer les mots est une technique que Bernays préconisera
souvent. L’appellation “hôpital militaire” fait-il peur depuis la
guerre? Il se nommera désormais “plan pavillonnaire”. En
revanche, il regrettera que le mot “propagande” ne puisse reconquérir une valeur positive dans les esprits. Ce “beau mot
ancien”, en effet, n’a plus trouvé grâce auprès du public, notamment (ô ironie) depuis qu’il a découvert les agissements de la
Commission Creel évoquée en début d’article. Aussi Bernays parlait-il de relations publiques. On peut dire marketing aussi. Le
tout est de ne pas se méprendre sur sa signification…
Christine Steinbach
Le coup le plus célèbre de Bernays illustre bien
ses méthodes de marketing :
En 1929, les industriels du tabac déplorent que la
morale américaine interdise aux femmes de fumer.
Bernays s’informe auprès d’un psychologue. Celui-ci
explique que la cigarette correspond à un symbole
phallique, associé au pouvoir du mâle. Il faudrait
donc associer le fait de fumer, pour une femme, à
une contestation de ce pouvoir. Que fait Bernays ?
Le jour de la traditionnelle parade de Pâques à New
York, il paie un groupe de jolies jeunes femmes pour
qu’elles allument, toutes ensemble et au bon
moment, une cigarette. Bien sûr les journalistes
sont prévenus. Apparaissent une série d’articles
expliquant que des suffragettes ont allumé ces cigarettes en guise de “flambeaux de la liberté”. Tout le
monde en parle. Et beaucoup de femmes se mettent à fumer.
1 Edward Bernays, Propaganda, éd. H. Liveright, 1928, New York. Publié en
français aux Editions La Découverte, Paris, 2007. Les citations reprises à E.
Bernays dans l’article sont issues de cet ouvrage.
2 Cette définition est donnée par Normand Baillargeon dans la préface à l’édition française du livre d’Edward Bernays, Propaganda.
3 Gustave Le Bon (1841-1931) fut anthropologue, psychologue social, sociologue et scientifique amateur. Son ouvrage le plus célèbre s’intitule Psychologie
des foules et les idées qu’il y présente auront une influence sensible au début
du 20e siècle, époque où l’on commence à manifester un intérêt pour l’inconscient et la psychologie de masse. Si l’ouvrage se contente d’analyser ces phénomènes, donnant ainsi des clés pour résister aux manipulations, il servira
d’inspiration à des régimes totalitaires (hitlérien, stalinien) pour mobiliser les
masses.
4 Igor Martinache, Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie,
article en ligne sur le site : www.liens-socio.org/article.php3?id_article=2906
5 Stéphane Rulot, La publicité télévisée à destination des enfants est-elle un
cheval de Troie dans la famille, Isco Luxembourg, 2008.
6 Naomi Klein l’analyse dans son livre No Logo. La tyrannie des marques,
Lemeac/Actes Sud, 2000.
7 Sandrine Aumercier, Edward L. Bernays et la propagande, 15 octobre 2007,
mis en ligne sur le site : http://www.asies.org/article.php?ID=536
8 Nico Hirtt et Bernard Legros, L’école et la peste publicitaire, Editions Aden,
2007.
9 Lire aussi La Fabrique du Conformisme, Manière de voir, Le Monde diplomatique, bimestriel, N°96, déc. 2007-janv. 2008.
Petit jeu pour terminer...
Comptez le plus rapidement
possible le nombre de
marques qui se cachent
dans ce slogan. Et posez-vous
la question:
Comment se fait-il que
je reconnais si vite les marques
en voyant une seule lettre
de leur logo?...
Contrastes
pub
sept-oct 2008
19
SOMMAIRE
Publicité
2. EDITO
Marqués comme du bétail…
3. JEUNES ET PUB
De la pub dans le biberon
Les annonceurs publicitaires font preuve
d'une imagination débordante pour cibler
en plein cœur les consommateurs que
nous sommes tous, dès le plus jeune
âge.
Sois Red Bull… et tais-toi !
Red Bull est, à lui seul, un véritable
phénomène publicitaire.
10. MARKETING
Le goût, est-ce bien nous ?
Stéphanie Dhaenens : Ceci n’est
pas un espace publicitaire !
Utiliser les même canaux de diffusion
que la pub pour la remettre en question :
c’est le défi que le GSARA s’est lancé en
organisant un concours de scénarios
ouvert au public.
16. BRANDING
Ne dites pas Manipulation, dites
Relations publiques ...
Il ya près d’un siècle, l’américain Edward
Bernays écrivait le mode d’emploi de la
propagande moderne. Il y explique pourquoi l’art de manipuler les foules est une
nécessité pour les sociétés démocratiques. Mais au fait, quel est le rapport
avec la publicité ?...
Contrastes est édité
avec le soutien de :
PHOTO DU MOIS
13. INTERVIEW
M Van Dieren
L’alimentation saine est une préoccupation pour une part importante des
consommateurs d’aujourd’hui. Les entreprises agroalimentaires l’ont bien
compris.
La pub, notre deuxième peau ?
La pub se rapproche de nous. Elle commence à nous
suivre partout où l’on va, à espionner nos habitudes
de vie, à s’apposer sur nos vêtements, à téléphoner
dans notre salon, à se glisser dans nos cartables, à
se tatouer sur notre front.
La pub finit par nous coller à la peau. Tellement fort
qu’elle lui bouche les pores et l’empêche de respirer...
Comment garder ou recréer une distance entre la pub
et nous ?
Les élèves du Collège St Servais de Namur ont organisé en février dernier une exposition “Si j’étais consom’acteur”. Ils y ont décortiqué les techniques publicitaires, porté un regard critique face à la pub et
appris à résister à la dictature des marques.
Ce mannequin est une de leurs créations...
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