Le référendum au Portugal, quel avenir ? 41
écrasante majorité des électeurs (plus de 5,5 millions d’abstentionnistes sur
environ 8,5 millions d’inscrits).
Plusieurs raisons ont été invoquées pour tenter d’expliquer cette
« victoire de l’indifférence »6. Tout d’abord, il semblerait que de nombreux
électeurs aient eu tendance à considérer que la question posée ne constituait
pas une priorité dans la vie politique du pays et que, d’une certaine façon, la
loi en vigueur, celle de 1984, était suffisante. D’autre part, l’ambivalence de
la question posée (dépénalisation/légalisation) de même que la complexité
du problème, complexité que le manichéisme des deux camps en présence
traduisait mal, ont, semble-t-il, désorienté l’électorat. En outre, une forme
d’apathie civique, héritage des longues années de dictature salazariste, et
une incapacité plus générale à structurer de puissants mouvements au sein
de la société civile (en matière d’écologie, de féminisme, de droit des
consommateurs, de défense des droits de l’homme), reflet d’une trop grande
dépendance à l’égard de l’État, pourraient également expliquer la faible
mobilisation du 28 juin7. Ainsi, les électeurs auraient été, en quelque sorte,
désorientés, tant par l’émergence de mouvements, en apparence non politi-
ques, en faveur du « oui » ou du « non », que par le silence des leaders des
principales formations politiques et par l’absence de consignes de vote
claires. Par ailleurs, au sein d’un électorat encore fortement imprégné de
catholicisme – et donc quelque peu tétanisé par les enjeux du scrutin –,
l’hypothèse du recours à l’abstention pour ne pas voter « non », sans pour
autant franchir le pas en direction du « oui », peut être prise en compte.
Il s’agirait en quelque sorte, sinon d’une victoire déguisée du « oui », du
moins d’une abstention annonciatrice de bouleversements futurs8. Enfin, la
date même du scrutin – un dimanche au début de l’été étant peu propice à
une forte mobilisation électorale, notamment dans les grandes agglomé-
rations – pourrait également entrer en ligne de compte dans l’explication de
l’abstention-record lors de ce référendum9.
Quant à la courte victoire du « non », elle reflète la forte division de
l’électorat sur la question posée ainsi qu’une opposition Nord-Sud particu-
lièrement marquée, entre un Nord plutôt hostile à la libéralisation de
l’avortement et un Sud plus enclin à voter « oui ». Ainsi, les meilleurs scores
du « non » ont tous été obtenus au nord d’une ligne Figueira da Foz/
Coimbra/Covilhã, notamment dans les districts de Vila Real (76,03 % en
faveur du « non »), Viseu (75,78 %), Bragança (73,75 %) et, au premier rang,
le district de Braga (77,27 %), dont la capitale est d’ailleurs surnommée la
« Rome du Portugal ». Ces districts ruraux du Nord et du Nord-Est, où
l’Église catholique exerce encore une influence particulièrement importante
et qui, sur le plan politique, sont fidèles à la droite et au centre-droit (terres
d’élection du CDS-PP et du PSD), se sont donc massivement prononcés en
faveur du « non », sans pour autant se mobiliser fortement (taux d’abs-
tention supérieurs à 60 %), tout comme d’ailleurs les archipels des
6. Cf. le titre de l’article « Referendo, A vitória da indiferença » publié dans Expresso, Revista,
4 juil. 1998.
7. Cf. le constat que dressait en ce sens, avant même le scrutin, Boaventura de Sousa SANTOS,
« Em redor do aborto », Visão, 18 juin 1998 : 36.
8. Je remercie Michel Cahen de m’avoir signalé cette hypothèse.
9. Trois cartes ci-jointes, élaborées par Monique Perronnet-Menault, permettent de saisir
l’essentiel des informations spatiales au niveau du concelho : le taux de participation
(carte 1), la proportion des suffrages blancs et nuls (carte 2), le vote en faveur du « oui »
(carte 3).