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MARQUEURS ET HYPERMARQUEURS DE DERIVATION
ILLOCUTOIRE
:
NOTIONS ET PROBLEMES
ÏXÏ
Jean-Claude
Anscombre
C.N.R.S.,
E.H.E.S.S.,
Paris
1.
INTRODUCTION
(2)
Le but du présent exposé est triple :
a)
D'une
part,
nous nous p r o p o s o n s de mettr e en rapport, d a n s
le cadre
d'une
p r a g m a ti q ue intégrée, t r o is phé n o m ènes sans liens apparents
entre eux, à savoir : l a
y>erformat ivité ,
la dérivation
illoautoire,
et la
délocutivité
généralisée!
termes
do nt la sig nif icati on sera précisée plus
lcin.
b) D'autre part, n o u s voudrions remettre en question la dichotomie
saussurienne
synchronie/diachronie,
en soutenant la thèse que certaines
propriétés linguistiques syntaxiques, séman tiq ues et pragmatiques ne
sont pas de nature structurale ne peuvent être expliqes en synchronie
mais sont comme des traces laissées au niveau du fonctionnement synchro-
nique même par un p r o cess u s de formation diachronique.
c) T r o i s i è m e et dernier point : c e s propriétés pragmatiques
dont il va être question tout au long de l'exposé se reflètent au niveau
de la syntaxe. En d'autres termes, il y a des pr opr iétés syntaxiques
dont l'origine est de nature pragmatique, ce qui remet en cause l'autono-
mie et surtout l'antériorité des études syntaxiques par rapport aux
études p r a g m a t i q u e s .
Mais que l q ues mots tout d'abord sur ce qui nous parait être un
des enjeux fondamentaux de ce type de recherches.
2.
L'ENJEU DE LA PRAGMATIQUE INTEGREE
Que faut-il entendre par pragmatique
intégrâci
et à quell e
problématique tentent de répondre les recherches qui se réclament
d'une
telle pragmatique ?
I
- 76 -
Dans le cadre q ui
est
le nôtre une théoriemantique et prag-
matique de
l'énonciation
et qu i se fixe
comme
but l'assignation d'un
sens aux énoncée (au s e n s d'occurrences), l e problème de la pragmatique
se pose d e la façon suivante. Dans une perspective
procès/produit,
nous appellerons
énoncé
l'objet
p r o d u i t par l'énonciation,
1'énonoiation
étant alors
l'événement
historique et donc unique qu'est la production
de
l'objet
énoncé.
Par sémantique de l'énonciation, nous entendrons une
théorie de L'assignation
d'une
valeur aux énoncés, v a l e u r que nous a p p e l -
lerons sens. Quelle en est la nature ?
Nous partons de l'hypothèse que tout énoncé se présente comme
destiné â obtenir certaines conséquences de nature discursive " . Un
énoncé parle donc des motivations de sa p ropr e énonciation, c'est-à-dire
des intentions qu'il présente comme celles pour lesquelles il a été énoncé.
L'assignation d'un sens à un énoncé se
ramène
ainsi pour nous â la d e s c r i p -
tion de
l'image
q u ' i l donne de sa propre énonciation. Notre sémantique de
l'énonciation se fixe par conséquent pour objet
ltude
de cette partie de
l'énonciation dont parle l'énoncé.
Nous procédons de la façon suivante. On affecte â chaque énoncé
une suite de symboles noncessairement attestés dans l'énoncé, et c ompo r -
tant entre autres des variables susceptibles de renvoyer à l'environnement
discursif ou contextuel de l'énoncé. Cette suite de symboles, la phrase,
joue pour nous un rôle analogue â celui de la structure profonde en gram-
maire générative : e n t r e autres, n ou s lui attribuerons une signification,
c'est-à-dire une o u plusieurs
formules
abstraites, d'où sera dérivé le
sens des énoncés au moyen d'un calcul faisant intervenir la situation
d'énonciation.
Appelons sémantique intentionnelle une sémantique
fondée sur la notion de phrase comme entité abstraite faisant intervenir
des variables discursives;
sémantique informatise
celle reposant sur une
(4)
phrase sans de telles variables , e t â laquelle serait attribuée une
signification libre de toute indication discursive " . Appelons enfin
pragmatique
l'étude
des valeurs intentionnelles liées à l'énonciation,
pragmatique intégrée la p a r t i e de la pragmatique qui considère qu e c e r-
taines de ces valeurs sont incluses dans le se ns de l'énoncé. Les positions
que nous avons soutenues plus haut amènent deux conclusions :
Nos recherches se réclament
d'une
sémantique
intentionnelle
et
d ' u n e
pragmatique intégrée, face à une sémantique
informative
e t à une p ra g -
matique non intégrée (comme
c'est
le cas dans certains travaux de g r a -
maire
g é n é ra t i ve) .
I
- 77 -
Toute sémantique intentionnelle conduit à une pra gmat iqu e intége,
mais
l'inverse n'est pas
vrai.
Par exemple, L'utilisation
îx
la
Gr i ce
de lois de discours - de nature
intentionnelle
- relève bien de la
pragmatique inge, m a i s a précisément pour but d'éviter tout recours
à une sémantique intentionnelle. Dans l'optique
d'une
p r a g mat i q u e in-
tégrée,
on peut donc ranger les é n o n c é s en deux
sous-c-lasses
:
- la
sous-classe
de ceux auxquels on affectera une phrase relevant
de la sémantique intentionnelle;
- la sous-classe de ceux auxquels on affectera une p hra se ne relevant
pas de la sémantique
intentionnelle.
Appelons
mcipques
les éléments de la phrase
spécifiquement
res-
ponsables,
p a rcision du linguiste, de l'introduction de variables inten-
tionnelles dans la
signification
: n o u s allons voir q ue les p robl è m es de
la d é r i v a t i o n illocutoire, d e la p erf ormativ ité et d e la délocutivité g é n é -
ralisée se ramènent à un choix
entre
phrase
marquée/
phrase non marquée,
La marque concernant un phénomène particulier don, b i e n entendu. Une
phrase peut comporter différentes marques relatives à divers p h é n o m è n e s .
Au niveau de l'énon, nous entendrons habituellement par
marqueur
un morphème rendu responsable de l'introduction
d'une
m a r q u e dans la p h r a s e
sous-jacente.
C'est
à la p r o b l é m a t i q u e d e tels m a r q u eu r s que sont consa-
crées les lignes qui suivent.
3. LA NOTION
D'ACTE
ILLOCUTOIRE
Mais tout d'abord, quelques rappels à p rop os de la n o t i o n
d'acte
illocutoire. Suivant en cela O. Ducrot, n o u s définissons les actes de
langage en général par rapport aux transformations qu'ils produisent dans
(6)
le monde linguistique, c'est - à-di re du discours .
.Vous
d i r o n s qu'un
locuteur L accomplit un acte illocutoire A dans une énonciation E si L
présente E comme destinée à produire et produisant certaines transforma-
tions.
Remarquons que ces transformations sont internes au discours, e t
que
1"illocutoire
représente donc un type d'action créé pour et par la
parole.
Selon la définition ci-dessus, d i r e qu'un énoncé e sert à accom-
plir un acte illocutoire A,
c'est
dire que L présente
1'énonciation
E d e
e comme destinée â pro duire et produisant certaines transformations lin-
guistiques.
Si donc e réalise un acte illocutoire, il comporte une certaine
-
78 -
description
de so n
ënonciation
E. Ou, s i L'on
préfère, notre définition
de
1*illocutoire
la
fait ressortir
au
niveau
du
sens
d'un
énoncé. Elle
sous-tend
par
conséquent L'hypothèse qu'une théorie
de
l'illocutoire
e s t
du ressort
de La
pragmatique intégrée.
Un
dernier point enfin
: u n
acte
est
illocutoire
(ou
perlocutoire)
par
nature
: l e s
transformations
juridiques liées
a
l'insulte,
la
menace,
la
permission,
La
demande,
Le
défi,
l'ordre, sont toujours
illocutoires,
quelle
que
soit
La
façon
dont
une ënonciation
Les
réalise. Inversement,
les
transformations attachées
au réconfort,
â la
flatterie,
à
l'encouragement,
à
l'humiliation,
aux
actes d'embêter
ou
d'embarrasser sont
par
essence perlocutoires. Nous
laissons donc ouverte
la
possibilité
de
différents types
de
réalisation
d'un
même
acte
de
langage puisque pour nous
le
fait d'être illocutoire
ou
p e r -
locutoire
est u n e
caractéristique essentielle,
et n o n
attachée
à
une
occur-
rence particulière.
4.
PREMIER PHENOMENE : L A
PERFORMATIVITE
DE CERTAINS VERBES
Rappelons qu'il
y a
énoncé
pepformatif
lorsqu'un locuteur utilise
une expression
du
type
Je X que p, où X est u n
verbe
au
présent
de
l'indi-
)
catif,
et q u e c e
faisant
:
a)
il
décrit
une
ac t i on qu'il
est e n
train
de
faire, celle
de
X.-&P.
b)
il X en
mê m e temps qu'il énonce
Je X que p.
c)
il
présente
son
ën o n c ia t i o n comme ayant pour fonction spéci-
fique
la
réa li sat ion
de
l'action
de
X-ep.
Les
points b )
et c )
signifient
que le
locuteur
de Je X que p
réalise
l'action
de X-eP par le
simple fait qu'il utilise
un te l
énoncé.
On connaît
de
très nombreux verbes performatifs. Ainsi,
e t a u
hasard
:
pepmettpe,
ppomettpe,
opâonnep,
papiep,
tpouvep,
déclarep,
souhaitep,
accepter,
aff-ipmep,
êtpe
d'aoaopd,
... etc.
Pour
u n e
l i s t e
de
verbes
performatifs ainsi
que d e
certaines
de
leurs propriétés synta-
xiques,
on
pourra consulter l'article
de E.
Roulet cité dans
la
biblio-
graphie.
A
té d'usages performatifs bien connus,
les
v e r b e s performatifs
donnent lieu
â un
certain nombre
de
phénomènes, parmi lesquels
:
4a)
Il y a d es
usages
non
performatifs
du
sens performatlf
des
verbes performatifs,
pa r
exemple
la
troisième personne
du
présent
de
l'indicatif
:
!
-
79 -
-
Pierre souhaite à Jacques de réussir.
-
Jean affirme qu'il a
démontré
le théorème de
Fermât.
-
Cèles
tin est bien d'accord que cet exposé est trop long.
etc.
4b)
I l
s e m b l e
y
avoir
une
c e r t a i n e proximité pragmatique
ou
s é m a n -
tique entre
les
u s a g e s
n o n
p e r f o r m a t i f s
des
v e r b e s p erf orma tif s
à l a
troisième personne
et l e s
u s a g e s performatifs
des
m ê m e s verbes
à la
p r e m i è r e
personne.
De
façon plus p r é c i s e , e n t r e
II
m'a X-ê que p et
II
m'a dit ;
"Je
te X que
p",
lorsque
X-er est u n
ver b e
performatif
:
c ' e s t
l a
t h è s e
de
O.
Ducrot, s e l o n laquelle
les
u s a g e s
non
p e r f o r m a t i f s
des
v e r b e s p e r f o r -
matifs peuvent faire allusion
aux
u s a g e s performatifs
d e c e s
v e r b e s .
4c)
L e s
e x p r e s s i o n s
performatives
elles-mêmes peuvent donner lieu
à
des
u s a g e s
non
p e r f o r m a t i f s ,
e t
p u r e m e n t assertifs
:
-
ttoit dans ces
cas-là,
j'accepte
bien volontiers l'offre qui
m'est faite.
-
Je te conseille d'agir selon tes
intérêts,
et tu n'es pas
content !
-
Je déclare la séance ouverte, et les gens continuent à bavarder
comme si de rien
n'était.
Il peu t d onc
y
avoir
d e
vé r ita b les ambiguïtés entre usage performatif
e t
usage
non
p e r f o r m a t i f d'expressions performatives, comme dans l'exemple
suivant
o ù
s e u le l'intonation et/ou
le
c o n t e x t e permet
d e
s é p a r e r
l e s
deux lectures
:
-
D'accord,
je
te permets de prendre mes outils, mais n'exagère
pas.
Remarquons
au
p a s s a g e
q u e
l ' a c t e
d ' a c c o r d réalisé
en
d i s a n t
D'accord
concerne,
selon
la
l e c t u r e , soit
l'acte
de
p e r m i s s i o n lui-même, so it
l e
fait d'avoir donné cette per mission ,
le
"dire"
d e Je te
permets...
D'où
l'idée
q u e
d ' u n e
certaine façon,
un
é n o n c é performatif comporte
une espèce d'assertion
sous-jacente
- q u i
p e u t appartre
si l e s
c i r c o n s -
tances
s'y
pr êt ent
-
thèse
en
faveur
de
laquelle
on
p e u t invoquer
l e s
arguments suppmentaires suivants
:
4d)
S i X-er est
p e r f o r m a t i f ,
le
r a p p o r t
de
II
m'a dit : "Je X que
p"
peut
se
faire aussi bien
sur la
v a l e u r assertive
q u e s u r l a
v a l e u r p r o p r e -
ment
performative
:
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