Et revoilà le Colbertisme
J’aimerais faire quelques commentaires sur l’article paru dans le Figaro publié le Mardi 5 Mai
intitulé « La seule cause qui vaille, sauver l’industrie française » écrit par Messieurs Michel
Rousseau et Christian Pierret, respectivement ancien Ministre délégué à l’industrie et président
de la fondation Concorde. Pour illustrer mon propos, je vais faire appel à celui qui est sans doute
le plus grand économiste de tous les temps, Schumpeter.
Son grand livre s’intitule « Capitalisme, Socialisme et Démocratie » et c’est dans ce livre qu’il
introduit la notion de « destruction créatrice» qui seule, selon lui, permet la croissance
économique.
Pourquoi évoquer Schumpeter aujourd’hui ?
Parce que les auteurs de cet article semblent penser que la croissance économique est créée par
les actions de l’Etat et du coup font quelques remarques qui m’ont surpris.
Tout d’abord, dans l’article que j’ai mentionné, les auteurs écrivent : « L’Industrie a une
productivité six fois plus élevée que les autres secteurs et peut créer trois fois plus de valeurs
ajoutées que les services».
L’Institut des Libertés où j’exerce en tant que Président, collecte beaucoup de données et s’il en
est bien une sur laquelle il est impossible d’avoir des chiffres, c’est bien la valeur ajoutée par les
services. A ma connaissance, il n’existe pas ou peu de manière satisfaisante de mesurer la
productivité dans ces domaines.
Prenons un exemple, vous remplacez votre secrétaire par un logiciel et vous tapez vous-même
vos lettres : comment mesurer la création de valeur ajoutée du logiciel? Quelle est la productivité
de l’enseignant qui a découvert à Alger Albert Camus qui n’était alors qu’un petit garçon? En
revanche, il est vrai, vous pouvez mesurer la perte d’emploi de la secrétaire devenue obsolète, et
c’est ici que Schumpeter revient à l’ordre du jour.
Sa thèse, trop rapidement résumée est la suivante : l’innovation et l’invention portées par les
entrepreneurs sont la force motrice de la croissance économique sur le long terme. Schumpeter
emploie l’image d’un « ouragan perpétuel » et comme seul le capitalisme permet et organise les
faillites, seul le capitalisme permet la croissance économique et une hausse du niveau de vie de
tout un chacun, en redirigeant constamment le capital et le travail vers les activités les plus
productives.
La lecture de l’article fait beaucoup apparaître le mot« industrie » ou encore le mot « salarié »,
ainsi que la belle notion de «croissance» si chère aux Conseils des ministres de Gaulle. Il ne
manque que «l’ardente obligation du Plan» et nous aurions un parfait petit résumé de la pensée
Colbertiste.Ou le grand retour de l’Etat Stratège.
Nos élites sont incorrigibles. A ce stade de l’Histoire économique, au 21ème siècle, nous devrions
tous savoir que le commissariat au plan, cher à l’ex URSS, n’est pas un modèle économique qui
fonctionne. Nous avons appris, empiriquement, que de demander à l’Etat d’organiser la
production des richesses ne fonctionne pas.
De fait, ce qu’ils ne mentionnent pas est encore plus extraordinaire que ce qu’ils mentionnent. Ce
recours à Schumpeter permet en fait d’introduire une notion un peu oubliée par les auteurs de
l’article susmentionné, j’ai nommé : l’Entrepreneur.
Je m’étonne de ne pas trouver UNE SEULE FOIS le mot «entrepreneur» dans cet article puisqu’il
est bien évident, que «sans entrepreneur, il ne peut pas y avoir de croissance ». La croissance
n’est jamais le résultat de l’action de l’Etat mais toujours le résultat d’initiatives individuelles.
Nous savons aujourd’hui que LE seul créateur de richesse et donc de croissance dans l’industrie,
comme à fortiori dans les services ou l’inventivité est tout (Cf. Google, Microsoft, Youtube etc.) est
l’Entrepreneur.
Sans Entrepreneur, pas d’industrie peut être, mais certainement pas de croissance. Il n’y a pas et
il n’y aura jamais de solution collective à l’absence de croissance.
Continuons dans ce qui manque : la rémunération de l’entrepreneur s’appelle le PROFIT, dont les
auteurs ne disent pas un mot encore une fois alors que l’absence de croissance s’explique tout
simplement par l’écroulement de ces profits depuis vingt ans, en particulier dans le secteur
industriel. Si l’Industrie s’est effondrée en France c’est parce que les profits y sont insuffisants.
En bon disciple de Socrate ou d’Aristote, il me semble qu’il faut chercher la cause de cet
effondrement pour la corriger, et non pas essayer d’inventer une fois encore une nouvelle
machine a gaz, du style de la Loi Macron, qui bien sur ne fonctionnera pas, ce jeune talent
n’ayant jamais rien inventé de sa vie. S’il était inventif, il n’aurait jamais été le premier de sa
classe. Les bons élèves ne sont jamais des entrepreneurs.
Plus fondamentalement, L’Entrepreneur est à l’origine tant des processus de création que de
destruction analysés par Schumpeter, ce qui lui vaut sans doute sa grande impopularité (voir la
popularité d’Huber auprès des chauffeurs de taxis). C’est lui et lui seul qui crée l’étincelle
originale qui permet à la croissance de démarrer, ce qui ne veut pas dire qu’il va créer de la
richesse tout seul dans son coin. Il a besoin des autres.
Pour simplifier, on peut dire que la présence des entrepreneurs est nécessaire, mais pas
suffisante; d’autres intervenants sont nécessaires. Il a besoin de capital, il a besoin de
collaborateurs, de matières premières, de réseaux de distributions. Mais il a surtout besoin de
sécurité et de stabilité juridique que seul un état de Droit autorise.
Arrêter la logorrhée législative et réglementaire en France serait plus efficace pour relancer notre
économie que toutes les subventions versées à des gens qui toujours seront bien en cours mais la
plupart du temps incompétents (voir Madame Lauvergeon ou messieurs Bon et Tchuruk, eux aussi
premiers de classe).
Demandez à un entrepreneur, si vous en croisez un qui ose se déclarer, de quoi il N’A PAS besoin,
et invariablement sa réponse sera « De plus d’Etat, ».Le seul inconvénient en France, pour
l’entrepreneur aujourd’hui est que presque tous les secteurs de croissance sont sous le contrôle
de l’État : Citons l’Education, les transports publics, l’aménagement des retraites et de la
prévoyance, la Sante…
Nous sommes en effet dans une situation complètement kafkaïenne où l’État contrôle et gère,
selon les principes d’une économie communiste, la plupart des secteurs où la croissance pourrait
s’engouffrer. Et les deux auteurs ne disent PAS UN MOT de la nécessité des privatisations. Certes
on peut se demander pourquoi ces secteurs ne pourraient pas croître et rester sous le contrôle du
Moloch (l’État), comme l’appelait Bertrand de Jouvenel.
La réponse est simple: avec des principes de gestion communistes, il ne peut y avoir de
croissance, puisqu’il ne peut pas y avoir de destruction créatrice. On ne peut pas se débarrasser
des mauvais…Par contre nous avons à faire face aux passe-droits, à la corruption et aux déficits,
le résultat constant d’une économie étatisée. Introduites au Sahara, ces méthodes provoqueraient
une pénurie de sable en quelques années.
Le grand, l’unique défi auquel la France va donc être confrontée dans les années à venir est de
trouver comment faire sortir du giron étatique ces activités pour qu’elles libèrent enfin leur
potentiel de croissance? Or, quand je lis dans cet article « comme l’indique le rapport Gallois, une
partie du livret A et du livret de développement durable doit être dirigé vers les entreprises
industrielles innovantes».
Je m’interroge.
Quel comité d’Etat, sans doute présidé par monsieur Attali ou Madame Royale, va à nouveau être
déclaré responsable d’allouer ces fonds privés des livrets A et consorts ? Et est-ce là une direction
vers une libéralisation des activités de croissance ?
Je m’interroge.
Citons encore : «Rétablissons d’abord une adéquation entre les besoins de l’industrie et la
formation dans l’Education Nationale. Le textile ayant à peu près disparu, il n’est pas déshonorant
de former des tôliers ou des informaticiens ».
Je m’interroge à nouveau: est-on vraiment certain, au regard des résultats actuels que l’éducation
nationale soit l’organisme le plus réactif quant à la formation des jeunes sur le marché de
l’informatique international ou sur la pression à froid des tôles ?
Je ne sais pas, je demande, car il est vrai qu’en tant qu’entrepreneur, j’ai la mauvaise habitude
d’être jugé au résultat (et non pas à ma volonté initiale).
Que le lecteur me comprenne bien : j’aime mon pays et évidemment, pour citer à nouveau les
éminents auteurs de l’article cité en référence, je ne peux qu’applaudir à deux mains à leur
souhait de créer un environnement qui permettrait un accroissement de la compétitivité de nos
entreprises pour gagner des marchés étrangers. En une décennie, nous pourrions nous replacer
en 2025 avant l’Allemagne, en leader de la prospérité européenne et mondiale ».
Mais je reste dubitatif sur les solutions qu’ils proposent d’autant que mes analyses sur les raisons
du désastre annoncé divergent.
Le défaut de croissance que nous accusons aujourd’hui est- il vraiment la résultante d’un manque
de planification de l’Etat envers nos industries?
Ce qui a détruit l’industrie Française, qui en 1995 était parfaitement compétitive avec l’industrie
Allemande, c’est encore une fois la disparition des PROFITS dans ces secteurs. La rentabilité des
affaires industrielles s’est effondrée depuis cette date comme jamais dans notre histoire, sous le
triple impact d’une croissance forcenée de l’Etat, de Lois faisant exploser le coût du travail en
France et de la fixation d’un taux de change fixe avec l’Allemagne au travers de l’Euro. Les
Français peuvent décider démocratiquement d’avoir 40 % de fonctionnaires de plus par 10000
habitants que les Allemands et d’augmenter en même temps les coûts sur les sociétés
Françaises, mais dans ce cas-là, ils ne peuvent pas avoir un taux de change fixe avec l’Allemagne.
Sinon, leur industrie disparaît.
Le lecteur sait peut-être qu’avant le passage aux 35 heures, le coût de travail Français était
inférieur au coût de travail allemand. Une entreprise Américaine qui aurait cherché à s’implanter
en Europe aurait alors pu trouver intérêt à s’installer chez nous à cette époque. Passent les 35
heures, passe la mise en place de l’euro, passe un quasi doublement du code du Travail depuis
1995 et le lecteur sait surement qu’à compter de 2005, le coût du travail, le coût du capital, les
impôts et les réglementations sont très inférieurs en Allemagne. Plus aucun entrepreneur
n’investit donc en France, et la productivité industrielle française s’écroule face à la productivité
allemande. Pourquoi ? Parce qu’ils perdent de l’argent.
Qui dit baisse de la compétitivité dit déficit de la balance des paiements, déficit du budget de
l’Etat, accroissement de la dette, baisse de la croissance, chômage…
Serait-ce dû à un manque d’aide de l’Etat ?
Je ne le crois pas, les subventions versées par ce même Etat aux sociétés sont supérieures à 130
milliards d’Euro aujourd’hui.
Il faut ici rappeler la réponse des armateurs de Saint Malo à qui Louis XIV demandait comment il
pouvait les aider dans leur concurrence avec les Anglais. La réponse fut sublime « Surtout, surtout
Sire, ne nous aidez pas».
La France crève du Colbertisme de sa classe dirigeante, dont l’article du Figaro est un parfait
exemple.
Si la question est donc, pour revenir à la problématique du jour, » comment insuffler un nouveau
souffle à l’industrie française ma solution est toute simple:
« Libérer le capital et le travail, délivrez l’entrepreneur ».
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