Décembre 10 Le rôle de prêteur en dernier ressort ECON M831 – Financement de l’entreprise, risques et rôle des banques M. de Crombrugghe Geoffroy Dolphin Mélissa Kasongo Economics School of Louvain Année académique 2010‐2011 Table des matières I. Introduction…………………………………………………………………………………………………………………… 3 II. Le rôle de prêteur en dernier ressort…………………………………………………………………………….. 4 a. Origine…………………………………………………………………………………………………………………… 4 b. Définition………………………………………………………………………………………………………………. 4 c. Risque moral…………………………………………………………………………………………………………. 6 d. Prêteur en dernier ressort dans la pratique…………………………………………………………… 7 III. La crise débutée en 2007 et les interventions de la BCE et de la Federal Reserve en tant 9 que prêteurs en dernier ressort..…………………………………………………………………………………… a. Nécessité d’interventions exceptionnelles…………………………………………………………….. 9 b. Outils non conventionnels utilisés et leurs résultats………………………………………………. 10 i. Banque centrale européenne……………………………………………………………… 10 ii. Federal Reserve………………………………………………………………………………….. 14 c. Evolution des masses bilantaires…………………………………………………………………………… 18 i. Banque centrale européenne……………………………………………………………... 19 ii. Federal Reserve………………………………………………………………………………….. 20 d. Comparaison des interventions……………………………………………………………………………… 22 IV. La question d’un prêteur international en dernier ressort…………………………………………….. 23 V. Conclusion……………………………………………………………………………………………………………………… 24 VI. Bibliographie………………………………………………………………………………………………………………….. 25 VII. Annexes………………………………………………………………………………………………………………………... 26 Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 2 I. Introduction Dans le cadre de ce travail, nous allons examiner de plus près le rôle de prêteur en dernier ressort des Banques centrales tant en Europe qu’aux Etats‐Unis. Dans un premier temps, nous nous attacherons à définir brièvement les origines et la portée de ce rôle. Ensuite, nous nous intéresserons plus particulièrement à l’intervention de ce pilier de la stabilité du système financier dans le cadre des mesures non conventionnelles prises par la BCE et la FED lors de la crise débutée en 2007. Nous étudierons également les implications de l’activation de ce pilier sur l’économie et sur les masses bilantaires des Banques centrales concernées. Enfin, nous aborderons la question de la mise en place d’un prêteur international en dernier ressort. Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 3 II. Le rôle de prêteur en dernier ressort a. Origine Le concept de prêteur en dernier ressort est évoqué très tôt par la théorie économique classique. C’est en 1802, dans son article An Enquiry into the Nature and Effects of the Paper Credit of Great Britain, que l’économiste Henry Thornton aborda pour la première fois cette idée. Il mit en évidence l’importance d’accorder à la Banque centrale deux attributs spécifiques afin que cette dernière concoure efficacement à la stabilité bancaire et financière ainsi qu’à l’atténuation du risque systémique : le rôle d’assureur de la stabilité de la monnaie et le rôle de prêteur en dernier ressort. Pour justifier l’institution d’un prêteur en dernier ressort, Thornton insista sur l’importance du facteur « confiance » qui, lors de la plupart des crises financières, conditionne la préférence pour la liquidité, la vitesse à laquelle les instruments de crédit se transmettent et partant, l’ampleur du risque de liquidité pesant – en première ligne – sur les établissements de dépôts. Il précisa, en outre, que lorsque les crises bancaires mènent à des crise de liquidité pour des raisons internes ou externes, le rétablissement de la confiance et de la régularité des payements nécessite une Banque centrale dotée d’une rationalité publique qui se manifeste par sa fonction de prêteur en dernier ressort1. Au fil du temps, les Banques centrales des nations développées jouèrent de plus en plus souvent le rôle de réservoir ultime de liquidité lors des crises financières sévères. En outre, l’importance de ce rôle revint au premier plan dans les années 70, lorsqu’il apparut comme l’un des 3 piliers2 constituant le système de prévention mis en vigueur afin de garantir la stabilité du système financier « dérégulé »3. b. Définition En marge de ces évocations empiriques, nous pouvons tenter de redéfinir clairement la portée du rôle de la Banque centrale comme prêteur en dernier ressort. Ainsi que nous l’évoquions précédemment, le principe de « la Banque centrale comme prêteur en dernier ressort » vise une plus 1 Cartapanis, A. et P. Gilles (2002), Prévention et gestion des crises financières internationales : une analyse rétrospective de H.Thornton, septembre 2 Les normes de capital et autres règles prudentielles et l’assurance dépôt constituèrent les 2 autres piliers. 3 A cette époque, les autorités se tournaient progressivement vers une nouvelle approche de gouvernance financière faisant sauter les entraves établies depuis la crise de 1929. Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 4 grande stabilité en protégeant les établissements de dépôts contre le risque accru de liquidité en période de crise. Il s’agit d’une facilité d’urgence aux banques commerciales en matière de liquidité4. Plus précisément, dans le cadre de son rôle de prêteur en dernier ressort, la Banque centrale offrira l’assurance aux banques commerciales qu’à titre exceptionnel et dans des situations de crises particulières, elles pourront satisfaire leur besoin important de liquidités sous la forme d’un renflouement (Thornton, 1802, 109‐110 ; 1803, 54) et/ou d’une politique d’open market (Ibid., 1803, 80). Le raisonnement sous‐jacent à l’établissement de ce rôle est simple. Durant les périodes de crispations financières, les banques en large déficit de liquidités auront généralement de grandes difficultés à gérer leurs besoins en cash quotidien du fait du resserrement de crédit sur les marchés financiers et sur le marché interbancaire. Si cette situation est temporaire et limitée à des institutions isolées dont la santé générale laisse à désirer, cela ne posera pas problème. Cependant, si la situation – pour l’une ou l’autre raison – tend à se généraliser et touche des institutions parfaitement solvables dans l’absolu, la stabilité du système bancaire et, par là, du système de payements et de crédit peut être mise dangereusement en péril. Dans ce cas, l’intervention de la Banque centrale comme prêteur en dernier ressort permettra aux banques de se procurer autant de liquidité que nécessaire et, de ce fait, d’apaiser les tensions dues au risque de liquidité sur les marchés financiers . Pour illustrer notre propos, nous pouvons évoquer les crises financières caractérisées par des contagions de faillite bancaire. Dans de telles crises, la faillite d’une ou plusieurs institutions en mauvaise santé peut mener les investisseurs et déposants à se méfier de tous les établissements de dépôts et retirer massivement leur argent de ces derniers. En conséquence, des banques pourraient ne pas disposer des liquidités nécessaires au remboursement de l’ensemble de leurs créanciers ; cette situation menant à des faillites en chaine et à une instabilité accrue. Dans ce contexte, l’action du prêteur en dernier ressort agira comme une assurance de la continuité des paiements en réponse aux causes de la crise (ici, la chute de la confiance constitue une cause interne). La vulnérabilité du système bancaire aux crises de liquidité et au risque systémique est donc le fondement du rôle de prêteur en dernier ressort des Banques centrales. Il est intéressant de noter que le principe de prêteur en dernier ressort fait débat parmi les économistes et donne lieu à plusieurs approches. Selon l’approche classique (Thornton, 1802; Bagehot, 1873), le prêteur en dernier ressort doit fournir de la liquidité sans modération lors des paniques bancaires, à un taux pénalisant, uniquement aux 4 Rochet, J‐C(2008), La réglementation de la liquidité et le prêteur en dernier ressort, Revue de la stabilité financière – Banque de France, n°11, février Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 5 banques illiquides mais solvables, en affichant clairement son intention, afin d’assurer la stabilité du système de paiements5. D’autres approches estiment que le rôle de prêteur en dernier ressort est inutile car les marchés financiers sont capables de se réguler d’eux‐mêmes (approche dite de la banque libre) ou encore car elles considèrent que les opérations classiques et régulières d’open‐market sont suffisantes pour assurer la stabilité (approche par l’intervention de marché). Enfin, une approche alternative admet que le pouvoir de prêt en dernier ressort se doit d’être élargi aux institutions insolvables également. Une série d’évidences empiriques suggérant que les banques insolvables sont régulièrement « secourues » et que les banques en faillite sont plus souvent sauvées que liquidées (Goodhart and Schoenmaker, 1995; Hoffman and Santomero, 1998) vient d’ailleurs appuyer cette thèse. D’une manière plus générale, cette dernière thèse semble souhaitable à deux égards. Premièrement, il peut être désirable, sous certains circonstances, d’étendre les « prêts de dernier ressort » aux institutions financières insolvables car, dans l’urgence, il est bien souvent impossible de distinguer les institutions illiquides des institutions insolvables ex‐ante. Cette incapacité de distinguer les problèmes structurels de solvabilité des déficits temporaires de liquidités en période de tensions implique qu’il est parfois nécessaire pour la Banque centrale de prêter des liquidités à des institutions qui se révèleront insolvables ex‐post. Deuxièmement, si on se tient à l’idée que la Banque centrale est garante de la stabilité du système financier, il peut être désirable que celle‐ci sauve les banques insolvables pour assurer la stabilité du système. c. Risque moral L’institution d’un prêteur en dernier ressort comme filet de sécurité est évidemment source de risque moral et peut engendrer le maintien en exercice d’institutions qui devraient être fermées. En effet, le fait que les institutions financières soient conscientes qu’elles bénéficient d’une assurance en cas de gros problèmes de liquidité voire de solvabilité peut les pousser à prendre plus de risques dans leurs opérations quotidiennes. Par conséquent, il est primordial pour les Banques centrales de trouver un équilibre entre la protection du système bancaire et l’aléa moral induit par leur rôle. 5 Dutrieux, J.(2008), Le prêteur en dernier ressort. http://prosperite‐et‐partage.org/spip.php?article17 Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 6 Certains moyens destinés à atténuer l’aléa moral lié à l’institution d’un prêteur en dernier ressort sont explicités dans la littérature économique. Selon Goodhart et Huang, (1999), seules les banques d’une certaine taille devraient impérativement être sauvées afin de maintenir la pression sur les banques plus modestes qui, quant à elles, seraient aidées de manière plus aléatoire6. Freixas (1999) défend, quant à lui, l’idée que les interventions du prêteur en dernier ressort auprès des établissements de dépôts devraient être proportionnelles au montant de dettes non assurées par ces mêmes établissements. Enfin, Acharya et Yorulmazer (2006) proposent que seule la liquidation inefficace d’actifs dans le cadre d’une panique bancaire peut justifier les sauvetages et atténuer le risque moral qui y est lié. d. Prêteur en dernier ressort dans la pratique Comme nous l’avons précisé à plusieurs reprises précédemment, le rôle de prêteur en dernier ressort échoit communément à la Banque centrale car cette dernière est garante de la stabilité financière d’un Etat. Pour comprendre comment les Banques centrales vont généralement exercer ce rôle, il convient de revenir tout d’abord sur certains instruments dont ces dernières disposent pour orienter leurs politiques monétaires. Premièrement, les facilités permanentes de prêts ou dépôts marginaux sont des sortes de comptes courants dont disposent les banques auprès de la Banque centrale. Au jour le jour, ils permettent aux établissements de dépôts de contracter des prêts (contre garantie) à un taux plafond et faire des dépôts à un taux plancher. D’autre part, les opérations de refinancement sont des opérations de cession‐rétrocession de titres sur une période relativement courte (1 semaine pour les OPR et 3 mois pour le ORLT), lancées à l’initiative de la Banque centrale. Dans de telles opérations, la Banque centrale offre un montant de liquidité déterminé aux banques en échange d’un certain nombre de titres7. A l’échéance, la Banque centrale rend les titres pris en gage et les banques rendent les montants prêtés grossis d’un intérêt défini lors de la mise en place de l’opération. Dans le cadre du système actuel, les banques commerciales gèrent leurs besoins et surplus de liquidités via les marchés financiers et le marché interbancaire mais également donc via la Banque centrale. Bien qu’ils permettent aux banques de faire face à des besoins de liquidités à court terme, ces outils de la Banque centrale sont, en temps normal, essentiellement utilisés dans le but de piloter les taux en vigueur sur les marchés financiers et interbancaire. Le rôle de « prêteur en dernier ressort » des 6 En ce sens, le refus de la BCE d’aider la banque Fortis lors de la crise financière récente pourrait être interprété comme un moyen de contenir le risque moral. 7 L’appel d’offre pour le montant de liquidité peut se faire à taux fixe ou à taux variable par adjudication. Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 7 Banques centrales va impliquer, qu’en temps de crise, les facilités permanentes et les opérations de refinancement pourront devenir des instruments permettant l’injection massive de liquidités. Ceci étant établi, il est à présent opportun de nous tourner vers la définition des contours des prêteurs en dernier ressort des marchés intégrés en une zone monétaire unique. Prêteur en dernier ressort de la zone euro Il est important de noter qu’aucun organisme n’est officiellement mandaté pour jouer ce rôle dans la zone euro. Début 2007, dans son livre Monnaie, banque et marchés financiers, Frederic Mishkin considérait que ce rôle devait normalement échoir aux autorités nationales ou à la banque nationale du pays dont le système financier connaît des difficultés mais soulignait le fait que ces dernières ne pouvaient prêter de l’argent aux banques qu’avec l’accord de la Banque centrale européenne, pour des raisons évidentes d’unité de la politique monétaire européenne 8. Frederic Mishkin estimait que si l’ensemble du système financier européen venait à connaître des difficultés, il ne fait aucun doute que la facilité de prêt marginal ouverte auprès de l’eurosystème (Banque centrale européenne et Banques centrales nationales) jouerait le même rôle que les facilités de prêt au guichet de l’escompte de la Fed. D’autre part, si le problème se limitait à un système financier national, les pouvoirs publics nationaux pourraient intervenir9. Au moment de la crise, le Système européen de Banques centrales (SEBC) a endossé le rôle de prêteur en dernier ressort sur base de l’interprétation des articles 282 §2 et 127 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne ‐ TFUE10. Ces articles précisent, entre autres, que le SEBC doit « promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement » et peut s’engager dans des politiques de stabilisation si ces dernières ne portent pas préjudice à l’objectif de stabilité des prix à moyen terme. Prêteur en dernier ressort de la zone dollar Aux Etats‐Unis, la fonction de prêteur en dernier ressort est exercée par la Fed au moyen de ses facilités de prêt au guichet d’escompte. Selon la Réserve Fédérale de Minneapolis, “the Federal Reserve has the authority and financial resources to act as 'lender of last resort' by extending credit to depository institutions or to other entities in unusual circumstances involving a national or 8 Etant donné l’intégration parfaite des marchés nationaux de l’argent au jour le jour des pays appartenant à l’UEM, il est impossible pour une banque centrale nationale d’injecter des liquidités sur son marché de l’argent au jour le jour sans interférer avec politique monétaire unique, 9 Mishkin, F(2007), Monnaie, banque et marchés financiers, Pearson Education, 8e edition 10 cf. annexes Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 8 regional emergency, where failure to obtain credit would have a severe adverse impact on the economy."11 En outre, diverses sections du Federal Reserve Act de 1913 instituant le Système de Réserve Fédérale, permettent à ce dernier d’endosser ce rôle12. Enfin, notons que chaque Banque centrale est responsable de la disponibilité suffisante de la devise dont elle est l’émettrice. De ce fait, la Fed joue le rôle de prêteur en dernier ressort de toutes les institutions devant s’approvisionner en dollar. Il en va de même pour la Banque centrale européenne. Cependant, les institutions financières ne sont légalement pas autorisées à se fournir en liquidité auprès d’autres Banques centrales que celle dont elles dépendent. Voilà pourquoi, durant la crise financière ayant débuté en 2007, différentes banques centrales ont mis en place des lignes de swap leur permettant de faciliter leur approvisionnement respectif en différentes monnaies étrangères (cf. infra). III. La crise débutée en 2007 et les interventions de la BCE et de la Federal Reserve en tant que prêteurs en dernier ressort a. Nécessité d’interventions exceptionnelles En tant normal, la politique monétaire d’une Banque centrale suit le principe « un outil correspond à un objectif ». La mise en place d’outils exceptionnels s’explique par le raisonnement suivant. Les conditions de financement des institutions financières jouent un rôle prépondérant dans la transmission de la politique monétaire. Or, ces dernières années, l’émergence du mécanisme de titrisation de créance a rendu ces institutions de plus en plus dépendantes du financement par le marché (et non par les dépôts), les exposant d’autant plus à des changements des conditions de financement sur les marchés interbancaires et financiers. Durant la dernière crise, les marchés interbancaires « traditionnels » et le marché des « asset‐backed securities » connurent des dysfonctionnements majeurs. Ceux‐ci furent tels que l’ajustement des taux au taux directeur ‐ qui 11 Federal Reserve Bank of Minneapolis, http://www.minneapolisfed.org/glossary.cfm, lender of last resort, , consulté le 16/12/2010 12 Voyez pour cela les sections 10A et 10B du Federal Reserve Act Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 9 constitue pourtant un mécanisme fondamental de la transmission de la politique monétaire traditionnelle – ne s’opéra plus. En définitive, à travers les mesures non conventionnelles prises pour rendre leur politique monétaire effective, les Banques centrales ont en fait exercé leur rôle de prêteur en dernier ressort. b. Outils non conventionnels utilisés et leurs résultats i. Banque centrale européenne La plupart des mesures prises par la Banque centrale européenne durant la crise ont visé à atténuer les tensions sur les marchés financiers et le marché interbancaire et à neutraliser le durcissement des conditions de crédit à l’économie réelle. Comme évoqué dans la section précédente, la BCE, au delà de ses réductions successives de taux directeurs, a dû jouer sur le montant de liquidité alloué aux institutions afin d’orienter efficacement sa politique monétaire. Dès le 9 aout 2007, la BCE a encouragé les banques européennes à continuer à accorder du crédit malgré les tensions naissantes sur le marché interbancaire et monétaire en leur permettant d’emprunter toute la liquidité dont elles avaient besoin via des opérations de refinancement au jour le jour. Ces opérations nécessitaient la mise en gage de collatéraux et le payement du taux de l’OPR de l’époque (4%). Au total, 95 milliards d’euros de liquidité ont été fournis aux banques européennes. Les mois suivants, d’autres opérations de refinancement à plus long terme, des opérations de réglages fin, des apports de liquidités en dollars contre des garanties en euros et des procédures d’appel d’offres exceptionnelles furent misent en place. Bien que cette première vague d’apport massif de liquidités puisse être considérée comme inhabituelle, il est important de noter que, durant cette première phase de turbulences financières la BCE ne bouscula pas fondamentalement ses procédures existantes. En effet, durant cette période, le taux directeur resta l’élément clé de l’orientation de la politique monétaire alors que les OPRL visaient essentiellement à combler le manque temporaire de liquidités de certaines institutions et permettre la réorganisation de réserves solides. En outre, le taux directeur fut relevé de 25 points de base en juillet 2008 afin de contrer les craintes inflationnistes qu’aurait pu susciter cet afflux de liquidités. Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 10 Soutien renforcé au crédit Parallèlement aux réductions successives de taux, la Banque centrale européenne fit également appel à des méthodes non conventionnelles afin de guider sa politique monétaire dès l’explosion de la crise en septembre 2008 (faillite de Lehman Brothers). Plus précisément, « pour s’assurer que la situation sur les marchés de la monnaie et du crédit reflète effectivement l’orientation de la politique monétaire, et pour maintenir les flux de crédit à l’économie de la zone euro à un niveau supérieur à ce que pouvaient permettre les seules baisses de taux d’intérêt »13, le Conseil des gouverneurs décida en octobre 2008 d’adopter un programme de soutien renforcé au crédit reposant sur 3 principes : • La fourniture de liquidité aux institutions financières européennes éligibles en quantité illimitée via des opérations de refinancement à taux fixe et contre remise de garanties adéquates • L’extension de la liste d’actifs admis comme garantie dans les opérations de refinancement • L’allongement des échéances des OPRL de 3 mois jusqu’à 6 mois ou encore 1an L’application de ces mesures définit donc l’orientation de la politique monétaire de la BCE dès la fin de l’année 2008. Leurs objectifs étaient respectivement • de répondre aux besoins de financement à court terme des banques et donc de maintenir l’offre de crédit aux ménages et aux institutions non bancaires à des taux raisonnables • d’élargir l’accès des institutions éligibles aux opérations de refinancement • d’agir sur la position de liquidité des banques et réduire les spreads de taux longs Durant l’année 2009, la BCE mit en place 3 opérations de refinancement à plus long terme d’échéance 12 mois14. Via ces 3 opérations, l’eurosystème fournit 442 milliards de liquidités aux banques en juin, 75 milliards en septembre et 96 milliards en décembre. Par ailleurs, pour l’aider dans ses objectifs, la BCE continua à offrir énormément de liquidité en devises étrangères (principalement en dollars) grâce à des swaps mis en place avec des banques centrales étrangères. Elle apporta également plus de liquidités au marché des obligations sécurisées en s’engageant à acheter pour 60 milliards d’obligations sécurisées en euros et émises dans la zone euro de juillet 2009 à juin 2010 (Covered bond purchase programme). 13 BCE (2010), Les mesures prises par la BCE en réponse à la crise financière, BCE bulletin mensuel, octobre Les opérations ont été réalisées via des procédures d’appels d’offres à taux fixe, la totalité des soumissions étant servies. 14 Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 11 Outre la diminution générale des taux d’intérêt nominaux et réels de toutes maturités, des primes et des spreads, les mesures non conventionnelles prises par la BCE ont révélé toute l’importance de son rôle de prêteur en dernier ressort. Via le programme de soutien renforcé au crédit, la BCE s’est littéralement substituée aux marchés financiers et au marché interbancaire qui ne permettaient plus l’allocation efficiente de fonds. Pour rétablir la stabilité, la BCE a endossé un rôle d’intermédiaire financier entre les institutions financières européennes en permettant une participation élargie à ses opérations de refinancement. Par sa fonction, la BCE a non seulement répondu aux besoins de liquidités des banques mais a aussi permis de rendre liquide des actifs devenus illiquides15 et, partant, d’éviter de sévère problèmes de solvabilité (suite aux dévaluations d’actifs illiquides). Enfin, via son rôle de fournisseur de liquidité et notamment ses achats de titres, elle a également contribué à la revitalisation générale des marchés obligataires. 15 Via leur dépôt en garantie Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 12 Quid de l’inflation ? Il est légitime de se demander si les apports massifs de liquidité et les réductions successives de taux n’ont pas, finalement, porté préjudice à l’objectif premier de la BCE, à savoir la stabilité des prix à moyen terme. Comme nous pouvons l’observer dans le graphique ci‐dessous16, les interventions de la BCE ne se sont pas encore traduites par une envolée de l’inflation. Selon nous, ce phénomène peut s’expliquer par 3 raisons : (1) le fait que les banques ont gardé une grande partie des liquidités demandées en réserves ou sur les facilités de dépôts de la Banque centrale (2) la thésaurisation des ménages et entreprises qui, malgré l’abaissement des taux et les signes encourageant ont préféré ne pas dépenser massivement (3) la mise en place progressive d’opérations de réglage fin de retrait de liquidité Notons que les 2 premières raisons que nous invoquons sont liées aux comportements des agents face à la crise. Grâce à leur prudence, une partie de l’inflation créée par l’injection massive de liquidité est sans aucun doute restée cachée. Dès lors, une question reste en suspens : si les opérations de réglage fin de retrait de liquidité ne s’intensifient pas, qu’adviendra‐t‐il le jour où l’activité économique redémarrera pleinement ? 16 Dans ce graphique, le point mort d’inflation est le niveau d’inflation pour lequel la différence entre le rendement d'une obligation classique et celui d'une obligation indexée, c'est‐à‐dire l'écart entre les taux nominaux et les taux réels, est nulle. Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 13 ii. Federal Reserve La Réserve Fédérale américaine, quant à elle, a mis en place des mesures visant à poursuivre et atteindre les objectifs suivants : 1. Faciliter le refinancement des banques américaines 2. Faciliter le refinancement en dollar des banques étrangères 3. Faciliter le refinancement des « primary dealers » 4. Eviter certaines faillites porteuses de risque systémique 5. Soutenir les fonds monétaires17 6. Faciliter le refinancement des entreprises 7. Soutenir le crédit à la consommation et aux petites entreprises Tableau 1 ‐ Principales mesures non conventionnelles prises par la Réserve Féderale (source : BNPP‐Fortis) 17 Ces fonds sont des fonds investissant uniquement sur les marchés monétaires, c'est‐à‐dire dans des actifs dont la maturité va de 1 jour à 1 an. Ces fonds investissent dans des obligations à court terme telles les Treasury bills, les billets de trésorerie,… Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 14 A ces objectifs correspondent autant de programmes que nous détaillons ci‐après : 1. Term Auction Facility Dans un premier temps, la Fed a créé le Term Auction Facility. Selon les propres termes de la Fed (« Under the Term Auction Facility (TAF), the Federal Reserve will auction term funds to depository institutions »), ce programme visait18 à allouer des fonds aux différentes banques commerciales au terme d’adjudications compétitives. Ce programme permettait à la Fed non seulement de se substituer à un marché interbancaire presque totalement paralysé mais complétait aussi l’outil utilisé par celle‐ci pour jouer son rôle de prêteur en dernier ressort, à savoir le guichet de l’escompte. Ce programme ne manquait pas d’avantages par rapport au guichet de l’escompte : d’une part les banques commerciales pouvaient y accéder de façon anonyme, leur évitant ainsi d’être pointées du doigt par leurs consoeurs ; d’autre part, les montants alloués étaient conséquents. La définition de cet outil nous permet d’évoquer plus précisément les raisons de sa mise en place. Les liquidités qui furent allouées dans un premier temps par la Fed étaient absorbées par les différentes banques de détail et immédiatement replacées auprès de la banque centrale sans être prêtées aux autres banques commerciales (thésaurisation). D’où la nécessité pour la Fed de se substituer au marché interbancaire. Le graphe ci‐dessous illustre cette situation. Il montre l’augmentation soudaine des dépôts de différentes banques commerciales auprès de la Federal Reserve. 18 Ce programme a pris fin le 8 mars 2010 lors de la dernière adjudication. Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 15 2. Mise en place de lignes de swap entre banques centrales En quoi consistent ces swaps et quels en sont les avantages en cas d’assèchement du marché interbancaire ? Un extrait d’un article paru dans le journal Les Echos le 26 septembre 2008 répond de manière concise et précise à cette question : « [… ]Or les banques doivent sans cesse renouveler leurs lignes de financement à court terme, notamment en dollars. Aujourd'hui, elles ont trop peur du risque pour se livrer à ce genre de transactions. Comme elles n'ont pas la possibilité physique et juridique d'emprunter des dollars directement auprès de la Réserve fédérale américaine, la Banque centrale européenne sert d'intermédiaire avec ce système de swap. La BCE prête des euros à la Fed et la Fed lui prête des dollars. La BCE peut ensuite prêter des dollars aux banques de sa zone. »19 Initialement, ces lignes de swap avaient été mises en place en décembre 2007 entre la Fed d’une part, la BCE et la BNS d’autre part et visaient à faciliter l’approvisionnement en dollars des banques non américaines (qui n’était plus assuré correctement étant donné les dysfonctionnements du marché interbancaire). Notons qu’un tel instrument avait déjà été utilisé lors des attentats perpétrés contre le World Trade Center en septembre 2001. 3. Term Securities Lending Facility et Primary Dealer Credit Facility Bien que jusqu’alors la Fed ait eu pour politique de ne prêter qu’à des institutions de dépôt en bonne santé financière, celle‐ci a mis en place deux programmes permettant aux « primary dealers » de recevoir d’une part des titres du Trésor en échange d’autres titres a priori moins liquides et, d’autre part, des liquidités au jour le jour. 4. Soutien de certaines institutions financières en particulier Dans le courant de l’année 2008 et à l’exception de la banque d’affaires Lehman Brothers, le Fed a apporté un soutien financier spécifique à certaines banques telles que JP Morgan afin d’éviter leur faillite et les risques systémiques qui en auraient résulté. 19 http://archives.lesechos.fr/archives/2008/lesechos.fr/09/26/300296400.htm, Les échos, Les banques centrales tentent d'enrayer la paralysie du marché interbancaire, article daté du 26 septembre 2008, consulté le 11/12/2010. Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 16 5. Asset‐Backed Commercial Paper Money Market Mutual Fund Liquidity “The Asset‐Backed Commercial Paper Money Market Mutual Fund Liquidity Facility was a lending facility that provided funding to U.S. depository institutions and bank holding companies to finance their purchases of high‐quality asset‐backed commercial paper (ABCP) from money market mutual funds under certain conditions. The program was intended to assist money funds that held such paper in meeting demands for redemptions by investors and to foster liquidity in the ABCP market and money markets more generally. The AMLF began operations on September 22, 2008, and was closed on February 1, 2010”20 Ce programme visait essentiellement à venir en aide aux Money Market Funds. En effet, ces fonds représentant un investissement très liquide, ils sont souvent utilisés par les institutions financières pour stocker leurs liquidités excédentaires. En temps normal, la faillite d’un tel fonds est hautement improbable. Cependant, durant la crise, la faillite de Lehman Brothers a obligé ces fonds à enregistrer une perte sur les créances détenues sur cette dernière. Ceci a mis les Mutual funds en difficulté. La panique engendrée par ces écritures comptables a provoqué un retrait massif des fonds de la part d’agents économiques. Les fonds furent obligés de liquider des actifs ou d’imposer des limites sur les retraits. Afin de freiner les retraits auxquels ils faisaient face, la Fed a donc mis en place deux dispositifs. Par le premier, elle prêtait des liquidités destinées à l’acquisition de titres ABCP émis par les fonds monétaires ; par le second, elle entendait prêter des fonds destinés à l’acquisition d’actifs émis par les money market mutual funds. 6. Commercial Paper Funding Facility21 Etant donné la spécificité de la structure de financement des entreprises américaines22, la Réserve Fédérale américaine est intervenue dur le marché des « commercial papers » afin de lui donner une certaine profondeur et d’améliorer la liquidité de ces actifs. L’intervention de la Fed a pris la forme de la création d’un SPV auquel la branche New‐Yorkaise de celle‐ci a prêté des fonds afin qu’ils soient investis dans des «highly rated unsecured and asset‐backed commercial papers » dont la maturité ne 20 Communiqué officiel de la Fed, www.federalreserve.gov. Pour une définition officielle de ce programme, voyez le site de la Réserve Fédérale http://www.federalreserve.gov/monetarypolicy/cpff.htm 22 Les entreprises américaines se financent essentiellement via le marché, tant à court terme qu’à long terme, à la différence des entreprises européennes qui, pour leur financement à court terme ont plus communément recours au crédit bancaire. 21 Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 17 dépasse pas trois mois et qui sont émis par les entreprises éligibles. Le billet de trésorerie reste la propriété du SPV jusqu’à maturité et les intérêts perçus servent à payer l’emprunt contracté auprès de la Fed. Ce programme visait essentiellement à assurer la continuité du crédit de court terme aux entreprises et aux ménages américains. 7. Term Asset‐Backed Securities Loan Facility Ce programme‐ci est une autre forme de soutien au crédit. Il vise plus particulièrement à soutenir le crédit à la consommation des ménages et des petites entreprises en favorisant l’émission d’ABS garantis par différents prêts23 (tels que des prêts pour l’achat d’une voiture, le financement des études,…). L’objectif de la Fed est parfaitement résumé par le communiqué suivant: « New issuance of ABS declined precipitously in September and came to a halt in October. At the same time, interest rate spreads on AAA‐rated tranches of ABS soared to levels well outside the range of historical experience, reflecting unusually high risk premiums. The ABS markets historically have funded a substantial share of consumer credit and SBA‐guaranteed small business loans. Continued disruption of these markets could significantly limit the availability of credit to households and small businesses and thereby contribute to further weakening of U.S. economic activity. The TALF is designed to increase credit availability and support economic activity by facilitating renewed issuance of consumer and small business ABS at more normal interest rate spreads.”24 c. Evolution des masses bilantaires Tant pour la Fed que pour la BCE, ces actions multiples au niveau de la liquidité se sont traduites par des modifications substantielles de la taille et de la structure de leur bilan. 23 Pou une liste exhaustive des prêts, veuillez vous référer à la page suivant du site de la Réserve Fédérale de New York : http://www.ny.frb.org/markets/talf.html 24 Communiqué officiel de la Fed, www.federalreserve.gov. Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 18 i. Banque centrale européenne Depuis le mois d’août 2007, le rôle prépondérant de la BCE comme intermédiaire entre les institutions financières européennes a mené à une augmentation de 70% de son actif bilantaire. Trois observations ont particulièrement retenu notre attention. Dans un premier temps, nous avons noté la croissance très accrue de l’actif bilantaire du début de l’année 2007 jusqu’à la fin de l’année 2008. Après avoir étudié les bilans consolidés de l’eurosystème au 31 décembre 2007 et au 31 décembre 2008, nous avons pu conclure que cette augmentation est principalement due aux créances en devises sur des résidents de la zone euro25 (swaps), dans une moindre mesure aux opérations principales de refinancement, aux opérations de refinancement à plus long terme et aux titres en euros émis par des résidents de la zone euro. Dans un second temps, nous avons relevé la modification de la structure de l’actif sur l’exercice clôturé au 31 décembre 2009. D’une part, la proportion d’opération de refinancement à plus long terme a sensiblement augmenté par rapport aux opérations principales de refinancement. Cela est, en grande partie, du aux trois ORLT exceptionnelles à échéance de 12 mois menées durant cet exercice. D’autre part, nous avons pu remarquer l’apparition de la rubrique « titres détenus à des fins de politiques monétaires », faisant référence au programme d’apport de liquidités via l’achat ferme de 60 milliards d’obligations sécurisées lancé en mai 2009. Enfin, en marge de ces évolutions, nous avons également pu noter que, sur l’ensemble des exercices clôturés en 2007, 2008 et 2009, les facilités de prêt marginal ont constitué un montant relativement 25 Cette rubrique est constituée de comptes ouverts auprès des banques, de prêts libellés en devises et de placements sous la forme de titres, libellés en dollars et en yens. Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 19 négligeable face à l’ensemble du bilan. Cette dernière observation confirme bien le fait que l’eurosystème a apporté massivement des liquidités aux banques essentiellement via les opérations de refinancement. ii. Federal Reserve Sur base des informations recueillies, nous pourrions scinder l’évolution du bilan de la Fed en trois phases. Dans un premier temps, c'est‐à‐dire entre 2007 et août 2008, le bilan de la Fed a changé de structure et non de taille. Ensuite, entre septembre 2008 et février 2009, le bilan de la Fed a connu une forte expansion due à la mise en place de dispositifs de soutien aux marchés financiers importants. Enfin, entre mars 2009 et mars 2010, le bilan a à nouveau changé de structure. Durant la première phase, le bilan de la Fed est resté assez stable, variant dans une fourchette allant de 830 à 900 milliards de dollars. Cette période fut marquée par l’explosion des prêts accordés aux institutions financières par le biais des divers guichets mis en place pour faciliter leur refinancement. Notons encore que durant cette première période, il était possible à la Fed de stériliser ses interventions : toute augmentation de ses prêts via ses lignes de crédit spéciales engendrait une vente du même montant de bons du trésor. Entre septembre 2008 et février 2009, le bilan de la Fed a connu une forte expansion, passant de moins de 900 milliards en août 2008 à environ 2200 milliards en février 2009. Ceci s’explique par la soudaine aggravation de la crise qui provoqua une brusque envolée des montants prêtés par la Fed (de 200 milliards en août 2008 à 1200 milliards en février 2009). Les montants prêtés étaient tels qu’il était à présent impossible à la Fed de stériliser ses prêts, d’où l’augmentation de la taille de son bilan. Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 20 Enfin, durant la dernière période, les prêts accordés par la Fed via les différents dispositifs se sont d’abord stabilisés et ont ensuite décru. Parallèlement à cela, la Fed a lancé des programmes d’achats de titre du Trésor, de titres MBS et d’obligations d’agences. Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 21 d. Comparaison des interventions La mise en évidence des interventions non conventionnelles de la BCE et de la Federal Reserve permet d’identifier les approches différentes retenues respectivement par ces deux Banque centrales. Bien que leurs interventions aient entraîné des apports massifs de liquidité à taux relativement bas, il n’en reste pas moins que l’approche retenue par la BCE fut différente de celle retenue par la Fed. Les raisons de cette divergence sont à rechercher dans la structure même des économies américaines et européenne (continentale). Dans la zone euro, le financement externe des entreprises non financières est assuré à hauteur de 70% par les institutions bancaires tandis qu’aux Etats‐Unis les entreprises recourent au marché pour satisfaire près de 80% de leurs besoins de financement. Cette différence structurelle devait nécessairement amener une réponse différente de la part des deux Banques centrales. Dès lors, là où la BCE s’est principalement attelée à mettre en place les mesures requises en vue de faciliter l’approvisionnement des banques commerciales européennes en liquidités, la Fed a également (surtout) agi directement sur certains marchés financiers afin d’assurer la liquidité des actifs échangés sur ceux‐ci. En outre, il faut noter qu’à la différence de la BCE, la Fed est intervenue en tant que prêteur en dernier ressort des « primary dealers ». Enfin, la BCE n’a pas directement soutenu les banques européennes en difficulté. Aucun prêt direct n’a été accordé. L’octroi de liquidités aux banques commerciales s’est fait uniquement dans le cadre des opérations de refinancement classique. Si une banque en particulier rencontrait des difficultés telles que les outils classiques ne suffisaient pas, alors c’était au tour des autorités nationales d’intervenir. Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 22 IV. La question d’un prêteur international en dernier ressort Le rôle de prêteur en dernier ressort, question complexe mais brûlante d’actualité, ne se limite pas uniquement, comme le raisonnement retenu dans les pages qui précède pourrait le laisser croire, à une zone monétaire et/ou économique. Force est de constater que la réflexion que nous venons de mener peut également l’être à un niveau supérieur. La question d’un prêteur international en dernier ressort n’est pas neuve et les théories y relatives diverses. Depuis la fin du système de taux de change fixes établi à Bretton Woods, le Fonds Monétaire International a vu ses fonctions élargies, jusqu’à inclure (de manière plus ou mois explicite) celle de prêteur international en dernier ressort26. Mais pourquoi serait‐il nécessaire de consacrer un prêteur international en dernier ressort ? Selon Frederik Mishkin, cela se justifie par le fait que les banques centrales de certains pays émergents pourraient ne pas jouir de la crédibilité nécessaire lorsqu’elles accordent un prêt à leur système financier. En effet, lorsqu’une banque centrale intervient en tant que prêteur en dernier ressort, il est primordial que les agents économiques croient « dur comme fer » en sa capacité à maîtriser l’inflation sous‐jacente qui pourrait survenir du fait de l’injection de liquidités. Dans le cas contraire, une action de la banque centrale « peut faire naître la crainte du déclenchement d’une spirale inflationniste incontrôlable, provoquer une dépréciation de la monnaie et détériorer encore plus les bilans bancaires »27. Dans ce contexte, l’action d’un prêteur international en dernier ressort pourrait s’avérer plus efficace dans la mesure où elle n’aurait pas les effets indésirables décrits ci‐dessus. Toutefois, comme dans le cas de l’institution d’un prêteur en dernier ressort pour une zone monétaire particulière, la création d’un prêteur en dernier ressort international ne va pas sans créer de nouveaux problèmes, notamment celui de risque moral. Ce risque, maintes fois mis en évidence par la littérature économique, caractérise une situation de fait dans laquelle les agents économiques, conscients de l’existence d’un filet de sécurité, s’aventurent dans des opérations plus risquées. Dans le cas présent, « les créanciers des banques sont moins incités à surveiller les institutions bancaires et à retirer leurs dépôts si elles prennent trop de risque, ce qui les conduit à le faire »28. 26 Toutefois, comme le fait remarquer Frederik Mishkin (Mishkin, 2007, p.656), cette fonction est très controversée. 27 Miskin, F., Monaie, Banque et marché financier, Pearson Education France, Paris, 2007, p.656. 28 Miskin, F., Monaie, Banque et marché financier, Pearson Education France, Paris, 2007, p.657 Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 23 V. Conclusion Nous l’avons vu, le questionnement sur le rôle de prêteur en dernier ressort est présent depuis de nombreuses décennies dans la littérature. Bien que sa portée précise diverge selon les différents approches des économistes, son essence fondamentale reste la même : empêcher la transmission d’un comportement erratique des marchés financiers à l’activité économique réelle. Cet objectif louable est bien entendu difficile à réaliser. La crise récente nous a montré que, pour atteindre son but, le rôle de prêteur en dernier ressort se doit de ne pas être figé. En injectant des liquidités dans leur économie en crise, la Banque centrale européenne et la Federal Reserve se sont adaptées aux technologies et spécificité de leur système financier domestique et ont orienté leurs interventions en conséquence. A notre sens, la flexibilité affichée par le système en ces temps de crise a été l’élément clé pour la reprise. Cependant, il serait judicieux de ne pas perdre de vue les implications macroéconomiques des diverses interventions exceptionnelles (par exemple, l’inflation) et de ne pas céder à l’illusion d’avoir apporté des solutions aux problèmes rencontrés en n’ayant causé aucun dysfonctionnement. Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 24 VI. Bibliographie • Banque centrale européenne (2007), Rapport annuel 2007 • Banque centrale européenne (2008), Rapport annuel 2008 • Banque centrale européenne (2009), Rapport annuel 2009 • Banque centrale européenne (2010), Les mesures prises par la BCE en réponse à la crise financière, BCE bulletin mensuel, octobre • Blankart C.B. and E.R. Fasten (2009), Financial crisis resolution – the state as a lender of last ressort ?, Journal Compilation © Institute of Economic Affairs, Blackwell Publishing, Oxford • Bordo, M.D.(1990), The lender of last ressort : Alternative views and historical experience, Economic review of the Federal Reserve bank of Richmond, January‐February • Cartapanis, A. et P. Gilles (2002), Prévention et gestion des crises financières internationales : une analyse rétrospective de H.Thornton, septembre • De Lucia C. et J‐M Lucas (2010), BCE et Réserve fédérale : portraits croisés sur fon de crise financière, Revue Conjoncture – Etudes économiques de BNP Paribas, juin • Dutrieux, J.(2008), Le prêteur en dernier ressort. Disponible sur : http://prosperite‐et‐ partage.org/spip.php?article17 • Mishkin, F(2007), Monnaie, banque et marchés financiers, Pearson Education, 8e édition • Rochet, J‐C(2008), La réglementation de la liquidité et le prêteur en dernier ressort, Revue de la stabilité financière – Banque de France, n°11, février • www.federalreserve.gov • http://www.ecb.int/ecb/html/index.fr.html Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 25 VII. Annexes Article 127 TFUE (ex‐article 105 TCE) 1. L'objectif principal du Système européen de Banques centrales, ci‐après dénommé «SEBC», est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de l'objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l'Union, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l'Union, tels que définis à l'article 3 du traité sur l'Union européenne. Le SEBC agit conformément au principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, en favorisant une allocation efficace des ressources et en respectant les principes fixés à l'article 119. 2. Les missions fondamentales relevant du SEBC consistent à: — définir et mettre en œuvre la politique monétaire de l'Union; — conduire les opérations de change conformément à l'article 219; — détenir et gérer les réserves officielles de change des États membres; — promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement. 3. Le troisième tiret du paragraphe 2 s'applique sans préjudice de la détention et de la gestion, par les gouvernements des États membres, de fonds de roulement en devises. 4. La Banque centrale européenne est consultée: — sur tout acte de l'Union proposé dans les domaines relevant de sa compétence; — par les autorités nationales, sur tout projet de réglementation dans les domaines relevant de sa compétence, mais dans les limites et selon les conditions fixées par le Conseil conformément à la procédure prévue à l'article 129, paragraphe 4. La Banque centrale européenne peut, dans les domaines relevant de sa compétence, soumettre des avis aux institutions, organes ou organismes de l'Union appropriés ou aux autorités nationales. 5. Le SEBC contribue à la bonne conduite des politiques menées par les autorités compétentes en ce qui concerne le contrôle prudentiel des établissements de crédit et la stabilité du système financier. 6. Le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, à l'unanimité, et après consultation du Parlement européen et de la Banque centrale européenne, peut confier à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit et autres établissements financiers, à l'exception des entreprises d'assurances. Article 282 §2 TFUE 2. Le SEBC est dirigé par les organes de décision de la Banque centrale européenne. L'objectif principal du SEBC est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de cet objectif, il apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l'Union pour contribuer à la réalisation des objectifs de celle‐ci. Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 26 Bilan consolidé de l’Eurosystème au 31 décembre 2009 (en millions d’euros) Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 27 Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 28 Bilan consolidé de l’Eurosystème au 31 décembre 2008 (en millions d’euros) Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 29 Geoffroy Dolphin, Mélissa Kasongo ESL 2010‐2011 30