INTRODUCTION
On dit doucement dans l’Europe chrétienne, que les Anglais sont des fous enragés :
des fous, parce qu’ils donnent la petite vérole à leurs enfants, pour les empêcher de l’avoir ;
des enragés parce qu’ils communiquent de gaieté de cœur à ces enfants une maladie certaine
et affreuse, dans la vue de prévenir un mal incertain.
Les Anglais, de leur coté, disent : « les autres Européens sont des lâches et des dénaturés :
ils sont lâches, en ce qu’ils craignent de faire un peu de mal à leurs enfants ; des dénaturés,
en ce qu’ils les exposent à mourir de la petite vérole »1.
Ce texte écrit par Voltaire au XIXème siècle, présente la particularité d’être toujours
d’actualité. De nos jours, une telle controverse aurait abondamment fait référence au principe
de précaution.
« Principe de précaution » : pratiquement inconnu jusqu’au milieu des années 1990, ce
concept est devenu, par le biais de certaines affaires médiatiques2, une « expression
populaire »3, fréquemment utilisée dans des matières les plus diverses (environnement,
alimentation, santé…).
Son succès a cependant un inconvénient majeur, celui de rendre difficile l’appréhension de ses
contours. En raison de la diversité des définitions qui lui ont été données dans différentes
sphères juridiques, ni la jurisprudence, ni la doctrine ne sont parvenues à déterminer son
statut. Comment le classer ? S’agit-il d’un principe juridique au sens strict ? Constitue-t-il une
règle de droit à part entière ?
Sans pour autant rentrer dans les débats purement théoriques relatifs à sa signification et sa
portée, on peut toutefois constater que « précaution » et « principe de précaution », notions a
priori différentes, sont régulièrement utilisées sans distinction. Apparu dans les années 1970
dans des circonstances déterminées, le « concept de précaution » vise à traiter certains types
de situations liées à l’environnement, alors que la notion de « précaution », plus ancienne, se
confond avec celle de prudence, et désigne une attitude générale vis-à-vis du risque et de
l’incertitude4.
1 Voltaire, Lettres philosophiques, (onzième lettre), 1734, Paris : éd. Mille et une nuit ; 1999.
2 Affaire de la vache folle ; OGM ; affaire du sang contaminé.
3 F. Ewald, C. Gollier, N. de Sadeleer, Le principe de précaution, Que sais-je ? n°3596, Paris : puf, 2001,
introduction, p. 3.
4 F. Ewald, Le principe de précaution entre responsabilité et politique, Bull. Acad. Natle Méd., 2000, 184, n°5,
p. 881-895.
5