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Pour une définition de la banque universelle durable
contribution à l'ouvrage dirigé par
Pascal Grandin et Dhafer Saidane
La finance durable à paraître en octobre 2011
Georges Pauget Dhafer Saidane
Professeur affilié à l’Université de Paris-Dauphine Skema Business School Université Lille 3
et EQUIPPE
Introduction
Comment définir la banque durable ? Ce concept relève t-il de la simple rhétorique liée à de l'ingénierie
sémantique ou repose t-il sur un vrai modèle économique ?
Notons tout d'abord que la banque durable n'est pas la banque idéale. La banque durable est une réponse
qui s'impose face à la crise financière. Elle traduit le besoin de sécurité et de stabilité des acteurs
économiques mais aussi de certains financiers. Elle fait référence aux fondamentaux de la firme bancaire
dont l'intermédiation repose sur :
- la satisfaction de ses clients,
- une rentabilité qui la situe bien dans le marché,
- une performance à moyen terme et long terme qui assure sa pérennité
- une contribution à la stabilité du système financier.
Bref, la banque durable est un entreprise solide avec des services performants qui a conscience de ses
responsabilités à l'égard de la société et qui inscrit, en conséquence, son action dans le temps notamment
par des financements de long terme.
Elle résulte d'une évolution naturelle des systèmes financiers qui a durée plus d'un quart de siècle. Elle est
l'antidote à une désorganisation financière devenue systémique (cf. ci-dessous).
Pourquoi les banques sont-elles devenues systémiques ? : l’évolution des architectures
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Source : d’après les auteurs.
La banque durable est une aspiration profonde de la part d’une très grande majorité des acteurs de la crise
économique et sociale qui s’exprime dans la sphère politique et vise à retrouver des taux de croissance
élevés après la crise financière de 2007-2010. Cette institution dont on imagine les pourtours dans ce
chapitre doit reposer sur une gouvernance permettant d’assurer la production de produits financiers
traçables et compréhensibles de tous au service de la croissance sans que cette intermédiation, fondée sur
un risque mesuré, ne menace la stabilité systémique par l’exploitation d’aléa moral vis-à-vis du prêteur en
dernier ressort (PDR) encouragée par son statut TBTF(Too Big To Fail = « trop importantes pour faire
défaut »).
Dès lors, et par extension, la banque universelle durable (BUD) pourrait ne plus être cette « usine géante »
basée sur un mode de production centralisée mais plutôt une somme "dunités de production" à dimension
maîtrisée et dont l’utilité économique et sociale est clairement perçue par les utilisateurs répondant à un
besoin de proximité.
Elle s’appuierait sur trois caractéristiques.
C’est une entité qui s’inscrit dans un horizon temporel moyen et long avec une gestion d’actifs sur
longue période dans le respect de la démographie (gestion des retraites) et des équilibres sociaux.
Elle est stable grâce à un système sécurisé basé sur un risque borné et une meilleure
connaissance de la queue de distribution.
Elle s’inscrit dans un cadre macro-prudentiel stable assuré par la Banque centrale.
La banque durable s’appuie sur un business model ouvert sur l’économie réelle. C’est ce que l’on va
essayer de montrer en insistant sur deux aspects. On va d’abord examiner la nécessité de dépasser la
vision réductrice de la firme bancaire. En particulier on verra comment la banque d’hier a reculé ses
prétentions prudentielles face aux écarts de l’ingénierie financière. On analysera ensuite comment la crise
peut être de nature à favoriser l'émergence de la banque durable en tant que modèle à architecture ouverte
sur la société.
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I Dépasser la vision réductrice de la firme bancaire
L'utilisation excessive des outils de l'économie industrielle dans la banque a conduit à une approche
réductrice de la firme bancaire et à des erreurs d'appréciation. La banque a été considérée comme une
entreprise de services classique. Ainsi l'usage des fonctions de production appliquées à des activités non
homogènes a t-il conduit à des résultats contradictoires. Il en a résulté une approche par les coûts de
transaction qui ne prend pas suffisamment en compte la dimension du risque dans l'espace et dans le
temps. Bref, l'intermédiation bancaire traditionnelle a été négligée de même son rôle en tant que réducteur
de l'asymétrie d'information. Il en a résulté qu'au sein de la banque les préoccupations prudentielles ont
parfois reculé face aux à l'hégémonie de l’ingénierie financière et à son potentiel de rentabilité.
Une vision trop simplifiée de l'organisation de la banque et du fonctionnement du marché
L’héritage productiviste de la révolution industrielle a conduit à l’émergence d’une intermédiation bancaire
dont l’expression est le modèle de la firme bancaire qui a dominé le 20ème siècle. Il est basé sur une
approche microéconomique et industrielle de l’intermédiation financière (cf. graphique). Cette vision
industrielle héritée du paradigme SCP a eu l’inconvénient d’affaiblir la dimension macro-prudentielle de nos
systèmes financiers. Elle a minimisé le devoir macroéconomique des banques comme relai dans la
conduite de la politique monétaire.
La firme bancaire d’hier
Source : d’après les auteurs.
Il est vrai que la connaissance des éléments de stabilité systémique était limitée. Quelques exemples pour
se rendre compte du vide prudentiel.
S’agissant du marché interbancaire international, les interconnexions financières des Money Centers ces
banques correspondantes constituant le marché interbancaire international fonctionnaient en réseau sans
que qui que ce soit maîtrise réellement leur poids ni la liquidité qu’ils diffusent. Ces Money Centers sont peu
connus du grand public. Il s'agit des grandes institutions financières très présentes dans les grands centres
financiers, comme New York ou Londres. Elles ont généralement comme clients les gouvernements, les
Paradigme SCP (Structure-Comportement-
Performance)
Gouvernance actionnariale
Business Model orienté marché avec gestion d'actifs
et sous contrainte de rentabilité
Risque systémique sous-estimé
Intermédiation de marché avec produits financiers de
plus en plus complexes
Financement de la croissance avec faible
engagement participatif
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grandes entreprises et même d'autres institutions financières. Cette connaissance limitée du
fonctionnement du « cœur du réacteur » de la finance mondiale est un élément potentiellement
amplificateur du risque systémique car elle affecte l’appréciation de la liquidité mondiale et ne permet pas
de comprendre la formation de la confiance sur les marchés de la liquidité.
Un autre exemple caractéristique, celui des produits hautement transmetteurs de chocs informationnels :
les ETF (Exchange Trade Funds). Il s’agit de l’action ou d’un titre de dette de société à capital variable,
adossé à l’évolution du cours de l’or ou d’une action, ou d’un indice sur un grand marché. En effet, après la
première vague de l’investissement dans les commodités au début de l’année 2001, les banques se sont
mises à fabriquer et à vendre ces produits à fort effet de levier adossés aux cours et indices des
commodités. Leur expansion a été spectaculaire et continue de l’être
Sans oublier les Hedges Funds et autres produits rivés…les « cocktails explosifs » d’origine bancaire se
sont multipliés favorisant ainsi le développement de bulles dans différents compartiments de marché. Le
risque systémique est ainsi devenu endogène au système financier…Il est , également entretenu et amplifié
par l’application des normes IFRS et du Mark-to-Market qui accentuent la volatilité.
La grande taille dans la banque : un gage absolu d’efficience ?
La dérèglementation financière a favorisé pendant près de vingt ans des restructurations bancaires basées
sur la course à la taille. Une taille importante rend théoriquement possible des économies d’échelle et des
économies de gamme grâce à une meilleure répartition des frais fixes, notamment ceux liés à l’informatique
et aux réseaux. L’idée est que quand deux entreprises ont des métiers de base similaires et qu’elles
fusionnent, il est souvent possible de réaliser des économies d'échelle à différents stades de la chaîne de la
valeur (recherche-développement, production, ventes et marketing, distribution, etc.). De plus, la nouvelle
entité dispose ainsi d’une image et d’une réputation qui renforcent son positionnement sur le marché. La
globalisation et l’innovation renforcent encore les avantages que procure la grande taille.
Cependant, dans ce processus de course à la taille, le régulateur ne s’est pas trop soucié du « statut
systémique » de ces nouveaux géants de la finance. L’aléa moral que faisait peser ces « TBTF » (« Too Big
To Fail ») était admis mais ses conséquences non estimées voire sous-estimées.
Bien que les avantages du « Big is Beautiful » soient intuitivement clairs, cela ne signifie pas pour autant
qu’une grande taille soit un gage absolu d’efficience. En effet, la formation de mastodontes bancaires peut
accroître l’inefficience managériale et les lourdeurs dans la circulation de l’information, source de
gaspillage.
La banque : une organisation industrielle à analyser comme les autres ?
Les conclusions des nombreuses études empiriques développées depuis plus d’un demi-siècle divergent et
parfois se contredisent à ce sujet (Michel Dietsch et Vichett Oung (2001), Xiaoqing Fu et Shelagh Heffernan
(2008), Scott Dressler (2011)) 1.
1 Scott Dressler (2011), "Economies of scale in banking, indeterminacy, and monetary policy", Economic Inquiry, Vol. 49 Issue 1,
p185-193. Xiaoqing Fu et Shelagh Heffernan (2008), "Economies of scale and scope in China's banking sector" Applied Financial
Economics, 2008, Vol. 18 Issue 5. Michel Dietsch et Vichett Oung (2001), « L’efficience économique des restructurations
bancaires en France au cours des années 1990 », Bulletin de la Commission Bancaire, n° 24, avril.
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Une étude menée par Michel Dietsch et Vichett Oung sur les fusions de groupes bancaires survenues en
France sur la période 1997-2000 montre, à ce propos, que les stratégies de fusions fondées sur des
synergies de coûts ne sont plus empiriquement justifiées. Les économies d’échelle au niveau national ont
été épuisées. Il existe en revanche un potentiel de synergies de revenus et de diversification des risques
qui apparaît insuffisamment exploité au niveau des groupes. Ainsi, les futures synergies sont plutôt à
rechercher du côté des restructurations internes ou des regroupements transfrontaliers. Ce point est
nuancé par Allen Berger, Robert DeYoung et Gregory Udell qui montrent que les gains des opérations
transfrontalières et leurs effets sur l’efficience en termes de taille, de gamme et de combinaison de produits
peuvent être limités2 . En fait, les opérations de regroupement transfrontalières sont parfois induites par la
pression concurrentielle internationale conduisant à des réactions défensives face à une menace éventuelle
d’achat. Elles sont motivées alors par la constitution de mégabanques à fort pouvoir de marcoccupant
une position dominante au plan géographique. D’ailleurs la plupart des études empiriques qui ont porté sur
les fusions dans les banques américaines n’ont pas réussi à identifier des économies d’échelle et de
gamme importantes3. Au mieux, elles mettent en évidence une courbe de coût moyen en forme de U
relativement plate. D’autres études récentes portant sur les banques européennes ont trouvé que les
banques de taille moyenne sont les plus performantes. En particulier il apparaît que les petites institutions
d’épargne européennes peuvent générer davantage d’économies d’échelle de l’ordre de 3 % grâce aux
fusions qu’elles pourraient réaliser (cf. encadré)4.
Encadré Les économies d’échelle dans les petites banques
Comme le montrent Jean Dermine et Lars-Hendrik Röller5, les institutions financières françaises offrant une large
gamme d’OPCVM bénéficient d’économies d’échelle, mais uniquement pour les petites institutions. Ces économies
disparaissent pour les grandes banques. La dégressivité des coûts induite par le phénomène d'économies d'échelle
est répercutée sur la tarification subie par l'investisseur. On parvient ainsi à une relation négative entre la tarification
et la taille de l’encours.
D’autres études portant sur le système bancaire américain montrent que les économies d’échelle existent seulement
au sein des petites banques et qu’elles sont de l’ordre de 5 %6. Les grandes banques américaines présentent au
contraire des rendements d’échelle constants ou légèrement décroissants. Les économies de gamme sont quant à
elles mineures. Elles seraient de l’ordre de 5 % lorsque des produits bancaires multiples sont fabriqués
simultanément. Des travaux plus récents, menés en particulier sur les banques luxembourgeoises et les banques
suisses, montrent que les économies d’échelle n’existent que pour les petites banques dont la taille du bilan est de
886 millions d’euros pour les banques luxembourgeoises et entre 200 et 500 millions d’euros pour les banques
suisses7. Les économies de variété, quant à elles, ne sont pas constatées pour le couple (crédits-titres) au sein des
banques luxembourgeoises.
Source : synthèse d’après les auteurs.
2 Allen N. Berger, Robert DeYoung et Gregory F. Udell (2000), “Efficiency barriers to the consolidation of the European financial
services”, European Financial Management, vol. 6, no. 4, décembre.
3 Allen N. Berger, Rebecca S. Demsetz et Philip E. Strahan (1999), “The consolidation of the financial services industry: Causes,
consequences, and implications for the future”," Journal of Banking & Finance, vol. 23(2-4), février, pp. 135-194.
4 Paul Schure, Rien Wagenvoort et Dermot O'Brien (2004), “The efficiency and the conduct of European banks: Developments
after 1992”, Review of Financial Economics, 13, pp. 371-396.
5 Jean Dermine et Lars-Hendrik Röller (1992), “Economies of Scale and Scope in French Mutual Funds”, Journal of Financial
Intermediation, 2, pp .83-93.
6 Allen Berger, David Humphrey et F.W. Smith (1993), “Economies of scale, mergers, concentration and efficiency”, Revue
d'Économie Financière, n°27, hiver, pp. 123-154.
7 Abdelaziz Rouabah (2002), « Économies d'échelle, économies de diversification et efficacité productive des banques
luxembourgeoises », Banque centrale du Luxembourg, mars. Voir aussi Gaël Vettori (2003), « Économies d’échelle : les résultats
de la recherche sur le secteur bancaire suisse », Université de Genève.
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