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// NOTE D’INTENTION
PLATEAU N°1 est une exploration du plateau. A la manière des Monty Python lorsqu’ils
recréent un match de foot entre philosophes antiques qui trouvent, après avoir marché 80
minutes sur la pelouse, l’idée d’aller mettre le ballon dans le but de l’adversaire. C’est en
foulant la scène que nous allons faire émerger la vie.
Le plateau que nous foulons est un lieu totalement vide, ce doit être une boîte blanche
immaculée, qu’on pourrait comparer à une galerie. Comment occuper cet espace sous
tension, qui réagit à la moindre marque, qui active la moindre chose qui se trouve en son sein ?
Nous pouvons justement nous servir de l’énergie de ce lieu pour travailler sur les éléments les
plus infimes de la fiction, ou justement pour rester dans ce qui reste en-deçà de la fiction.
L’exécutant placé comme émetteur dans cet espace, même s’il n’interprète pas, est forcé de
produire un sens que nous ne contrôlons pas forcément. Le corps, le son qu’il produit, est pris
ici comme matière à travailler, il devient, pour celui qui le voit, un « objet » observable à
déchiffrer, au même titre qu’une œuvre d’art dans un musée.
Cependant, même si le plateau artifie, s’il est l’« en puissance » de l’art, terre d’accueil pour
ce qui veut bien se dévoiler, c’est parce que le spectateur nous enveloppe de son regard que
nous ne sombrons pas dans les limbes. Ici, rien n’est défini, ni le lieu que nous
investissons (théâtre, musée, boîte de nuit tout à la fois), ni ce que nous faisons (bruits, poses
corporelles, mots énoncés). Mais c’est par la visibilité désirante de celui qui nous voit, que tout
se redéfini et tout prend vie. Le voyeur artifie autant que le plateau.
La soirée s’organise en deux temps. Pendant la première partie, le spectateur est libre de
déambuler pour voir les « manifestations d’objets » qui sont là, de choisir, de détourner les
yeux, de manger à un buffet, de discuter s’il le veut. Une feuille de salle lui est donné où il peut
lire le programme de la soirée, et les « règles du jeu » qui s’instaurent entre les différents
participants : actants et voyeurs.
Dans un second temps, le public est séparé en deux pour libérer un espace vide au milieu, qui
deviendra alors un terrain de jeu périlleux à occuper pour les interprètes. La question est de
savoir si la fine pellicule de fiction qui existe encore entre l’œil du spectateur et le corps de
l’interprète pourra résister sur ce plateau rendu fragile, comme la mince écorce de glace d’un
lac gelé, prête à nous engloutir.
Au final, ce qui nous intéresse, c’est de voir comment la position de spectateur, à partir du
moment où il étend son regard sur l’objet vu, permet de faire naître la vie dans ce que nous
voyons. Chassé de l’Eden de la fiction traditionnelle qui a tendance à le laisser inerte dans un
fauteuil, le spectateur est obligé d’investir pleinement sa présence et sa vision d’une énergie
revitalisante.