Marketing libéral-choc et commentaire radical-chic
livre-enquête d'Edwin Black, IBM et l'Holocauste. Peut-on vraiment réduire, en un stupéfiant raccourci, l'ampleur de
la « solution finale » à « l'alliance stratégique entre l'Allemagne nazie et la plus puissante multinationale américaine »
? L'extermination de six millions d'hommes, de femmes et d'enfants peut-elle être résumée à un scénario « technique
» où IBM, ses machines mécanographiques Hollerith et ses cartes perforées joueraient un rôle essentiel, sinon
principal ? Le démographe Hervé Le Bras et l'historienne Annette Wieviorka ont exprimé ici même (Le Monde du 13
février) leurs doutes et leurs réserves. Mais en les accompagnant d'un hommage à ce que le travail d'Edwin Black
apporte de neuf et qu'éclipse, paradoxalement, sa thèse par trop spectaculaire : la mise en évidence, à partir
d'archives le plus souvent inédites, de la longue collaboration entre IBM et le nazisme, sans scrupules ni états d'âme.
»
Question : Le spectaculaire-marchand est-il vraiment "paradoxal" ?
« Ce seul fait-là devrait suffire en ce qu'il nous redit pour l'avenir. Ainsi donc la barbarie peut faire bon ménage avec
la modernité : l'ancêtre de l'ordinateur, de cet instrument qui au coeur de la modernité d'aujourd'hui, a accompagné
l'horreur et l'inhumanité d'hier. « Il n'est aucun document de culture qui ne soit aussi un document de barbarie » :
cette phrase terrible est venue, en 1940, sous la plume de Walter Benjamin, avant qu'il ne se suicide à la frontière
franco-espagnole, de crainte d'être livré aux nazis. »
Walter Benjamin mobilisé par le quotidien qui couvre d'éloges Alain Minc : c'est du radical-chic au service du
libéral-choc !
« C'est cette leçon-là qu'il nous faut retenir et que nous rappelle aujourd'hui l'histoire d'IBM : la modernité, la culture,
l'industrie, la technique, la science, l'économie, la finance, la richesse, etc., ne sont pas, en soi, des antidotes
suffisants à la barbarie de l'homme. »
Pauvre Benjamin ! Dans la liste des "documents de la culture" : l'économie, la finance, la richesse ! Ainsi les
documents auxquels sont consacrées les pages du Monde les plus nombreuses et les plus complaisantes ne
seraient pas des antidotes au mal dont ils témoignent et qu'ils suscitent ... Ce mal qui, sous la plume de l'éditorialiste
moralisant devient (BHL, au secours !) la " barbarie de l'homme " en général.
« Le progrès économique, technique, scientifique ne suffit pas à nous prémunir contre notre inhumanité. Une leçon
qui vaut aussi bien pour le génocide rwandais, d'une planification méthodique et systématique, renvoyant à notre
modernité et non pas à d'ancestrales violences africaines ; que pour les crimes commis en ex-Yougoslavie sous la
direction symbolique d'un banquier (la profession de Milosevic) et d'un psychiatre (celle de Karadzic), deux métiers
qui symbolisent notre fin de siècle. »
La profession de banquier, symbole de la barbarie ? Le Monde cède manifestement à l'anticapitalisme vulgaire... Le
métier de psychiatre, symbole de "notre fin de siècle" ? Le Monde cède visiblement à l'antipsychiatrie libertaire...
(Première publication : février 2001 - titre modifié)
Post-scriptum :
Sur Le Monde et le Rwanda, lire Honorables mais pas coupables (sur le site presselibre.org)
[*] Prélevés, sans modification, dans une ancienne présentation chronologique du Monde des années 1999-2002 : la date de publication
Copyright © Acrimed | Action Critique Médias Page 3/4