Cécile Fraisse-Bareille l Perrine Guffroy
NOTE D’INTENTION PAR CECILE FRAISSE-BAREILLE
De nationalité américaine, Howard Buten a plusieurs vies. Dans une, il écrit, dans l’autre, il tente de
comprendre les enfants autistes et de les soigner, dans une autre, il est clown. Buffo. Il s’incarne et se
réincarne. Il cherche perpétuellement sa place sans jamais vouloir l’affirmer, ni la stéréotyper ou la mettre
dans des cases.
Chercher ma place. Ce que je fais aussi. Perpétuellement. Et ce roman d’Howard Buten me touche au plus
profond de cette problématique. Ce que nous sommes ne se résume pas en un mot, ni en un état ou en
un lieu. Nos identités sont complexes, composites car constituées d’une multitude de couches qui
s’imbriquent les unes aux autres.
Son roman
Quand j’avais cinq ans je m’ai tué
est pour moi un parcours poétique, d’un être déraciné en
quête de sens. L’histoire se passe à la fin des années cinquante, à Détroit, dans le Michigan, aux États-Unis, et
me plonge et replonge dans le monde de l’enfance, ses non-dits et sa pudeur. Dans une émotion brute, directe
et juste. Des sentiments pleins et entiers. Un regard de l’adulte sur l’enfant et de l’enfant vers l’adulte en dehors
de tous stéréotypes. La différence est vécue ici comme la seule issue pour la construction de soi.
Du roman à la pièce de théâtre, une adaptation qui s’écrit à plusieurs mains
Le premier intérêt de ce texte est qu’il est lui-même constitué de couches d’écriture et de réécritures.
Howard Buten l’a écrit dans sa langue maternelle, en anglais sous le nom de Burt. Le prénom du héros.
Dans Burt on entend « hurt », celui qui est blessé, qui souffre. Le traducteur, Jean-Pierre Carasso, a
changé le prénom, Burt est devenu Gilbert, prénom d’origine germanique, Gilbert signifie « digne de
confiance ». Comme titre, le traducteur a choisi «
Quand j’avais 5 ans je m’ai tué
». Titre que je garde
aussi pour la création théâtrale, la faute de français me renvoie à toute la symbolique d’un tel acte.
Quand j’avais cinq ans, je m’ai tué. J’attendais Popeye qui passe après le journal. Il a les poignets plus gros que
les gens, et y gagne toujours au finish. Mais le journal voulait pas s’arrêter. Un monsieur du journal est venu. Il
avait quelque chose dans sa main. Une poupée. Il la levé en l’air et moi j’ai enlevé mes mains : “Ce que je vous
montre là, c’était le jouet préféré d’une petite fille. Mais aujourd’hui, à cause d’un accident stupide cette petite
fille est morte.”Je suis monté dans ma chambre en courant. J’ai sauté sur mon lit et je m’ai enfoncé la tête
dans mon oreiller. Je l’ai appuyé très fort jusqu’à temps que je n’entende plus rien. J’ai arrêté de respirer. Mon
papa est venu. Il a enlevé l’oreiller, et il a mis sa main sur moi. Il est très fort. Il m’a soulevé. Il m’a parlé très
doucement. Gilbert, des gens meurent tous les jours. Personne ne sait pourquoi. On n’y peut rien. C’est comme
ça. Ce sont les règles. Il est redescendu. Je suis resté longtemps assis sur mon lit. Je sentais quelque chose de
cassé à l’intérieur, je sentais ça dans mon ventre et je savais pas quoi faire. J’ai tendu le doigt avec lequel faut
pas montrer. Je l’ai appuyé contre ma tête et avec le pouce j’ai fait PAN.
© Jean-Yves Lacôte – Représentation au Figuier Blanc à Argenteuil, janvier 2014