Les intoxications par produits ménagers chez lPenfant

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Dossier
Les intoxications
par produits ménagers
chez l’enfant
Cécile Moulin, Patrick Nisse, Monique Mathieu-Nolf
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017.
Centre Antipoison de Lille, CHRU, 5 avenue Oscar Lambret 59037 Lille Cedex
Les intoxications domestiques par produits ménagers chez l’enfant sont fréquentes et parfois graves. Le risque de survenue ainsi que les conséquences
sont souvent sous-estimés. Au centre antipoison de Lille au cours des années
2004 à 2008, nous avons enregistré 12 795 cas d’intoxications accidentelles de
l’enfant par produits ménagers, concernant principalement les enfants de 1 à
4 ans (81 % des cas). Les appels provenaient en majorité du grand public et
des hôpitaux. Nous n’avons enregistré aucun décès et 59,84 % des patients
étaient asymptomatiques. L’entourage est souvent mal informé des risques
d’accident ou de la conduite à tenir et met parfois en route des manœuvres
inadaptées (vomissements provoqués, administration de lait) avant de contacter un professionnel de santé. Concernant la conduite à tenir, la première
chose à faire est d’appeler un centre antipoison qui évaluera la situation et
orientera la prise en charge, et surtout de ne rien entreprendre (à part rincer).
Le but de la prévention est d’éviter l’accident et d’assurer une prise en charge
adaptée. Les principales classes de produits ménagers concernées sont les
produits moussants, les produits irritants, les caustiques et les solvants.
Les conséquences sont variables, allant de symptômes bénins jusqu’au
décès (rare).
Mots clés : accidents domestiques, produits ménagers, intoxication
L
Tirés à part : C. Moulin
200
mt pédiatrie, vol. 12, n° 4, juillet-août 2009
du lait…) et enfin d’optimiser la prise
en charge ultérieure pour minimiser le
risque de complications.
Épidémiologie
Les produits ménagers représentent
environ 15 % des cas d’intoxications
accidentelles et sont la deuxième
cause d’intoxication (après les médicaments) chez l’enfant.
Les données épidémiologiques
du centre antipoison de Lille (CAP)
dénombrent, au cours des années
2004 à 2008, 12 795 cas d’intoxications accidentelles de l’enfant par
produits ménagers.
doi: 10.1684/mtp.2009.0240
mtp
es accidents par produits ménagers sont fréquents chez l’enfant,
et responsables d’une morbidité
importante mais rarement d’une mortalité. L’entourage n’a pas toujours la
notion du risque d’exposition, de la
dangerosité du produit et souvent ne
connaît pas la conduite à tenir. Il entreprend parfois de lui-même un traitement inadapté avant de contacter un
professionnel de santé. Il peut aussi ne
pas tenir compte des conseils donnés.
La prévention prend donc toute
son importance et se situe sur trois
niveaux. Il s’agit de prévenir la survenue de l’accident, mais aussi d’éviter
une prise en charge initiale inadaptée
en cas d’intoxication, (vomissements
provoqués par exemple, ou donner
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– Population : ces intoxications accidentelles touchent
principalement les enfants de 1 à 4 ans (81 % des cas)
(tableau 1). Comme la majorité des auteurs, nous retrouvons une légère prédominance masculine. Les appels proviennent en majorité du grand public et des hôpitaux
(figure 1). Nous n’avons recensé aucun décès (même si
le risque est réel) et dans 59,84 % des cas, aucun symptôme n’a été relevé (tableau 2).
– Circonstances : chez l’enfant, l’ingestion est la plus
fréquente, suivie par les projections cutanées. Très souvent, un adulte est à proximité immédiate, ce qui évite à
l’enfant d’ingérer de grandes quantités. La cuisine, la salle
de bains et les WC sont les principales pièces à risque.
Le produit est généralement à proximité immédiate de
l’enfant et l’intoxication a souvent pour origine la méconnaissance parentale du danger – les produits ne sont pas
rangés avant, pendant ou après utilisation, ou sont transvasés dans un récipient à usage alimentaire (bouteille
d’eau, cannette…). Se pose aussi le problème des produits
parfumés et colorés qui attirent l’enfant (lave-glace,
liquide vaisselle…).
– Produits : les principaux produits incriminés sont
l’eau de javel et les produits javellisants, les liquides vaisselle et les produits de lessive. Les expositions aux
produits caustiques sont en nette régression. Parfois, le
produit n’est pas connu et c’est son utilisation qui orientera la prise en charge [1-3]. D’autre part, l’interrogatoire
est parfois difficile. Pour certains produits, notamment
ceux vendus par la grande distribution, les fabricants ont
introduit du Bitrex (amérisant), pour limiter les quantités
ingérées. Tous les produits ne bénéficient pas d’un bouchon de sécurité et il faut savoir que certains enfants arrivent, malgré leur jeune âge, à les ouvrir.
nom, composition, et, en l’absence de ces informations,
l’usage du produit), d’évaluer la quantité, la qualité (pur,
concentré ou dilué), l’heure de l’exposition, le délai de
prise en charge et les symptômes. Il faut demander ce
qui a été entrepris (rinçage, vomissements provoqués…).
Il est également utile de connaître les antécédents du
patient. Lorsque le nom du produit est illisible et que sa
composition n’est pas indiquée, on peut demander s’il y a
un symbole sur l’emballage (type produit irritant), mais
ces symboles ne sont pas toujours fiables et sont en cours
de modification dans le cadre d’une harmonisation
européenne.
Types de produits, symptômes et prise
en charge
Selon le type de produits, la symptomatologie et la
gravité diffèrent et par conséquent la prise en charge de
l’intoxication également (figures 2 et 3).
Produits moussants
Produits très moussants
Ce sont les savons liquides pour les mains, les liquides
pour la vaisselle à la main, les lessives pour laver le linge
à la main. Ils contiennent des tensioactifs anioniques et
non ioniques et ont un pH proche de la neutralité.
Les symptômes possibles sont :
– en cas d’ingestion : troubles digestifs (vomissements,
douleurs digestives, diarrhées) ; irritation de la gorge ;
– en cas d’inhalation soit du produit lui-même soit de
la mousse qui se serait formée dans l’estomac, apparition
d’une toux, avec risque de détresse respiratoire et d’infection pulmonaire les jours suivants ;
38,30 %
37,60 %
Prise en charge
Il faut évaluer le plus précisément possible le risque
lorsqu’il y a eu exposition. Il est donc indispensable de
définir les circonstances de l’exposition (projection, bouteille qui se renverse, ingestion au goulot, enfant qui
trempe ses doigts et les porte à la bouche…), de recueillir
un maximum de renseignements sur le produit (marque,
Grand public
Médecin de ville
Samu-Centre 15
Médecin hospitalier
2,10 %
22,00 %
Figure 1. Typologie des appels.
Tableau 1. Répartition des accidents par âge
<1
1 à 4 ans
Nombre de cas
Nb
H/F
%
Nb
Nb total de cas
7 467
1,158
7,7
Nb total accidentel
7 425
Nb accidents
produits ménagers
596
5 à 9 ans
H/F
%
Nb
H/F
63432 1,158
65,41
9 601
1,256
1,159
8,47 63272 1,158
72,15
9 305
1,271
4,66 10420 1,383
81,44
997
10 à 14 ans
%
15 à 19 ans
H/F
%
Nb
9,9
7 397
0,667
7,63
9 076 0,522 9,36
96 973
1,259
10,61
4 261
1,137
4,86
3 430 1,059 3,91
87 693
1,421
7,79
375
1,066
2,93
407 0,937 3,18
12 795
mt pédiatrie, vol. 12, n° 4, juillet-août 2009
H/F
Total
Nb
%
Nb
201
Les intoxications par produits ménagers chez l’enfant
Tableau 2. Gravité des intoxications pour accident par produits ménagers
<1
1 à 4 ans
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Nb
202
%
5 à 9 ans
Nb
%
Nb
10 à 14 ans
%
Nb
%
15 à 19 ans
Total
Nb
Nb
%
%
PSS 0 sans symptôme
370
65,26
6 121
61,67
498
52,04
169
48,15
130
34,39
7 288
59,84
PSS 1 faible
187
32,98
3 702
37,3
449
46,92
174
49,57
233
61,64
4 745
38,96
PSS 2 modérée
9
1,59
94
0,95
8
0,84
8
2,28
14
3,7
133
1,09
PSS 3 sévère
1
0,18
9
0,09
2
0,21
0
0
1
0,26
13
0,11
PSS 4 létale
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
Total connu
(suivi médical)
567
100
9 926
100
957
100
351
100
378
100
12179
100
Nb de cas total
596
% par classe d’âge
Types de produits
10420
95,13
Ingestion
997
95,25
Projection
oculaire
95,98
Contact cutané
Inhalation
Très moussants
Moussants/Irritants
407
93,6
92,87
12795
95,18
– en cas de projection oculaire : risque de conjonctivite, voire de kératite ;
– en cas de contact cutané : peu de risque sauf irritation en cas de contact prolongé.
Conduite à tenir
Irritants
Caustiques basiques
Caustiques acides
Solvants
Très toxique
375
Toxique
Faiblement toxique
Très peu toxique
Figure 2. Toxicité des différents types de produits.
– en cas de projection cutanée : il y a peu de risque,
sauf parfois une légère irritation cutanée ;
– en cas de projection oculaire, risque de conjonctivite, sans lésion cornéenne.
Produits peu moussants mais irritants
En cas d’ingestion : ne pas faire vomir, ne pas donner
à boire pendant 3 heures, rincer la bouche, donner du gel
de Polysilane® ou de la mie de pain et consulter s’il existe
des signes inquiétants immédiats ou ultérieurs.
En cas d’inhalation : traitement symptomatique et
prise en charge selon la gravité (transport médicalisé par
exemple si détresse respiratoire).
En cas de projection oculaire : rinçage immédiat
abondant à l’eau tiède (sous le robinet ou la douche), pendant quinze minutes, si persistance d’une hyperhémie
conjonctivale plus d’une heure après le rinçage (qui irrite
forcément l’œil), vérifier rapidement l’intégrité cornéenne
lors d’une consultation.
Produits fortement irritants
Ce sont les lessives pour le lavage du linge en machine,
les nettoyants multi-usages (sols, murs…). Ils contiennent
essentiellement des tensioactifs anioniques et non ioniques mais aussi des substances irritantes (sels alcalins de
sodium, glycols, ammoniaque ou eau de javel).
Le pH des lessives en solution est proche de 10, celui
des nettoyants multi-usages proche de la neutralité.
Les symptômes possibles sont :
– en cas d’ingestion : troubles digestifs (nausées,
vomissements, douleurs digestives, diarrhées) ; irritation
de la gorge et de la bouche ;
– en cas d’inhalation du produit (rare, sauf en cas de
fausse route) : toux, irritation intense de la gorge, pouvant
se compliquer d’une détresse respiratoire et infection respiratoire ultérieure (dans les trois jours) ;
Ce sont les détachants textiles avant lavage dits sans
javel, les assouplissants textiles et les produits de rinçage
pour lave-vaisselle. Ils peuvent contenir du peroxyde
d’hydrogène (détachants textiles), des ammoniums quaternaires ou de l’isopropanol (assouplissants textiles) qui
peuvent être très irritants en cas de forte concentration,
d’acide citrique ou sulfamique (produits de rinçage).
Ce sont des produits fortement oxydants ; la valeur du
pH est faussement rassurante.
En cas d’ingestion : troubles digestifs (nausées, vomissements, douleurs digestives, diarrhées) ; irritation de la
gorge et de la bouche. Si la quantité et la concentration
sont importantes, il existe un risque de convulsions et de
troubles de la conscience pour les produits contenant des
glycols.
mt pédiatrie, vol. 12, n° 4, juillet-août 2009
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Moussants/MoussantsIrritants
Irritants
Caustiques Acides
Caustiques Basiques
Solvants
Ingestion
Restriction hydrique 3 h
Gelde Polysilane® ou mie de
pain
Hospitalisation immédiate si
détresse respiratoire
Consulter si apparition de toux
ou de fièvre dans les 3 jours
Faire boire (pas de lait pour
l’eau de javel)
Pansement gastrique
Surveillance à domicile
Surveillance à l’hôpital
A jeun 6 h
Fibroscopie OGD si
symptôme
Si pas de symptôme après 6 h,
retour à domicile et
pansement gastrique
Surveillance à l’hôpital
A jeun 6 h
Fibroscopie OGD si
symptôme
Si pas de symptôme après 6 h,
retour à domicile et
pansement gastrique
Régime sans lait ni graisses
Pansement gastrique
Surveillance à domicile
Consulter si toux ou fièvre
dans les 3 jours
Hospitalisation immédiate si
détresse respiratoire ou
convulsion
Inhalation
Consultation pour auscultation
pulmonaire
Radio de thorax
Traitement symptomatique
Surveillance hospitalière
si symptômes graves, sinon à
domicile
Consultation pour
auscultation pulmonaire
Radio de thorax
Traitement symptomatique
Surveillance hospitalière
si symptômes graves, sinon à
domicile
Hospitalisation
Fibroscopie bronchique si
besoin
Traitement symptomatique
Hospitalisation
Fibroscopie bronchique
si besoin
Traitement symptomatique
Hospitalisation
Radio de thorax
Traitement symptomatique
Contact cutané
Rinçage sous la douche ou le
robinet 15 min
Rinçage sous la douche ou le
robinet 15 min
Consultation si symptômes
Traitement symptomatique
Rinçage au moins 15 min
sous la douche ou le robinet
15 min
Consultation systématique
Traitement symptomatique
Pour l’acide fluorhydrique,
traitement par gluconate de
calcium
Rinçage au moins 15 min
sous la douche ou le robinet
Consultation systématique
Traitement symptomatique
Rinçage au moins 15 min
sous la douche ou le robinet
Consultation systématique
Traitement symptomatique
Projection oculaire
Rinçage sous la douche ou le
robinet 15 min
Consultation si symptômes
Traitement symptomatique
Rinçage sous la douche ou le
robinet15 min
Consultation si symptômes
Traitement symptomatique
Rinçage aumoins 15 min
sous la douche ou le robinet
Consultation systématique
Traitement symptomatique
Pour l’acide fluorhydrique,
traitement par gluconate de
calcium
Traitement symptomatique
Rinçage au moins 15 min
sous la douche ou le robinet
Consultation systématique
Traitement symptomatique
Rinçage sous la douche ou le
robinet 15 min
Consultation si symptômes
Traitement symptomatique
Risque important
Risque modéré
Risque faible
Figure 3. Prise en charge des différentes intoxications par produits ménagers.
En cas d’inhalation du produit (rare sauf fausse route) :
toux, irritation intense de la gorge, crise d’asthme,
détresse respiratoire et infection respiratoire.
En cas de projection oculaire : risque de conjonctivite
voire de kératite.
En cas de contact cutané : pas de risque, sauf irritation
en cas de contact prolongé.
La conduite à tenir est :
– en cas d’ingestion : ne pas faire vomir, laisser à
jeun si le produit est concentré, donner à boire et un
pansement gastrique si le produit est dilué ou très peu
concentré puis consulter s’il existe des signes inquiétants
immédiats ou ultérieurs. Dans les cas d’intoxication avec
un produit contenant des glycols, il existe un antidote :
éthanol ou 4-méthylpyrazole ;
– en cas d’inhalation : traitement symptomatique et
prise en charge selon la gravité (transport médicalisé par
exemple si détresse respiratoire) ;
– en cas de projection oculaire : rinçage immédiat
abondant à l’eau tiède (sous le robinet ou la douche), pendant quinze minutes minimum et consulter si persistance
d’une hyperhémie conjonctivale, de gêne visuelle ou de
douleur oculaire ;
– en cas d’exposition cutanée : rinçage immédiat
abondant à l’eau tiède (sous le robinet ou la douche), pen-
dant quinze minutes et consulter si signes de brûlures
pour mise en route d’un traitement symptomatique.
Les caustiques
Il existe plusieurs types de caustiques : acides, basiques,
et leur présentation (gel, paillettes, liquide, pastilles…)
intervient dans la toxicité potentielle. En effet, les formes
en poudre ou en paillettes vont adhérer aux muqueuses et
entraîner un contact prolongé en l’absence de rinçage.
Le pH < 2 ou > 12,5 indique un caustique fort.
Les intoxications par acide sont généralement moins graves car ils sont plus désagréables à avaler, ce qui limite la
quantité ingérée, et par leur mécanisme d’action qui va
limiter l’extension des lésions (cf. ci-dessous). Il est à préciser que la dilution d’un caustique modifie peu le pH.
Acides forts (pH < 2)
Ce sont les détartrants WC, les antirouilles pour
textiles.
Les symptômes possibles sont :
– en cas d’ingestion : troubles digestifs (nausées,
vomissements, douleurs digestives, pneumomédiastin,
dysphagie, hypersialorrhée, hématémèse, signes fibroscopiques œsogastriques de stade variable pouvant aller du
simple érythème jusqu’à la perforation) ; brûlures de la
bouche ou de la gorge. Ils sont responsables d’une
mt pédiatrie, vol. 12, n° 4, juillet-août 2009
203
Les intoxications par produits ménagers chez l’enfant
nécrose par coagulation avec formation d’une escarre, ce
qui limite l’extension en profondeur [4] ;
– en cas d’inhalation : toux et détresse respiratoire,
crise d’asthme, œdème pulmonaire lésionnel (parfois à
distance), brûlures ;
– en cas de projection cutanée : brûlure de degré
variable ;
– en cas de projection oculaire : conjonctivite ou
kératite.
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Bases fortes (pH > 12,5)
Ce sont les décapants pour four, les déboucheurs de
canalisation…
Les symptômes possibles sont :
– en cas d’ingestion : troubles digestifs (nausées,
vomissements, douleurs digestives, pneumomédiastin,
dysphagie, hypersialorrhée, hématémèse, signes fibroscopiques œsogastriques de stade variable pouvant aller
jusqu’à la perforation) ; brûlures de la bouche ou de la
gorge. Elles sont responsables d’une nécrose liquéfiante
avec saponification des lipoprotéines de surface, avec
une inflammation intense, des thromboses vasculaires et
une extension en profondeur (risque de perforation dans
les cinq jours qui suivent [5]). Il y a également un risque
de cancérisation à long terme [6] ;
– en cas d’inhalation : toux et détresse respiratoire,
crise d’asthme, œdème pulmonaire lésionnel, brûlures ;
– en cas de projection cutanée : brûlure de degré
variable ;
– en cas de projection oculaire : conjonctivite ou
kératite, pouvant être retardée.
Oxydants
Ce sont les produits à base de peroxyde d’hydrogène
(corrosifs dès 30 %), les ammoniums quaternaires (corrosifs dès 15 %) et l’eau de javel, qui ont souvent un pH
proches de la neutralité.
Les symptômes possibles sont :
– en cas d’ingestion : troubles digestifs (nausées,
vomissements, douleurs digestives, pneumomédiastin,
dysphagie, hypersialorrhée, hématémèse, signes fibroscopiques œsogastriques de stade variable pouvant aller
jusqu’à la perforation) ; brûlures de la bouche ou de la
gorge ;
– en cas d’inhalation : toux et détresse respiratoire,
crise d’asthme, œdème pulmonaire, brûlures ;
– en cas de projection cutanée : brûlure de degré
variable ;
– en cas de projection oculaire : conjonctivite ou
kératite, pouvant être retardée.
Conduite à tenir
En cas d’ingestion : ne pas faire vomir, laisser à jeun
pendant 6 heures, et faire une fibroscopie en cas de
symptômes [7].
En cas d’inhalation : traitement symptomatique et
prise en charge selon la gravité initiale (transport médica-
204
lisé par exemple si détresse respiratoire), éventuellement
fibroscopie bronchique.
En cas de projection oculaire : rinçage sous l’eau tiède
(sous le robinet ou la douche), pendant quinze minutes et
consulter immédiatement un ophtalmologue, surtout s’il
s’agit d’une base.
En cas d’exposition cutanée : rinçage abondant immédiat à l’eau (sous le robinet ou la douche pendant quinze
minutes) et consulter si signes de brûlures pour mise en
route d’un traitement symptomatique. En cas de brûlure
grave, il est nécessaire d’instaurer un suivi chirurgical ou
un suivi par un centre des brûlés.
Cas particuliers parmi les caustiques :
les eaux de Javel
Le risque est proportionnel à leur concentration en
chlore actif mais dépend aussi de la quantité de stabilisant
(soude). Le pH est basique, voisin de 11-12. L’eau de Javel
dite concentrée contient 9,6 grammes de chlore actif par
litre (36° chlorométriques) mais il faut se méfier des produits importés du Maghreb notamment qui titrent parfois
jusqu’à 58° chlorométriques, avec une forte concentration de stabilisants, d’où un pH pouvant être supérieur à
13 avec par conséquent un risque caustique majeur [8].
La forme diluée contient 2,6 grammes de chlore par litre
(forme prête à l’emploi). Le conditionnement en bidon ou
en berlingot ne préjuge pas de la concentration.
L’eau de Javel est particulièrement émétisante, notamment en cas d’administration de lait après l’ingestion qui
est donc à proscrire.
Une autre particularité des produits javellisants est le
dégagement de vapeurs de chlore lorsqu’ils sont mélangés
à un produit acide (détartrant par exemple) avec irritation
des voies respiratoires, crise d’asthme, voire œdème
pulmonaire lésionnel. Ce type d’exposition est fréquent.
Antirouilles
Ils sont à base d’acide fluorhydrique, de bifluorure
d’ammonium ou d’acide oxalique. Ils possèdent une
toxicité double, systémique précoce et caustique locale
retardée.
Les symptômes systémiques sont neurologiques
(paresthésies, agitation, convulsions) et cardiaques (troubles de l’excitabilité). Le bilan biologique peut retrouver
une hypocalcémie, une hypomagnésémie – dues au produit (effet chélateur) – ainsi qu’une hyperkaliémie et une
acidose métabolique consécutives à la nécrose tissulaire.
La prise en charge est particulière : rinçage abondant et
prolongé, apport de calcium, en local si exposition cutanée
(Carbopol® gel ou compresses imbibées de gluconate ou
chlorure de calcium) et en oral si ingestion, associé à la
correction des troubles ioniques (sulfate de magnésium en
intraveineux, perfusion de gluconate de calcium, sous
contrôles répétés de la calcémie).
En cas de projection oculaire, rinçage abondant et
prolongé, vérifier l’intégrité oculaire par un examen
mt pédiatrie, vol. 12, n° 4, juillet-août 2009
ophtalmologique. On peut également administrer un
collyre à base de calcium.
Premier niveau de prévention
Solvants
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Prévention
Ce sont les détachants textiles « à sec » à base de
white spirit ou d’essences légères, la cire liquide, les
encaustiques, l’essence de térébenthine, les hydrocarbures pétroliers (essence, allume-barbecue…), l’acétone
(dissolvant) et le trichloréthylène.
Les symptômes possibles sont :
– en cas d’ingestion : troubles digestifs (nausées,
vomissements, douleurs digestives, diarrhées), troubles
neurologiques (troubles de la conscience, céphalées,
vertiges, ataxie) et surtout risque de pneumopathie d’inhalation qui est la principale complication [9] (pouvant
apparaître à distance), car ils sont très volatils et ce
d’autant plus s’il y a eu une fausse route. Lors d’une ingestion massive, des troubles majeurs de la conscience peuvent apparaître avec état de choc et acidose métabolique.
Des convulsions sont possibles mais elles sont généralement liées à une anoxie. Un cas d’hypertension artérielle
pulmonaire a été rapporté avec l’ingestion de white spirit
chez un nourrisson [10] ;
– en cas d’inhalation (notamment lors d’une exposition en atmosphère confinée) : troubles neurologiques
(dépression du système nerveux central), troubles respiratoires avec détresse et anoxie, troubles digestifs ;
– en cas de projection oculaire : il existe un risque de
conjonctivite voire de kératite si le rinçage est retardé ;
– en cas de projection cutanée : risque de brûlure
pouvant aller jusqu’au troisième degré en cas de contact
prolongé.
La conduite à tenir est :
– en cas d’ingestion : ne pas faire vomir, donner
un pansement gastrique, faire un régime sans lait ni
graisses – possibilité de donner une huile de paraffine
gélifiée afin de faciliter l’évacuation digestive du solvant –
consulter rapidement s’il apparaît des signes respiratoires
ou des troubles de la conscience immédiats ou ultérieurs.
S’il existe une pneumopathie (hyperthermie, toux, désaturation), le traitement reste symptomatique avec surveillance clinico-biologique, antibiothérapie probabiliste,
antipyrétiques ;
– en cas d’inhalation : traitement symptomatique et
prise en charge selon la gravité (transport médicalisé par
exemple si convulsions ou signe respiratoire pouvant
annoncer une détresse respiratoire) ;
– en cas de projection oculaire : rinçage immédiat à
l’eau tiède (sous le robinet ou la douche), pendant quinze
minutes et consulter si persistance de symptômes ;
– en cas d’exposition cutanée : rinçage immédiat à
l’eau (sous le robinet ou la douche), pendant quinze
minutes et consulter si signes de brûlures pour pouvoir
instaurer un traitement symptomatique.
Il est important de sensibiliser le grand public, d’une
part, sur les risques d’exposition aux produits ménagers
chez l’enfant et la dangerosité de certains et, d’autre
part, sur les gestes à éviter.
Pour limiter les risques d’exposition, il faut rappeler à
l’entourage que tout produit doit être mis en hauteur voire
sous clé, car certains enfants sont capables de monter sur
un meuble pour les atteindre. Il faut également rappeler
d’éviter de déconditionner les produits, par exemple de
diluer l’eau de javel avec de l’eau dans une bouteille
d’eau minérale. Une autre approche serait de sensibiliser
les fabricants aux risques de leurs produits, afin qu’ils
puissent envisager des solutions de prévention à leur
niveau comme l’ajout systématique de Bitrex® (amérisant)
ou la pose de bouchons de sécurité. On peut également
conseiller d’acheter les produits les moins toxiques
possible et sécurisés avec un bouchon de sécurité, et de
les laisser hors de portée des enfants y compris lorsque
l’entourage est en train de l’utiliser.
Deuxième niveau de prévention
Il s’agit d’avoir une prise en charge immédiate optimale, en évitant des gestes délétères, tels que faire
vomir, donner du lait, ou faire boire sans avoir pris conseil
auprès d’un centre antipoison, mais aussi en assurant un
traitement initial adapté.
Troisième niveau de prévention
Il faut également informer l’entourage et les professionnels de santé sur la conduite à tenir ultérieure après
un accident domestique. L’information peut être donnée
dans le cadre d’une sensibilisation mais aussi en réponse
lorsque le centre antipoison est appelé. La prise en charge
conseillée peut concerner le régime, la durée de surveillance clinique ou biologique… Le but de toutes ces mesures de prévention est de garantir la meilleure qualité de
soins possible et d’avoir une évolution clinique favorable
s’il y a eu exposition. La prise de conseil auprès d’un centre antipoison peut d’ailleurs permettre d’éviter l’hospitalisation inutile dans un grand nombre de cas, tout en
assurant la meilleure prise en charge possible.
Conclusion
Les accidents domestiques par produits ménagers
chez l’enfant sont très fréquents, parfois avec des conséquences graves (notamment avec les caustiques forts et
les solvants). La gravité peut être immédiate ou secondaire. La prévention semble être un outil majeur pour
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Les intoxications par produits ménagers chez l’enfant
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diminuer leur fréquence et leurs conséquences. L’appel
auprès d’un centre antipoison avant de faire quoi que
ce soit permet d’optimiser la prise en charge grâce à
une évaluation globale de la situation et aux conseils
adaptés donnés en fonction de celle-ci. Un maximum
de renseignements doit être collecté concernant le
produit, les circonstances, la quantité, le patient, les
symptômes et les gestes entrepris. Il est cependant souvent difficile d’obtenir toutes ces informations, ce qui
peut influer sur la qualité et la rapidité de la prise en
charge, sachant que celle-ci peut être modulée en
fonction des éléments recueillis et souvent permet
d’éviter l’hospitalisation.
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