[Tapez un texte] La rhétorique de l’implicite comme analyseur de dimensions cachées de l’activité ? Quelques exemples dans le champ de l’éducation Martine Janner Raimondi L’ouvrage1 co-écrit par Richard Wittorski et moi-même constitue un essai qui cherche à analyser ce qui se joue ou peut se jouer au niveau des écarts constatés entre des discours affichant une volonté de professionnaliser l’activité et les individus et les pratiques sociales effectives. Qu’il s’agisse de secteurs d’activités aussi bien privés que publics, nombreuses sont aujourd’hui les injonctions et les incantations à changer au nom de la crise, de la quête d’efficacité, de performance et de flexibilité. Or, plusieurs paradoxes apparaissent comme par exemple : promouvoir d’un côté l’autonomie des individus tout en prescrivant dans le même temps des règles précises d’évaluation professionnelle, ou bien affirmer une efficacité à court terme tout en valorisant des trajectoires au long cours de développement professionnel... Que comprendre alors de ces discours et de leurs pratiques afférentes et quel sens donner à ces paradoxes ? Après avoir fait le point sur les constats relatifs à l’apparition de tels discours qui enjoignent les individus à souscrire à l’impératif de professionnalisation au regard de plusieurs approches théoriques disponibles, l’hypothèse heuristique avancée consiste à poser que la notion de rhétorique et plus précisément de rhétorique de l’implicite permet d’appréhender les raisons et les motifs qui organisent de façon sous-jacente lesdits paradoxes. Ainsi, suite à la définition de cette nouvelle forme de rhétorique, par différenciation notamment avec la rhétorique implicite, des exemples sont fournis pour identifier les dimensions opératoires de cette nouvelle approche. Ces derniers sont issus de terrains et de domaines de recherche des auteurs, qu’il s’agisse du monde de l’entreprise ou de l’accueil de jeunes enfants en situation de handicap à l’école, ou bien encore de travaux d’étude consultés concernant les questions de politique des programmes à l’École. L’enjeu de cet ouvrage ne réside pas dans une étude comparative des différents discours et pratiques étudiés mais vise à faire ressortir leurs tendances communes, sous forme de logique de fonctionnement global au plan politique. Des constats aux paradoxes Depuis le début des années 1980, les discours politiques mettent en avant une autonomie plus grande du citoyen. S’agissant par exemple des personnes en situation de chômage, il est attendu qu’elles fassent preuve d’activisme affichant ainsi des compétences de « mobilité, de dynamisme, d’autonomie, de savoir-être, de communication et d’ouverture ». Avec l’introduction de la Loi Organique Relative aux Lois de Finances du 1° août 2001 (Lolf2) et la Révision générale des politiques publiques (Rgpp)3, il s’agit d’introduire de nouvelles règles d’élaboration et d’exécution du budget de l’Etat, dans une visée d’efficacité des politiques publiques de façon à passer d’une logique de performance à une logique de résultat organisée autour d’objectifs assortis d’indicateurs. 1 Janner-Raimondi, M. & Wittorski, R., (2015, publication en cours). Rhétorique de l’implicite en éducation et formation. Entre discours et pratiques. Lille : Presses Universitaires du Septentrion. 2 Loi organique relative aux lois de finances 3 Révision générale des politiques publiques 1 [Tapez un texte] Dans les métiers de l’enseignement, les réformes conduites à propos de la définition de leurs formations à ces métiers, des propos du même ordre ont été tenus en référence au plan d’action défini par l’Union Européenne à Lisbonne en 2000 en vue de renforcer la compétitivité de son économie de la connaissance, impliquant des formations davantage en lien avec l’obligation de résultats. Ces discours et réformes des ministères publics déclinent les orientations internationales, notamment celles promues par l’OCDE qui encourage le libre échange et la concurrence pour favoriser l’innovation et les gains de productivité ainsi que la compétitivité entre pays européens. Dans les milieux du secteur privé, nombreux sont les chefs d’entreprise à souligner combien leur volonté à disposer de salariés capables de prise de décisions et de flexibilité. Ainsi, qu’il s’agisse d’une politique publique ou d’une entreprise privée, les discours s’organisent autour des mêmes mots de « mobilité », « autonomie », « résultat », «efficacité » et « flexibilité ».d’ordre et la figure sociale prônée relève de l’individu entreprenant, efficace dans son action et acteur de sa vie tant professionnelle que privée. À ces discours font écho au développement de la professionnalisation qui invite à sans cesse actualiser et adapter les compétences des individus, pour laquelle le modèle de l’offre laisse place à la valorisation de la formation sur site ou en situation qui permet de rapprocher la formation du travail luimême. En recherche, la valorisation de la recherche-action, ou des recherches de type audit ou de préconisation, voire de la recherche-intervention pour lesquelles il s’agit de produire des savoirs pratiques favorise les approches pluri-inter- et trans-disciplinaires visant des retombées concrètes. Dès lors, les enjeux de la professionnalisation et de la logique de compétence révèlent des intentions sociales associées à des pratiques qui leur donnent un sens polysémique. Des paradoxes surgissent à propos : -­‐ des « temporalités multiples » : entre demande d’adaptabilité aux changements rapides, quasi imprévisibles et développement professionnel de l’individu tout au long de la vie ; -­‐ de « l’autonomie responsable » : entre injonction de prise de décision pour favoriser l’efficacité de l’activité et nécessité de rendre compte des résultats et de l’activité conduite ; -­‐ des rapports « individuel/collectif » : entre valorisation, depuis les années 7080, des dimensions collectives du travail - travail d’équipe, partenariat, coordination professionnelle - et pratiques d’évaluation du travail plus individuelles, voire individualisées brouillant les repères de qualification ; -­‐ de l’« injonction de professionnalisation et développement professionnel autonome » : entre développement de compétences attendues sans proposition de formation correspondante. Ces paradoxes relèvent des « intentions » non dites, cachées ; mais lesquelles et pourquoi (pour quoi) ? De quelques travaux de recherche pour comprendre ces changements paradoxaux Parmi les approches sociologiques, celle de Dubet4 souligne combien la situation de crise vécue par les professionnels renvoie au déclin du « programme institutionnel ». Les professionnels, tant du soin que dans le domaine du social ou de l’école, doivent ainsi élaborer leurs propres repères sur la base de leurs propres expériences. Mais la perte des repères traditionnels voit surgir de nouvelles règles, c’est pourquoi 4 Dubet, F. (2002). Le déclin de l’institution. Paris : Seuil. 2 [Tapez un texte] nous pensons que le déclin des valeurs traditionnelles ne signifie pas tant la désinstitutionalisation ni la disparition de valeurs. De nouvelles viennent prendre le relais pour organiser d’autres programmes institutionnels. Vincent de Gaulejac5 analyse cette crise au regard du développement de l’« idéologie gestionnaire » assortie au « toujours plus » de la performance appréciée moins en termes de qualité du service qu’en termes de coût. Le zéro délai, zéro défaut renvoie à l’universalisation de la nouvelle norme du management. Cette pression de conformité rend la performance de l’individu toujours insuffisante, entraînant une souffrance au travail dans le cadre d’un processus d’auto-accusation et de vulnérabilisation. De manière complémentaire, les sociologues « critiques du travail » comme Dugué6 développent une critique des usages faits par les organisations de la notion de compétence, de responsabilisation, d’individualisation et de flexibilité, qui remettent en cause les savoirs professionnels en faisant vaciller le modèle de la qualification pour appuyer la domination sociale. Stroobants7 (1993) a déjà pointé combien les injonctions d’adaptabilité permanente induisent une individualisation de l’évaluation qui conduit, selon Linhart8, à « resserrer le contrôle », ou bien encore une mise en conformité 9. Dans le domaine de l’éducation, des auteurs comme Laval, Vergnes, Clément & Dreux10 critiquent également l’usage du mot compétence, vu comme relais du système d’économie néolibérale. Martucelli11 précise l’enjeu du processus de singularisation à l’œuvre dans nos sociétés occidentales contemporaines. Issu des années 60-70, cette nouvelle forme d’individualisme provient tant des changements économique et juridico-politique qu’à ceux liés aux aspirations personnelles. L’individu vit singulièrement ces changements comme des épreuves historiquement et socialement construites. Ainsi, qu’il s’agisse d’épreuves institutionnalisées comme l’école, le travail, la ville ou la famille, ou bien encore d’épreuves plus diffuses comme les rapports à l’histoire, au collectif, aux autres ou à soi, l’individu contemporain doit les affronter dans sa singularité propre, en s’éprouvant lui-même. Présentées dès son ouvrage de 200612, ces épreuves peuvent jouer le rôle d’analyseur du fonctionnement de notre société occidentale contemporaine et plus seulement repérer les logiques d’action. Gardons présente à l’esprit,l’idée de devenir lucide sur les enjeux de ces épreuves vécues en relation avec le monde environnant plutôt que grâce au seul travail sur soi. Les philosophes ont également décrié l’impact du management à l’instar des études de Marzano13, qui souligne dans son analyse de la littérature managériale combien les individus, aujourd’hui, sont pris au piège d’un discours de manipulation sophistiquée favorisant une nouvelle forme d’exploitation depuis les années 90. Elle dénonce14 ainsi « les trucages » grâce à la promotion d’un ensemble de valeurs non conciliables entre elles, comme : l’« autonomie » versus « engagement maximal » ou le « développement personnel » versus « employabilité », qui ne servent qu’une seule norme celle du « up or out ». Caillé opposait 5 Gaulejac de, V. (2009). La société malade de la gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social. Paris : Seuil 6 Dugué, E. (1994). La gestion des compétences : les savoirs dévalués, le pouvoir occulté. Sociologie du Travail, 3/94, p. 273-292. 7 Stroobants, M. (1993). Savoir faire et compétences au travail. Une sociologie de la fabrication des aptitudes. Bruxelles : Université de Bruxelles. 8 Linhart, D. (1999). Des entreprises modernisées, des salariés désarmés. Education Permanente, 141, p. 55-67. 9 Del Rey, A. (2012). Le succès mondial des compétences dans l’éducation : histoire d’un détournement. Rue Descartes, 2012/1, n°73, p.7-21. 10 Laval, C. Vergne, F., Clément, P. & Dreux, G. (2011). La nouvelle école capitaliste. Paris : La Découverte. 11 Martucelli, D. (2010). La société singulariste. Paris : A. Colin. 12 Martucelli, D. (2006). Forgé par l’épreuve. L’individu dans a France contemporaine. Paris : A. Colin. 13 Marzano, M. (2008). Nouvelles formes d’exploitation. Cités, vol. 35, PUF, p. 111-122. 14 Marzano, M. (2010). Le contrat de défiance. Paris : Grasset. 3 [Tapez un texte] déjà en 200215 l’approche anti-utilitariste à l’utilitarisme économique ou axiologique, lequel réduit la conception anthropologique de l’homme à une somme d’intérêts. Enfin, Ogien16, prenant acte des problématiques inhérentes à notre monde occidental contemporain, revendique une approche éthique minimaliste qui consiste à poser trois principes fondamentaux : le principe de non nuisance à autrui ; l’égale considération de chacun ; et l’indifférence morale du rapport à soi-même, qui évite de juger « morales » ou « immorales» les actions qui ne concernent que nous-mêmes. Si l’institution renvoie en premier lieu à une norme, une organisation stable, Castoriadis en 197517 l’appréhende en termes dialectiques d’auto-altération perpétuelle de la société résultant de luttes incessantes entre des forces instituantes et ce qui est institué. Comme Lapassade en 196618, il considère que l’enjeu d’une autogestion véritable consisterait à ne plus séparer dirigeants et exécutants, car rien ne saurait changer si les hommes n’apprennent pas dès l’enfance à construire des institutions et à les gérer. Lourau, en 196919, situe l’institué au niveau de l’ordre établi, aux valeurs, représentations et organisations considérées comme normaux ; alors que l’instituant renvoie notamment à la contestation et à la capacité d’innovation. En 2003, Sallaberry20 prend en compte cette dimension dynamique pour analyser le fonctionnement des organisations. Deux cas de figure se présentent alors : soit cette dynamique de l’interaction « instituant-institué » est intense, en ce cas alors, la nouvelle configuration émerge et s’institutionnalise durant un certain temps ; soit, au contraire, la dynamique est faible par désintérêt ou par assujettissement des participants et dans ce cas, il s’agit de reproduction ou de pérennisation d’institutions identiques. L’analyse institutionnelle permet ainsi une analyse de la praxis des institutions, grâce à la notion d’analyseur qui permet de révéler la structure de l’institution, son fonctionnement, sa spécificité. L’analyseur selon Lourau (1969) « permet de révéler la structure de l’institution, de la provoquer, de la forcer à parler » en rendant visible la spécificité de l’institution dans laquelle nous nous situons. Les différents ancrages présentés invitent à appréhender avec recul critique la notion polymorphe et omniprésente de « compétence ». Pour autant, a-t-on ainsi expliqué les paradoxes énoncés ? N’existe-t-il pas quelque(s) point) aveugle(s), notamment quant aux enjeux sous-jacents à ces paradoxes ? Affiner la compréhension des enjeux et des stratégies non explicitement formulés reste à étudier. Existe-t-il des non-dits autour de ces derniers, si oui, quel sens leur attribuer ? Tel est l’objet de la seconde partie. Hypothèse d’une rhétorique de l’implicite Tout se passe donc comme si une intentionnalité institutionnelle visait à mettre en mouvement les citoyens, les professionnels, dans un environnement socio-économique considéré comme renouvelé. Cette intentionnalité se traduit dans un nouveau lexique généralisant l’usage des notions de compétence, professionnalisation, performance, gestion, efficacité, flexibilité … 15 Caillé, A. (2002). Qu’est-ce qu’être anti-utilitariste ? Entretien d’Alain Caillé avec Jean-Pierre Cléro et Christian Lazzeri. Cités, vol.10, PUF, p. 77-90. 16 Ogien, R. (2007). L’éthique aujourd’hui. Maximaliste et minimaliste. Paris : Le Seuil. 17 Castoriadis,C. (1975). L’institution imaginaire de la société. Paris : Seuil. 18 Lapassade, G. (1966). Groupes, organisation et institutions. Paris : Gauthier-Villars. 19 Lourau, R. (1969). L’instituant contre l’institué. Paris : Ed. Anthropos. 20 Sallaberry, J-C. (2003). Théorie de l’institution et articulation individuel-collectif, In : J. Ardoino, P. Boumard, J-C. Sallaberry (s/d). Actualité de la théorie de l’institution. Paris : L’Harmattan. 4 [Tapez un texte] Afin de comprendre ces pratiques institutionnelles et sociales et les paradoxes qu’elles véhiculent, nous pensons que les intentions affichées ne sont pas celles profondes qui guident les choix institutionnels. Nous utiliserons le vocable « rhétorique » pour développer cette hypothèse. Aristote21 précise que la rhétorique relève du champ de la vie pratique et politique. Elle doit également tenir compte du talent de l’orateur, attentif aux destinataires du discours, afin de viser une efficacité pour favoriser leur adhésion. Elle s’organise ainsi autour de trois éléments qui révèlent combien l’argumentation seule ne suffit pas. -­‐ le discours lui-même, appelé (logos) ; -­‐ la manière (ethos) dont l’orateur se présente à son auditoire pour le persuader -­‐ le pathos πaθοσ (pathos) – correspondant à l’idée que l’on se fait du public à persuader. Perelman et Danblon 22 rappellent combien la rhétorique suppose la mise en œuvre des stratégies et des procédés stylistiques pour persuader le public en fonction des objectifs visés. Comme le résume Ricoeur23, l’art rhétorique est un art du discours agissant. Apparue aux alentours du V° siècle avant Jésus Christ, la rhétorique, selon Danblon, fait suite à la parole magique des sociétés orales des origines où la vie se déroulait « au rythme des paroles qui font et défont la Cité : celles des guerriers et des prêtres ». La Grèce antique du V° siècle avant notre ère, a vu se développer une distinction entre la loi des dieux et celle des hommes. Les Dès lors, si parler reste encore un pouvoir, sa nature consiste alors à persuader autrui du bienfondé de sa propre parole. Elle requiert ainsi une dimension technique en vue d’obtenir une efficacité dans l’adhésion, partant, elle s’exerce et s’apprend. Cette conception renforce l’instrumentalisation de la parole et la désacralise. Les Sophistes, premiers éducateurs en rhétorique, avaient coutume, moyennant finances, d’exercer leurs élèves aux joutes oratoires les plus diverses. Aucune préoccupation de morale n’est supposée. Telle était déjà l’une des critiques de Platon à l’égard des Sophistes. Suite aux effets dévastateurs de la propagande fasciste, l’art oratoire devient à nouveau un sujet d’étude. Perelman et Olbrechts-Tyteca24 à la fin des années 1950 ont cherché à fonder une nouvelle rhétorique en vue de concilier la préoccupation éthique de Platon à la prise en compte des éléments aristotéliciens de façon à doter l’humanité de repères épistémologiques viables, propres à éviter le dévoiement dans les usages de la rhétorique. Selon Perelman, le travail d’argumentation, qui s’élabore sur les questions de vie pratique et politique en lien avec les préoccupations de normes et de valeurs, suppose une rationalité discutée et construite. En tant que tel, ce travail ne s’apparente pas au discours scientifique. Il s’agit plutôt d’un discours en dehors du vrai et du faux sans pour autant tomber ni dans l’anarchie, ni le parti pris, ni l’incohérence. Comment ? L’idée de l’Auditoire Universel, comme idéal de la raison humaine, permet à Perelman de préserver ainsi l’horizon éthique. Or, malgré les efforts d’une Nouvelle Rhétorique, la société, depuis la fin du XX° siècle, s’est radicalisée dans son ambivalence. Comme le formule Danblon (2004, 29) « il semblerait que les grandes démocraties modernes soient parvenues à allier, d’un côté, un relativisme moral et, de l’autre côté, une censure paralysante déguisée en bonne conscience éthique ». Nous chercherons, quant à nous, à analyser les discours au regard de l’Auditoire Universel de façon à mettre en œuvre ce critère épistémologique en vue de proposer un moyen d’estimer la pertinence ou non, pour tous, des propositions formulées. 21 Aristote, La Rhétorique. Paris : Garnier-Flammarion. Danblon, E. (2004). Argumenter en démocratie. Bruxelles : Labor. 23 Ricoeur, P. (1992). Lectures 2, “Rhétorique, poétique, herméneutique », cité par M. Foessel & F. Lamouche (2007). Ricoeur, textes choisis et présentés. Paris : Ed. Seuil, p.104. 24 Perelman, C., Olbrechts-Tyteca, L. (1958). Traité de l’argumentation. Bruxelles : Editions de l’université de Bruxelles. 22 5 [Tapez un texte] À l’instar de Luhman25 (2001, 19), nous nous inscrivons dans la lignée de son hypothèse selon laquelle : « le discours politique néolibéral, sous la pression qui s’exerce sur lui dans le dialogue qu’il établit avec les forces sociales opposées au modèle de régulation qu’il met en avant, se réarticule en intégrant un certain nombre de valeurs providentialistes et non pas simplement en affirmant sans complexe les nouvelles valeurs individualistes auxquelles on a l’habitude de les rapporter. » Ces valeurs providentialistes contribuent à masquer les enjeux effectivement visés, nécessitant de recourir à une rhétorique pour les faire apparaître comme étant les bons motifs. Ces précisions permettent de distinguer trois « modalités » de rhétoriques -explicite, implicite et de l’implicite - correspondant à trois stratégies différentes présentes dans les discours et les pratiques sociales à propos de la professionnalisation. La stratégie consistant à dire l’intention réelle qui guide les choix de dispositif sera nommée « rhétorique explicite ». Il est alors fréquemment constaté une cohérence entre les discours tenus à propos des dispositifs et les faits et effets observés. Celle consistant à ne pas dire l’intention réelle qui guide les choix, sera qualifiée « rhétorique implicite ». Il est alors fréquemment constaté des faits et des effets non prévus ; Enfin, la stratégie consistant à dire une autre intention que celle qui guide en réalité l’activité sera dite « rhétorique de l’implicite » traduisant l’idée que l’intention affichée n’est pas l’intention réelle. Il est alors fréquemment constaté une distorsion ou un écart entre les discours tenus à propos des dispositifs et les faits et effets observés. De quelques exemples de rhétorique de l’implicite dans le champ de l’éducation L’analyse de plusieurs exemples26 permet de considérer la dimension opératoire du concept formulé. Les premiers exemples concernent les projets de programmes scolaires, en lien avec quelques réformes de politique éducative qui ne manquent pas d’engendrer des conflits de légitimité pour leur révision. En 200627, Raulin considère que si les responsables administratifs ou politiques se sont longtemps désintéressés des programmes d’enseignement, c’est l’augmentation du chômage à la fin des Trente Glorieuses qui a fait que l’on s’est alors tourné vers l’Ecole pour lui reprocher son conservatisme, son inaptitude aux changements et l’inadéquation de ses diplômes aux exigences nouvelles des entreprises. En 1985, Bourdieu, au nom du Collège de France, remet un rapport intitulé « Propositions pour l’enseignement de l’avenir » qui pointe « l’inertie structurale du système d’enseignement qui se traduit par un retard plus ou moins grand selon les moments et les domaines, des contenus enseignés par rapport aux acquis de la recherche et aux demandes de la société.28 ». Les chercheurs alertent donc le politique afin que les programmes s’accordent avec les avancées scientifiques. En 1989, dans la logique de ce rapport, la commission Bourdieu-Gros publie Les Principes pour une réflexion sur les contenus d’enseignement29, lesquels seront repris dans la loi d’orientation du 10 juillet 1989 ainsi que la préconisation de création d’un Conseil national des programmes (CNP) à finalité consultative visant à mieux prendre en compte les évolutions scientifiques et sociétales. 25 Luhman, N. (1969/2001). La légitimation par la procédure. Paris : Cerf, coll. Dikè. Dans le cadre de cette communication et par respect pour l’auteur, je ne présenterai pas l’exemple étudié par le Professeur Wittorski. 27 Raulin, D. (2006). De nouveaux rapports entre science et politique : le cas des programmes scolaires. Revue des Sciences de l’Education, vol.32, n°1, 2006, 93-112. 28 Bourdieu, P. (1985). Propositions pour l’enseignement de l’avenir. Document télé-accessible URL : <http:/s.huet.free.fr/paideia/diaphorai/colfce.htm> 29 Bourdieu, P. & Gros, F. (1989). Principes pour une réflexion sur les contenus de l’enseignement. http://www.sauv.net/bourdgros.htm. 26 6 [Tapez un texte] Toutefois, cet accent mis sur le contenu des programmes évacue-t-il ou non les dimensions d’enseignement et de pratiques pédagogiques ? L’article de Raulin, s’appuyant, notamment sur l’étude de Joël Lebaume30, offre l’avantage de fournir des extraits d’échanges entre le conseil national des programmes (CNP) et les groupes techniques disciplinaires (GTD), devenus ensuite, groupes d’experts pour les programmes scolaires (GEPS). Le CNP rend son avis sur les différents projets de programmes alors que les groupes d’experts les élaborent. Si l’auteur, professeur agrégé, secrétaire général des programmes, prend partie en faveur des groupes d’experts, il n’en demeure pas moins qu’il révèle le « risque de l’opposition entre experts » (2006, p. 96) correspondant à différentes conceptions de l’enseignement – apprentissage, non sans lien avec des enjeux de pouvoir, chacun développant sa rhétorique. Sur la question de la place réservée aux questions d’enseignement, il s’avère que le CNP ne refuse pas de prendre en considération cette dimension alors même qu’il semble axé de manière essentielle sur les programmes. Cette tension est particulièrement visible dans le futur programme de technologie pour les classes de 5° et de 4° de collège. Le CNP marqua son désaccord face aux projets du groupe d’experts. Interrogeant notamment le caractère très « enseignement professionnel » de ce programme, jugeant qu’il « serait pour le moins paradoxal que la technologie devienne la seule discipline où n’apparaisse aucune exigence de connaissance (…) ; la quasi absence concomitante de fléchage des relations avec les autres disciplines (…) ; l’écart « surprenant » entre les compétences instrumentales visées en fin de cycle qui relève pour le moins du « bricolage » (…) et la référence permanente aux pratiques en entreprises ; le volume trop important des compétences visées. »31 Cette entrée « trop enseignement professionnel » alors même que ce projet concerne un cycle central d’étude générale interpelle le CNP, qui veille à prendre en compte le niveau global de développement des élèves auxquels se destinent les programmes ; ainsi qu’à prodiguer une démarche globale d’enseignement corrélativement à leur objet et au public destinataire. En effet, il « préconise une confrontation réelle à la matière et l’irréversibilité qui peut exister dans son façonnement afin de responsabiliser efficacement les élèves dans leurs initiatives » les choix pédagogiques se font explicites non seulement sur la manière d’enseigner mais aussi en arguant des enjeux éducatifs que ces derniers comportent. Les exemples fournis de critiques et de recommandations faites par le CNP révèlent ainsi de logiques sous-jacentes différentes entre ce conseil et les groupes d’experts, chargés d’élaborer des projets de programmes. Loin de n’y voir une « querelle d’experts », nous pouvons trouver là, l’expression d’une démocratie en acte, en référence au nécessaire contre-pouvoir vital à l’effectuation de la démocratie comme le rappelle Rosanvallon32. Une fois les projets de révision des programmes rédigés, ils sont soumis, depuis 1994, aux enseignants concernés pour consultation. Une telle procédure aurait pu apparaître comme la marque d’une considération des personnels chargés d’appliquer les programmes en classe, en vue d’éviter une dérive bureaucratique. Or, un écart entre la consultation annoncée et sa pratique réelle a pu être constaté. Nombreux, en effet, furent les déçus de ces consultations qui, dans les faits, ont estimé ne pas avoir été entendus, en particulier, lorsque leur organisation matérielle et temporelle ne permettait concrètement aucune remontée des informations au ministère. Entre 1995 et 1998, Raulin (2006, p.26) précise que les enseignants du secondaire ont joué le jeu en se réunissant pour faire remonter leurs commentaires et leurs demandes, certains allant jusqu’à réinterroger les contenus proposés. L’auteur s’interroge : 30 Lebaume, J. (1996). Une discipline à la recherche d’elle-même : trente ans de technologie pour le collège. Paris : INRP. 31 Conseil National des Programmes (1996). Programmes du cycle central du collège (5°- 4°). Avis sur les programmes, juillet. Document télé accessible : http://www.gouv.fr/syst/cnp/publi.htm#1996>, cité dans l’article de Dominique Raulin (2006). 32 Rosanvallon, P. (2006). La Contre- Démocratie. La politique à l’âge de la défiance. Paris : Seuil. 7 [Tapez un texte] « appartient-il aux enseignants de choisir les contenus d’enseignement ? Ont-ils les compétences pour cela ? Les groupes d’experts ont souvent refusé de leur reconnaitre cette légitimité en tenant compte assez marginalement des remontées. » De telles questions interpellent. Si, en effet, un contenu n’apparait pas « faisable » à un professionnel, n’aura-t-il pas tendance à l’évacuer pour en proposer un autre qu’il jugera plus adapté au public qu’il côtoie au quotidien ? Dès lors, si les professionnels ne sont pas reconnus comme capables de donner leur avis sur un projet de programme qu’ils auront à mettre en œuvre : pourquoi alors lancer une consultation ? La rhétorique de l’implicite est ici flagrante. D’autant que les commentaires de l’auteur (2006, p. 102) sur l’impact des consultations ne portent pas les traces d’un certain cynisme institutionnel : « Finalement, les consultations nationales ont donc peu d’effet sur le détail des programmes mais elles mettent assez bien en évidence les grandes tendances (…). Elles se sont révélées très utiles pour sensibiliser les professeurs aux nouveaux programmes, et pour donner aux inspecteurs territoriaux une carte du corps enseignant de leur académie. » Dès lors, le recours aux consultations nationales, telles qu’elles ont été réalisées révèle une certaine hypocrisie démocratique, qui, sous couvert de légitimation, démontre une politique d’affichage et une rhétorique de participation pour le moins paradoxale. Caillé fournit une explication : « en évitant tout affrontement ouvert, et en soustrayant au débat public le sens réel des transformations en cours, les différents gouvernements français ont avancé avec prudence dans l’application du programme néolibéral au domaine de l’éducation. » (2008, 23).Cette explication n’est pas sans rappeler la position de Luhman évoquée plus haut. La réflexion menée a permis de poser, à la suite de Vinokur33, que si l’évolution des discours des organisations internationales sur l’éducation a varié au cours du dernier demisiècle en fonction des besoins immédiats des économies dominantes en main d’œuvre formée ; les lois éducatives en France ont effectivement suivi le mouvement global des logiques sous-jacentes desdits discours. Dans le cadre des réformes éducatives françaises, il existe également des contenus de programmes institutionnels sans qu’aucune des instances de légitimation citées ne les ait examinés. Ainsi, en est-il de la Préparation à l’euro34 en 2001 et de la Mise en œuvre d’une première éducation à la route dans les écoles maternelle et élémentaire35, en date de 2002. Certes ces circulaires n’ont pas à passer par les mêmes procédures de légitimation que des textes de loi. Mais, dans la réalité pratique, face au pouvoir des inspections territoriales censées les faire appliquer, nous voyons mal comment le corps des enseignants pourrait ne pas en tenir compte. La circulaire concernant la Préparation au passage à l’euro36, par exemple, précise qu’en toute occasion, le sens du passage à l’euro sera rappelé aux élèves, non sans lien avec la construction européenne et son histoire, ainsi qu’une présentation de la Banque Centrale Européenne. Cette préparation devra concerner tous les niveaux d’enseignement, de l’école maternelle, jusqu’au lycée, ainsi que tous les publics accueillis en formation et les personnels de l’éducation nationale, enseignants et non-enseignants. La politique fait jouer aux élèves et à leurs enseignants un rôle de légitimation de la nouvelle monnaie auprès du reste de la population. En outre, faire participer les plus jeunes à l’éducation des adultes - conception d’une éducation ascendante - transforme ceux-ci en promoteurs d’un produit économico-politique. Que cette forme d’éducation se soit appliquée au passage à une nouvelle monnaie renforce l’analyse de Vinokur (2003) et la métaphore « boursière » qu’elle attribue à l’école contemporaine. 33 Vinokur, A. (2003). Les enjeux économiques des doctrines éducatives des organisations internationales. Education & Sociétés, 2003/2, n°12, 91-104. 34 Bulletin Officiel n°34 du 20 septembre 2001. 35 Bulletin Officiel n°9 du 27 février 2003. 36 Bulletin Officiel, n°34 du 20 septembre 2001. 8 [Tapez un texte] Quant à la circulaire portant sur « une Première éducation à la route37 », les motifs avancés pour justifier son existence reprennent les statistiques des morts sur la route. Ainsi, face à un problème de société, le politique demande à l’Ecole maternelle et élémentaire de participer à la résolution du problème, alors qu’à cet âge, les élèves ne conduisent pas. Ici encore, la conception d’une éducation ascendante réinterroge la responsabilité des adultes et des politiques. Faire jouer à l’Ecole un rôle qui n’est habituellement pas le sien ne risque-t-il pas de la disqualifier aux yeux mêmes des adultes qu’elle est sensée former via les élèves qui la fréquente ? Comment ne pas voir en effet un conflit de légitimité entre les comportements routiers des parents et ceux prônés par leurs enfants ? Pourquoi faire jouer soudainement à l’Ecole le rôle d’auto-école ? Ici comme dans le cas du passage à l’euro, le politique fonctionne de manière opportuniste. Ce qui surprend, c’est l’aisance avec lesquelles certains contenus éducatifs évitent le recours aux procédures existantes. Dans les deux cas cités, c’est directement que les injonctions tombent, comme si le politique s’affranchissait de toute procédure de légitimation ; affichant ainsi une légitimité d’autant plus grande. Au regard de cette nouvelle procédure utilisée, il appert que le politique soucieux de prendre en compte les sujets brûlant d’actualité cherche à relayer, ce qui pourrait relever de ses propres responsabilités, au plan de l’éducation. Même sans imputer un quelconque machiavélisme à une telle démarche, l’examen des procédures utilisées nous apprend que pour passer en force, le politique recourt à un niveau juridique inférieur - de la loi à une circulaire- évitant, ainsi, les instances régulatrices existantes – CNP et Groupes d’experts. Or, ce passage en force, comporte un transfert de responsabilité sur l’Ecole, laquelle devient alors chargée d’éduquer non plus seulement les élèves mais aussi, à travers eux, les parents, sur un contenu de programme qui jusque là ne lui appartenait pas. Pour autant, s’agit-il d’un réel souci d’éducation ? En outre, s’agit-il d’un transfert de pouvoir ? Rien n’est moins sûr car qui se préoccupe réellement des effets produits par de tels enseignements ? Qui cherche à savoir ce que de telles éducations ont transformé ou transformeront ? Une continuité et un suivi ont-ils été assurés ? Par qui ? En vue de quoi ? Dans les faits, rien n’apparaît comme tel. Un autre exemple, en lien avec une recherche sur l’accueil de jeunes enfants en situation de handicap suite à la loi du 11 février 200538 « Pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées», fournit également matière à interprétation en termes de rhétorique de l’implicite. La nouvelle politique du handicap, offrant un droit à la compensation quels que soient la nature de la déficience, son origine, le mode de vie ou encore l’âge, ouvre également un droit à la scolarisation en milieu « ordinaire »39 en prescrivant l’inscription des enfants handicapés dans l’école la plus proche, considérée comme établissement de référence. Cette loi s’inscrit dans la lignée des approches évolutives de la problématique du handicap tant au plan sociétal que théorique, juridique et éthique. Sans retracer les étapes historiques des notions d’intégration puis d’inclusion du handicap, il importe de situer cette loi au regard de la prise en compte de la diversité dans le sillage de la Déclaration de Salamanque (Unesco, 1994), consolidée par le Forum Mondial sur l’éducation de Dakar (2000), les États généraux sur le Handicap (2004) et la Convention Internationale relative aux Droits des personnes en situation de handicap (2006), signée par la France en 2007 et ratifiée depuis 2010. Chauvière et Plaisance40 définissent le terme inclusion par l’affirmation des droits de toute personne à accéder aux diverses institutions quelle(s) que soi(en)t sa(ses) 37 Bulletin Officiel, n°9 du 27 février 2003 Cf. Loi n°2005-102 du 11 février 2005 « Pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». 39 Cf. article L. 112-1 du code de l’éducation. 40 Chauvière, M. & Plaisance, E. (2005). Inclusion. In : P. Champy & C. Etevé. Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation. Paris : Retz, p. 489-490. 38 9 [Tapez un texte] particularité(s). Cette approche se distingue fondamentalement de l’intégration : « les enfants intégrés peuvent en effet être perçus comme des « visiteurs » en provenance des milieux spécialisés et non des membres à part entière de la communauté scolaire. L’inclusion scolaire offre donc une perspective d’action radicale qui se définit avant tout par un rapport aux droits de tous les enfants à l’éducation. Ainsi l’éducation inclusive implique-t-elle une double transformation : des écoles, pour qu’elles deviennent des « communautés » ouvertes à tous sans restrictions, et des pratiques, pour permettre les apprentissages de tous dans la diversité des élèves». La mouvance inclusive déborde la seule question de l’école et des choix pédagogiques afférents ; elle engage des choix politiques de société quant à son rapport à la différence et la prise en compte de la diversité. Comme le précise également Felicity Armstrong41, qui fait écho à la pensée de Plaisance, Gardou et alii42 la politique de l’inclusion suppose un radical changement en faveur de l’accueil de la diversité : « y compris les enfants en danger d’être marginalisés pour des raisons sociales, économiques ou politiques, du fait d’attitudes discriminatoires». Une convergence de points de vue peut être identifiée autour de cette idée que l’inclusion engage une ré-organisation sociale capable de modifier son fonctionnement pour accueillir les personnes en situation de handicap ou risquant de le devenir. Ainsi, les différentes catégories de handicap fonctionnent moins comme des « étiquettes » inamovibles qui s’appliquent à des réalités au point de « coller »43 (Douglas, 1999, p.17) à la peau des personnes que comme des indications de besoins spécifiques propres à évoluer en fonction des personnes et des conditions d’accueil et de prise en compte qui lui sont faites. Le Rapport Blanc publié en 201144 fait état d’une augmentation du nombre d’enfants handicapés scolarisés en milieu « ordinaire » équivalent à un tiers pour l’ensemble du premier et du second degré. Pour autant, que dire de l’accueil des enfants en situation de handicap avant la scolarisation obligatoire ? Certes, l’école maternelle fait partie de l’école primaire, mais le distinguo entre école maternelle et école élémentaire n’est pas établi et l’accueil des jeunes enfants handicapés en crèche n’est que rarement traité45. Dès lors, nous46 nous sommes demandé quelle est la situation d’accueil de ces jeunes enfants âgés de moins de six ans, comment des professionnels non spécialisés et des parents vivent la prise en compte du handicap et quelles transformations la politique inclusive induit-elle dans le secteur de la petite enfance. Quelques chercheurs du laboratoire CIVIIC du département des sciences de l’éducation de l’université de Rouen ont mis en œuvre un projet de recherche sur l’accueil des jeunes enfants en situation de handicap avec le soutien des Grands Réseaux de Recherche (GRR) de Haute-Normandie. Il s’agit ici de croiser une analyse des textes de loi et de certaines décisions gouvernementales prises dans le cadre de la politique éducative menée avec celle des trente 41 Armstrong, F. (2012). Débusquer l’idéologie : l’exemple d’une école en Angleterre. In : D. Poizat (Dir.) Education et handicap. D’une pensée territoire à une pensée monde. Toulouse : érès. 42 Plaisance, E., Gardou, C., Develay, M. & Morvan, J-S. (Coll. 2001). Situations de handicaps et institutions scolaires. INRP. 43 Les mots employés écrits en italiques font référence à un passage de l’ouvrage de Mary Douglas (1999). Comment pensent les institutions ? Paris : Ed. La Découverte/M.A.U.S.S. p.115, repris dans l’article de Charles Gardou & Eric Plaisance (2001). Présentation. In : Revue Française de Pédagogie, n°134, p.5-13. 44 Rapport au Président de la République « La scolarisation des enfants handicapés », Paul Blanc, mai 2011. 45 A noter : la recherche « Intégration du jeune enfant handicapé en crèche et maternelle », CTNERHI, publiée en 1981. 46 Les membres du laboratoire CIVIIC ayant participé au recueil de témoignages et à leur analyse sont : Laurence Thouroude (porteuse de projet), Martine Janner-Raimondi, Diane Bedoin, Catherine Renoult-Wittorski, Michèle Lemeunier-Lespagnol. Il s’agit d’un projet fédératif financé par les Grands Réseaux de recherche (GRR) de Haute-Normandie. 10 [Tapez un texte] quatre entretiens semi-directifs menés auprès de professionnels non spécialisés — en école maternelle et en crèche — et de parents d’enfants en situation de handicap. Cinq ans après la loi, plusieurs éléments critiques apparaissent dans le rapport Blanc : le déficit de formation des équipes éducatives, le développement exponentiel de prescriptions d’AVS-i, le recours du ministère de l’Education Nationale à des contrats précaires qui ne permet pas un accompagnement dans la durée et n’apporte pas de réponse aux besoins des enfants handicapés pour occuper ces fonctions d’assistant, enfin la très forte augmentation de qualifications sous le terme de handicap de troubles du comportement ou des apprentissages tels, notamment, les « dyslexiques ». En juillet 201247, un autre rapport, établi à la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois par Campion et Debré, fait état, dans le premier degré, de l’augmentation de l’inclusion d’enfants handicapés en classes « ordinaires » de 19,6% depuis 2005. L’inclusion est plus forte dans le premier degré qu’au second avec un pourcentage de 1,9 contre 1,4. Le rapport Blanc avait déjà mentionné environ 20 000 enfants non scolarisés dont près d’un quart vivant avec leurs parents en attente d’une solution, Campion et Debré (2012) soulignent la présence en grand nombre d’enfants handicapés français dans les structures spécialisées belges ; certaines familles déménagent pour pouvoir en bénéficier. Par delà les limites de l’application de la loi, la difficulté des familles d’enfant porteur de handicap apparait en creux ainsi que le sentiment d’inégalité et d’injustice. L’examen du rapport entre classes spécialisées d’intégration scolaire, devenues depuis 2009, classes d’inclusion scolaire48 (CLIS)- en établissements ordinaires et la scolarisation d’enfants handicapés, fait ressortir trois points saillants49entre 2005-2006 et 2009-2010, au niveau du premier degré : -­‐ le nombre de CLIS a progressé de 5,2% alors que les effectifs d’élèves handicapés scolarisés en classes « ordinaires » ont augmenté d’environ 200%. -­‐ le nombre de postes « CLIS Handicap » a progressé de 15,4%. -­‐ le nombre de postes d’enseignants alloués à l’adaptation et à la remédiation pédagogique (option E) en réseaux d’aides (RASED) a diminué de 21,2%, tout particulièrement depuis 2009-2010. Etant donné que le nombre de postes spécialisés CLIS est supérieur au nombre de classes CLIS, la croissance du nombre de postes spécialisés sur le handicap de type CLIS ne reflète pas une plus grande capacité d’accueil d’enfants handicapés. Cet écart renvoie plutôt à la titularisation de personnels non spécialisés déjà en postes sur des classes spécialisées, via la passation des épreuves de certification (CAPA-SH option D). Par ailleurs, on constate une diminution drastique du nombre des postes d’adaptation des RASED pour les élèves en difficulté d’apprentissage, mais non handicapés. Dès lors, si d’un côté l’offre d’accueil pour enfants handicapés n’a pas augmenté et si, d’un autre le nombre des personnels spécialisés présentés par l’institution comme « personnels ressources » diminue, alors nous pouvons nous interroger sur la signification du projet global de prise en compte des besoins spécifiques. S’agit-il d’envoyer tous les élèves en grande difficulté ou en situation de handicap en classes « ordinaires » avec des personnels non spécialisés et non accompagnés ? Où vont ces élèves et que deviennent-ils ? Comment penser éthiquement qu’une telle mise en œuvre de la loi puisse les aider à grandir ? Paul Blanc écrit lui-même : « compte tenu de l’évolution des types de déficiences (augmentation des troubles du comportement et des apprentissages), on 47 Rapport d’information au nom de la commission pour le contrôle de l’application des lois (Sénat) « Loi Handicap : des avancées réelles, application encore insuffisante », Claire-Lise Campion & Isabelle Debré, juillet 2012. 48 Circulaire n°2009-087 du 17 juillet 2009. 49 Rapport au Président de la République « La scolarisation des enfants handicapés », Paul Blanc, mai 2011. 11 [Tapez un texte] peut s’interroger sur l’opportunité de continuer à réduire dans de telles proportions les postes de l’adaptation50». Le rapport de 2012 indique des écarts entre les départements sont considérables, qu’il s’agisse : des temps de scolarisation qui ne dépassent pas quelques heures par semaine, de l’élaboration approximative, voire, inexistante ; du projet personnalisé de scolarisation pourtant exigé depuis la loi de 2005, d’un manque d’harmonisation entre les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ; ou bien encore, d’un manque de coordination entre académies. Il est noté que la suppression des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) a eu pour effet d’envoyer les élèves en difficulté vers des classes spécialisées au sein d’établissements « ordinaires » appelées classes d’inclusion scolaire (CLIS) pour le premier degré, ou unités locales d’inclusion scolaire (ULIS) pour le second degré alors même que ces dispositifs étaient censés être réservés aux jeunes handicapés. Cette affirmation mériterait d’être étudiée. Mais l’inclusion ne concerne pas que les personnels enseignants non spécialisés et non formés au handicap. Les rapports mentionnent aussi le recours croissant à des personnels d’accompagnement non formés à faible niveau de qualification : qu’il s’agisse d’assistants d’éducation individuel (AVS-i), d’assistant d’éducation collectif51 (AVS-co), recrutés à niveau IV sous contrat public pour 35 heures/ semaine ou d’emploi vie scolaire (EVS)52 de contrats aidés, de droit privé, n’ayant aucun niveau de qualification requis, d’une durée courte (entre 6 mois et 1 an) pour environ 24 heures /semaine. Comme le précise Joël Zaffran53, « Il n’est pas rare que l’attribution d’un emploi vie scolaire (EVS) comble l’absence d’AVS même si, sur un plan juridique, un EVS ne peut se substituer à un AVS. Crées dans un but de lutte contre le chômage, les candidats à un EVS sont proposés par l’ANPE, qui cible les demandeurs d’emploi de longue durée et les chômeurs âgés de plus de cinquante ans. On peut s’interroger là encore sur la réponse apportée aux besoins de l’école et des parents par des emplois… peu pérennes, occupées par des personnes insuffisamment voire pas du tout formées à la question du handicap. » (2007, p. 87). La loi du 11 février 2005 sur l’inclusion scolaire révèle une politique paradoxale entre : d’un côté, les annonces politiques faites ; et de l’autre, les conditions réelles d’application de la loi concernant les tâches d’inclusion, d’aide et d’accompagnement données aux personnels les moins qualifiés et les plus vulnérables (AVS-i et EVS). Dès lors, nous pouvons interroger le sens de cette rhétorique de l’inclusion. Comment ne pas y voir une rhétorique de l’implicite qui affiche un discours et ne se préoccupe pas de sa mise en œuvre ? Ces écarts interpellent nécessairement le questionnement d’ordre éthique sur des questions qui touchent d’aussi près la détresse et la vulnérabilité humaine. Concernant les dispositifs d’accompagnement, l’évolution exponentielle du nombre d’élèves handicapés accompagnés est l’un des effets majeurs de la loi de 2005, repéré dans le rapport Blanc. L’accompagnement par les AVS-i progresse, entre 2005 et 2011, de 226% pour le premier degré. Il convient de noter toutefois, qu’entre 2009-2010 et 2010-2011, le pourcentage ne s’élève qu’à 14,9%. Autrement dit, l’infléchissement du nombre d’attributions d’AVS-i peut s’expliquer par la considération54 — dont fait état ce rapport de 2012 — d’un 50 Ibidem, p.20. Ces assistants d’éducation, qui exercent les fonctions d’auxiliaires de vie scolaire pour l’intégration d’un élève handicapé, doivent bénéficier d’une formation de 60 heures. cf. circulaire n° 2002-113 du 30 avril 2002. Or, cette formation n’a, le plus souvent, pas été mise en place. 52 Ces emplois vie scolaire, recrutés sur contrats aidés par les chefs d’établissement pour un total horaire assez variable. 53 Zaffran, J. (2007). Quelle école pour les élèves handicapés ? Paris : La Découverte. 54 Le rapport Blanc de 2011 invitait à se montrer prudent quant à la systématisation du recours aux AVS-i dans le cadre des projets d’inclusion, évoquant notamment un risque pour le développement de l’autonomie des élèves 51 12 [Tapez un texte] rôle pouvant parfois « nuire à la scolarisation des élèves handicapés », faute de formation notamment. Il est rappelé combien les contraintes budgétaires ont pesé sur le recours par le ministère de l’éducation nationale à des contrats aidés en employant plutôt des EVS que des AVS. Sur ce point, le rapport Blanc 55(2011) émet déjà plusieurs critiques : la durée limitée des contrats des EVS « ne permet pas une réelle continuité de l’accompagnement » et le faible niveau scolaire des EVS « constitue une limitation certaine à la pertinence de l’accompagnement des enfants dans le second degré ». Par ailleurs, les EVS ne disposent pas d’une formation obligatoire « et compte-tenu de leur durée de contrat limitée, (ils) sont peu à même de capitaliser sur leur expérience ». Ces remarques inspirent les commentaires suivant : penser que l’absence de qualification scolaire des EVS n’affecte que l’accompagnement d’élèves du second degré ; c’est accorder peu d’importance aux apprentissages du premier degré. Penser de plus, que l’absence de formation et la courte durée du contrat empêchent toute capitalisation d’une telle expérience professionnelle signifie qu’un tel accompagnant n’apprend rien de celle-ci. Quelle reconnaissance dès lors lui accorder, pire : n’est-ce pas réduire son travail à une pure vacuité ? Si entre 2006 et 2010, le nombre d’AVS-i augmente de 118,5% ; celui des EVS augmente de 160,3%. La progression du recrutement d’EVS, à moindre coût économique, pour accompagner les élèves handicapés interpelle le sens et la portée de la loi d’un point de vue éthique. En outre, l’absence de formation, tant du côté des enseignants « ordinaires » qui accueillent de plus en plus d’enfants handicapés que de celui des accompagnants (EVS et AVS compris), n’équivaut-elle pas à ajouter un handicap supplémentaire aux enfants concernés ? Comment une politique peut-elle à la fois promouvoir l’inclusion en se montrant « généreuse » en termes de droits compensatoires, et, de l’autre, employer à moindre coûts le personnel sensé les accompagner et les aider ? Cela ne revient-il pas à adresser deux messages contradictoires ? Le contenu manifeste de la loi, malgré son haut statut juridique, peut-il encore après analyse apparaitre crédible ? Quel rapport de confiance et de crédibilité peut-il encore exister face à une situation qui surajoute de la peine à ceux qu’elle affirme aider, alors même que ces derniers sont parmi les plus vulnérables ? Certes convient-il comme le rappelait Daniel Mellier dans une conférence donnée en 56 2014 , de tenir compte du fait que pour les instigateurs de la loi de 2005, l’horizon des attentes se situait autour d’une vingtaine d’années, tant les contenus promulgués bousculent les pratiques et les mentalités. Or, alors même que le récent article 1 de la loi pour la Refondation de l’Ecole du 8 juillet 2013, réaffirme le principe de l’inclusion et la possibilité pour tous d’apprendre, ce sont toujours les modalités de mise en œuvre qui interpellent le questionnement éthique : il a fallu attendre la rentrée 2014-2015 pour qu’un module obligatoire sur la prise en compte des besoins éducatifs particuliers de 24 h soit mis au programme du master MEEF 1° degré. Pourquoi chercher à combiner logique d’inclusion et logique comptable à court terme de réduction du chômage des personnes non qualifiées ? handicapés concernés. Il proposait déjà l’idée d’assistant de scolarisation non rattaché à un enfant particulier et exerçant différentes missions comme la surveillance, l’aide, l’accompagnement sur un temps plus ou moins ponctuel. 55 Rapport au Président de la République « La scolarisation des enfants handicapés », Paul Blanc, mai 2011, p.25. 56 Conférence du Professeur Daniel Mellier, référent handicap de l’université de Rouen « Le concept d’accessibilité universelle et les travaux en cours », Journée d’étude intitulée « La personne en situation de handicap au cœur de l’accessibilité universelle. Des compétences, des besoins, des aspirations mais quels choix ? », 8 octobre 2014, ESPE de l’académie de Rouen, Université de Rouen, laboratoire CIVIIC, Université du Havre. 13 [Tapez un texte] Comment ne pas discréditer l’une et l’autre des problématiques ? Pour Joël Zaffran (2014)57 : « un système n’est juste que si les membres de celui-ci se mettent d’accord sur les règles et les procédures de fonctionnement, ces dernières devant être publiquement reconnues. (…) C’est la raison pour laquelle l’inclusion scolaire doit s’inscrire dans une politique globale d’éducation et de formation professionnelle. » (2014, p. 108). Nous pensons que cette loi relève d’une rhétorique de l’implicite dans la mesure où l’annonce ne correspond pas aux possibilités réellement offertes pour la mettre en œuvre. Logiques implicites de ces rhétoriques Il apparaît dans ces exemples des points communs à la fois dans les discours tenus par les promoteurs de ces dispositifs (logos), mais aussi dans la manière dont les initiateurs se présentent à leur public (ethos) et enfin dans l’idée qu’ils se font du public à persuader (pathos). Ces points communs nous semblent sous-tendus par certaines conceptions de l’éducation, de la formation, du travail, mais également du « bon professionnel », lesquelles constituent ce que nous appellerons ici les « dessous » de la rhétorique à l’œuvre. Tableau des constituants de la rhétorique de l’implicite / exemples étudiés Programmes de technolo-gie 1996 Logos -discussion du Conseil National des Programmes sur les choix des programmes de technologie) Ethos -consultation (Conseil National des programmes et Groupe d’Experts pour les Programmes Scolaires) Une dramatisation discours -aidant pour les enseignants et les élèves : « Le CNP préconise une confrontation réelle à la matière et à l’irréversibilité qui peut exister dans son façonnement : c’est un moyen aussi pour responsabiliser efficacement les élèves dans leurs initiatives.» du - Le conseil national des programmes (CNP) signifie son désaccord avec le groupe d’experts pour les programmes scolaires : « avec pour ces derniers - les scénarios de projet - une absence de toute notion précise à acquérir. Il serait pour le moins paradoxal que la technologie devienne la seule discipline où n’apparaisse aucune exigence de connaissance » « l’écart ‘surprenant’ entre les compétences instrumentales visées en fin de cycle qui relèvent pour le moins du ‘bricolage’ (…) et la référence permanente aux pratiques en entreprise » - qui annonce un souci de prise en compte de la pluridisciplinarité des savoirs : -se présenter du côté des élèves et des enseignants : Cf. le CNP salue la limitation des ambitions jugées démesurées au regard de la maturité des élèves. Pathos -les « acteurs » de la mise en œuvre des programmes -Les enseignants n’ont pas à être consultés sur la conception des programmes. La logique semble relever d’une vision applicationniste des programmes qui se décident ailleurs et par d’autres. -Le groupe d’experts pour les programme n’est pas reconnu dans son expertise car ces derniers sont jugés peu soucieux des enjeux des connaissances notionnelles en technologie, ni respectueux du niveau réel des élèves. Les visées en termes de compétences apparaissent trop nombreuses et trop portées sur le milieu entrepreneurial. -Le CNP ne se préoccupe pas seulement des contenus à enseigner mais également des conceptions d’enseignement à promouvoir qui puissent être en adéquation avec 57 Zaffran, J. (2014). L’école inclusive et la réussite éducative. In : P. Legros (dir. 2014). Les processus discriminatoires des politiques du handicap. Grenoble : P.U.G., p. 97-110. 14 [Tapez un texte] « la quasi absence concomitante de fléchage des relations avec les autres disciplines » Education routière (2001) et à l’euro (2002) Nouvelle politique du handicap l’âge et les capacités des élèves. -rappeler le sens -présenter les institutions Certains contenus d’enseignement échappent aux instances de décision et sont directement commandés par le ministère. -injonction institutionnelle assignant des missions qui débordent le cadre habituel de l’école (s’adresse à tous les niveaux d’enseignement et à tous les publics y compris non enseignants) Une dramatisation du discours élaboré dans le cadre de circulaires d’application et non de textes de loi : «En 2001, 120000 accidents corporels ont tué près de 8000 personnes sur les routes de France. La population jeune est particulièrement touchée par l’insécurité routière… » Une prescription systématique pour un changement radical « En toute occasion, le sens du passage à l’euro sera rappelé aux élèves. …Une semaine du 22 au 27 octobre sera particulièrement consacrée aux opérations liées à cette ultime préparation. Elle doit concerner tous les niveaux d’enseignement, de l’école maternelle, jusqu’au lycée, tous les publics accueillis en formation, tous les publics accueillis en formation… » Un texte de loi qui permet d’affirmer un droit à compensation et à la scolarisation et de favoriser la participation à la citoyenneté pour la personne handicapée. « La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie…. » « … Ces réponses adaptées prennent en compte l'accueil et l'accompagnement nécessaires aux personnes handicapées qui ne peuvent exprimer seules leurs besoins. Les besoins de compensation sont inscrits dans un plan élaboré en considération des besoins et des aspirations de la personne handicapée tels Une loi qui se présente comme un progrès vers un paradigme plus inclusif. Cette compensation consiste à répondre à ses besoins, qu'il s'agisse de l'accueil de la petite enfance, de la scolarité, de l'enseignement, de l'éducation, de l'insertion professionnelle, des aménagements du domicile ou du cadre de travail nécessaires au plein exercice de sa citoyenneté et de sa capacité d'autonomie, du développement ou de l'aménagement de l'offre de service, permettant notamment à l'entourage de la personne handicapée de bénéficier de temps de répit, du développement de groupes d'entraide mutuelle -une sorte d’ « infantilisation » des acteurs censés mettre en application les injonctions institutionnelles assortie d’une stratégie de contournement des dispositifs existant en matière de régulation des nouveaux programmes. Les enseignants ne sont pas consultés sur ces nouveaux contenus de programmes. La logique de la politique publique semble relever d’une vision applicationniste des programmes qui se décident ailleurs et par d’autres. Les enseignants doivent appliquer les directives ministérielles alors même que leurs contenus auront échappé aux dispositifs existants – Conseil Supérieur de l’Education, groupe d’experts, Conseil National des programmesLes « acteurs » de la mise en œuvre de cette loi enseignants, auxiliaires de vie scolaire, emplois vie scolaire, familles, enfants – sont censés s’adapter comme « ça se fait naturellement » et n’ont, dès lors, pas besoin de formation spécifique. La très forte progression du recrutement des EVS, à moindre coût financier, pour accompagner les enfants handicapés renforce cette logique. -AVS «La référente handicap ne m’a posé aucune question sur mon parcours, sur moi … Elle m’a présenté une dizaine d’enfants. Et elle m’a dit ‘qu’est-ce que vous prenez ?’ Alors sur le moment, j’étais très gênée et puis j’ai choisi l’école qui était la plus proche 15 [Tapez un texte] Traits communs qu'ils sont exprimés dans son projet de vie, formulé par la personne elle-même ou, à défaut, avec ou pour elle par son représentant légal lorsqu'elle ne peut exprimer son avis. » Loi du 11 février 2005 ou de places en établissements spécialisés, des aides de toute nature à la personne ou aux institutions pour vivre en milieu ordinaire ou adapté, ou encore en matière d'accès aux procédures et aux institutions spécifiques au handicap ou aux moyens et prestations accompagnant la mise en œuvre de la protection juridique régie par le titre XI du livre Ier du code civil…. » » Loi du 11 février 2005 -urgence -valorisation d’un changement -rupture nécessaire -faire bouger les pratiques de travail -c’est mon responsabilité * rôle, ma … A la fin j’ai posé une question ‘Quel est le critère pour embaucher les personnes qui s’occupent comme ça des enfants handicapés ? ‘ -Du moment qu’ils ont le bac, c’est bon. -ça m’a un peu choqué » -Enseignante « j’ai fait ce que j’ai pu, j’ai pas une formation spécifique par rapport à ce que j’aurai pu lui proposer pour que ça aille plus loin, plus vite, mieux. A mon humble avis j’ai fait ce que j’ai pu avec mes humbles moyens… voilà dans son attitude, effectivement c’était très très difficile d’aller où je voulais l’emmener par ce que … voilà, il est tel qu’il est et j’avais pas forcément ce qu’il fallait. » -un « public » à mettre en mouvement -il doit « obéir », « faire »… * * Les traits communs concernant les discours tenus par les promoteurs des dispositifs et des réformes, la manière dont ils sont présentés traduisent des « non-dits » qui permettent d’inférer des interprétations herméneutiques des intentions et conceptions implicites sousjacentes. Ainsi, concernant le changement social et politique : il est d’abord institutionnellement impulsé sous couvert de consultation « démocratique ». L’autonomie prescrite des individus est sous contrôle (promotion de l’autonomie mais le renforcement de son contrôle n’est pas affiché), laisser penser que les circonstances nous obligent à changer et asseoir la légitimité d’interventions fortes des institutions sur cette nécessité affichée. Le changement n’est donc plus circonscrit dans le temps mais apparaît en continu, donnant à penser que la situation de crise est permanente ce qui « oblige » d’incessantes réponses adaptatives. En outre, une nouvelle vision de l’activité annoncée comme devant être plus « transparente » (la plus visible possible, rendre des comptes, évaluable) mais également pilotée par ses résultats et son efficacité. La meilleure formation devient celle qui se réalise dans l’exercice même de l’activité valorisant ainsi la formation sur le tas développant des apprentissages en fonction des contingences du travail. Le bon professionnel est celui capable d’appliquer la prescription tout en s’adaptant et en développant des compétences d’autonomie dans le cadre contraint de l’institution – sorte d’autonomie très hétéronome-. Les situations évoquées indiquent bien un écart caractéristique d’une stratégie consistant à exprimer une intention autre que celle qui guide l’activité en réalité. Dans la consultation des enseignants sur les programmes, l’enjeu relève selon notre interprétation d’une « flexibilité au programme de travail » des enseignants de façon à ce qu’ils se préparent et s’adaptent aux changements prescrits. 16 [Tapez un texte] Dans l’exemple des injonctions de programmes sans consultation, l’enjeu consisterait en une « flexibilité identitaire » de façon à ce qu’ils se montrent « utiles » à la société civile, partant, à l’Etat gestionnaire qui les emploie. Avec la loi du 11 février 2005, sur le handicap, nous percevons l’intention « sousjacente » d’une politique à moindre coût, qui se révèle par l’absence d’accompagnement des professionnels. Une telle mise en œuvre exige d’eux un changement radical de pratiques qui fait écho aux dynamiques d’innovation. Comment penser qu’avec le recours aux emplois aidés, notamment, la loi offre de réelles perspectives réelles d’inclusion des personnes en situation de handicap ? Là aussi, des enjeux de flexibilité en termes identitaire tant au niveau des missions que des pratiques s’avèrent probants. 17