LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 910 - juillet-août 2016 11
mémoire
M
essieurs, le 14 juillet, c’est la fête
humaine. Cette gloire est don-
née à la France, que la grande
fête française, c’est la fête de toutes les nations.
Fête unique. Ce jour-là, le 14 juillet, au-dessus
de l’Assemblée nationale, au-dessus de Paris
victorieux, s’est dressée, dans un resplendisse-
ment suprême, une gure plus grande que toi,
Peuple, plus grande que toi, l’Humanité ! » (1)
Entre l’Assemblée nationale et le Sénat, les
débats furent âpres, à l’issue desquels fut
promulguée la loi du 6 juillet 1880 instituant
le 14 juillet, fête nationale de la République
française.
Fallait-il célébrer le 14 juillet 1789, prise
de la Bastille, symbole de l’arbitraire, par le
peuple de Paris ? Constitué en milices sous la
menace de troupes étrangères, manifestant
pour du blé les jours précédents, il incendiait
les barrières de l’octroi, pillant le couvent
Saint-Lazare ! Fallait-il glorier cette multi-
tude victorieuse, qualiée par Chateaubriand
d’« ivrognes heureux, déclarés conquérants
au cabaret » (2) ? Ou le 14 juillet 1790, fête de
la Fédération proposée par Lafayette pour
commémorer l’unité de tous les Français, à
l’occasion de ce premier anniversaire ? Cette
fête grandiose précédée d’une messe, ne vit-
elle pas les fédérations de gardes nationaux
monter des provinces au Champ de Mars
pour entendre le roi prêter serment, s’en-
gageant solennellement devant la Nation à
maintenir la Constitution et la loi ? Ne fut-
elle pas l’occasion d’embrassades remplies
d’espoir ? Le symbole resta double : à la fois
celui d’un peuple émancipé de l’arbitraire,
citoyen conscient d’être acteur de sa propre
Histoire, et celui d’une Nation fédérée.
Les débats n’étaient pas clos le 14 juillet
1919. La veille du « délé de la victoire »,
Jore, Foch et Pétain recevaient leur épée
de maréchal avant de conduire un cortège
de militaires comptant symboliquement
1 000 mutilés et gueules cassées. Une pho-
to prise ce jour-là place de la Concorde té-
moigne de l’hécatombe : une foule noire du
deuil des veuves, orphelines, sœurs ou an-
cées… Les socialistes, critiques sur le Traité
de Versailles, dénoncent alors le mot « vic-
toire », appelant à une morale publique fon-
dée sur le respect des disparus, tandis que les
catholiques dénoncent une fête laïque et que
les anarchosyndicalistes fustigent son milita-
risme. L’heure est à la conquête de la loi des
8 heures, arrachée n avril après nombre de
grèves engagées dès le XIXe siècle.
Un nouveau mot,
le fascisme
En Europe, un nouveau mot s’arme
trois ans plus tard. Fin octobre 1922,
Mussolini a marché sur Rome avec ses
chemises noires. Le fascisme a installé
un régime d’exception, interdit tous les
partis politiques autres que lui-même,
déchu tous les députés, pourchassant dé-
mocrates et syndicalistes avec sa police
secrète, transformant l’Albanie en une
sorte de protectorat avant de l’occuper
en 1939, après avoir envahi l’Éthiopie.
En Pologne, après le coup d’État de 1926,
le ministre de la guerre Pilsudski règne
sur le gouvernement nationaliste autori-
taire. En Lituanie, un autre coup d’Etat a
choisi pour premier ministre Augustinas
Voldemaras, chef du groupuscule fasciste
« Les Loups de fer ». En Roumanie, le roi
Carol, dictateur depuis 1930, nance « La
Garde de fer ». En Yougoslavie, monarchie
absolue depuis 1920, les oustachis, ouver-
tement fascistes, attendent leur heure,
tandis qu’en Hongrie, règne la « terreur
blanche »… L’Espagne a vécu la dictature
militaire de Diégo de Rivera entre 1923
et la proclamation de la République en
1931. En 1933, une coalition formée par
des catholiques conservateurs proches
des fascismes montants, muselle dans le
sang les mouvements sociaux.
Dès 1921, les Sections d’Assaut sèment la
terreur dans les rues d’Allemagne. Le parti
nazi, nancé par l’anticommunisme des
grands industriels, se développe jusqu’à
remporter les élections. Nommé chance-
lier en janvier 1933, Hitler tire parti d’un
nouveau média, la TSF, et obtient vite
les pleins pouvoirs, ouvrant les premiers
camps de concentration pour ses oppo-
sants réels ou supposés, sous la garde des
SA et des SS…
Venus de partout, nombre de juifs et de
démocrates pourchassés se réfugient au
« pays des droits de l’homme », où le crash
boursier se fait déjà sentir.
Ici, la SFIO et les communistes ont fait scis-
sion en 1920. Le Cartel des gauches asso-
cie bien socialistes et radicaux, mais les
socialistes, toujours marxistes,
n’entrent pas au gouvernement (3).
Les congrès pour la paix et
le désarmement se multiplient
sans s’unir. Fin mai 1932, Henri
Barbusse et Romain Rolland
lancent dans L’Humanité un
« Appel pour un Congrès mon-
dial contre la guerre impéria-
liste ». Il s’adresse « à tous les
hommes et toutes les femmes
sans tenir compte de leurs a-
liations politiques et toutes les
organisations ouvrières, cultu-
relles, sociales, syndicales ».
L’appel sollicite aussi les syn-
dicats, qu’ils soient aliés à la
Section Internationale Rouge
ou à la Fédération Syndicale
Internationale d’Amsterdam.
Un comité de préparation de
26 membres est fondé, qui réu-
nit toutes les tendances, du
monde universitaire aux ou-
vriers et paysans. Les 27 et
28 août suivants, à Amsterdam,
le Congrès mondial de lutte
contre la guerre rassemble 53 %
de personnes non syndiquées.
Il fusionnera avec le Congrès européen
contre le fascisme et la guerre, tenu Salle
Pleyel à Paris du 4 au 6 juin 1933.
L’époque est divisée, instable, incer-
taine. En 1933, des néo-socialistes comme
Marcel Déat, ont fait scission avec la SFIO.
Ils veulent un socialisme national. Blum
réagit : « je vous dirai simplement que la
propagande socialiste n’est pas une pro-
pagande d’autorité, qu’elle n’est même pas
une propagande d’ordre au sens où vous
l’entendez, mais qu’elle est une propagande
de liberté et une propagande de justice. »
Député-maire communiste de Saint-Denis,
Jacques Doriot clame : « Devant le fascisme
qui nous menace, c’est dans nos rangs que
se trouve votre place. En avant, Saint-Denis,
en avant ! ». Mis en minorité par sa sec-
tion, il démissionne de ses mandats avant
d’être exclu par son parti en juillet 1934 (4).
Entre mai 1932 et février 1934, la France
a connu 6 gouvernements. Conclu en
octobre 1932, le traité franco-soviétique
de non-agression sera suivi d’un traité
d’assistance mutuelle signé en mai 1935.
La République en danger
L’antiparlementarisme est attisé par les
nombreux scandales politico- nanciers,
dont l’aaire Stavisky reste embléma-
tique. Les temps sont aux ligues aux
allures de plus en plus militaires. Dès
début janvier 1934, l’Action française,
les Camelots du roi, les Jeunesses pa-
triotes et leurs « groupes mobiles », la
Ligue des contribuables se rejoignent
dans la rue conjuguant royalisme, anti-
communisme, antisémitisme et haine des
francs-maçons. Le 27 janvier, les commu-
nistes, eux aussi dans la rue, scandent « des
soviets partout ! ». Ce jour-là, sous la pré-
sidence d’Albert Lebrun, le gouvernement
dirigé par Chautemps, radical-socialiste
et franc-maçon, se termine. Il convient
d’écarter tous ceux qui ont pu sembler
mêlés à l’aaire Stavisky. Le 6 février, le
nouveau gouvernement doit être présen-
té à la Chambre lors de l’investiture de
Daladier, autre radical, futur initiateur
au Congrès de Nantes du slogan des 200
familles : « 200 familles sont maîtresses de
l’économie française, et de fait, de la po-
litique française ». La droite cherche une
occasion de se débarrasser du Cartel des
gauches, majoritaire depuis 1932. Les
phalanges universitaires pensent qu’une
révolution d’extrême gauche se prépare
à l’Assemblée. L’Action française et les
Camelots du roi veulent « renverser la
gueuse ». Ceux de Solidarité française,
nancée par le parfumeur Coty et les
membres de la francisque se joignent à eux.
Ce 6 février, aux cris de « A bas les
voleurs », 50 000 manifestants et émeu-
tiers font face aux gardes-mobiles place de
la Concorde. La police tire. Plus de quinze
morts seront comptés au matin. Daladier a
démissionné dans la nuit pour former un
gouvernement d’union nationale, essen-
tiellement composé de gures de droite,
parmi lesquelles Pétain au ministère de
la Guerre.
Après la contre-manifestation du
9 février, où l’on déplore cinq morts, la
CGT et la CGTU appellent ensemble
à la grève générale dans tout le pays le
12 février. Chacun de son côté, la SFIO
et les communistes appellent à manifes-
ter à Paris. Spontanément, les cortèges
se rassemblent et fusionnent aux cris de
« Unité, Unité ». Pressée par les argu-
ments de Maurice orez et Eugène Fried,
l’Inter nationale de Dimitrov nira par
Fêtes du 14 juillet…
A la conquête du droit de vivre
De l’institution de la fête nationale au serment du Front populaire de 1936, de la Résistance clandestine à la victoire sur le fascisme,
les 14 juillet n’ont cessé d’armer la vitalité de la démocratie républicaine.
La journée du serment. Manifestation du
14 juillet 1935 de la Bastille à Vincennes.
© Photographie de Fred Stein. fredstein.com
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