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Iguana roja
connaissance scientifique – la plus grande accumulation possible d’exemples et de faits, mais
« l’accomplissement » ou la présentification « exemplaire » de faits humains singuliers, la saisie
et la fixation des « essences pures » sur un « fondement » ou un point de départ exemplaire3. »
La corrélation constante qu’établit Binswanger entre essence de la maladie et essence de
l’homme, entre la vie et les manifestations pathologiques, constitue une rupture
épistémologique par rapport à la visée substantialiste qui autonomise la maladie mentale au
moyen d’un processus biologique déterminé.
Binswanger insiste beaucoup dans ses écrits sur la notion d’anthropologie. C’est un
homme qu’il s’agit de soigner et non pas des organes. Cette prise en compte est fondamentale
au point que c’est dans l’anthropologie qu’il entend fonder la psychiatrie. Cette fondation ne
va pas de soi et c’est dans la philosophie que Binswanger va trouver une anthropologie assez
élaborée pour pouvoir à la fois ne pas en être l’esclave et à la fois bénéficier de sa structure.
Nous verrons combien la médecine ne peut être qu’amnésique de l’une ou l’autre des
anthropologies tissées dans les cultures humaines. D’ailleurs la médecine et la philosophie se
sont pendant longtemps côtoyées et ont élaboré de nombreux dialogues. « Lorsque comme
l’histoire déjà le montre, explique Binswanger, la science et la philosophie appartiennent
quand même à la même racine, ainsi, en premier lieu, dans la mesure où les sciences régissent
sans doute « les termes fondamentaux » du problème que pose l’étant qu’elles détiennent, la
philosophie, elle, pose la question de l’essence du fondement – en tant qu’action de
fondement et de cause – en d’autres termes, la question sur la fonction de fondement de la
transcendance4. » Plus qu’un dialogue, Binswanger établit un lien extrêmement important
entre la science et la philosophie. C’est de la philosophie que dépend la science en entier. « La
science dépend référentiellement de la philosophie justement dans la mesure où la propre
compréhension d’une science à l’égard d’elle-même en tant que substance d’une durée
facticielle, ne peut comprendre son être que sur le plan philosophique, c’est-à-dire de la
compréhension de l’être en général5. » La science n’est pas toute puissante, elle est
l’application technique d’un cadre plus vaste, plus essentiel, celui de la compréhension de
l’être en général. Certes, il y a des régions de l’être mais elles ne sont pas oublieuses les unes
des autres ni d’une dimension plus originelle. « Pourtant, nul ne guérira, écrit Binswanger, ne
sera vraiment guéri au plus profond de son être si le médecin ne réussit pas à faire jaillir en lui
3 L. Binswanger, Trois formes manquées de la présence humaine, p. 90.
4 L. Binswanger, Introduction à l’analyse existentielle, p. 249.
5 Ibid., p. 250.