Introduction
Le début du XVIIe siècle français porte un intérêt marqué au thème de l’illusion.
Cette problématique, qui est l’une des plus importantes pour l’esthétique baroque mais
également pour la science durant cette période d’instabilité sociale et religieuse, entraîne
un questionnement essentiel sur la perte des limites et des repères traditionnels. En
littérature, on retrouve ainsi dans les œuvres de l’époque, à côté des nombreuses figures
de magiciens, de comédiens et de songeurs1, plusieurs personnages de fous et
d’extravagants par lesquels s’exprime et se construit la fascination baroque pour la
fragilité des apparences – dont celle du langage2 – et pour la remise en question des
limites entre réalité et fiction.
Nous nous concentrerons ici spécialement sur l’inflexion particulière que prend le
thème de l’illusion à travers le discours de la folie dans la comédie et le roman comique3
des décennies 1630 et 1640, période que Patrick Dandrey appelle « l’âge des
1 Les personnages de magiciens, de comédiens et de songeurs sont fréquemment utilisés par les auteurs de
cette période (par exemple, Corneille dans ou Calderón de la Barca dans La Vie est un
songe), souvent afin de montrer la « confusion entre le réel et le rêve » (Christian Zonza, Le Baroque, Paris,
Gallimard (La bibliothèque Gallimard, n° 179), 2006, p. 71) ou entre la réalité et la fiction. L’époque
baroque, marquée par les récentes découvertes des explorateurs et des scientifiques qui remettent en
question certains principes fondamentaux et certaines croyances ayant longtemps fait loi, considère que le
monde est rempli de sources d’erreur et d’illusion comme dans le rêve, et que chacun y joue un rôle et y
porte un masque comme au théâtre.
2 Cette question sera centrale en ce qui nous concerne, puisque la parole des personnages extravagants
bouleverse constamment les assises du langage et de la communication. Dans plusieurs œuvres de l’époque,
le langage, en tant que construction humaine, est remis en question et montré comme une importante source
d’illusion. Malgré le fait que Le Menteur de Corneille soit un hommage au travail créateur de l’auteur, cette
pièce illustre également bien cette méfiance envers les mots, qui sont en mesure de créer le faux, de
tromper. On retrouve le même questionnement dans Les Visionnaires de Desmarets, où le père des trois
filles se laisse prendre au jeu de la rhétorique des extravagants qui lui paraissent tous être des partis plus
prometteurs les uns que les autres.
3 Occupant « une place quelque peu marginale dans un genre lui-même encore mal assuré », comme l’écrit
Jean Serroy dans Roman et réalité, le roman comique permet aux auteurs du XVIIe siècle de critiquer par le
biais de la fiction parodique les formes romanesques figées de l’époque. Avec Charles Sorel, Paul Scarron
et Antoine Furetière pour principaux représentants, il est « un laboratoire où s’expérimentent les formules
les plus originales, prenant ouvertement ses distances avec les formes établies du roman pastoral, héroïque
ou précieux, lesquelles, liées à des règles, ne bougent guère » (Jean Serroy, Roman et réalité. Les histoires
comiques au XVIIe siècle, Paris, Minard (Thèsothèque, no 9), 1981, p. 17).