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REMAIDES #90
On devrait toujours considérer l’arrivée d’un nouvel outil
de prévention comme une excellente nouvelle. Et
cela d’autant plus lorsque les études scientifiques en
démontrent l’efficacité. On devrait se réjouir de cette chance
supplémentaire de permettre à des personnes qui éprouvent
des difficultés avec les autres moyens de prévention (que
ces difficultés soient temporaires ou de longue date) de ne
pas s’infecter. Pourtant, dans ce domaine, chaque innovation,
chaque nouvelle piste, semble susciter chez nombre de
personnes méfiance, critique voire détestation. Il en va ainsi,
aujourd’hui, concernant la PrEP (la prophylaxie pré-exposition),
soit l’utilisation d’un traitement anti-VIH par des personnes
séronégatives de manière à le rester.
Il ne s’agit pas ici de défendre la PrEP : elle n’en a pas besoin !
L’accumulation de preuves scientifiques — je dis bien :
scientifiques — le fait déjà très bien. De plus, la décision des
autorités de santé américaines en 2012 — oui,
en 2012 ! —, puis les recommandations de
l’Organisation mondiale de la santé en juillet
2014 confirment bien l’efficacité et la pertinence
de cette stratégie, notamment pour les groupes
les plus exposés aux risques d’infection. Ce
soutien ne doit rien au hasard : il se fonde sur des résultats
d’essais cliniques et sur une modélisation qui indique que la
PrEP permettrait, à l’échelle mondiale, de réduire de 20 - 25 %
l’incidence du VIH chez les gays, pour ne citer qu’eux. Il se fonde
aussi sur un constat : les personnes les plus exposées au risque
d’infection par le VIH ne bénéficient pas des services de santé
(notamment de prévention) dont elles ont besoin. Enfin, ce
nouvel outil de prévention se veut complémentaire à ceux qui
existent déjà, notamment les préservatifs, qui ont montré depuis
plus de 30 ans leur grande efficacité, leur intérêt… mais aussi
leurs limites.
Car il s’agit bien de cela aujourd’hui : comment surmonter les
limites de l’existant, comment aller au-delà du constat que
certains outils de prévention sont inopérants pour certaines
personnes, dans certaines situations. Il existe des points
aveugles en matière de prévention, des angles morts. Certains
pensent que le dogme doit régner en matière
de prévention : hors du préservatif, point de
salut. Cette posture empêche d’innover, de
penser les besoins et l’intérêt de chacun,
surtout elle fait perdre des chances à des
personnes exposées aux risques d’infection.
La pièce est connue, elle a déjà agité les tréteaux. Le procès en
sorcellerie de la PrEP s’appuie sur les mêmes ressorts que celui
qui fut instruit, il y a quelques années déjà, contre la réduction
des risques sexuels. On connaît la suite ? Là encore, on veut faire
croire que le nouvel outil de prévention crée plus de problèmes
qu’il n’apporte de solutions. Là aussi, on prétend que la capote
ne s’en remettra pas. A tort !
Car c’est bien une faute de fermer des portes dans un domaine
aussi complexe que l’est celui de la prévention. C’est une
erreur de nier l’évidence : la santé s’accommode mal du
dogmatisme. Tout au contraire, on doit défendre
une prévention qui s’adapte, qui tient compte
des besoins évolutifs des personnes au cours
de leur vie, selon leur situation personnelle, les
groupes auxquelles elles appartiennent. Une
prévention qui combine les outils ; des outils qui,
potentiellement, s’adressent à toutes et tous. Bien sûr, chaque
outil doit être pensé, c’est-à-dire jugé à l’aune de ce qu’il permet,
adapté en tenant compte de ses limites, articulé avec l’existant,
accompagné. Pas plus que les autres outils, la PrEP n’est la
martingale de la prévention. Mais on sait qu’elle marche, qu’elle
évite et évitera encore des infections. Pour certaines personnes,
elle est une solution parmi plusieurs. Pour celles et ceux qui ne
savent plus à quels saints de la prévention se vouer, c’est LA
solution. Il ne faut pas se tromper. Le scandale aujourd’hui n’est
pas l’existence de la PrEP, mais qu’aucune décision n’ait encore
été prise pour sa mise à disposition effective chez nous. Des
experts y travaillent. Elle se tient là la bonne nouvelle à laquelle
nous travaillons depuis des mois. Mais il est vrai que pour nous,
l’arrivée d’un nouvel outil de prévention est toujours une bonne
nouvelle !
Bruno Spire, président de AIDES
Bonne
nouvelle !