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LA RESPONSABILITE SOCIETALE DES ENTREPRISES EN
ALGERIE : QUELLE REALITE ?
BENACHOUR Ratiba
Maitre de conférences B
Université Alger III, Faculté des SESCG
ratibabenachour@yahoo.fr
RESUME :
Depuis plusieurs années, la question de le citoyenneté de l’entreprise et
d’autres sujets voisins, telle que la responsabilité sociétale (RSE), est au
cœur des débats dans les milieux académique et non académique. Un cadre
théorique indépendant n’a jamais pu été proposé, cette notion est souvent
attachée à d’autres problèmes relevant du développement durable, de
gouvernance des entreprises ou du management moderne. Nous tentons, à
travers ce papier, d’éclairer ce concept en embrassant son aspect théorique et
pratique. On s’intéresse aussi à la réalité algérienne par rapport aux actions
mises en œuvre par le gouvernement en faveur de ce sujet, et en se
questionnant sur la situation des organisations algériennes vis-à-vis des
pratiques de la RSE
Mots clés : RSE, développement durable, Algérie, entreprise
Introduction
Avec la globalisation des marchés, on assiste à un renouvèlement de la
notion de l’entreprise et des fonctions du management, on passe à une
conception plus systémique ,qui renvoie à une conciliation entre le
développement économique et social, à une combinaison entre l’entreprise,
les individus et le futur, C’est ainsi, que plusieurs principes économiques ont
été générés relevant du Développement durable, de la gouvernance
d’entreprise ou du management responsable et c’est dans cette optique que
se trouve la notion de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) .
En effet, les entreprises se voient contraintes à adopter de nouveau
modèles d’organisation basés sur le respect d’une économie de changement
caractérisée par : une globalisation croissante, une évolution continue des
modes de consommation et d’une attention accrue aux questions éthiques.
Nous nous interrogeons, dans cet article, sur la définition de la RSE qui
oscille entre la perception des conséquences des activités
organisationnelles, ce qui est traduit par les stratégies de développement
durable au niveau des gouvernements, des régions ou des collectivités
locales, et l’analyse de la RSE, selon la philosophie de Jonas (1990) qui
propose de développer une éthique de la responsabilité poussant à anticiper
toutes les conséquences potentielles de nos actes.
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D’autre part, nous tentons de mettre au point la situation de la RSE en
Algérie, dans un souci de participer au débat, qui tourne autour de la
stratégie de développement dans sa composante industrielle, et qui fait appel
au partenariat international. La RSE dans ce contexte est considérée comme
un véritable levier de performance durable, la plupart des firmes
multinationales s’engagent, d’une manière volontaire ou indirectement
contrainte, aux principes de la RSE, qu’en-est-il des entreprises algériennes ?
I. Origine philosophique du concept de la RSE
La notion de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) est
historiquement liée à deux cadres de réflexions distincts : l’Ethique des
affaires et le Développement Durable.
La dimension morale et éthique de la RSE fait intervenir l’approche
philosophique, qui nous renvoie à une importante créativité théorique et des
débats très anciens marqués par des différences idéologiques, qui se
caractérisent par deux grands courants : le conséquentialisme (ou
utilitarisme), initié par Bentham(1748-1832)1 et développé par son
continuateur J.S Mill (1803-1873) qui évalue les actions à partir de leurs
conséquences, en d’autres termes , ce sont les conséquences heureuses
d’une action, pour l’agent moral et pour les autres, qui déterminent sa valeur
morale, l’utilitarisme est perçu comme un critère du bien moral tant qu’il
satisfait les besoins et les intérêts humains, ce courant prône en faveur
d’une approche par la prudence. Et le déontologisme, dans la lignée des
propos de Kant : l’humain doit agir selon son devoir, selon ce qui est bon ou
mauvais dans l’absolu. Selon des règles morales absolument intangibles, qui
doivent être respectées quelques soient les circonstances, ce courant alloue
une grande importance au respect de l’environnement et des individus au
sens large.
En termes de développement durable, ces deux conceptions se croisent en
considérant ce dernier comme un concept d’intérêt général et comme une
notion systémique, qui concerne l’ensemble des acteurs de la société,
néanmoins, elles divergent quant à la représentation de la meilleure façon
d’appréhender le développement durable en entreprise.
En effet, en appliquant les principes de la philosophie utilitariste, une
absence ou une limitation du devoir moral envers autrui, est retenue :
puisque le dirigeant utilitariste évaluera l’intérêt d’une stratégie de
développement durable à travers son utilité et donc son gain économique ;
Contrairement à l’éthique déontologique qui propose l’adoption du devoir
moral de la part des dirigeants envers autrui, cette approche kantienne trouve
un renouveau dans des développements contemporains. Ainsi, par exemple,
les travaux de Hans Jonas offrent un champ propice pour orienter les
dirigeants envers autrui en suggérant des pistes solides de justifications
morales en rapport avec l’adoption d’une stratégie de développement durable
en entreprise.
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en publiant son livre « Le principe responsabilité » en 1979, Jonas met le
point de départ de sa théorie qui remet en cause la relation de l’homme et la
nature qui fut longtemps considérée comme un cadre immuable, protecteur
ou menaçant d’une vie humaine , aujourd’hui le pouvoir technologique a
renversé les rôles :la nature est saisie comme un être vulnérable qu’il faut
protéger, la responsabilité, selon Jonas, n’est plus conçue comme une simple
vertu, mais un principe et un fondement de l’éthique. La responsabilité
jonasienne dépasse le simple terme juridique classique, c’est-à-dire, être
responsable de ses actes mais aussi une responsabilité pour autrui, c’est à
dire l’obligation de se retrouver à répondre d’autrui sans qu’il y ait une loi
qui oblige.
C’est à travers ce débat philosophique que se dessinent les premières
esquisses des deux représentations polaires des responsabilités de la firme
envers les conséquences de ses activités organisationnelles sur autrui.
La relation entre le fonctionnement d’un système économique et le bien-
être social a été clairement établie dans les travaux de Bowen (1953)2, qui est
considéré comme le pionnier de la théorie de la RSE, sa démarche repose sur
le respect de la société. Dans son ouvrage « Social Responsabilités of the
Businessman » suivi de six travaux consacrés à l’étude de l’éthique
chrétienne et la vie économique, il accorde une place importante à l’éthique
religieuse, cela présume3 la revendication des religions catholique et
protestante d’un statut d’éthique économique de la vie des affaires. Ses
études furent soutenues financièrement par le département de l’église et de la
vie économique (département of the chruch and economic life).
II. finition de la RSE
Le terme RSE est l’acronyme traduit de l’anglais CSR qui veut dire
Corporate Social Responsability, certains préfèrent la traduction du terme
social par sociétal pour couvrir la dimension économique et
environnementale puisque le mot social peut ne pas les refléter (voir schéma
N°1).
L’émergence de la RSE, telle que citée plus haut, à travers les travaux de
Bowen, se trouve confrontée et assimilée par la théorie de Berles, Means et
dodd (1932) 4sur la gouvernance de l’entreprise se pose la question du
développement de la grande société par actions et la dispersion de la
propriété et du contrôle de l’entreprise, d’où la nécessité de séparer la
propriété et le management : le pouvoir passe alors des « actionnaires » aux
« managers ». Un autre discours, lié à l’émergence de la RSE, a été initié par
Clark (1939)5 qui s’interroge sur le type et le niveau d’interventionnisme
public qui aboutirait à un contrôle social satisfaisant.
La notion de la RSE trouve, donc, sa naissance dans les théories du
management mais elle a été exposée vers la fin du 19eme siècle, aux états
unis , par les hommes d’affaires qui la définissaient en termes de bonnes
intentions » , ce n’est qu’au début du 20eme siècle que la RSE s’est vue
exprimée publiquement par les dirigeants des entreprises, tels que Chester
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Barnard, Henry Ford, Alfred Sloan. Ces premières idées tournaient autour de
la conscience individuelle des dirigeants, et témoignaient de l’importance
donnée à la philanthropie et à une redistribution des richesses à travers des
donations des riches aux plus défavorisés. C’est ainsi que les préoccupations
sociétales se sont intégrées dans les entreprises, ce qui a engendré les
principes de la RSE, en permettant à ces entreprises de l’utiliser comme un
outil pour regagner la confiance du public, pour afficher ses engagements ou
directement dialoguer et construire une relation sociale, sociétale.
Le débat sur une meilleure définition de la RSE n’a jamais abouti à une
formulation d’une doctrine claire de ce concept.
Selon Peter Drucker (1999)6, qui est un grand pionnier du management
stratégique, la RSE se distingue, d’une part, par rapport à l’impact social
qu’elle engendre, et d’autre part, à travers sa façon de résoudre les
problèmes sociaux. Quazi et O’Brien (2000) suggèrent un modèle de la RSE
à deux volets : un qui relève d’une vision très classique qui refuse de croire à
la RSE et qui l’associe à la notion de coût et un autre dont la vision est très
moderne et qui accepte les actions philanthropiques qui n’espèrent aucun
avantage. L’étude de Jamali et al. (2009) propose un modèle basé sur une
stratégie qui considère que la philanthropie peut viser une grande
responsabilité non liée nécessairement à la notion de coût.
Schéma N°1 : les trois aspects de la RSE
Source :www .Insee.fr consulté le 3/05/16
pour ne pas sombrer dans les controverses théoriques et en l’absence d’un
consensus sur la définition de la RSE, nous proposons un résumé (tableau
1) des différentes définitions avancées par les différents auteurs qui ont
contribué au développement de ce concept , nous retenons, toutefois, la
définition de WBCSD "World Business Council for Sustainable
Development" qui est le conseil mondial des affaires pour le développement
durable basé à Genève , celle-ci dépasse la conformité par un simple acte
philanthropique, et met l’accent sur les principes et les valeurs que
l’entreprise adopte afin d’offrir des actions responsables envers les parties
prenantes, elle stipule que « "La RSE est l’engagement continu des
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entreprises à agir correctement sur le plan de l’éthique et de contribuer au
développement économique, tout en améliorant la qualité de vie de ses
employés et de leurs familles, de la collectivité locale et de l’ensemble de la
société ".
Tableau 1 : tableau récapitulatif de quelques définitions de la RSE
Source : (adapté) KHEROUA Hind ; op. cit. p.51 cité in de Gond J.P.,
Igalens J. (2008), La Responsabilité Sociale de l’Entreprise, PUF,
Novembre 2008, ollection Que sais-je ?
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