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RER
De Jean-Marie Besset
Revue de presse
Théâtre de la Tempête
11 mars – 18 avril 2010
Critique
Un feuilleton documentaire dans la France des
préjugés
LE MONDE | 22.03.10 | 14h08 • Mis à jour le 22.03.10 | 14h08
a nouvelle pièce de Jean-Marie Besset, R.E.R., qui est présentée au Théâtre de
la Tempête, à la Cartoucherie de Vincennes, s'appuie sur un fait divers réel :
l'histoire de Marie-Léonie Leblanc, la jeune femme qui avait déclaré avoir été
victime d'une agression antisémite, dans le RER D, en juillet 2004. L'affaire
avait fait grand bruit, jusqu'au sommet de l'Etat, avant de se dégonfler, quand
Marie-Léonie Leblanc avait avoué avoir tout inventé.
Jean-Marie Besset dit s'être inspiré d'un autre fait divers, américain cette fois
: en 1988, une adolescente noire, Tawana Brawley, avait fait croire qu'elle
avait été victime d'une agression raciste. Mais cette histoire-là n'apparaît pas
directement dans la pièce, sinon à travers les propos racistes de la mère de
Jeanne, le personnage principal.
Jeanne (Mathilde Bisson) est une fille un peu perdue, qui adore s'acheter des
valises parce qu'elle rêve de voyage. Elle rencontre Jo (Marc Arnaud),
immédiatement jugé arabe par sa mère (Andréa Ferréol), et vit avec lui, à
Drancy. Il ne fait pas grand-chose, elle travaille comme caissière. Elle a cru au
grand amour qui l'emmènerait au bout du monde. Mais elle s'ennuie.
Un matin où Jo part traîner aux Halles, à Paris, elle simule l'agression dans le
RER. Herman (Didier Sandre), l'avocat qui la défend, est un bourgeois cultivé
d'âge mûr, esthète, juif et homosexuel. Dans sa sphère rode un jeune
ingénieur, A.-J. (Lahcen Razzougui), dont il est le protecteur et l'amoureux
sans espoir. A.-J. est fou d'une étudiante (Chloé Olivères) qui se fait appeler
Onyx parce que son vrai nom, Judith Bleistein, "faisait trop princesse juive".
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L'universalisme républicain
Voilà pour le cadre : deux mondes socialement opposés dans une France où
tout est confus, sauf les préjugés. Jean-Marie Besset tire sur ces fils, un peu
comme dans un feuilleton-documentaire où l'on a l'impression de voir des
cartons annonçant "Attention, racisme", "Attention, antisémitisme",
"Attention, homophobie".
On ne décroche pas, parce qu'on veut savoir où tout cela mène. La pièce est
bien construite, la facilité d'écriture évidente et la distribution attractive. Mais
on s'interroge sur le nivellement qui tend à mettre au même plan les
questions sexuelles et politiques, les bons mots anti-intellectuels et les
indignations. On se demande aussi pourquoi un ingénieur de haut niveau
devrait être aussi abruti qu'A.-J. et ne fasse pas le poids face à sa copine
obsédée par Roland Barthes.
"L'universalisme républicain, au péril des revendications communautaires,
est au coeur de la pièce de Jean-Marie Besset", écrit Gilbert Desveaux, le
metteur en scène de R.E.R., dans la bible du spectacle. On aurait aimé que
cela fût vraiment. R.E.R. fera l'ouverture de la saison 2010-2011 au Théâtre
des Treize-Vents, centre dramatique national de Montpellier, dont Jean-
Marie Besset est directeur depuis le 1er janvier.
R.E.R., de Jean-Marie Besset. Mise en scène : Gilbert Desveaux. Théâtre
de la Tempête, Cartoucherie-de-Vincennes, Paris 12e. M° Château de
Vincennes, puis bus. Tél. : 01-43-28-36-36. De 10 €. à 18 €. Jeudi, à 19 h 30 ;
mardi, mercredi, vendredi et samedi, à 20 h 30 ; dimanche, à 16 heures.
Durée : 2 heures. Jusqu'au 18 avril.
Brigitte Salino
Article paru dans l'édition du 23.03.10
Théâtre et Compagnie par Odile Quirot
18.03.2010
Besset a le "R.E.R" lourd
Dans "R.E.R" Jean-Marie Besset a pour lui la grande Andréa Férréol ( sur notre
photographie), Didier Sandre, un beau sujet brûlant, mais sa pièce, bavarde, relève de la
lourde dissertation plus que de la comédie dramatique.
Et aussi: dans "Le Grenier" du Japonais Yôji Sakate, avec Jacques Osinski.
Je sais, on va me dire que, naturellement, m’étant élevée l’hiver dernier contre les conditions de la
nomination de Jean-Marie Besset au Centre Dramatique National de Montpellier – où il est entré
en fonction le 1er janvier – je ne pouvais pas dire du bien de sa dernière pièce « R.E.R »
actuellement à l’affiche du théâtre de la Tempête à la Cartoucherie de Vincennes (jusqu’au 18
avril). Erreur, parce que le plus important est de juger sur pièce. On verra les choix Jean-Marie
Besset, directeur d’institution publique. Pour l’instant, on voit « R.E.R », tout en ayant souvenir
d’avoir applaudi du même auteur, par exemple en 1988, « Ce qui arrive et ce qu’on attend », une
fine comédie dans les coulisses du pouvoir.
Jean-Marie Besset écrit sur la société de son temps. Cette fois, dans « R.E.R » il s’inspire d’un faits
divers qui avait suscité une très vive émotion : une jeune fille avait accusé des jeunes noirs et
maghrébins de l’avoir agressée, en la traitant de « juive » et en lui dessinant des croix gammées
sur le ventre. La France entière, et jusqu’au président de la République, avait dénoncé le retour de
l’antisémitisme. Or la jeune fille avait menti, fabulé.
Retour dans le « R.E.R » de Jean-Marie Besset, mis en scène par Gilbert Désveaux avec un
savoir-faire sage, sinon brillant, et avec de bons acteurs, dont la grande Andréa Ferréol qui ferait
aimer le personnage le plus platement écrit.
Tout commence sur un quai, porte de Clignancourt, où Jeanne, une jeune fille un peu paumée
(Mathilde Bisson) négocie l’achat de valises qui visiblement ne la mèneront nulle part, sauf dans
les bras de Jo (Marc Arnaud). Elle est caissière à Drancy, lui un peu dealer, et gardien d’entrepôt à
ses heures. Elle a pour mère une femme de peu, Madame Argense, qui fustige en vrac les arabes,
les juifs, les homos (Andréa Férréol). Changement de cadre : dans un appartement chic, Herman,
un brillant avocat, juif et homosexuel (Didier Sandre) tente de draguer une dernière fois et en vain
le jeune ingénieur A.J (Lachen Razzougni) qui ne jure que par les beaux yeux – et pas seulement –
d’une dénommée Onyx (Chloé Rivière), une intello qui cite Barthes et a le feu aux fesses. Quand
Jeanne va inventer son agression – parce qu’il faut bien que quelque chose d’exceptionnel lui
arrive – Herman sera son avocat délégué d’office. Alors, tout ce petit monde – ceux d’en haut et
ceux d’en bas – vont se croiser, échanger leurs idées reçues, et en changer. Enfin, juste un peu.
Tout s’achève par une main serrée entre Herman et Madame Argense, qui semble se dire, que, tout
compte fait, on peut être riche, juif et homosexuel et être un homme bien. Tout ça pour ça ?
Sur cette histoire chargée - les juifs, les arabes, les riches, les pauvres, les homos, on en oublie -
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Besset écrit des répliques qui pèsent des tonnes. Exemple ? Un aparté d’Herman - naturellement
féru de théâtre audacieux - sur le parking pisseux de la MC 93 qui visiblement n’a pas laissé des
bons souvenirs à Besset. Et puis l’auteur joue à cache-cache avec les idées reçues et les clichés
qu’il orchestre, déploie. Il souffle le chaud et le froid, mais lui, on ne sait pas où il est, et ses
personnages n’ont pas beaucoup de consistance. Les caissières de supermarché sont-elles toutes
aussi sottes, et les femmes intello toutes aussi prétentieuses et accros au sexe ? Pourquoi pas, mais
alors il fallait écrire une farce, pas ce théâtre là qui relève de la dissertation avec thèse, atithèse, et
fort peu de synthèse.
On ressort de « R.E.R » avec une impression de malaise et la soirée (deux heures) passe avec la
lourdeur du métro de maintenance qui se fait parfois entendre jusque dans l’appartement de
l’avocat Herman. On songe avec nostalgie à la virulence du jeune théâtre allemand (Von
Mayenburg) ou anglais (Martin Crimp), à la finesse politique et musicale de Michel Vinaver,
ce grand auteur français qui s’empare des sujets de notre temps en de magistrales comédies.
Yôji Sakate est japonais, et il est né en 1962. On le découvre avec « Le Grenier », que crée
Jacques Osinski, directeur du Centre Dramatique National des Alpes. (Rond-point, jusqu’au 3
avril). Sakate décrit un phénomène : les « Hikikomori », ces jeunes gens qui s’enferment dans leur
chambre, vivent et communiquent via leurs ordinateurs. Evidemment, cette tendance n’est pas
propre à la jeunesse japonaise, mais le pays du Soleil Levant est aussi celui des extrêmes.
Ce qui est baptisé « grenier » est une sorte de petit caisson tout en bois à installer partout, dans les
arbres, les maisons, les rues ; il relève de la cabane ou du grenier d’enfance, ce refuge des rêves
contre la réalité. Un jeune homme s’est suicidé dans un de ses « greniers », et son frère mène
l’enquête, veut trouver qui est le constructeur qui les vend en kit sur internet. La pièce est
découpée en scènes brèves, et dans le grenier – sur scène, un lieu unique, où aucun des comédiens
ne tient vraiment debout - on croise des ados songeurs ou violents, leurs parents, des policiers, des
enseignants, bref un panel de la société, et aussi quelques fantômes. Dans cet espace si exigu, un
peu comique donc, même si témoignant d’un extrême désarroi, la plupart des comédiens possèdent
un jeu très expressif, agité et inégal. Osinski a trouvé une bonne pièce, mais on rêverait d’un
« Grenier » plus halluciné, plus réel et étrange tout à la fois.
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