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parole peut faire l’objet d’un mensonge, la relation est pervertie et l’agent du mal a sa place,
en regard de Dieu. Le personnage de Satan éveille deux modalités du discours humain : une
modalité logique, le logos, qui consiste à expliquer et à comprendre, et une modalité
narrative, le mythos, qui raconte une histoire. La question du mal confronte ces deux
modalités discursives de l’homme. De fait, on a toujours un discours double et il ne s’agit pas
de dissoudre l’un par l’autre. Le problème est que le discours de Satan cesse d’être explicatif
pour être narratif. Le mal nous renvoie ainsi à deux fonctions irréconciliables de la pensée. Il
nous permet de balayer l’étendue de ce dont notre pensée est capable dans ces deux
modalités discursives irréductibles. L’homme est à la fois rationalité et narration. Il faut
également bien voir que la dimension de l’histoire, du temps est une dimension humaine
fondamentale à travers laquelle Dieu nous parle.
L’évocation du mal dans la pensée chrétienne est la démonstration que Dieu ne
plaisante pas avec l’altérité, en lui permettant de se détourner de Lui. Le mal est une sorte
de démonstration par l’absurde que l’altérité est voulue par Dieu. Dieu nous a créé libre,
d’une liberté scellée dans une relation, relation que l’homme peut refuser. Dieu a pris le
risque d’être rejeté par l’homme. Il nous invite à une dignité qui n’est à vivre que dans la
relation qu’Il nous propose.
F. Besset considère qu’il ne peut pas penser le mal sans Dieu. Sinon, on développe
une vision relativisée qui donne lieu à toutes les postures possibles et imaginables. On en
arrive à une époque qui a nié Dieu et le mal mais qui apparaît comme le siècle des
génocides. Qu’adviendrait-il de l’homme s’il n’existait pas un diable pour en justifier ou en
comprendre le mal ? Si le diable est évacué, l’homme est responsabilisé par le mal, alors que
l’homme n’est que blessé par le mal à l’origine. La présence d’une origine satanique, même
symbolique, sauve l’homme de l’angoisse et de la névrose. L’homme n’est plus le juge de son
frère qui n’est pas l’auteur du mal qu’il commet. Certes, l’homme fait un choix mais sa
décision est toujours prise de façon plus ou moins passionnelle, jamais en pleine conscience.
Parler du mal sans parler de Dieu, c’est se heurter à une lecture relativisée du mal.
La réflexion de Hannah Arendt à propos du procès Eichmann met en évidence une
stratégie du mal, en opposition à la découverte de l’altérité qui est d’abord la découverte
d’un visage. Levinas affirme en effet que le visage de l’autre correspond à l’espace éthique
infini. La stratégie du mal, c’est alors de parvenir à un mode de réalisation anonyme,
organisationnel où l’homme n’est plus qu’un fonctionnaire déresponsabilisé qui fait ce qu’il
a à faire sans se préoccuper du reste. C’est faire preuve d’inconscience. En effet, on ne doit
obéissance que dans la mesure où cela ne heurte pas notre conscience. H. Arendt a mis en
avant l’idée de barbarie ordinaire. De fait, on a civilisé la barbarie, on l’a anonymée,
banalisée et ainsi presque autorisée. Eichmann s’est revendiqué d’un droit de conscience. En
tant que fonctionnaire nazi, il a affirmé n’avoir fait que son devoir. Il considère ne pas avoir
seulement assumé une fonction mais avoir précisément accompli son devoir jusqu’au bout,
en son âme et conscience. Il s’est en outre réclamé de l’impératif catégorique kantien selon
lequel il faut agir de telle sorte que la maxime de l’action valle comme loi universelle. Mais
dans le cas d’Eichmann, le principe de l’universalité de la maxime est incompatible avec la
Shoah.
On ne sort pas indemne à la fois du rejet de Dieu et de la relativisation du mal qui
nous blessent en profondeur. De fait, nous avons besoin de Dieu pour mettre un frein au