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DM n°1 : Peut-on dire, à la lecture de la première partie de Madame Bovary quil sagit dun
roman réaliste ?
Cette correction est aussi un document de travail : vous trouverez les férences des pages et des
chapitres, ce que l’on ne vous demande pas au bac, bien sûr ! En revanche, on vous demande de citer
des passages, des phrases mêmes. Essayez d’en retenir quelques une. Par ailleurs, le devoir est plus
long que ne devrait l’être une copie de bac.
(intro de Paul) Au cours de la rédaction
de Madame Bovary, Flaubert écrit à Louise Colet
pour lui dire qu’il y a en lui « deux bonhommes
distincts, l’un épris de gueulades, de lyrisme » et
un autre « qui fouille et creuse le vrai tant qu’il
peut. ».
L’ « homme-plume », comme il se
plaisait à se surnommer, publie Madame Bovary
en 1856, dans un contexte littéraire particulier :
la rupture avec le romantisme est consommée et
les écrivains se tournent vers la réalité, vers « la
vérité, l’âpre vérité », comme l’écrivait Stendhal
en ouverture de son roman Le Rouge et le noir.
Flaubert s’inscrit-il alors dans ce mouvement
réaliste ? Lequel de ces « deux bonhommes »
l’emporte-t-il dans Madame Bovary ? Plus
simplement, peut-on qualifier ces « Mœurs de
province » comme un roman réaliste ?
Nous verrons en premier lieu que le roman
de Flaubert a des caractéristiques réalistes avant de
montrer que son réalisme diffère de celui de
Balzac par un aspect plus subjectif ou plus
critique. Nous terminerons en mettant en
évidence que Flaubert n’a pas totalement oublié
son inspiration et sa formation romantique et que
le « bonhomme » épris de lyrisme et de
« gueulades » resurgit parfois. Ainsi, comme il le
disait lui-même, “Toute la valeur de mon livre, s’il
doit en avoir une, sera d’avoir su marcher droit sur
un cheveu, suspendu entre le double abîme du
lyrisme et du vulgaire.”
(intro de Jennifer) « Madame Bovary na rien de
vrai. C’est une histoire totalement inventée », écrivait
Flaubert dans sa correspondance avec Mlle Leroyer de
Chantepie en mars 1857. Ici, le romancier du 19ème siècle
s’oppose totalement à la vision que beaucoup ont de ce
livre, c’est-à-dire qu’il est réaliste. Ce mouvement
littéraire, ou plutôt cette posture que les hommes de lettres
ont adopté dans leurs œuvres d’art, a pour but de peindre
la société sans idéalisation, dans sa réalité la plus crue.
« Le réalisme conclut à la reproduction exacte, sincère, du
milieu social » dira Duranty, un des théoriciens de ce
courant.
Ecrite pendant près de cinq années, l’histoire
d’Emma a fait scandale : en février 1857, soit un an après
son achèvement, l’œuvre est jugée pour « outrage à la
morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs. » Son
auteur est blâmé pour le « réalisme vulgaire et souvent
choquant de la peinture des caractères. » Paradoxe. Ici
s’opposent deux visions du roman : œuvre inventée et
imaginée ou œuvre réaliste ? La question suivante guidera
notre réflexion : peut-on dire, à la lecture de la première
partie de Madame Bovary, que l’œuvre est réaliste ? En
d’autres mots, dans quelle mesure ce début de roman peut
être rattaché à la vision et à la conception d’une œuvre
d’art que Flaubert fuyait ?
Pour y répondre, nous verrons tout d’abord que
dans cette première partie Flaubert adopte une posture
réaliste. Nous verrons ensuite que le romancier s’arrange
avec cette posture et qu’il donne naissance, par son ironie
mordante, à un réalisme subjectif. Nous terminerons par
montrer que l’écrivain n’a pas tout à fait abandonné le
lyrisme qu’il essayait de combattre et que Madame
Bovary recèle quelques traits romantiques malgré tout.
I. Un roman aliste : Madame Bovary est un
roman inspiré d’un fait divers : l’affaire Delamare, une femme mal-mariée qui se suicide après avoir
trompé son mari. L’intrigue du roman est donc réaliste, inspirée directement de la réalité. Flaubert
va étoffer ce fait divers et se soumettre à cet exercice de réalisme que lui conseillaient Bouilhet et Du
Camp. Cela lui permet donc de faire un tableau du monde contemporain, ancré à la fois dans un
espace géographique normand et réel et dans une intimité de mœurs minutieusement décryptée.
1. Une peinture exhaustive du monde contemporain (phrase)
- le monde paysan : le père Rouault, paysan aisé. Description de la ferme : adjectifs et adverbes
exprimant l’aisance : « ferme de bonne apparence, gros chevaux de labour, râteliers neufs, large
fumier, cinq ou six paons, luxe des basse-cours cauchoises, la bergerie était longue, la grange était
haute, deux grandes charrettes, quatre charrues » (I, 2 p.60) : avalanche de termes indiquant la taille,
la dimension. Idem pour la cuisine dans le paragraphe suivant : « grand feu, proportion (des
instruments de cheminée) colossale, abondante batterie de cuisine ».
- la petite bourgeoisie : les Bovary. Le père était « aide-chirurgien-major » (I,1 - p.50). Importance de
l’argent : « saisir au passage une dot de soixante mille francs, vécut sur la fortune de sa femme, voulut
faire valoir ». La mère est présentée comme économe : « allait chez les avoués, chez le président, se
rappelait l’échéance des billets » (p. 52), prépare des plats à son fils quand il est étudiant à Rouen,
surveille de près ses comptes quand il est adulte + après, collège, études de médecine : éducation
bourgeoise
- l’aristocratie : le bal à la Vaubyessard : la fenêtre cassée, le billet donné à l’amant par une femme
(p.105)... Description d’une aristocratie ancrée dans le contexte de la monarchie de Juillet : on parle
accroche
Sujet et
problémat
isation :
reformula
tion de la
question
Annonce
claire du
plan
Intro de
partie :
idée
générale
+ sous
parties.
Grand ALINEA
On
essaie
d’aller
chercher
des ex.
dans le
roman
Micro-
lecture
d’un
passage
2
d’argent gagné aux courses (p.104), le marquis de la Vaubyessard cherche des appuis électoraux
(p.97) : finalement ts proche de la bourgeoisie. Seul le vieux duc de Laverdière est conforme à la
vieille aristocratie, mais il est débilitant et baveux : seule Emma peut encore voir derrière ce portrait
pitoyable l’homme séduisant qu’il a été (DIL : « Il avait vécu à la Cour et couché dans le lit des
reines ! »). Il apparaît « comme un enfant » et les femmes qui l’entourent s’opposent à l’image de
celles qu’il avait enlevées. Le texte postule la mort de cette noblesse imaginaire dont rêve Emma.
> Flaubert montre un nivellement (= une égalisation, une uniformisation) des milieux sociaux =
situation historique la bourgeoisie et l’aristocratie se rejoignent : les bourgeois peuvent accéder au
pouvoir et les aristocrates cherchent à faire de l’argent > la description des milieux est ancrée dans un
contexte historique précis (= ambition réaliste)
- le clergé : le curé chargé de l’éducation de Charles (p.53 : bonhomme, peu rigoureux, pour qui
l’éducation passe au second plan), les sœurs du couvent Emma a reçu son éducation et lAbbé
Bournisien
- les pauvres : la mère Rolet (II,3 p.151), le gaon de la poste (I,9 - p.113 : « gros sabots, sa blouse
avait des trous, ses pieds étaient nus dans des chaussons ». Vu à travers le regard d’Emma : « C’était là
le groom en culotte courte dont il fallait se contenter ! », au discours indirect libre), la bonne, Félicité,
qui « obéissait sans murmure pour n’être point renvoyée » (I,9 - p.113), le joueur dorgue de barbarie
qui crache par terre (p.121), l’Aveugle.
> multiplication pour peindre cette société de petits détails, des « petits faits vrais » (Barthes).
> Madame Bovary offre bel un bien un tableau exhaustif de la société du 19e scle. En cela, son
roman est réaliste.
2. Un portrait de l’homme par rapport à autrui : « l’être-pour-autrui » (Sartre)
- Flaubert montre les rapports quentretiennent ces catégories sociales entre elles. Les tableaux
sociologiques sont donc dynamiques : Emma jalouse l’aristocratie de la Vaubyessard, le paysan offre
une dinde médecin, la bonne craint Emma et adopte une attitude servile. Par ailleurs, Flaubert joue des
effets de symétrie : chaque milieu est opposé à un autre (obsession de Flaubert pour la construction : le
fil du collier) : l’opposition entre le repas long et les victuailles trop nombreuses à la noce d’Emma (I,
4 p.77 : chiffres et lourdeur : « mousse épaisse », « de grands plats de crème jaune, qui flottaient
d’eux-mêmes au moindre choc de la table » ; abondance ; recours à des connecteurs temporels pour
décrire les différents niveaux de la pièce montée + durée : « jusqu’au soir, on mangea ») et le
raffinement du bal (page 101 : tout connote la gèreté : finesse du champagne ; fruits exotiques ; le
sucre devient presque immatériel) et la sobriété du déjeuner du lendemain matin (page 107 : « le repas
dura dix minutes » / « l’on resta seize heures à table » (p.74).
- Lécrivain montre aussi le rapport quentretient lhomme par rapport aux autres hommes : dès la 1re
phrase du roman : Flaubert présente successivement le Proviseur, Charles présenté par l’italique
« nouveau » qui suggère ce qu’il est par rapport aux autres, le « garçon de classe » et le « nous » : en 4
lignes, les personnages ne sont présentés que dans le rapport qu’ils entretiennent les uns avec les
autres.
- analyse du titre : Madame Bovary = pas de singularité du personnage dEmma. Elle est présentée
dans son statut de femme mariée.
> Flaubert annonce ses personnages dans le rapport social qu’ils entretiennent avec les autres
personnages. Ce point fait de lui un écrivain réaliste.
3. L'ancrage dans une réalité géographique
- utilisation d’une topographie réelle : Rouen et Tostes sont des lieux qui existent. Trajet de Charles de
Tostes aux Bertaux (I, 2 p.58-59). Tous les villages mentionnés existent : on peut reconstituer son
itinéraire.
- Yonville n'existe pas mais Flaubert en fait un plan précis dans les brouillons et traite cette ville de
manière réaliste.
- descriptions réalistes : micro-lecture de la maison de Tostes (travail fait en AP): maisons de briques
rouges la façade de briques », I, 5 - p.80), description de sa sale, de son désordre… Tableau de la
« plate campagne » (I, 2 - p.59), « Il arrivait parfois des rafales de vent, brises de la mer... » (I, 7
p.97). Description de la campagne lorsqu’Emma va rendre visite à sa file chez la mère Rolet :
« masures, fumier, vaches embricolées, vieux noyer, bourrées, clôture d’épines, carré de laitues, pieds
de lavande… » (II,3 p. 150) : à LC le 17 décembre 1852 : « Je suis en train d’écrire une visite à une
nourrice. On va par un petit sentier et on revient par un autre. Je marche comme tu le vois sur les
brisées du Livre Posthume (de Du Camp) mais je crois que le parallèle ne m’écrasera pas. Cela sent un
peu mieux la campagne, le fumier et ses couchettes que la page de notre ami. Tous les Parisiens voient
la nature d’une façon élégiaque et proprette, sans baugée de vaches et sans orties. »
- les lieux, comme les milieux, sont envisagés selon les relations quils entretiennent : le château fait
rêver Emma, la ferme s’oppose à la maison de Charles…
> Flaubert ancre son roman dans une géographie réelle qu’il connaît bien et qui apparaît donc dans
Petite
conclu
de sous-
partie
3
toute sa précision.
4. Un tableau des mœurs de province
> Filiation balzacienne : Balzac (1799-1850) a écrit La Comédie humaine, fresque d’une centaine de
romans qui veut englober la société tout entière : vie privée, vie de campagne, vie politique… :
volonté de rendre compte de la société comme un naturaliste (au sens de "scientifique qui étudie la
nature") rend compte d'une espèce animale. Balzac est un modèle un peu écrasant pour Flaubert : il
écrit en septembre 1851 à LC qu’il craint de faire du « Balzac chateaubrianisé ». Développe en effet,
comme son modèle, comportements, habitudes, codes de la vie en société. Il va décrire en décrire les
"mœurs" :
- l’adultère, à travers le personnage d’Emma : deux amants. Remarque : adultère déjà décrit par Balzac
dans :
* Physiologie du mariage (1829) : état des lieux sur la situation du mariage à son époque. Evoque
en particulier la condition des femmes qui les pousse à l’adultère. Dans tous les milieux, « on [les]
élève comme des saintes et (...) on [les] marie comme des pouliches. » Le roman de Flaubert semble
être une illustration de ce roman.
* La femme de trente ans (1842) : Julie de Chatillon épouse le colonel Victor d’Aiglemont malgré
les mises en garde de son père contre la nullité de cet officier de Napoléon : 2 amants.
- l’éducation : tableaux parallèles de l’éducation de Charles et de celle d’Emma. Charles : sa différence
permet la description des mœurs des autres écoliers : cruauté et conformisme des enfants : rejet du
« nouveau ». Couvent d’Emma : la description met au deuxième plan l’éducation reçue et insiste sur
ce qu’Emma aime : les livres et les petits mensonges.
- le quotidien : Attachement au bas et à l’insignifiant. Les actions de Charles sont très souvent
évoquées à l’imparfait d’habitude et le quotidien est répétitif. Evocation de moments banals : le réveil
au lit, les repas (Charles mange et dort tout le temps !), les journées d’Emma à la fenêtre. Idem pour
les autres habitants de Tostes : tableau des habitudes p.119 : « Tous les jours, à la même heure... Soir
et matin... De temps à autre... toujours... »
- lintérêt pour les détails : les vêtements (description des robes d’Emma, des tissus, p.60) le langage :
Recours à l’italique pour citer des mots des personnages (près de 100 occurrences, 8 dans Salammbô
et 25 dans L’ES) : « Une fois le pansement fait, le médecin fut invité, par M. Rouault lui-même, à
prendre un morceau avant de partir. » = garant de l’authenticité du texte, de la fidélité de la
transcription. L’italique correspond à des idiolectes provinciaux sa masure »), sociaux (« n’était-ce
pas une femme du monde ») ou professionnels (« le ténotome »). Instaure dans le récit un hors-texte, le
déjà-là, déjà-parlé : nourrit l’illusion réaliste.
> « Je suis dans un tout autre monde (...), celui de l’observation attentive des détails les plus plats.
J’ai le regard penché sur les mousses de moisissures de l’âme. », lettre à LC 8/2/1852
> Méticulosité de Flaubert : documentation et connaissance des lieux, milieux et personnes qu’il
évoque : a vécu en Normandie toute sa vie.
5. La méthode documentaire
- Le travail préparatoire à l’écriture du chapitre sur les lectures d’Emma : « Je viens de lire pour mon
roman plusieurs livres d’enfant. Je suis à moitié fou, ce soir, de tout ce qui a passé aujourd’hui
devant mes yeux, depuis de vieux keepsakes jusquà des récits de naufrages et de flibustiers. (...)
Voilà deux jours que je tâche d’entrer dans des rêves de jeunes filles et que je navigue pour cela dans
les océans laiteux de la littérature à castels, troubadours à toques de velours à plumes blanches. »,
lettre à LC du 3/3/52
+ Keepsakes : lit ces recueils de gravures et de textes qui se présentent sous forme de florilège, sans
continuité aucune.
- Les tracas financiers d’Emma : demande d’informations sur les procurations à Frédéric Fovart.
- Lopération du pied-bot = : renseignements auprès de Louis Bouilhet et d’Achille Flaubert. Par
ailleurs, Flaubert est un homme du pays. Il connaît les lieux qu’il évoque et le milieu.
> Tous ces éléments réalistes se retrouvent dans l’incipit du roman : « nous » témoin, hiérarchie
sociale, étude de mœurs et intérêt pour l’éducation.
> Flaubert se plie à ce que disait Duranty : « reproduction exacte, sincère du milieu social ». On
peut donc dire qu’il a adopté dans son roman la posture des écrivains dits réalistes et qu’il
réalise dans Madame Bovary une photographie du monde contemporain (apparition de la
photo à cette époque). Mais Flaubert déteste la photographie (comme Baudelaire d’ailleurs !).
Cet exercice est donc une lutte contre lui-même et Flaubert ressent du dégout pour ce qu’il
écrit. Sa correspondance est saturée de mentions de cette lutte contre lui-même. Sa
photographie de la réalité est certes réaliste mais ce réalisme est fortement ironique et donc
subjectif.
Conclu
générale
et
transition
4
II. Un réalisme subjectif et critique (même chose que pour I : paragraphe d’intro : idée + sous-parties)
Flaubert répète dans sa correspondance qu’il lutte pour écrire son roman, qu’il est loin de lui, qu’il est
« chez le voisin », qu’il hait ce réel qu’il décrit :
* « Ce qui m’assomme ; ce n’est ni le mot ni la composition mais mon objectif ; je n’ai rien
qui soit excitant. Quand j’aborde une situation, elle me dégoûte d’avance par sa vulgarité ; je ne fais
autre chose que de doser de la merde. » (à L.C le 21-22 sept 1852),
* « Bovary, en ce sens, aura été un tour de force inouï et dont moi seul jamais aurai
conscience : sujet, personnage, effet, etc., tout est hors de moi. » (lettre à Louise Colet, 26 juillet 1852,
Corr., t. II, p. 140).
* « Bon ou mauvais, ce livre aura été pour moi un tour de force prodigieux, tant le style, la
composition, les personnages et l’effet sensible sont loin de ma manière naturelle. Dans Saint Antoine
j’étais chez moi. Ici, je suis chez le voisin. Aussi je n’y trouve aucune commodité » (lettre à Louise
Colet, 13 juin 1852, Corr., t. II, p. 104).
> ce dégoût se ressent dans l’approche caricaturale de son sujet, dans l’ironie qu’il répand
présent partout ») et dans sa manière de s’abstraire de ce qu’il dit sans condamner ni sauver qui que
ce soit (« visible nulle part » : pas de message).
1. Une caricature du réel qu’il décrit
- les personnages sont caricaturés : tableau exhaustif du monde contemporain mais tableau caricatural :
il cède, comme Balzac au portrait physique pour donner à voir ses personnages. Mais au lieu de faire
un portrait complet, détaillé (le père Grandet dans Eugénie Grandet), Flaubert sélectionne un ou deux
traits d’apparence : micro-analyse de Charles, le 1er à être caricaturé : il est décrit par le « nous » des
élèves qui l’observent et qui retiennent son déguisement : il apparaît « habillé en bourgeois ». Un trait
qui résume le personnage et le caricature. Plus loin, on ne voit pas son visage, seule sa casquette sert
de portrait (p.48). Flaubert ne donne à voir des personnages qu’un élément qui les résume. Il traite ses
personnages par métonymie ! Bournisien apparaît comme « Un homme vêtu de noir […] On
distinguait, aux dernières lueurs du crépuscule, qu’il avait une figure rubiconde et le corps
athlétique. » (p.132) Deux traits qui résument le personnage. Pareil pour Homais : « Un homme en
pantoufles de peau verte, quelque peu marqué de petite vérole et coiffé d’un bonnet de velours à gland
d’or, se chauffait le dos contre la cheminée. » (p.133)
- les portraits en acte sont aussi des caricatures : un acte résume le personnage en entier : les actions de
Charles l’animalisent : « rumine son bonheur » (I,5), il mange, il dort beaucoup. Binet avec son
« tour » est aussi une caricature de l’ennui : il fabrique des ronds de serviette !
- les personnages sont réifiés : (deviennent des objets) :
* les enfants : l’entrée au collège (I,1) : Flaubert les dépersonnalise : pas de nom, ils forment
un groupe indistinct : « on commença la récitation des leçons, il y eut un rire éclatant des écoliers, ce
fut un vacarme, les têtes » : indéfinis, pluriel… Pas d’individualisation
* la paysannerie aisée : la scène de la noce est exemplaire p.74-75: endimanchés, les paysans
sont ridiculisés par Flaubert qui les décrits par leurs vêtements, comme des marionnettes.
Dépersonnalisation encore : « Il en vint... On avait... on... », p.74.
* l’aristocratie : le bal : les êtres humains sont remplacés par leurs objets : (p.102) : « les
éventails peints s’agitaient, les bouquets cachaient à demi le sourire des visages, et les flacons à
bouchon d’or tournaient dans des mains entrouvertes dont les gants blancs marquaient la forme des
ongles et serraient la chair au poignet. Les garnitures de dentelle… » : pas de visages, pas de noms, les
êtres sont présents de manière métonymique, par un objet qui les représente.
> les êtres humains sont considérés comme des choses, ils deviennent mécaniques, sortent de
leur humanité : sont donc des mécaniques dont Flaubert met en évidence les rouages : provoque le
rire (Bergson : le rire vient du mécanique que l’on plaque sur du vivant : quelle plus belle illustration
que ce que fait Flaubert ???)
- La province est caricaturée, à travers notamment le regard dEmma (point de vue interne) qui porte
un regard agressif sur la province : elle met en avant sa médiocrité : « campagne ennuyeuse, petits
bourgeois imbéciles, médiocrité de l’existence » (I, 9). Elle est un condensé de l’ennui : répétition
quotidienne des mêmes gestes (activité routinière de Charles et observation des activités répétitives
des villageois par Emma depuis sa fenêtre). Le choix d’une vision réaliste qui envisage ce qui se
répète, ce qui est banal, finit par pointer une forme d’ennui. Emma s’ennuie : le perruquier s’ennuie :
« Lui aussi... » p.119 : intérêt de ce début de phrase, il n’était pas question d’Emma juste avant, mais
l’ennui a fini par la caractériser.
2. Une ironie permanente
> A travers ces caricatures et cette réification des personnages qu’il décrit, Flaubert sous-entend, il ne
dit pas tout. Il choisit des détails et fait parler ces détails. Ces sous-entendus fabriquent la matière de
son ironie.
5
- Ironie dans l’onomastique : Flaubert joue malicieusement avec les noms : Flaubert ne nomme pas
son personnage principal, Charles s'appelle lui-même dans l'incipit et ampute son identité qui devient
« Charbovari » : on entend dans ce bredouillement le « charivari » des autres à son égard mais aussi le
« char à bœuf ». L'allusion aux bovins se poursuit avec le nom de Tuvache ou de Leboeuf. Binet porte
le nom d’un petit chandelier qui sert à bruler la chandelle jusqu’au bout ou bien celui d’un outil de
jardinage très prosaïque (la binette), la niaiserie de Bournisien sonne dans son nom (le niais du
bourg !) quant à Lieuvain, que dire ?!
- Ironie dans le cadre : nous avons vu que Flaubert décrivait les lieux et la géographie précisément,
comme Balzac. Chez Balzac, le lieu annonce l’occupant. Flaubert y adjointanmoins une dimension
fortement ironique puisqu’il saisit dans les lieux les éléments qui disent aussi le contraire de ce que le
lieu annonce : la maison du notaire est « la plus belle du pays » mais elle est tout étriquée avec son
« rond de gazon » (contradiction ironique : dit le contraire). L’« Amour » qui y trône a « le doigt posé
sur la bouche » et semble inviter à la discrétion sur les mœurs du propriétaire qui fera des avances à
Emma lorsqu’elle lui demandera de l’aide (p.126). La pharmacie d’Homais n’est pas épargnée : on
voit dans l’enseigne la vanité du propriétaire mais aussi ses limites : « Homais, pharmacien » est
répété : Flaubert nous invite à lire ce à quoi se limite et se borne ce personnage. L’église est assiégée
par son cimetière, « bien rempli de tombeaux » (p.126), « pour l’agrandir, on a abattu un pan de mur et
acheté trois acres de terre à côté ; mais toute cette portion nouvelle est presque inhabitée, les tombes
comme autrefois, continuant de sentasser vers la porte. » (p.128 !!). Flaubert montre l’organisation de
l’église : chaque banc est attribué à un notable, mais Flaubert nous présente ces notables sous la
formulation ironique de « banc de M. un tel » !
- Ironie aussi non verbale : rapprochement de deux réalités : les rêves d’Emma et son quotidien, les
discours pompeux d’Homais et leur objet banal.
- Ironie dans la construction narrative : la servante d’Emma s’appelle Félicité, nom qui renvoie
quotidiennement Emma à sa quête désespérée : « Emma cherchait à savoir ce qu’on entendait au juste
dans la vie par les mots de félicité, de passion et divresse qui lui avaient paru si beaux dans les
livres. » (I,5 p.84). + Félicité apparaîtra à Charles comme le fantôme dEmma, après sa mort. Et
c’est cette même servante qui va réaliser son prénom à la fin puisqu’elle va fuir avec Théodore (ce
qu’Emma n’a pas réussi), en volant ses vêtements. Modelée par Emma au nom d’un fantasme, elle
réussit à faire de sa vie un roman.
> Tout est ironie dans Madame Bovary : « haine du réel ». L’ironie corrode d’un bout à
l’autre l’écriture réaliste.
> Flaubert est bien « présent partout » dans son roman : il agresse ses personnages, déchire les
petits bourgeois et les paysans, truffe ses descriptions, ses portraits, son histoire d’arrière-pensées.
3. L’impersonnalité de l’écrivain : et malgré tout, il reste « visible nulle part » :
- Déserte l’omniscience : pas de narrateur omniscient comme chez Balzac, qui décrit, ancre et situe
l’action et donne un point de vue final sur l’histoire (d’ailleurs, suppression dans les brouillons des
phrases dans lesquelles le narrateur était omniscient : « Jamais, en effet, la belle-mère et sa bru ne se
revirent » [6_38v, III,5 - phrase supprimée] ou « Il y a des gens à qui le Beau, l'Élégant déplaît. C'est
ce qui fait qu'on calomnie les grands hommes, qu'on déteste les poètes, que le peuple hait les riches. »
[5_262] : le développement s'étend sur sept folios, mais tout a disparu dans le texte édité [F_415].
- Flaubert veut sabstraire de son roman et toucher le réel directement, cest-à-dire en sortant de ses
phrases et en en laissant la responsabilité à ses personnages : point de vue interne souvent utilisé :
Emma est vue par Charles comme un idéal de beauté tandis que son père la voit comme un fardeau
dont il aimerait bien se débarrasser. Il en va de même pour Berthe : on ne sait pas si elle est jolie ou
laide.
> cette utilisation permanente du point de vue interne brouille les pistes : Flaubert ne délivre
pas de message clair sur ses personnages. En cela, il sécarte du réalisme vu par Balzac qui ne cesse
d’intervenir dans ses romans.
- Il en va de même pour les descriptions :”Je regarde comme très secondaire le détail technique, le
renseignement, local, enfin le côté historique et exact des choses.” : Rouen vu par Emma (III,5
p.347). En apparence, le passage se présente bien comme une vue d’ensemble : la rivière, les ponts, les
collines, les îles, les usines, les navires, les toits…Mais le panorama est vu et recréé par Emma :
sélection inconsciente des éléments de description qui correspond à la lection du personnage au
moment où il regarde : la description devient une bouffée de sensations plus qu’une cartographie réelle
et détaillée. Elle voit ce qu’elle veut voir : ciel, panaches, navires (tout ce qui élargit ou permet
l’envol) + brouillard, confusion + mouvement/immobilité (s’élargissait, remontait, se dressaient /
ancre, se tassaient, arrêtés, se brisaient…).
> Peu de souci de la topographie réelle de la ville : illusion réaliste plus que réalisme pur.
- déhistoricisation du récit : on ne sait pas quand les actions se passent : montre comment les grands
événements n’influent pas sur les destins des individus. Déserte l’histoire : plus de date, se situe entre
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