86 K. BELABAS
Commençons par une équation difficile... dans un contexte sans
difficulté :
Théorème 0.1. — Soit n > 2et x,y,ztrois polynômes à coefficients
complexes, premiers entre eux. Alors xn+yn=znimplique que les
trois polynômes sont des constantes.
Démonstration. — Supposons qu’il existe trois polynômes (x, y, z)
premiers entre eux satisfaisant xn+yn=zn, tels que le maximum
des trois degrés soit D > 0. On les choisit tels que Dsoit minimal.
Posant ζ:= exp(2iπ/n), on a
(1) zn=xn+yn= (x+y)(x+ζy)(x+ζ2y)···(x+ζn−1y).
Deux facteurs quelconques du produit n’ont pas de diviseur commun,
puisqu’un tel facteur diviserait xet y. Leur produit étant une puis-
sance n-ème, ces facteurs sont de la forme βun,β∈C∗, ce qui s’écrit
encore (αu)n. Puisque n−1>2, il existe des polynômes u,v,w
premiers entre eux tels que
x+y=un, x +ζy =vn, x +ζ2y=wn.
En éliminant xet yde ces équations, on trouve wn+ζun= (1 + ζ)vn.
Les constantes entrent de nouveau sous les puissances et on pose
x0=w,y0=ζ1/nu,z0= (1 + ζ)1/nv, qui vérifient x0n+y0n=z0n. Ces
nouveaux polynômes sont toujours premiers entre eux (ζ+ 1 = 0 im-
plique n= 2) et de degré maximal D0satisfaisant 0< D06D/n < D.
Contradiction.
Il y a essentiellement deux arguments dans la preuve :
–Ccontient ζet chaque complexe à une racine n-ème,
–C[X]est factoriel (notion de pgcd et écriture comme puissances
n-èmes).
Le premier est surtout une étape conceptuelle : même si l’on s’in-
téresse aux solutions dans Z[X], raisonner dans Z[X]est inadapté.
On agrandit l’anneau de base pour pouvoir travailler ; mais pas trop,
pour ne pas vider le problème de sa substance arithmétique : dans
l’anneau de séries formelles C[[X]], tout devient trivial. Le deuxième
argument, par contre, est profond. Si l’on essaie de démontrer Fer-
mat sur Qen copiant le premier point, on introduit l’anneau Z[ζ],
qui n’est presque jamais factoriel. La théorie algébrique des nombres