Actes,
Congrès
intern.
Math.,
1970. Tome 3, p. 15 à 19.
ÉTATS D'ÉQUILIBRE DES SYSTÈMES INFINIS
EN MÉCANIQUE STATISTIQUE
par David RUELLE
Au cours de ces dernières années, la mécanique statistique a été l'objet d'un
sérieux effort de compréhension mathématique. Cet effort a conduit à la décou-
verte de structures simples et remarquables que je voudrais décrire rapidement.
Je me limiterai à un sujet : les états d'équilibre des systèmes infinis, et j'envisagerai
un type de système particulièrement simple : les gaz sur un réseau(1).
1.
Etats d'un gaz sur un réseau.
On utilise l'espace
Zv
des
p-tuples
d'entiers (v > 0) pour décrire un réseau
(cristallin). Chaque x
€ZV
peut être occupé par zéro (0) ou une (1) particule.
Dans ce modèle discrétisé d'un gaz, les configurations
sont
les fonctions X :
Zv
-*{0,1},
c'est-à-dire les éléments de
àc={o,i}z"
On confondra dans ce qui suit une configuration X et le
sous-ensemble
de
Zp
dont X est fonction caractéristique,
c'est-à-dire
que l'on identifiera X à
&(ZV).
On prend sur {0, 1} la topologie discrète donc X, comme produit, est compact,
Les états du système sont les mesures de probabilité sur X et forment un ensemble
convexe compact E (pour la topologie vague).
2.
Interactions. Energie.
On appellera interactions les fonctions réelles
$
définies sur les parties finies de
Zv
et telles que
(11)
$(0)
=
O
(12)
\m\x
=
2
I^WI
<
°° Pour
tout x
X3x
Pour X fini C
Zv
on définit une énergie U par
u(X)
=
u^x)
=
£ *(y)
3.
Etats de Gibbs. Limite thermodynamique.
L'idée fondamentale de la mécanique statistique classique de l'équilibre est
d'associer à une fonction énergie U des mesures de probabilité
pA
pour les sys-
tèmes "finis" A, puis d'étudier la limite A
-*
°°.
(1) Parmi les auteurs des résultats décrits
ci-dessous,
citons entre autres Dobrushin, Lanford
et Robinson. Voir [6]
ch.
6 et 7, [1],
[2]
et [5).
16
D.
RUELLE
E
1
Soit
A
fini
CZ".
On
appelle état
de
Gibbs
la
mesure
de
probabilité
sur
{0,1)A
(identifié
à
«(A))
définie
par
pA
( X ) =
Z"1
<?""*
w
pour
Z
C A
z=
2
*-"•»
*:A-CA
Si
A C A, on
notera
p£
la
projection
de
pA
sur
S5(A)
:
p£ (GD)
=
2
PA
(tf
U
7})
pour
ZCA
YCA\A
3.1.
Soit
(A„)
une
suite
de
sous-ensembles
finis
de
Zv
tendant vers
°°(A
C
Aw
pour tout
A
fini
et n
assez grand).
On
peut extraire
de
(An)
une
suite partielle
(A'n)
telle
que
pour tout
A
fini,
la
limite suivante existe
lim
pA«
=
°A
n->oo «
//
existe alors
une
mesure
de
probabilité (unique)
a sur X =
&(ZV)
dont
la
projection
sur
*8(A)
soit
oA
pour tout
A
fini.
On appelle
a
E E une
limite thermodynamique
d'états
de
Gibbs. Nous voulons
interpréter
ces
limites comme états d'équilibre
d'un
système infini, mais
il est
avantageux d'introduire
une
définition plus générale.
4.
Etats d'équilibre.
Pour
X, Y C
Zvs
X
fini, nous définissons
W(X,
Y)=
Z
*(U)
U.UCXUY
où
la
somme
est
étendue
aux U
finis tels
que U
n
X
¥=
0 et U
H
Y
¥^0.
Il
suit
de
(12)
que
W(X,.)
est une
fonction continue
sur X. Si
X,
Y
sont finis
et disjoints
on a
U(X U
Y)
=
£/(*)
+ U(Y) +
W(X,
Y)
Pour
A
fini
C
Zv,
X C A et
7
C
Z*\A,
soit
avec
ZY
=
£
A-"«*)-***)
*CA
Remarquons
que
l'état
de
Gibbs
est
donné
par
pA({X})
=fA(p(X).
Suivant Dobrushin
[1]
nous dirons
que
oG£
est un
état d'équilibre
si
pour
tout
A il
existe
une
mesure
de
probabilité
aA
SUT*R(ZV\A)
telle que
(*)
oA(iX})
= ffAY(X)oA(dY)
Cela revient
à
dire
que
fAtYVO
peut s'interpréter comme probabilité condition-
nelle
de
trouver
la
configuration
X
dans
A si
y
est
réalisée dans
ZV\A.
4.1.
Toute limite thermodynamique
d'états
de
Gibbs
est un
état
d'équilibre,
ETATS D'EQUILIBRE DES SYSTEMES INFINIS
17
4.2.
L'ensemble
K^
des états d'équilibre est convexe compact, c'est un Sim-
plexe de Choquet.
Un état d'équilibre peut donc être représenté de manière unique comme résul-
tante d'états d'équilibre extrémaux.
Soit
6L
=
&(X)
la
C*-algèbre
des fonctions complexes continues
sur SC
=
<£(Z").
Pour A fini C Z" on définit
6LA
comme la sous-algèbre des fonctions X
->
A(X)
qui ne dépendent que de X
C\
A
(0CA
est isomorphe à
ß($(A)).
On a alors la
caractérisation suivante :
4.3.
Un état d'équilibre a est
extremal
si et seulement si la condition (de
Cluster) suivante est satisfaite.
(C) Pour tout
Aea
il existe A fini C Z" tel que
(BG6CA
et A H A = 0)
=> \\a(AB)
- o(A)
a(B)\\
< \\B \\
4.4.
Remarque. La construction de
Gel'fand-Naïmark-Segal
donne une repré-
sentation
ir
de
OL
dans les opérateurs bornés sur
L2(o).
Soit
<ß =
nA
[UA:AnA=qtir(aA)]-
où ~ désigne la fermeture faible. La décomposition d'un état d'équilibre en
états d'équilibre extrémaux correspond à la diagonalisation de
Valgèbre
à
l'infini
fô. L'état a est
extremal
si et seulement si
(B
est triviale.
5. Unicité ou non-unicité des états d'équilibre.
On peut dans certains cas démontrer l'unicité de l'état d'équilibre (on y arrive
en transformant les équations d'équilibre (*) en une équation intégrale linéaire
non homogène à noyau borné dans un espace de Banach adéquat). Dans d'autres
cas on sait qu'il y a plusieurs états d'équilibre distincts (voir [2]).
6. Rôle de l'invariance par translation.
Nous n'avons jusqu'ici fait aucun usage de la structure additive de Z". On
pourrait donc reformuler ce qui précède (et ce serait plus naturel) en remplaçant
Zv
par un ensemble dénombrable "abstrait" N. Nous allons maintenant considérer
des interactions invariantes par translations, c'est-à-dire satisfaisant
(13) &(X
+ x) =
&(X)
si X est fini C
Z11
et x
e
Z"
Ces interactions forment un espace de Banach pour la norme
II*II=
S
I*(JOI
X30
L'introduction de l'invariance par translation conduit à des développements com-
plètement nouveaux de la théorie, permettant en particulier de caractériser les
états d'équilibre invariants par un principe variationnel.
7. Entropie.
Les translations de Z" définissent des homéomorphismes
TX
: X
->
X
4-
x de
X.
Soit I l'ensemble des états invariants par ces homéomorphismes. L'ensemble
18
D.
RUELLE E 1
I C E est convexe
compact,
et c'est un simplexe de Choquet. Si
a G
/,
(X,
a, T)
est un système dynamique abstrait.
Soit
aA
une mesure de probabilité sur
3K(A)
; on lui associe une entropie
SA
=-
S
aA(«})logaA(0})
*CA
Soit aussi
MA)
= card A.
7.1.
Si
aA
désigne la
projection sur
S8(A)
d'un état a
G
/,
alors la
limite
suivante
existe
s(o)
= Um
N(A)-1
SA
quand A tend vers l'infini dans un sens
convenablei}).
La fonction s(.)
estaffine
semi-continue
supérieurement
sur I.
En fait pour v = 1, s(o) n'est autre que l'invariant de
Kolmogorov-Sinaï
du
système dynamique
(X,
o,
r).
8. Pression.
8.1.
Soit
$
EÖ3,
alors
la limite suivante existe
P(&)
=
lim
N(A)-1 log Z = lim
A^A)"1
log
£ e~u*m
X:XC
A
quand A tend vers l'infini dans un sens
convenable^).
La fonction P(.)
est
conti-
nue (en fait
\P(<&)
-
P(V)\
< ||
$
-
*||)
et convexe(3).
La quantité P est (essentiellement) la pression thermodynamique.
9. Principe variationnel.
A toute interaction
<£ Gfô
nous associons
A&& <B(£E) \A$
est une "variable
aléatoire" ou "observable" donnant la contribution d'un point (0) du réseau
à l'énergie
U^.
Nous posons
y:0GyCAT
7V^
9.1.
SÏ $ G 03
on
a
l'identité
(**)
i>(<*>)
= max
[*(a)-o(^)]
oG/
(1) Par exemple A est un parallélipipède {x
G
Zp
: 0 <
x'
<
a*
pour
f
= 1,..., v}
et
a1,...,
a"
-*«»
(2) Voir précédente note en bas de page.
(3)
On montre que
Pest strictement convexe
: P(~r$
+—^)
=—P(®)
+—PO^O
seule-
ment si
<&
=
^
ETATS D'EQUILIBRE DES SYSTEMES INFINIS
19
9.2.
Le
maximum
de (**) est
atteint précisément pour
les
états invariants
a
qui sont
des
états d'équilibre.
Si
KQ
est
l'ensemble
des
états d'équilibre,
le
maximum de (**)
est
donc atteint
sur
/ O
KQ
.
9.3.
L'ensemble
I
O K#
est
non-vide,
il est
convexe compact, c'est un
simplexe
de
Choque
t,
c'est une face
du
simplexe
I.
Un état d'équilibre invariant
o
a
donc
une
décomposition unique
en
états d'équi-
libre invariants extrémaux. Comme
/ O K$
est une
face
de /,
cette décompo-
sition
est la
même
que la
décomposition
de
o
en
états invariants extrémaux
(décomposition ergodique).
On
l'interprète physiquement comme décomposition
de
o en
phases thermodynamiques pures.
9.4.
Il
existe
un
"grand" sous-ensemble
D C
Ci
(D est
résiduel)
tel que I
O
K^
est réduit
à
un point
si
4>
G
D.
Donc
"en
général"
il
n'existe qu'une phase thermodynamique pure associée
à
une
interaction
$
G
6h.
(C'est
une
forme faible
de la
règle
des
phases
de
Gibbs).
Quand
une
phase thermodynamique pure
a une
décomposition non-triviale
en
états d'équilibre extrémaux (voir
4.2) on dit que l'on se
trouve
en
présence d'une
symétrie brisée
(la
symétrie dont
il
s'agit
est
l'invariance
par
translations
du
réseau). Dobrushin
[2] a
donné
des
exemples explicites
de
symétries brisées.
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Route
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Bures-Sur-Yvette (France)
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