Hydatidose vertébrale : à propos d`une observation

Hydatidose vertébrale : à propos dune observation
Hydatid disease of the spine: a case report
Aissam Elmaataoui
Elmostafa Miss
Hicham Esselmani
Omar Derfoufi
Mostafa Sabri
Mohamed Lyacoubi
Sarra Aoufi
Service de parasitologie,
Hôpital Ibn Sina,
Faculté de médecine et de pharmacie,
Rabat, Maroc
Article reçu le 28 juin 2010,
accepté le 17 septembre 2010
Résumé. Lhydatidose osseuse est rare. Le diagnostic repose sur des argu-
ments épidémiologiques, cliniques, biologiques et radiologiques. Le traitement
est essentiellement chirurgical, avec un pronostic défavorable. Dans cette
observation, nous rapportons le cas dun homme de 45 ans hospitalisé au ser-
vice de neurochirurgie, pour dorsalgies avec lourdeurs des membres inférieurs
et supérieurs et des troubles sphinctériens. À travers ce cas, nous soulignons le
rôle du laboratoire de parasitologie dans le diagnostic et la prise en charge de
cette pathologie.
Mots clés : hydatidose osseuse, chirurgie, Echinococcus granulosis
Abstract. Hydatid disease of the spine is rare and has a poor prognosis,
presenting both diagnostic and therapeutic challenges. The diagnosis is based
on epidemiological, clinical, biological and radiological arguments. Treatment
is primarily surgical. In this observation we report the case of a 45 years old
man hospitalized for back pain with heaviness of lower limbs and upper
sphincter disorders. Through this case we emphasize the role of the parasito-
logical laboratory in the diagnosis and management of this disease.
Key words: hydatid cyst of bone, surgery, Echinococcus granulosis
Lhydatidose, ou échinococcose hydatique à Echino-
coccus granulosus, est une anthropozoonose cosmopolite.
Elle touche tous les continents, avec une forte prévalence
dans les régions délevages et rurales : bassin méditerra-
néen, Afrique de lOuest, Russie et les pays voisins,
Chine, Australie, Amérique du Sud [1]. Le parasite res-
ponsable de léchinococcose osseuse est le Taenia Echi-
nococcus granulosus.Lhomme est un hôte accidentel
abritant la forme larvaire de ce parasite, qui vit à létat
adulte dans lintestin du chien (hôte définitif). La préva-
lence de lhydatidose est de 8 pour 100 000 habitants par
an au Maroc [2]. Nous rapportons un cas dhydatidose
vertébrale, et nous soulignons limportance du laboratoire
de parasitologie dans le diagnostic de cette parasitose.
Lobservation
Un homme de 45 ans, fumeur (25 paquets-année), avec
antécédent de tuberculose pulmonaire traitée 5 ans, vivant
auparavant dans la région dEljadida au Maroc en milieu
rural, a été admis au service de neurochirurgie pour une
compression médullaire. Lhistoire de la maladie remon-
tait à 5 mois avant lhospitalisation, avec dorsalgie, lour-
deur des membres inferieurs et supérieurs, et troubles
sphinctériens. Le bilan biochimique (tableau 1)etla
numération formule sanguine contrôlée par un frottis san-
guin nont pas montré de particularités (éosinophiles :
0,2 G/L). Le sérodiagnostic de lhydatidose par hémag-
glutination indirecte (Hydatidose Fumouze
®
) était positif
au titre 1/640. Deux autres sérologies ont été réalisées par
la technique dimmunofluorescence indirecte et par le test
Enzyme linked sorbent assay (positif : 1/400). La tomoden-
sitométrie a montré de vastes érosions osseuses corpo-
réales des vertèbres contiguës (D5, D6, D7) et présentant
un contingent comblant le trou de conjugaison (D6, D7)
en repoussant manifestement le sac dural à ce niveau
(figure 1). Une imagerie par résonance magnétique
(IRM) a été pratiquée au niveau dorsal (figure 2). Elle a
révélé une compression médullaire en rapport avec un
processus ostéolytique associée à une masse kystique cloi-
sonnée des parties molles paravertébrales droites. Le diag-
biologie au quotidien
Ann Biol Clin 2010 ; 68 (6) : 729-32
doi: 10.1684/abc.2010.0489
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nostic de kyste hydatique a été retenu. Une radiographie
thoracique et une échographie abdominale nont pas
trouvé dautres localisations, à lexception dun kyste
au niveau du rein gauche de localisation corticale polaire
inférieure de taille 19,2 × 14,1 mm (figure 3). Une inter-
vention chirurgicale par thoracotomie postérolarale droite
passant dans le sixième espace intercostal est réalisée.
Lexploration trouve de nombreux kystes paravertébraux.
Louverture et lévacuation du périkyste ont consisté en
une résection du périkyste et une corporectomie D6-D7,
siège dune ostéolyse. Les vésicules hydatiques ont été
transmises au service de parasitologie. Laspect des vési-
cules est représenté sur la figure 4.Lexamen du liquide
des vésicules hydatiques a montré au microscope au gros-
sissement ×400, de nombreux scolex dévaginés munis de
crochets et crochets libres. La figure 5 montre la présence
de scolex dEchinococcus granulosis.
Discussion
Le kyste hydatique est une parasitose due au développe-
ment de la forme larvaire du tænia du chien Echinococcus
granulosus. Tous les organes peuvent être atteints, notam-
ment le foie et le poumon, sous forme de masse liqui-
dienne parfois assez volumineuse, ou kyste hydatique
[3]. Lhydatidose osseuse est rare, même en zone dendé-
mie. Elle ne représente que 0,5 à 2,5 % de lensemble des
localisations hydatiques [4, 5]. Au sein des localisations
osseuses, la localisation vertébrale est présente dans 35 %
des cas, pelvienne dans 21 %, fémorale dans 16 %, tibiale
dans 10 %, costale dans 6 %, scapulaire dans 4 %, humé-
biologie au quotidien
Figure 1. Tomodensitométrie du rachis.
Tableau 1. Bilan biochimique sanguin du cas présenté.
Patient Valeurs
fre
´quentes
Glucose (mmol/L) 5,3 4,1-5,9
Ure
´e (mmol/L) 5,1 1,7-8,3
Cre
´atinine (μmol/L) 109 60-105
Aspartate aminotransfe
´rase (UI/L) 13 12-48
Alanine aminotransfe
´rase (UI/L) 31 3-55
Phosphatase alcaline (UI/L) 67 80-280
Gamma-glutamyltransfe
´rase (UI/L) 37 < 371
Bilirubine totale (μmol/L) 5 < 17
Figure 2. Imagerie par résonance magnétique du rachis montrant la masse kystique avant linjection du godalinum (à gauche) après
linjection du godalinum (à droite).
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rale dans 2 % et pelvienne dans 2 % des cas [6]. La loca-
lisation rénale est rare : elle représente moins de 5 % des
formes viscérales [2]. Les localisations viscérales les plus
fréquentes sont le foie (60 %) et le poumon (30 %).
Lincidence du kyste hydatique au Maghreb est de 10 cas
annuels pour 100 000 habitants, 0,85 % des admissions
en Libye, 5 pour 100 000 habitants en Israël, 3,8 cas
pour 100 000 habitants au Liban, 6,5 pour 100 000 habitants
en Iran [7]. Au Maroc, le kyste hydatique constitue un réel
problème de santé publique. Le nombre de cas déclarés
en 2007 était de 1 641, contre 1 403 cas en 2006. Le nom-
bre de provinces et préfectures touchées est de 67 sur un
nombre total de 69. La répartition selon le milieu montre
que 63 % des cas sont enregistrés en milieu rural contre
37 % en milieu urbain. Lincidence du kyste hydatique
en 2007 est de 5,3 pour 100 000 habitants, contre
4,5 pour 100 000 habitants en 2006. Le foie reste lorgane
le plus touché avec 82 %, suivi du poumon : 14 % (autres
localisations : 4 %). La mortalité est de 0,3 % [8].
Le patient présente une localisation vertébrale de lhyda-
tidose, avec un kyste rénal situé au niveau du rein gauche,
de localisation corticale et préférentiellement polaire, en
faveur dun kyste hydatique de type 1 selon la classifica-
tion du Gharbi et al. [2, 9]. Cliniquement, lhydatidose
vertébrale est asymptomatique pendant plusieurs années ;
la souffrance radiculomédullaire est ensuite lexpression
dune compression neurologique [10]. Latteinte primitive
est le plus souvent isolée et concerne deux à trois vertè-
bres contiguës. Lextension hydatique peut se faire à tra-
vers le disque, qui semble résister à cet envahissement.
La transmission dune vertèbre à lautre se fait par voie
sous-ligamento-périostée. Lenvahissement parasitaire
dépasse les limites de la vertèbre et intéresse le canal
rachidien, comprimant ainsi les structures nerveuses
[11]. Lhémogramme chez notre patient na pas révélé
dhyperéosinophilie. Elle est présente dans 40 % des cas,
mais léosinophilie peut être normale lorsque le kyste est
bien hermétique, ou ancien et plus ou moins calcifié [12].
Le diagnostic de cette maladie repose sur limagerie par
résonance magnétique (IRM) [13] ; les coupes pondérées
en T2 permettent de bien étudier lextension locorégionale
et endocanalaire de lhydatidose. Elle montre une masse
kystique le plus souvent ovalaire circonscrite sans septa,
de taille variable, en hyposignal T1 et hypersignal T2.
Cette masse ne se modifie pas après injection de gado-
linium et ne présente pas dœdème périlésionnel. En cas
de kyste multivésiculaire, les cloisons sont en signal
intermédiaire en T1 et en signal hypo-intense en T2.
LIRM définit avec précision latteinte des tissus mous.
La tomodensitométrie localise le processus expansif, qui
apparaît hétérogène avec des densités liquidiennes cloi-
sonnées et dautres tissulaires prenant le contraste, et des
séquestres [14].
Un cas d’hydatidose verte
´brale
Figure 4. Aspect macroscopique des vésicules hydatiques.
Scolex
Figure 5. Scolex du tænia Echinococcus granulosus.
Figure 3. Échographie montrant un kyste cortical pariétal inférieur
de taille 1,92 x 1,41.
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Le scanner précise lextension endocanalaire ainsi que
léventuelle compression nerveuse et latteinte des muscles.
Le diagnostic de certitude est résolu par le résultat anato-
mopathologique ou biologique (la recherche de scolex).
La chirurgie demeure le traitement de choix, elle consiste
en une résection large des os atteints et des muscles avoi-
sinants. Cette résection est rarement radicale et les récidives
sont fréquentes. La chirurgie est associée à une grande mor-
talité et morbidité [15]. Un traitement médical par mében-
dazole (Vermox
®
), albendazole (Zentel
®
) est préconisé en
association avec la chirurgie en pré- et postopératoire pour
prévenir les récidives. Lalbendazole a une biodisponibilité
supérieure au mébendazole, et pour cela une meilleure effi-
cacité contre les helminthes [16]. Notre malade a été trai
par albendazole en phases pré- et post-chirurgicales.
Lévolution en cas dhydatidose osseuse est souvent
défavorable. Elle dépend de la précocité du diagnostic et
de lintervention chirurgicale. Le pourcentage de survie
à cinq ans est denviron 50 % ; le taux de récidive est
fréquent et la mortalité est élevée [11].
Conclusion
Lhydatidose osseuse est rare. Son diagnostic doit être sus-
pecté devant une masse kystique chez un patient originaire
dune zone endémique. Le traitement est chirurgical avec
possibilité de récidive. Le traitement médical seul na pas
prouvé son efficacité. Le pronostic est défavorable et
dépend de la précocité de la prise en charge des patients.
Conflit dintérêts : aucun.
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