Hydatidose vertébrale : à propos d`une observation

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biologie au quotidien
Ann Biol Clin 2010 ; 68 (6) : 729-32
Hydatidose vertébrale : à propos d’une observation
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Hydatid disease of the spine: a case report
Aissam Elmaataoui
Elmostafa Miss
Hicham Esselmani
Omar Derfoufi
Mostafa Sabri
Mohamed Lyacoubi
Sarra Aoufi
Résumé. L’hydatidose osseuse est rare. Le diagnostic repose sur des arguments épidémiologiques, cliniques, biologiques et radiologiques. Le traitement
est essentiellement chirurgical, avec un pronostic défavorable. Dans cette
observation, nous rapportons le cas d’un homme de 45 ans hospitalisé au service de neurochirurgie, pour dorsalgies avec lourdeurs des membres inférieurs
et supérieurs et des troubles sphinctériens. À travers ce cas, nous soulignons le
rôle du laboratoire de parasitologie dans le diagnostic et la prise en charge de
cette pathologie.
Service de parasitologie,
Hôpital Ibn Sina,
Faculté de médecine et de pharmacie,
Rabat, Maroc
<[email protected]>
Mots clés : hydatidose osseuse, chirurgie, Echinococcus granulosis
Article reçu le 28 juin 2010,
accepté le 17 septembre 2010
Abstract. Hydatid disease of the spine is rare and has a poor prognosis,
presenting both diagnostic and therapeutic challenges. The diagnosis is based
on epidemiological, clinical, biological and radiological arguments. Treatment
is primarily surgical. In this observation we report the case of a 45 years old
man hospitalized for back pain with heaviness of lower limbs and upper
sphincter disorders. Through this case we emphasize the role of the parasitological laboratory in the diagnosis and management of this disease.
Key words: hydatid cyst of bone, surgery, Echinococcus granulosis
doi: 10.1684/abc.2010.0489
L’hydatidose, ou échinococcose hydatique à Echinococcus granulosus, est une anthropozoonose cosmopolite.
Elle touche tous les continents, avec une forte prévalence
dans les régions d’élevages et rurales : bassin méditerranéen, Afrique de l’Ouest, Russie et les pays voisins,
Chine, Australie, Amérique du Sud [1]. Le parasite responsable de l’échinococcose osseuse est le Taenia Echinococcus granulosus. L’homme est un hôte accidentel
abritant la forme larvaire de ce parasite, qui vit à l’état
adulte dans l’intestin du chien (hôte définitif). La prévalence de l’hydatidose est de 8 pour 100 000 habitants par
an au Maroc [2]. Nous rapportons un cas d’hydatidose
vertébrale, et nous soulignons l’importance du laboratoire
de parasitologie dans le diagnostic de cette parasitose.
L’observation
Un homme de 45 ans, fumeur (25 paquets-année), avec
antécédent de tuberculose pulmonaire traitée 5 ans, vivant
auparavant dans la région d’Eljadida au Maroc en milieu
Ann Biol Clin, vol. 68, no 6, novembre-décembre 2010
rural, a été admis au service de neurochirurgie pour une
compression médullaire. L’histoire de la maladie remontait à 5 mois avant l’hospitalisation, avec dorsalgie, lourdeur des membres inferieurs et supérieurs, et troubles
sphinctériens. Le bilan biochimique (tableau 1) et la
numération formule sanguine contrôlée par un frottis sanguin n’ont pas montré de particularités (éosinophiles :
0,2 G/L). Le sérodiagnostic de l’hydatidose par hémagglutination indirecte (Hydatidose Fumouze®) était positif
au titre 1/640. Deux autres sérologies ont été réalisées par
la technique d’immunofluorescence indirecte et par le test
Enzyme linked sorbent assay (positif : 1/400). La tomodensitométrie a montré de vastes érosions osseuses corporéales des vertèbres contiguës (D5, D6, D7) et présentant
un contingent comblant le trou de conjugaison (D6, D7)
en repoussant manifestement le sac dural à ce niveau
(figure 1). Une imagerie par résonance magnétique
(IRM) a été pratiquée au niveau dorsal (figure 2). Elle a
révélé une compression médullaire en rapport avec un
processus ostéolytique associée à une masse kystique cloisonnée des parties molles paravertébrales droites. Le diag729
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Tableau 1. Bilan biochimique sanguin du cas présenté.
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Patient
Glucose (mmol/L)
Urée (mmol/L)
Créatinine (μmol/L)
Aspartate aminotransférase (UI/L)
Alanine aminotransférase (UI/L)
Phosphatase alcaline (UI/L)
Gamma-glutamyltransférase (UI/L)
Bilirubine totale (μmol/L)
5,3
5,1
109
13
31
67
37
5
Valeurs
fréquentes
4,1-5,9
1,7-8,3
60-105
12-48
3-55
80-280
< 371
< 17
nostic de kyste hydatique a été retenu. Une radiographie
thoracique et une échographie abdominale n’ont pas
trouvé d’autres localisations, à l’exception d’un kyste
au niveau du rein gauche de localisation corticale polaire
inférieure de taille 19,2 × 14,1 mm (figure 3). Une intervention chirurgicale par thoracotomie postérolatérale droite
passant dans le sixième espace intercostal est réalisée.
L’exploration trouve de nombreux kystes paravertébraux.
L’ouverture et l’évacuation du périkyste ont consisté en
une résection du périkyste et une corporectomie D6-D7,
siège d’une ostéolyse. Les vésicules hydatiques ont été
transmises au service de parasitologie. L’aspect des vésicules est représenté sur la figure 4. L’examen du liquide
des vésicules hydatiques a montré au microscope au grossissement ×400, de nombreux scolex dévaginés munis de
crochets et crochets libres. La figure 5 montre la présence
de scolex d’Echinococcus granulosis.
Discussion
Figure 1. Tomodensitométrie du rachis.
Le kyste hydatique est une parasitose due au développement de la forme larvaire du tænia du chien Echinococcus
granulosus. Tous les organes peuvent être atteints, notamment le foie et le poumon, sous forme de masse liquidienne parfois assez volumineuse, ou kyste hydatique
[3]. L’hydatidose osseuse est rare, même en zone d’endémie. Elle ne représente que 0,5 à 2,5 % de l’ensemble des
localisations hydatiques [4, 5]. Au sein des localisations
osseuses, la localisation vertébrale est présente dans 35 %
des cas, pelvienne dans 21 %, fémorale dans 16 %, tibiale
dans 10 %, costale dans 6 %, scapulaire dans 4 %, humé-
Figure 2. Imagerie par résonance magnétique du rachis montrant la masse kystique avant l’injection du godalinum (à gauche) après
l’injection du godalinum (à droite).
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Un cas d’hydatidose vertébrale
Figure 3. Échographie montrant un kyste cortical pariétal inférieur
de taille 1,92 x 1,41.
Figure 4. Aspect macroscopique des vésicules hydatiques.
Scolex
Figure 5. Scolex du tænia Echinococcus granulosus.
Ann Biol Clin, vol. 68, no 6, novembre-décembre 2010
rale dans 2 % et pelvienne dans 2 % des cas [6]. La localisation rénale est rare : elle représente moins de 5 % des
formes viscérales [2]. Les localisations viscérales les plus
fréquentes sont le foie (60 %) et le poumon (30 %).
L’incidence du kyste hydatique au Maghreb est de 10 cas
annuels pour 100 000 habitants, 0,85 % des admissions
en Libye, 5 pour 100 000 habitants en Israël, 3,8 cas
pour 100 000 habitants au Liban, 6,5 pour 100 000 habitants
en Iran [7]. Au Maroc, le kyste hydatique constitue un réel
problème de santé publique. Le nombre de cas déclarés
en 2007 était de 1 641, contre 1 403 cas en 2006. Le nombre de provinces et préfectures touchées est de 67 sur un
nombre total de 69. La répartition selon le milieu montre
que 63 % des cas sont enregistrés en milieu rural contre
37 % en milieu urbain. L’incidence du kyste hydatique
en 2007 est de 5,3 pour 100 000 habitants, contre
4,5 pour 100 000 habitants en 2006. Le foie reste l’organe
le plus touché avec 82 %, suivi du poumon : 14 % (autres
localisations : 4 %). La mortalité est de 0,3 % [8].
Le patient présente une localisation vertébrale de l’hydatidose, avec un kyste rénal situé au niveau du rein gauche,
de localisation corticale et préférentiellement polaire, en
faveur d’un kyste hydatique de type 1 selon la classification du Gharbi et al. [2, 9]. Cliniquement, l’hydatidose
vertébrale est asymptomatique pendant plusieurs années ;
la souffrance radiculomédullaire est ensuite l’expression
d’une compression neurologique [10]. L’atteinte primitive
est le plus souvent isolée et concerne deux à trois vertèbres contiguës. L’extension hydatique peut se faire à travers le disque, qui semble résister à cet envahissement.
La transmission d’une vertèbre à l’autre se fait par voie
sous-ligamento-périostée. L’envahissement parasitaire
dépasse les limites de la vertèbre et intéresse le canal
rachidien, comprimant ainsi les structures nerveuses
[11]. L’hémogramme chez notre patient n’a pas révélé
d’hyperéosinophilie. Elle est présente dans 40 % des cas,
mais l’éosinophilie peut être normale lorsque le kyste est
bien hermétique, ou ancien et plus ou moins calcifié [12].
Le diagnostic de cette maladie repose sur l’imagerie par
résonance magnétique (IRM) [13] ; les coupes pondérées
en T2 permettent de bien étudier l’extension locorégionale
et endocanalaire de l’hydatidose. Elle montre une masse
kystique le plus souvent ovalaire circonscrite sans septa,
de taille variable, en hyposignal T1 et hypersignal T2.
Cette masse ne se modifie pas après injection de gadolinium et ne présente pas d’œdème périlésionnel. En cas
de kyste multivésiculaire, les cloisons sont en signal
intermédiaire en T1 et en signal hypo-intense en T2.
L’IRM définit avec précision l’atteinte des tissus mous.
La tomodensitométrie localise le processus expansif, qui
apparaît hétérogène avec des densités liquidiennes cloisonnées et d’autres tissulaires prenant le contraste, et des
séquestres [14].
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Le scanner précise l’extension endocanalaire ainsi que
l’éventuelle compression nerveuse et l’atteinte des muscles.
Le diagnostic de certitude est résolu par le résultat anatomopathologique ou biologique (la recherche de scolex).
La chirurgie demeure le traitement de choix, elle consiste
en une résection large des os atteints et des muscles avoisinants. Cette résection est rarement radicale et les récidives
sont fréquentes. La chirurgie est associée à une grande mortalité et morbidité [15]. Un traitement médical par mébendazole (Vermox®), albendazole (Zentel®) est préconisé en
association avec la chirurgie en pré- et postopératoire pour
prévenir les récidives. L’albendazole a une biodisponibilité
supérieure au mébendazole, et pour cela une meilleure efficacité contre les helminthes [16]. Notre malade a été traité
par albendazole en phases pré- et post-chirurgicales.
L’évolution en cas d’hydatidose osseuse est souvent
défavorable. Elle dépend de la précocité du diagnostic et
de l’intervention chirurgicale. Le pourcentage de survie
à cinq ans est d’environ 50 % ; le taux de récidive est
fréquent et la mortalité est élevée [11].
Conclusion
L’hydatidose osseuse est rare. Son diagnostic doit être suspecté devant une masse kystique chez un patient originaire
d’une zone endémique. Le traitement est chirurgical avec
possibilité de récidive. Le traitement médical seul n’a pas
prouvé son efficacité. Le pronostic est défavorable et
dépend de la précocité de la prise en charge des patients.
Conflit d’intérêts : aucun.
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