La mort chez les Daza du Niger

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LA MORT CHEZ LES DAZA DU NIGER
Catherine BAROIN
RÉSUMÉ
Les Daza du Niger, pour enterrer leurs
morts, se.confonnentaux prkceptesde fislain
adopt6s depuis longtemps par toutes les populations pastorales de la zone saiharosahklienne. Ces rites tranchent, par leur sobriCt6,
avec la richesse de ceux qui s'obsetvent
chez les populations animistes du sud du bassin du Tchad. Pour les interprkter, on ne
peut quese n5fCrer aux grilles classiques d'analyse des
rites de passage.
Mots-clds :Daza, funCrailles, islam, religion.
ABSTRACT
DEATH AMONG THE DAZA OF NIGER
To bury theirdeads, the Daza of Niger follow the islamic
rules which were adopteda
long time agoby all the pastoral peoplesof the saharo-sahelian zone. These
sober rites
stand in sharp contrast with the very elaborate ones which can be seen among the
animistic populations of the southern Chad basin. Their interpretation refers to the
classical analysisof rites of passage.
Keywords :death, burial,Daza, Niger, Tubu, Islam.
*
* *
L'opposition assez vive qui s'observe, dans le bassin du Tchad, entre les
populations du nord, pastorales, nomades et islamisees et celles du sud qui
vivent surtout d'agriculture et sont, pour nombre d'entre elles, encore
animistes, se retrouve comme on pouvait s'y attendre,dans le domaine des
rites funetaires. Chez les Daza du Niger, musulmans, eleveursde bovins et de
dromadaires la limite sud du desert, au nord-ouest du lac Tchad, le hasard
me rendit bien vite temoin d'un d6c6s.
5 décembre 1971
Wozina, sœur du chef du campement et mere de sept enfants, a accouch&
ce matin d'une petite fille. Mais elle est bient6t prise de vertiges et de
nausks. Aprb l'avoir allongCe sur le flanc, on lui introduit la tête dans un
mortier pour rem&dierau vertige. Des brins de doum (dB O s O ) lui serrent le
haut des bras, des coudes, les chevilles et le dessous des genoux. A l'aide
d'une th6i&re,une voisine lui fait boire tour B tour divers breuvages. D'abord
c'est de l'eau de gwo r (y i gwo r ) . Il s'agit d'un melange d'eau (y i) et de
gousses pilCes d'Acacia arabica (gwoI) -ces mêmes gousses qui servent B
tanner les peaux. Ensuitela malade avale de l'<<eaunoire>>(y i y a s ko), eau
de rinçage des tablettes de bois sur lesquelles ont 6t6 ecrits des versets du
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Coran B l'encre noire, puis de l'<<eau blanche>>
(y i c ow), melange de petit
lait et de farine de mil crue, donne en rem&de contreles vertiges. La patiente,
poux vomir, enfonce ses doigts au fond de sa bouche. On fait bdler aupr$s
d'elle des bois odorants achetes au mach6 (O I nd et j a O ) dont la fum&
r6pand sous la pdlllotte une odeur d'encens. Contre les vertiges et les maux
de cmur encore, un liquideblanc est vers6 dans son nez. C'est un m&age de
petit lait et de petites graines noires (ws 1 O ) achetees au marche. Son visage
est rafratchi avec de l'eau, puis on lui fait boire un m6lange d'eau et de petit
lait. Les femmes incessrnent la questionnent sur son etat.
Quatre lem6s (ma a 1 1 aa ) entrent sous la pdllotte et prononcent des
priihes sur la malade en faisant <<put! put !Bdans sa direction apr&schaque
phase, tandis qu'une ch&vreest 6gorgeel'exterieur.L'une
des femmes
commence b creuser untroudelrrihre
la malade : en effet, lorsqu'une
accouch6e souffre de vertiges et de mauxde ventre, un remMe habituel
consiste B la placer dam un trou, assise sur les talons et les mains sur les
genoux, puis B la recouvrir de sable jusqu'au cou. Mds Wozina est trop mal
en poiat pour que l'on ait recours B ce traitement. Le trou.est abmdomC.
Contre les nausees toujours, on lui fait boire de l'eau pimentee, melange
de farine .crue, d'eau, de petit lait et de beaucoup de piment. On l'oblige
encore B ingurgiter du petit lait, B respirerdes parfums. Le Coran est
suspendu au-dessus de sa tete et un talisman coranique(me s ks 9 ) noue dans
ses cheveux. Pleines de sollicitude, les femmes font boire B la malade une
boisson nouvelle sit6t qu'elle a vomi la pr$c$dente. Quatre hommes sont
venusprier et beaucoup de femmes sont entrees dans la paillotte.Une
grande natte (ko f u r ) a Ct6 dressee devant le lit pour permettre la presence
sirnultanCe de deux lem& et de lems beHes-m&res.La fafiha est prononc
Puis les hommes s'en vont dnsi que la plupart des femmes. Vers minuit je
retourne sous ma tente.
A deux heures du matin, nous sommes r6veilEs par des pleurs et des cris
perpcants. Ils proviennent d'un groupe de femmes et d'enfants assis 2 l'en&&
de la pdllotte de Wozina. Ces cris de mort, aigus, sont abominables. Nous
entrons. Il y a beaucoup de femmes et d'hommes b l'intêrieur, autour de la
mourante. On cherche b fermer ses yeux qui restent ouverts, on passe le
doigt sous ses narines pour sentir si elle respire encore, on lui prend les
poignets,tate les temremonte
la rnilchoire inferieurepour que la bouche
h peu. Je me fais
ne reste pas ouverte. rhs la mort,tousseretirentpeu
chsser par l'unedesfemmesd'ilge
mOr qui, seules,restent B l'int6rieux
avec la morte.
Quelque temps plus tard, l'une de ces trois femmes m'invite B revenir sous
la paillette wxr il fait Roid dehors. Beaucoup de femmes s'y trouvent dejh.
Le coqs est allong6 par terre le long du lit c6tC nord, la tete vers le su
(commeplus tard dans la tombe). Il est roule dans une couverture et
recouvert d'un tapis de peauxde chhres (de 1 ay ). Seuls les cheveux
depassent. Deux vieilles en dêfont les tresses. Pour un homme on raserait le
cr%ne.Inlassablement, le corps est masse, les bras et les jambes plies et
depllies p u r Bviter leur raidissement. En effet, le corps doit rester souple
jusqu'b l'enterrement, quin'aura lieu qu'en fin de matinCe. Contre le
189
raidissement aussi, du beurre fondu a et6 verse, B deux reprises, dans le nez
de la d6funte. Ces operations sont accompagnees, longtemps, de pleurs et de
chants funkbres. Puis le calme se fait peu B peu. La fille aîn& de Wozina, qui
pleurait toujours au dehors, est ramenee B l'interieur par une vieille parente
qui lui met la main sur la bouche et la gronde : <<A quoi bon pleurer ?B.La
paillotte est remplie de femmes couchees
par terre ou sur le lit, souvent avec
unenfant en bas fige. Elles y resteront jusqu'au matintandis que deux
vieilles femmes continuent de masserle corps de la morte, de plier et deplier
ses membres. Cependant, un hommeest parti B cheval vers un campement au
sud pour annoncer le deces, tandis qu'un autre B dos de chameau vers le
nord accomplissait la m&me mission. Il importe en effet que l'assistance soit
nombreuse B l'enterrement.
A l'aube, un homme de la famille a prisles mesures de la morte avec une
corde et s'en est alle avec trois autres hommes creuser la tombe.
L'emplacement est choisi de preference il proximite d'autres tombes. Il peut
y avoir autour d'un campement plusieurs sites mortuaires,
dans des zones
broussailleuses, car les branches d'epineux sont utilisees pour recouvrir les
tombes en prevention des predateurs. L'orientation par rapport au
campement est indifferente et la distance peut &tre assez faible. Dansle cas
present elle n'excede pas une centaine de mktres.
L'emplacement retenu est balaye et un rectangle trace sur le sol, de guEre
Au
plus d'un mktre de large et de longueur' suffisante, en direction nord-sud.
moyen d'une pelle ce rectangle est creuse sur une profondeur de 50 cm
environ, puis un second trou de moindre largeur (35 cm) est creuse au fond
dupremiersur le cGtC est. C'est lii .que viendra loger le cadavre, B une
profondeur totale d'un m&re environ. Le sable tire du trou est verse sur les
cGt6s est et ouest de la tombe. Des branches de bois d'un mktre de longueur
sont rassemblees et posees au nord du trou, de meme que des tiges fraîches
de g? 3 i (Panicum turgidum). Un homme apporte la paille d'une vieille
paillotte effondree et deux femmes deposent sur place leurs canaris d'eau.
Cependant on -procede B la toilette mortuaire. Dans un espace interieur
limite, sous la paillotte, par une natte et une couverture, il l'abri des regards,
de vieilles femmes font une premikre toilette mortuaire : au-dessus d'un trou
creuse dans le sol de l'habitation, elles lavent B l'eau chaude tout le bas du
corps, depuis les hanches. En m&me temps, un abri provisoire est construit
au dehors prks de l'entrk de la paillotte, du c6te nord-est. Dans cet abri la
vieille esclave de la famille qui proc&deraB la toilette mortuaire a creuse un
trou qu'elle a recouvert de tiges de g? H i (Panicum turgidum). Un groupe
de femmes est assis prks dela paillotte de l'autre c6t6 de l'entrk, au sud-est.
Un paravent installe entre elles etle seuil de l'habitation masque les
leur part, sont absents B
operations B leursregards.Leshommes,pour
l'exception de deux vieillards qui, prks d'une tente voisine, cousent le linceul
de percale blanche ainsi que le gant utilise pour les dernikres ablutions.
Les femmes qui prksident B la premiere toilette mortuaire enveloppent le
corps de son vêtement puis d'une couverture
et le portent dans l'abri au
dehors. AussitGt une couverture est abaissee pudiquement sur l'entree de ce
lieu où sont prodigues les derniers soins. Un savon, un canari d'eau chaude,
le limceul et le gant de percde sont introduits dam l'abri. Le gant est nou$ B
la main gauche de la morte pour qu'elle fasse ses ultimes ablutions (lavage
du sexe et des fesses) puis il est jet6 dans le trou. Le corps est lave au savon
et B l'eau chaude, parfumb, puis revCtu de v$tements propres. La tete est
couverte d'un mouchoir de tete noue sous le menton. La depouille ainsi
propre et v&ue est introduite dans le linceul, lequel est roule dans une natte.
A l'ext6rieur de l'abri9 les hommes fabriquent un brancard de fortune B
l'aide de trois poteaux et de cordes. Ilis placent dessus une natte rectangulaire
prrCalabErlernent rnouillde et apportent cette civiere aupr&sde l'abri. Le coqs y
est plac6. Les hommes prononcent la pri&re z e k e a puisemportent le
cadavre en cort&gevers la tombe, suivis de trois femmes portant chacune un
canari d'eau. Les autres femmes, qui restent sur glace, reprennent alors
grand bruit leurs pleurs et leurs chants fun2bres. Di3 le depart des hommes,
l'abri ayant servi B la toilette mortuaire est d6monte.
A quelque distance de la tombe, les hommes posent le corps sur le sol
dans le s e s nord-sud, la Gte vers le sud. Ils s'alignent il son c4t6, B I'ouest, et
prononmnt h trois reprises, debout, la pri&rejenesz a . Le corps est ensuite
porte pr&sde la tombe, côte est, et introduit au moyen de cordes dans la
partie la plus profonde du trou, la t6te vers le sud. Les morceaux debois
prt5alablement rassembles sont places lateralement dans la partie la moins
creuse de la tombe, formant l'armature d'un toit au-dessus du corps. Cette
armature est recouverte des deux nafies, celle dont etait emoul6 le cadavre et
celle qui formait le brancard. Du sable mouill6 de l'eau des canaris est vers6
sur ces nattes, puis les tiges fraîches de g 'iX i (Panicum furgidum) et la
paille grise #une vieille paillotte desaffect placees en attente au nord de la
tombe, sont dispodes par dessus. Ces VC
x, B leur tour,sont couverts de
sable mouille pris du côte est de la tombe, puis de sable sec pris sur le cQt6
ouest.
Le lettre musulman le plus reput6 s'accroupit au sud de la tombe tandis
que Iles autres hommes font de meme tout autour. Le lettre sdsit une hache B
deux m d m et la passe h son voisin vers l'est, laissant traîner le fer de la hache
sur Ie sable. Passe$ ainsi de mains en mains, cette. premi&rehache fait trois
fois le tour de la tombe, suivie d'une seconde. L'objectif de cette operation
ger la s6pulmre des hyenes et des vautours. Dans le m & but,
~
cette dern2re est recouveae de branchages epineux par trois des assistants
tandis que les autres hommes, toujours accroupis, prononcent lafatiha. Tous
ensuitereviennent au campement OG des preparatifs culinaires ont d$j&
cornmen@$.
Les hommes s'accroupissent en groupe auprb de la tente voisine de
puis viennent
l'habitation de la morte. Ilsprononcentplusieurspri&res
prksenter Beurs condol6ances aux parents les plus proches de la d6finte. La
formule cormsacr$e est << i n a ...d i na>>.Puis chacun va de son côte. Une tr&s
vieille femme, chez la morte, confectionne des boulettes B base de farine de
mil m e et d'eau qu'elle donne ou fait porter B chaque femme prCsente dans
le campement. Cette distribution est repetee lors desceremonies
comm6rnoratives ult6rieures (s adaga). Elle rappelle celle qui se produit 2
l'occasion des mariages (Baroin 1985 : 314 et 318).
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191
Les visiteurs depuis le matin sont arrives de plus en plus nombreux. Ils se
repartissent par groupes d'hommesou de femmes entre les diverses tentesdu
campement.Commelescapacitesd'hebergement
sont insuffisantes, une
tente supplementaire est monb5e B leur intention. Regroupes ensemble, les
lettres psalmodient des versets du Coran. Cependant les preparatifs du repas
mortuaire vont bon train.La famille dela defunte y pourvoit .pour
l'essentiel. Une chevre est kgorgee, des beignets de mil ( j ogora) sont
preparks ainsi que les plats demil ( t i i ) habituels. Partout on boitle the.
En fin d'aprh-midi un groupe d'hommes repart B cheval versun
campement voisin tandis qu'un petit groupe de femmes venues de plus loin
s'approche B dos d'tines. Les cris de deuil et les chants funebres reprennentB
leur arrivee.A la tombee de la nuit, les hommes sont nombreux B se
lieu demosqu6e,
rassemblerpour prier dansl'enclosd'epineuxquitient
lequel est vide d'habitude. . .
Les visiteurs se suivent ainsi, par .groupes le plus souvent, pendant cinq
jours et les quantites de nourritureprepareespoureuxsontenormes.A
chaque nouvelle visite, les femmes. entonnent brievement des chants funkbres
d'une grande beaute. Mais elles poussent surtout leurs cris rituels de deuil,
tri% aigus, et sinistres B vous glacer les veines. Aussi, B mesure que les uns
puis les autres repartent, ces cris se font plus rares et l'atmosph&repeu B peu
se detend.
Une premiere ceremonie cornmernorative ( s adaga) a lieu en principele
septieme jour apres la mort.Dans le cas present, elle est avancee au
quatrieme jour car le lettre qui preside la priere est presse de repartir. Un
veau est tue, et B nouveau de nombreux plats de mil sont prepares pour les
visiteurs, ainsi que des beignets demil (jO g o r a) et des boulettes de farine
de mil sucree (bo € O 1 ow ) B l'attention des femmes et des enfants. Une
troisieme c6rCmonie identique aura lieu quarante jours. apres la mort, puis
une autre un an aprb le d6ci3.s.
Lorsque c'est un homme qui meurt la ceremonie est identique mais ce
sont des hommes, bien sOr, qui proc2dent B la toilette mortuaire. La veuve,
en signe de deuil, change de coiffure. Ses deux grosses nattes medianes sont
remplacees par une seule, comme dans le cas d'un divorce, les fines nattes
laterales qui ceignent d'ordinaire le pourtour de la tete sont defaites et
remplacees par d'autres, moins nombreuses et plus grossieres. Au bout de
quarante jours la veuve reprend la coiffure habituelle des femmes mariees.
En principe,.elle ne porte aucun bijou d'argent avant son remariage.
Ces rites funeraires sont conformes aux preceptes de l'islam. En effet, le
visage du mourant est tourne vers La Mecque, comme plus tard dans
la
tombe, son corps est lave, revetu de vetements et (ou) d'un linceul,
l'enterrement a lieu le jour du deces ou le lendemain, des pri8res sont dites
pr8s de la tombe, la terre n'est pas pressee sur le corps et un repas fun6raire
est offert (Encyclopédie de l'Islam, art. Djanaza).
Le rite malekite, qu'observent les Dazadu Niger, precise qu'il faut laverle
cadavre un nombre de fois impair et l'envelopper dans un nombre impair de
vetements. Il n'est pas certain, sur ce point, que la regle ait et6 respect&. I l
convient aussi, selon ce rite, de pwfumer le mort (ce qui a et6 fait) et de le
placer d m la tombe sur son c8t6 droit, le visage tourne vers La Mecque, ce
qui revient iciB placer la tete vers le sud. Telle est bien l'orientation adoptee.
Les .hn&ailles daza ne s'&atent du rite mal&ite que sur un seul point
notable, celui des cris et lamentations qui sont en principe interdits (La
Risala, ckap. 26). Chez les
de la mQme region, oil j'eus l'occasion
les chants de deuil et pleurs rituels n'ont
d'assister h plusieurs enterrem
pas toujours cours. 11 est vrai que l'influence des lettp$s musulmans est chez
eux plus forte que chez leurs anciens maIres d a a . La r6ticence des lem&
envers ces pratiques traditionnelles s'oppose B l'attitude plus conservatrice
des f e m e s qui continuent, malgr6 cette d$sapprobation, B entonner pour
quelques minutes leurs chants funkbres lorqu'elles arrivent en visite de
COndol6mceS.
La conformit6 des rites furahires dma avec I'islm ni'est pas surprenante,
puisque ces pasteurs sont islamis&sdepuis plusieurs d6cennies. Cependant,
s observations en 1972, les rkgles de l'islam n'&dent pas toutes
avec la m&ne rigueur. Notamment, l'obligation de la prikre etait
encore assez peu respect& par les femmes.
Lorsqu'un groupe ethnique de culture non arabe se convertit B l'islam9les
rites fun$raires musulmans bien &idemment tendent il supplanter les
coutumes ant6rieures. Celles-ci resistent de façon variable selon les cas.
On
observe parfois une wIont.6 de dCmwcation des conceptions d'inhumation
islamiques>),comme le note A. Holl dans les petites cites de la plaine au sud
du lac Tchad B la p6riode dite <<islamique>>
(XVe-XIXe si6clles) (Holl 1990 :
28) . Dans 16: cas des Teda-Bma (qu'on appelle aussi Toubou), les coutumes
qui pr6valaient avant l'islam sont ton1Mes dans l'oubli. Elles ont $te, sembler cette nouvelle religion. De façon tr&s
t-il, t&s rapidement gomm6es p
significative, Jean Chapelle &rivait B cet egard en 1957 :
"Si,pour ce gui touche B IQ vie, les Toubou ne suivent que de loin les
P2gk.T de kl k?i ~ ~ 1 4 s u lil~Fnl'erL~ eStpi3.Y
,
de t&IW P O W la l?!.ol?....
'5% mol? appartient d Dieu et d l'lslamn, et si ceux qui l'ensevelissent
s'6cartent parfiois des r$gles, c'est par ignorance. Les plus pieux les plus
instruits dans la religion prennent possessiotz du cadavre" (1957 : 300).
Les $l$ments de comparaison disponibles, pour l'ensemble ethnique
toubou en $6neral, corroborent cette hypothkse. La conformite des rites
fun6rdres il l'islam parait aussi gCn$rale qu'ancienne chez ces pasteurs
s&aro-s&6liens. Les premieres observations sur ce sujet nous sont fournies
par Charles et Marguerite Le "leur, ik propos des Teda du Tibesti en 1934
CWX 1950 : 166-167 et 202 ; Le Ceur 1955 : 199-206). Les pratiques
fun6raires decrites par ces auteurs ne diff&rentguere de celles relate& cidessus, qui furent observees beaucoup plus au sud, chez les Daza du Niger,
presque quarante ans plus tard. Il n'est pas jusqu'h la formule d'expression
du deuil qui ne soit identique : les visiteurs dam qui pr6sentent leurs
condoleances disent (< i ~1a .,.d i na>>tandis que selon Charles Le CEUT,au
Tibesti, <<onquitte la tombe en disant : y i na d i na>>(Le Ceur 1950 : 167).
Le sens pr6cis de cette expression n'a pas et&releve. Il ne semble pas qu'elle
soit emprunt& B l'arabe, langue aussi ignor6edes Teda que des Dma.
193
Les Toubounesontpas la seule population saharo-sahelienne B avoir
adopte d'emblee les pratiques funeraires musulmanes.II. en est de même des
Touaregs, voisinsoccidentaux des Toubou et musulmans comme eux
(Bernus 1981 :. 147). Les sedentaires des oasis, tels les Kanuri de Fachi, sont
dans le mêmecas(Fuchs1989 : 272-277).Danstoute cette vaste region,
l'islam a impose ses rites mortuairesdepuislongtemps. Au Wadaï, par
exemple, ils etaient d6j8 respectes lors du passage de Nachtigal en 1873
(Nachtigal1971(4) : 194-195).
Par contre, dhsqu'on sort du monde islamise, dans le temps (voir les
donnks de l'archeologie) ou l'espace (ausud du lac Tchad), les rites
funeraires sont trhs differents ainsi qu'en attestent de nombreuses
communications du seminaire Mega-Tchad sur <<La Mort dans le bassin du
lac Tchad>) publiees ici (voir textes de David, Dumas-Champion, Jouaux,
Paris, van Beek, van Santen, Sterner) ou des travaux anterieurs des mêmes
auteurs, pour ne citer qu'eux (cf. bibliographie).
Penchons-nous pour finir sur l'interpretation que l'on peut donner des
rites mortuaires islamiques tels qu'ils sont pratiques par les Daza. La mort
&nt un passage par excellence, les rites mortuaires sont des ritesde passage
et leur interpretation suit la grille de van Gennep, completde (pour ce qui
concerne la mort) par L.V. Thomas dans son ouvrage Rites de mort: pour
la paix des vivants (1985).Les rites funeraires islamiques (et daza)
comportent donc les trois stades distingues par van Gennep .dans tout ritede
passage : separation, marge, puis integration.
Au stade de la separation s'ophre une sortede maternage du mort :veillee
mortuaire et toilette.Mais ce maternage n'apour but que de mieux se
separer du defunt. Ainsi la toilette mortuaire a-t-elle pour objectif d'eliminer
la salete de la mort. Il s'agit de <<ritespurificatoires qui recouvrent des
conduites d'evitement pour se protkger de la contagion de la mort>> (Thomas
1985 : 126).
Le deuxihme stade, celui dela mise en marge du mwt, vise B le congedier
de la communaute des vivants. Selon le schema g6nera1, ce deuxieme stade
comprend en principe des rites de reclusion, des interdits et des sacrifices.
Dans la ceremoniedaza,l'aspect
sacrificiel est le plusmanifeste.Les
sacrifices successifs, accompagnes de repas mortuaires pour les-visiteurs qui
viennent presenter leurs condoleances, permettent une <<revitalisation
collective compensatoire>>(Thomas 1985 : 127) des survivants. La
th&tralisation- des emotions (chants et cris rituels de deuil) canalise les
angoisses devant la mort et, par18, les allege.Aussi les manifestations
spontanees non ritualisees de douleur sont-elles rapidement interdites : la
fille de Wozina se fait gronder parce qu'elle pleure trop longtemps sa m&e.
Les rites de reclusion, dans le rituel daza, sont peu marques. Le veuf doit
simplement porterun turban, et la veuve adopte jusqu'8 la levk de deuil une
coiffure particulihre.Leseul interdit mentionneci-dessus porte sur les
bijouxd'argentde la veuve.Mais il enexisted'autresquin'ontpaset6
explicites tant ils sontCvidents :aucune rejouissance ne peut avoir lieu dans
le cmprnent.frapp6 d'un d$c$s, jusqu'8 la %eV&du deuil. Les danses de
jeunes filles n'auront pas cours et aucunmariage,bienentendu,
ne sera
ndant cette periode.
Enfin, la c6~6mon.kcomm$morative qui prend place quarante jours ap&s
l'enterrement, B la suite de laquelle la veuve reprend sa coiffure habituelle,
correspond Ia phme finale des rites de passage, celle de I'intk
permet P chacun de retrouver sa place. Cette c$r$monie est rCp6tke un an
plus tard9 pour la demi&refois. La phase el'int6gration s'ophre donc dans le
cas des sites mortuaires musulmans en plusieurs 6tapes.
ue les %)amdu Niger, pour enterrer leursmorts,
En bref, il qpar
de l'islam adoptes depuis Pongtelnmps par toutes
se.confsment aux
la zone saharo-s&61iemea Ces rites tranchent
les pspulatism pas
ar leur ssbri6tB avec la richesse de ceux qui s'observent chez les
ns mimistes du sud du bassin du Tchad. Pour les inteqr$ter, on ne
se r6f6rer aux grilles classiques d'analyse desrites de passage.
PARIS F., 1990. "Tombes d'Iwelen (Niger-Kir))",Journal des Africanistes, 60, 1 :
47-74.
THOMAS, L.V., 1985. Rites de rzzsrt :pour la paix des Vivants,Paris, Fayard, 294 p.
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