Numéro des Cahiers du numérique,
sous la direction de Pascal LARDELLIER,
Université de Bourgogne, CIMEOS-3S, Dijon
« Ritualités numériques »
De prime abord, on pourrait considérer que tout oppose la sphère rituelle et les nouveaux
univers numériques, et qu’il y a là deux mondes inconciliables. D’un côté, les traditions, le
formalisme et l’ordre institué, l’architecture symbolique et la théâtralité tous inhérents à la
ritualité ; de l’autre, une nébuleuse technologique « hyper-moderne » et en perpétuelle
évolution, synonyme de mobilité et de nomadisme, sur fond de connectivité accrue. De
même, on discerne sans peine deux temporalités aux antipodes, avec d’une part celle lente
et cérémonieuse des rites, et de l’autre l’instantanéité caractérisant les univers numériques.
Mais à y bien regarder, il y a entre la ritualité et les Technologies Numériques
d’Information et de Communication de nombreux points de convergence, d’évidentes
passerelles, et des « hybridations », aussi, qui permettent de voir émerger des pratiques
sociales nouvelles. L’actuelle « Twittisation » que subit la rémonialité politique nous
semble révélatrice de ceci.
Une culture numérique a émergé dans les réseaux numériques, avec ses langages, ses
codes et ses rythmes, qui pourraient être considérés comme rituels. De même, les réseaux
sociaux et les sites de rencontres produisent des relations qui se fondent sur une sille de
nouveaux rites, moins incidents qu’ils n’y paraissent. D’aveu d’Internautes, la violence des
relations numérisées, quand elle s’exprime, provient précisément de l’absence de rites. Et
quand « la greffe prend », selon les témoignages, c’est que la relation se ritualise, et
exporte vers le Net des rites de la vraie vie.
La ritualité, comme principe, et les rites, comme expressions concrètes de la pensée
symbolique, constituent l’un des objets de prédilection de l’anthropologie. Georges
Balandier, dans Le Grand Système proposait dès 2001 « d’investir les univers virtuels avec
les méthodes et les concepts de l’anthropologie », précisément ce à quoi souhaite inviter le
thème de ce numéro des Cahiers du numérique.
Lire les phénomènes et les tendances numériques, analyser les relations émergeant du Net
avec un cadre théorique et une grille d’analyse anthropologique (ou socio-
anthropologique), mettre au jour la dimension symbolique des phénomènes
communautaires « en ligne », percevoir la ritualisation des mises en scène de soi online,
telles sont les attentes auxquelles les auteurs des articles originaux proposés dans le cadre
de ce numéro devront répondre.
Les dimensions tour à tour « macro » et « micro » des thèmes traités, ainsi que des lectures
d’inspiration psychologique ou psychanalytique pourront être abordées sans restriction,
dans une perspective et selon un mode de problématisation communicationnels dans
l’esprit.
Axes de propositions possibles :
- Réflexions sur les termes anthropologiques de la « culture numérique »
- Mythes fondateurs de la cyberculture, et leurs expressions ritualisées
- Rites entourant les produits technologiques dits « cultes »
- Rites d’interaction et analyses d’inspiration goffmanienne des interactions numérisées
- Phénomènes de don et contre-don dans les réseaux, processus d’économie symbolique
- Termes symboliques de la constitution des « communautés virtuelles »
- Rites de passage et d’intégration dans les jeux en réseaux
- Articulation mythes et rites numériques
- Réflexion épistémologique sur l’articulation entre ritualité et numérique
- Rites de la « vraie vie » trouvant des prolongements ou des adaptations numériques
- Ritualités amoureuses et sexuelles sur le Net
- Rites personnels et interpersonnels de la téléphonie mobile
- Formes, expressions et figures du sacré et TIC
- Ritualisation ou compulsion dans la relation entretenue aux TIC
Comité de lecture :
Philippe Breton, Université de Strasbourg
Antonio Casilli, EHESS, Telecom Paris-Tech
Julie Denouël, Université de Montpellier 3
Thierry Goguel d’Allongans, Université de Strasbourg
Denis Jeffrey, Université de Laval (Canada)
David Le Breton, Université de Strasbourg
Adrian Mihalache, Ecole polytechnique de Bucarest (Roumanie)
Madeleine Pastinelli, Université de Laval (Canada)
Jacques Perriault, Université de Paris 10
Michael Stora, psychanalyste
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