RENE REMOND : LE CHRISTIANISME EN ACCUSATION
Article rédigé par , le Ramu de Bellescize 13 septembre 2001
PARIS, [DECRYPTAGE/CRITIQUE] - Après des siècles d'histoire, au seuil d'un nouveau millénaire, le
christianisme fait souvent figure d'accusé. À côté des manifestations de curiosité ou d'intérêt historique, il
est de bon ton de faire de lui une sorte de bouc émissaire, tenu pour responsable de certains traits de
mentalités individuelle ou de blocages de société : " morale judéo-chrétienne " trop répressive, pesanteurs
d'une société marquée par des siècles de catholicisme, religion qui exalte la passivité ou la faiblesse.
.. À la figure crucifiée de Jésus, nombreux sont ceux qui préfèrent le visage apaisé de Boudha.
Comment comprendre cette mise en accusation, ce discrédit, à un moment où le christianisme paraît affaibli
? Faut-il les rapporter à des causes plus anciennes de déclin inéluctable qui ferait que cette religion est entrée
dans sa phase terminale ? Doit-on y voir les conséquences d'une spiritualité chrétienne souvent obsédée par
le péché et la mort ? Enfin, le christianisme est-il à même de laisser des traces, des valeurs-clés dans
l'histoire ? Sur toutes ces questions, René Rémond dialogue avec Marc Leboucher, pour comprendre et
expliquer ce que signifie ce rejet actuel.
Première explication : l'indifférentisme, idée selon laquelle toutes les religions se valent et sont l'expression
d'un même Dieu. Elle a largement contaminé les catholiques. Pourquoi alors ne pas aller chercher ailleurs ce
qui nous manque, à travers une sorte de voyage ou de tourisme spirituel ? Jésus s'imposerait alors comme un
maître de sagesse, au sein d'une galerie où l'on trouve aussi bien Mahomet, Boudha ou Socrate. Avec ces
autres figures exemplaires, Jésus ferait partie d'une sorte de panthéon commun avec toute l'humanité.
Certes, cette vision de Jésus n'est pas aussi neuve qu'elle n'y paraît. Il y a un peu plus d'un siècle, Ernest
Renan portait déjà sur Jésus un regard analogue : Jésus le " doux rêveur de Galilée ", le maître de Nazareth,
le plus beau des enfants des hommes... Mais à l'époque, sa Vie de Jésus avait fait scandale. Alors que
l'historiographie officielle de l'Église refusait toute perspective critique, il était insupportable pour les
catholiques de présenter Jésus seulement comme un homme, fût-il le meilleur d'entre eux. Il n'était pas
possible qu'on puisse passer sous silence la foi en sa divinité. D'autant que l'essai de biographie de Renan
provenait d'un ancien séminariste qui, ayant rompu avec la foi, faisait figure de renégat aux yeux des
catholiques.
Aujourd'hui, ces débats ne sont plus les nôtres et même pour les chrétiens, la dimension humaine de Jésus
est perçue très positivement. Elle traduit son incarnation bien plus que les affirmations dogmatiques et prend
en compte son enracinement historique dans le judaïsme de son temps. Elle distingue le Jésus de la foi et
celui de l'histoire. Du coup, les perceptions les plus variées peuvent s'exprimer. Certains chercheront à
opposer les paroles de Jésus à l'enseignement de l'Église pour suggérer que celle-ci a trahi l'idéal
évangélique.
Selon René Rémond, cette dérive correspond à une perte de l'essence même du christianisme : non pas qu'il
y ait un Dieu ou une idée du divin, mais que ce Dieu possède une nature propre, une identité qui n'est
réductible à aucune autre. Et l'auteur précise bien que pour sa part, il ne se résigne pas à confondre le Dieu
des Évangiles avec celui de l'islam ou avec l'absence de Dieu proférée par le bouddhisme. " Le Dieu qui me
parle est un Dieu personnel. Un être d'amour qui entretient avec les hommes une relation personnelle,
j'ajouterai même personnalisée, et qui sauve le monde en envoyant son fils, mort et ressuscité pour nous. "
Cette relation personnelle à Dieu rappelle une phrase magnifique de saint Paul : " Il n'y a plus ni homme, ni
femme, ni grec, ni juif, ni esclave, ni homme libre, vous n'êtes plus qu'un en Jésus Christ. " On est à l'opposé
d'autres religions qui ne connaissent pas l'idée d'un Dieu personnel et créateur comme le boudhisme, religion
pour laquelle la personne est une sorte d'illusion, un ensemble d'agrégats à caractère impermanent.
L'une des questions-clés que René Rémond parvient le moins à élucider à trait à l'effacement brutal de la
culture religieuse, qu'il date des années soixante. Au sein des sociétés chrétiennes occidentales - pas
seulement française - s'est opérée comme une cassure dans la transmission d'une génération à l'autre de tout
un ensemble de notions, d'idées et de valeurs. Jusque là, le patrimoine culturel religieux, sa connaissance et
sa reconnaissance, faisaient partie intégrante de la culture générale. Il n'était pas nécessaire d'adhérer à la foi
de l'Église pour savoir ce que représentait le christianisme, pour reconnaître son importance, même si c'était