En ce qui me concerne personnellement, il y a une chose dont je suis fermement
convaincu, c’est qu’aucune philosophie ne peut fournir à elle seule une
motivation suffisante pour guider et surtout pour dynamiser la vie humaine. Il
faut lui adjoindre des « croyances », ou, ce qui est encore mieux, une foi. Mais
alors le recours à des schèmes mythiques s’impose obligatoirement. Toute
philosophie a des fondements théologiques et elle devrait s’achever dans une
véritable théologie, sinon elle reste incomplète et insatisfaisante. Elle ne pourra
être qu’intéressante, une parmi d’autres. C’est que la philosophie a pris l’habitude
de traiter du langage et des mots, plutôt que de la réalité du monde, à laquelle
elle suppose souvent que nous n’avons pas accès.
Un Québécois, Paul Lemaire, affirmait dans la revue Concilium il y a plus de trente
ans : « Il y a un besoin criant d’une nouvelle culture religieuse... Il est urgent
d’évangéliser l’intelligence, en la rendant d’abord plus critique à l’égard de la
culture contemporaine ». Voilà une belle expression, qui peut définir une
entreprise théologique au sens large en ce début du troisième millénaire et pas
seulement au Québec : évangéliser l’intelligence. Trop de pasteurs se contentent
d’évangéliser le cœur, qui est naturellement inconstant et que seule une
intelligence bien éclairée peut maintenir dans un bon chemin. Le besoin de
théologie actuellement est énorme et c’est pour essayer de satisfaire un peu ce
besoin que nous avons entrepris le présent travail. Mais il faut au préalable qu’on
ne tienne pas la religion en général pour une maladie mentale, ou encore pour
une forme particulière d’imposture intellectuelle.
En ce qui concerne le christianisme plus particulièrement, il n’aurait pas vécu deux
millénaires s’il avait été, soit une maladie mentale, soit une imposture
intellectuelle. La preuve en est que la quantité d’ouvrages le concernant, écrits
par des penseurs – souvent athées d’ailleurs –, n’a jamais été aussi grande. Il est
douteux que le catholicisme, sa version la plus haute et la plus austère, revienne
jamais à la mode dans nos sociétés postmodernes, mais il est non moins certain
qu’il ne disparaitra pas non plus. La qualité des esprits qui lui consacrent encore
leur foi, lui donnent leur cœur, en assure la pérennité. La foi dite « du
charbonnier » a presque disparu de l’Église, mais les très grands esprits y sont plus
nombreux que jamais. C'est d’ailleurs de constater ce phénomène qui nous a
amenés à reprendre contact avec le christianisme et l’Église après vingt ans
d’abandon pour suivre la mode orchestrée par les médias.