Le nouvel Economiste - n°1590 - Du 24 au 30 novembre 2011 - Hebdomadaire
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Je ne peux pas vivre sans champ-
agne, en cas de victoire, je le mérite;
en cas de défaite, j’en ai besoin”, dis-
ait Napoléon Bonaparte. Depuis
plus de deux siècles, les vins de Champagne
jouissent d’une réputation prestigieuse et
inégalée, symbole de la fête et de la réussite.
A l’aube du XXesiècle, 40 millions de bou-
teilles se vendaient dans le monde entier. En
2010, ce sont plus de 319 millions de cols qui
ont été expédiés. La région pèse aujourd’hui
plus de quatre milliards d’euros en chiffre
d’affaires, dont deux engendrés à l’étranger.
Mais si ce succès planétaire ne se dément
pas, la bonne fortune du champagne ne doit
rien, ou presque, au hasard. Très tôt, les
Champenois ont su s’organiser pour s’impo-
ser sur le marché concurrentiel des vins effer-
vescents. Du temps de la Veuve Clicquot, on
exporte déjà en Russie et en Angleterre. Vin
des rois, roi des vins, les bulles sont courtisées
par toute la noblesse européenne et accom-
pagnent toutes les grandes célébrations. La
réputation du champagne est née.
Un produit marketing particulier
Les grandes maisons de Champagne s’em-
ploient aujourd’hui à pérenniser l’image
d’exception et d’excellence de leur nectar.
Mais l’exercice est compliq, car c’est le pro-
duit qui dicte ses règles au marché et non l’in-
verse. “Peu de vins sont des produits de luxe, à
l’exception de quelques bordeaux et de certaines
bouteilles de bourgogne, explique Steve
Charters, professeur titulaire de la chaire en
management du champagne à la Reims
Management School. De plus, c’est un produit
de terroir. On ne peut donc pas maîtriser la pro-
duction ni la délocaliser. Ce qui implique pour
les services marketing de fendre aussi bien
les valeurs de la maison que les couleurs de
la région. Car si certains consommateurs
apprécient une marque particulière, la plu-
part ne font pas de différence entre les diver-
ses maisons.
Limités en termes de volume par l’aire d’ap-
pellation de 33 000 hectares, les Champenois
ne pourraient pas, même s’ils le souhaitaient,
inonder le marcmondial de leur boisson.
“Dans l’univers du champagne comme dans l’u-
nivers du luxe, nous avons donc tout intérêt à
rester dans un marketing de l’offre, résume
Dominique Garreta, directrice marketing de
la maison Taittinger. Le vin du bonheur, c’est
nous qui faisons en sorte qu’il le reste. Il faut de
l’imagination, il faut de la création et il faut
continuer à être extrêmement rigoureux sur la
qualidu produit.
Les clefs du succès sont nombreuses, mais
elles se focalisent presque toutes sur le prin-
cipal moteur de la croissance champenoise:
la réputation. De la communication au pac-
kaging, en passant par la distribution et l’é-
vénementiel, les services marketing n’ont
qu’un dogme: pérenniser l’image qualitative
de leur vin. Selon Steve Charters, les consom-
mateurs cherchent une marque à l’identité
forte. Dans le goût comme dans l’image, les
amateurs de grandes cuvées s’enthousias-
ment pour les champagnes qui se distinguent
et qui proposent un produit différencié ainsi
que des valeurs bien définies. Ainsi, la diffé-
Par Lisa Melia
Très tôt, les Champenois ont su sorganiser
pour simposer sur le marché concurrentiel des vins effervescents
Art de vivre & œnologie
Le modèle champenois
Bulles de légende
Qui souhaite le sucs sur le marché fortement concurrentiel des vins et spiritueux
s’inspirera du mole champenois. En presque 300 ans d’histoire, les grandes mai-
sons de Champagne ont ussi la prouesse d’imposer leur vin comme embme du
bonheur et de la réussite sociale. Produit de terroir mais également produit de
luxe, le champagne suppose cependant un marketing particulier. De la promotion
à la distribution en passant par le packaging et l’événementiel, les clefs du succès
champenois se trouvent dans un marketing de l’offre qui place la réputation du
produit au ur de la stratégie de vente. Une discipline dans laquelle les grandes
maisons de Champagne excellent.
LES CHAMPAGNES
La singularité et le prestige du contenu suffisent (presque) à vendre le contenant
- Un produit marketing particulier
- De l’artisanat à l’oeuvre d’art
- De la diversité en communication
- Internet ne blouleverse pas la distribution
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Le nouvel Economiste - n°1590 - Du 24 au 30 novembre 2011 - Hebdomadaire
renciation se fait d’abord par les couleurs et
la forme des bouteilles. “On ne peut pas
confondre un Ruinart avec un Bollinger ou un
Perrier-Jouët avec un Mumm, explique Alain
Marty, président du Wine and Business Club.
Si l’on met des bouteilles de la trentaine de gran-
des maisons côte à côte, l’amateur se repère très
facilement.Le packaging étant le premier
élément de différenciation pour le consom-
mateur, il fait l’objet d’investissements
importants.
De l’artisanat à l’œuvre d’art
Les grandes marques se prévalent à la fois de
leur modernité et de leur patrimoine histo-
rique. Un mariage délicat qui s’exprime sou-
vent avec brio dans le domaine de l’art, du
cinéma, mais aussi du packaging. Bien que
l’on ne touche pas à la forme de la bouteille,
entrée dans la mémoire collective, le packa-
ging des bulles est devenu, au cours de ces dix
dernières années, un véritable outil de com-
munication. En 2004, la Veuve Clicquot inau-
gure la Clicquot Ice Jacket, une combinaison
en néoprène orange, mobile et créative, qui
remplace le seau à champagne et garde la
boisson au frais pendant deux heures.
L’année dernière, le champagne Ruinart s’est
adjoint les talents de la designer italienne
Patricia Urquiola, qui a réalisé le “Fil d’Or”,
un bouchon doré conçu comme une œuvre
d’art qui se déroule sur le col entier dont l’ob-
jectif est de “sublimer la délicatesse et la puis-
sance du Ruinart blanc de blancs”
Les Champenois ont, depuis longtemps, com-
pris que si l’on apprécie une boisson pour ses
qualités gustatives, le client apprécie d’au-
tant plus l’expérience de gustation car elle
stimule plusieurs sens. La vue et le toucher
mettent en éveil les papilles et le flacon,
autant que le vin participe à l’ivresse. “Chez
Taittinger, nous travaillons avec le milieu artis-
tique, confirme Dominique Garreta. Car la
publicité, c’est de la notoriété. Or, le luxe est d’a-
bord une affaire de réputation. La Taittinger
Collection comprend douze bouteilles
signées par des artistes de culture du monde
entier, inaugurée par Vasarely en 1981 et
achevée l’an dernier par l’artiste sénégalais
Amadou Sow. Chez Piper-Heidsieck, ce sont
de grands noms de la mode, Jean Paul
Gaultier et Christian Louboutin, qui revisi-
tent l’habillage des flacons, proposant escar-
pins en cristal et jersey en vinyle aux
amateurs.
“Chez Louis Roederer, nous avons choisi le cé-
nat, explique Michel Janneau, directeur
adjoint et responsable marketing des champ-
agnes Louis Roederer. Nous considérons le vin
comme une œuvre. Nous avons donc établi un
univers de communication qui s’appelle ‘Louis
Roederer, chercheur d’œuvre’, par lequel nous
essayons de promouvoir des artistes contempo-
rains.En 2003, la maison a signé un parte-
nariat avec la Bibliothèque nationale de
France pour exposer les importants fonds
photographiques de la BNF dans une galerie
dédiée tout en produisant des expositions
d’artistes contemporains.
“Dans les années 1930, le président de l’époque
voulait que l’on soit présent dans le cinéma,
raconte Alexandra Rendall, directrice inter-
nationale de la communication chez Piper-
Heidsieck. Il avait fait le premier placement de
produit de l’histoire en mettant une bouteille de
Piper entre les mains de Laurel et Hardy.
Champagne officiel du festival de Cannes
depuis trois décennies, la maison est parti-
culièrement attachée à son association avec
le septième art. Dans Casablanca, Humphrey
Bogart conseille un Veuve Cliquot 1926 mais
il embrasse Ingrid Bergman devant un
Mumm Cordon Rouge. Sans oublier évidem-
ment les premiers James Bond dans lesquels
Sean Connery marque sa préférence pour
Dom Pérignon. “Ces collaborations présentent
l’intérêt de permettre de nous exprimer sur
nous-mêmes, de nous faire voir, d’animer notre
marque et de l’enrichir de la visibilité qu’on en
tire”, conclut Alexandra Rendall.
En donnant un éclat artistique à leurs bou-
teilles, les grands noms d’Epernay rappellent
que leur produit est aussi une œuvre d’art.
S’il est difficile de déterminer les retombées
économiques réelles de ces campagnes de
promotion, les bénéfices en termes d’image
sont indéniables.
De la diversité en communication
L’habileté des Champenois fut de mettre au
point, très tôt, une promotion efficace autour
des bulles de leur région. Conscients des dan-
gers d’une stratégie trop axée sur le mer-
chandising, ils déploient des outils
diversifiés, de l’œno-tourisme à l’événemen-
tiel, en passant par la maîtrise de leur actua-
lité. Selon Steve Charters, “chaque maison a
son propre style de publicité. Par exemple, Pol
Roger se concentre sur la tradition et l’image
d’aristocrate qui entoure sa Cuvée Winston
Churchill. Moët et Chandon préfère un style plus
jet-set, une ambiance de boîte de nuit”. Piper-
Heidsieck se positionne comme une“maison
d’audace et de frcheur, tandis que Taittinger
se différencie en communiquant sur son diri-
geant et la dimension familiale de l’entre-
prise.
Le type de publicité et les budgets engagés
dans la promotion dépendent de la cible
client. Mais dans le domaine du luxe,
quelques fondamentaux demeurent : élé-
gance et qualité. L’idée qui domine est que
l’on ne peut pas vendre un vin si ce dernier
n’est pas bon. Or, c’est exactement ce que les
consommateurs veulent entendre, affirme
Steve Charters. Selon le spécialiste, “les
grands noms du champagne ont intérêt à com-
muniquer sur ce qui fait la spécificité de leur vin
en capitalisant sur leur patrimoine historique.
“La tendance, en ce moment, c’est une recher-
che pour des marques fortement chargées en
Art de vivre & œnologie
LES CHAMPAGNES
“Il n’y a pas beaucoup de vins qui sont des
produits de luxe.” Steve Charters, Reims
Management School. “Nous avons tout intérêt à rester dans un
marketing de l’offre.” Dominique Garreta,
Taittinger.
Le packaging étant le premier élément de différenciation
pour le consommateur, il fait lobjet dinvestissements importants
Lhistoire de la Champagne regorge danecdotes, de contes
et de légendes que les services marketing ont tôt fait dexploiter
Comment se porte le marché du champagne
en cette fin d’année 2011?
Bien. On n’est pas encore sur les records histo-
riques [de 2007, ndlr] qui étaient de 330millions
de bouteilles, mais ça se porte bien et pour l’ins-
tant les Champenois ne voient pas d’effet de
crise. Il faut rester prudent en 2012. Toutes les
commandes de cette fin d’année ont été passées
sur les mois d’avril, mai, juin et juillet 2011 et il
n’y a pas de baisse, en tout cas en volume. Le
marché du champagne a tendance à repartir avec
toujours un petit bémol : environ 50 % des pro-
ductions de champagne qui s’exportent et 50 %
du champagne qui est bu sur le territoire natio-
nal. Donc on a une grosse dépendance au niveau
du marché français, surtout en ce qui concerne
les petits vignerons et les négociants. En revan-
che les grandes marques, elles, exportent à
80 %. C’est le paradoxe du champagne.
Rester fidèle à la tradition tout en élargissant
la cible de ses consommateurs. Est-ce un pari
tenable ?
Il faut d’abord savoir que le champagne évolue
dans un milieu concurrentiel très fort. Les deux
principaux concurrents, ce sont les cava espa-
gnols et les spumanti italiens. Sur le territoire
national, il y a également une concurrence des
crémants de Bourgogne ou de Loire. Mais les
Champenois sont les champions du monde de la
communication et il y a une chaîne de valeur très
positive en Champagne. Mais à cause du prix de
la matière première, ils sont obligés de vendre de
plus en plus cher, donc d’innover en matière de
communication. L’important, aujourd’hui, est de
valoriser, c’est-à-dire vendre le plus cher possi-
ble. La cible, ce sont les consommateurs des
pays émergents dans lesquels on boit de plus en
plus. Il faut les conforter dans une logique de
prestige et de réussite. Ce sont de nouveaux mar-
chés qui vont consommer beaucoup de champ-
agne, en parallèle des marchés traditionnels
comme les Etats-Unis, l’Angleterre et la France.
Internet comme canal de vente, de communi-
cation et de marketing relationnel?
Pour la communication propre des marques,
c’est un formidable outil. D’importants progrès
ont été faits en la matière par les Champenois
depuis une dizaine d’années. Il y a une véritable
conscience du potentiel de l’outil. D’un point de
vue support de vente, la vente directe fonctionne
bien pour les petites maisons de champagne,
mais c’est surtout le canal de distribution organi-
sé sur Internet, avec des sociétés comme Wine &
Co ou VentealaPropriete.com, qui fait un très joli
travail et réalise des chiffres impressionnants. On
voit aussi arriver sur le marché de l’Internet de
nouveaux entrants et des généralistes, comme
Vente-privees.com. Xavier Court, l’un des cofon-
dateurs, me disait qu’ils allaient réaliser près de
dix millions d’euros de vente de vin, ce qui est
colossal. Il y a donc très clairement un engoue-
ment et ça se développe. Aussi bien les sites
généralistes que les sites spécialisés embrassent
la tendance.
L.M.
“Pour la communication, Internet est un formidable outil”
En 2010, les BRICS - acronyme qui désigne le
Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du
Sud - affichent des taux de croissance exception-
nels. Une augmentation des ventes de 63,2 % au
Brésil, de 87,6 % en Russie et une progression de
89,9 % en Chine. Les expéditions à destinations
de la Russie ont été multipliées par 1,9 en 2010
pour atteindre 1,1 million de cols et un chiffre
d’affaires de 24 millions d’euros. Au Brésil, le
champagne s’est vendu pour 16,6 millions d’eu-
ros. La consommation de vins effervescents est
en rapide développement et a dépassé en 2010
les trente millions de bouteilles, dont la majori
est produite localement. En Chine, et plus parti-
culièrement dans les grandes villes comme
Shanghai, le champagne est la boisson à la
mode. Consommé à 80 % dans des lieux de diver-
tissement comme les restaurants, les hôtels et
les discothèques, les jeunes fortunés chinois
apprécient l’image de luxe et de prestige qui
entourent le champagne. Dans certaines boîtes
de nuit huppées de Pékin, de Shanghai ou de
Hong Kong, les bouteilles se vendent par centai-
nes chaque nuit. La Chine est ainsi le cinquième
importateur de vins et spiritueux français, et les
nouveaux riches s’orientent bien plus volontiers
vers le haut de gamme.
Les chiffres semblent très prometteurs, d’autant
plus que certains de ces pays comme la Russie
ont déjà une histoire relativement ancienne de
consommation de champagne. La croissance
économique des pays comme les BRICS a permis
d’établir un marché qui progresse rapidement
pour un vin associé à la réussite et à la belle vie.
“On assiste dans ces pays au développement
d’une culture du vin et d’une grande curiosité
pour le champagne
, confirme Michel Janneau,
directeur général adjoint chez Louis Roederer.
Ces marchés vont avoir un jour un rôle important
à jouer, de même que depuis quelques années le
Japon a développé une expertise du vin qui en
fait aujourd’hui un marché extrêmement straté-
gique.”
Mais ces chiffres de croissance exceptionnels
masquent des volumes de départ plutôt modes-
tes.
“Si on constate une augmentation sur le
marché russe de 50 % mais seulement de 2 % sur
le marché anglais, cela revient pratiquement au
même en termes de volume
, confirme Steve
Charters, professeur titulaire de la chaire en
management du champagne à la Reims
Management School. Un fort potentiel, donc,
mais pas encore un “booster” sur le marcdu
champagne. En termes d’exportations, ce sont
toujours les dix premiers importateurs qui sont
au cœur des préoccupations des maisons de
champagne, qui couvrent 86 % de l’approvision-
nement à l’étranger. En 2010, les BRICS ont
consommé 3,7 millions de cols. A lui tout seul, le
marché anglais absorbe plus de 35 millions de
bouteilles chaque année. Les BRICS sont donc un
enjeu en devenir. Les nouveaux riches russes,
indiens et brésiliens cherchent à afficher leur
prestige. Le défi est de les convaincre que seul le
champagne peut leur permettre de célébrer
comme il se doit leur ussite.
L.M.
“Ces chiffres de croissance exceptionnels
masquent des volumes de départ plutôt modestes”
3 questions à
Alain Marty, président du Wine and Business Club
Les Champenois sont les champions du monde de la communication
Exportations
Les BRICS, véritables “boosters” de marché ?
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Le nouvel Economiste - n°1590 - Du 24 au 30 novembre 2011 - Hebdomadaire
valeur, estime Alexandra Rendall. Et ça se
retrouve dans la communication.
Le prix joue aussi sur l’image d’un produit de
luxe. Le brut sans année, le champagne de
référence des maisons, représente près de
80 % des ventes, pour une échelle de prix
allant de 15 à 40 euros. Ce sont les champ-
agnes millésis et les grandes cuvées qui se
vendront logiquement le plus cher, entre 150
et 300 euros. Lors de la crise de 2009, certains
producteurs ont drastiquement baissé leur
prix et le nombre de bouteilles sous la barre
des 10 euros a augmenté. “Or, regrette Alain
Marty, le champagne n’est pas assez cher au
regard de ses concurrents français, notamment
bordelais, dont les bouteilles dépassent facile-
ment 700 ou 800 euros. Sur le marcfrançais,
la référence pour toutes les célébrations, c’est
déjà le champagne. Aujourd’hui le challenge est
d’augmenter les prix.
Pour valoriser leur boisson, les Champenois
privilégient donc des outils de communica-
tion variés. Perrier-Jouët, Mumm ou encore
Laurent-Perrier ouvrent leurs portes aux tou-
ristes pour leur dévoiler les secrets de la
fabrication du champagne. Une manière de
filiser le client en renforçant les liens entre
la Champagne et le champagne. Taittinger
choisit de mettre en avant la dimension fami-
liale de son affaire. “Suite au rachat par Pierre-
Emmanuel Taittinger en 2006, nous sommes de
ceux dont les propriétaires et dirigeants ont
encore leur nom sur la bouteille, explique
Dominique Garreta. Nous sommes dans une
logique de transmission et c’est ça, notre straté-
gie de communication.Moët et Chandon mise
sur l’événementiel et le spectaculaire. En
septembre 2006, l’entreprise s’offre les ser-
vices de l’agence Publicis Events et une cou-
verture médiatique mondiale en illuminant
la statue de la liberté à New York.
L’événement passera relativement inaperçu
en France pour cause de loi Evin, mais la mai-
son obtient des retombées dans les médias
allemands, japonais, américains et indiens.
L’histoire de la Champagne regorge d’anec-
dotes, de contes et de légendes que les servi-
ces marketing ont t fait d’exploiter. Plutôt
que de parler exclusivement du produit lui-
même, les marketeurs proposent au travers
de leur communication la possibilité d’une
expérience, d’un luxe, d’une singularité.
Enfin, les maisons ne laissent passer aucune
opportunité de faire parler d’elles.
Juillet 2010, une dépêche bouscule l’actua-
lité viticole: des bouteilles de champagne,
retrouvées dans une épave au large de la
Finlande, pourraient être les plus vieux fla-
cons encore conservés à ce jour. Très rapide-
ment, les bouteilles de la Baltique sont
annoncées comme appartenant à la Veuve
Clicquot-Ponsardin. Toujours buvables, et
même décrites comme “excellentes”, les pré-
cieuses trouvailles s’avéreront être une
opportunité stratégique de communication.
La maison décide de dépêcher son œnologue
ainsi que son historienne pour aider à l’i-
dentification des bouteilles. Bien que la pre-
mière se révèle être une Juglar, devenue en
1832 Jacquesson et Fils, quarante-six d’entre
elles seront formellement identifiées comme
appartenant à la Veuve Clicquot, probable-
ment assemblées par la veuve elle-même.
“Grâce à cette histoire, la maison a souligné ses
liens avec une autre époque, très chic”, résume
Steve Charters. Ce qui lui permet non seule-
ment de vanter la constance et les qualités
organoleptiques du vin, mais aussi de racon-
ter une histoire et renforcer un imaginaire de
marque déjà très riche. En juin 2011, l’une
des bouteilles a été vendue aux enchères
pour 30 000 euros.
Internet ne bouleverse pas
la distribution
Le succès des Champenois, enfin, s’explique
par une politique de distribution qui leur per-
met à la fois de vendre d’importants volumes
tout en s’associant à des seaux de cavistes
et de la grande restauration. Selon les chiff-
res du Comité interprofessionnel du vin de
champagne (CIVC), le circuit de la grande et
de la moyenne distribution repsente 90,7 %
des volumes écoulés et 94,2 % du chiffre d’af-
faires. En 2010, les ventes en hyper et super-
marché ont progres de 2,6 %, soit cinquante
millions de cols au total, pour une valeur de
895,8 millions d’euros. Plus d’un quart de ces
bouteilles se sont vendues à un prix supé-
rieur à vingt euros. C’est mieux que les chif-
fres de 2009, mais moins bien que ceux de
2008.
Si de nombreuses maisons de Champagne
sont présentes en grande et moyenne surface,
certaines se concentrent sur des points de
vente jugés plus qualitatifs comme les cavis-
tes et la restauration. “Chez Louis Roederer,
nous ne sommes pas présents en grande distri-
bution, précise Michel Janneau. Cela nous per-
met de travailler avec d’autres acteurs dont
nous avons le sentiment qu’ils sont des porteurs
d’image.Transformant ce qui pourrait être
un inconvénient en avantage, la maison cible
de manière très précise sa clientèle sur
quelques marchés. La restauration, et plus
particulièrement la haute gastronomie, offre
un écrin de luxe qui sied à l’aspiration de
prestige des grands champagnes. Les cavis-
tes, eux, sont considérés comme des distri-
buteurs clés pour le succès du vin, car ils
effectuent un travail d’initiation et de conseil
auprès des consommateurs. Selon un son-
dage réalisé en 2011 par Survey Sampling
International pour l’agence SoWine, 64 %
des consommateurs de vin considèrent qu’il
faut un socle minimal de connaissance pour
apprécier le vin. Pour les trois quarts des son-
dés, il est primordial de se renseigner avant
tout acte d’achat.
En revanche, les grandes maisons de
Champagne ne souhaitent pas s’inviter sur le
marcflorissant de l’Internet. “Internet est
une vitrine supplémentaire, qui permet d’éta-
blir une communication, une compliciavec le
consommateur, apprécie Alexandra Rendall.
Mais c’est une boutique sans vente.La vente
de champagne sur Internet reste donc orga-
nisée par des cavistes généralistes tels que
1855.com ou wineandco.com, mais aussi par
des revendeurs moins respectueux des poli-
tiques tarifaires des grandes maisons.
“Certaines maisons sont très fâchées avec
Internet car elles retrouvent leurs cuvées dans
des caves qui n’ont pas de qualité et à des prix
qui ne rentrent pas dans la cohérence de la mai-
son”, plore Arnaud Molin, fondateur et diri-
geant de Champ’market, un nouvel acteur
sur le marché de la distribution virtuelle. Les
maisons disposent d’un espace dédié sur
lequel elles peuvent contrôler la profondeur
de gamme, l’image et les prix. Pour son pre-
mier anniversaire, Champ’market devrait
totaliser 500000 visiteurs uniques et plus de
deux millions de pages vues. Un succès qui
illustre l’importance des nouvelles technolo-
gies dans le processus d’achat des nouvelles
générations.
En effet, 77 % des quelque 41 millions d’in-
ternautes français sont présents sur les
réseaux sociaux. Un nouveau type de mer-
chandising se dessine : le marketing du par-
tage. Les utilisateurs de réseaux sociaux ont
la possibilid’afficher leurs préférences et
de recommander des produits à leurs
contacts, tout en échangeant conseils et bon-
nes adresses. “Les réseaux sociaux permettent
de mettre en place des stratégies plus fines et plus
relationnelles, souligne Arnaud Molin. Les
internautes recherchent plus que du contenu
commercial, ils veulent du qualitatif. Il faut
construire cette relation digitale et c’est un
chantier de plusieurs années. Dans le monde du
champagne sur Internet, on doit instaurer une
distribution qui renoue avec la noblesse.
Les Champenois ont longtemps été en avance
sur leur temps en termes de communication
et de marketing, ce qui leur a permis d’im-
poser leur boisson comme le vin de la fête et
de la réussite. Mais ils tardent à prendre le
tournant de la révolution Internet et à
embrasser toutes ses promesses : un public
plus large et plus ciblé à la fois, et la puis-
sance de la communication technologique.
D’un flash code dans un magazine ou sur un
rayon de supermarché, l’amateur se retrouve
sur les terres de Reims, au milieu d’un vigno-
ble, pendant que le chef de cave lui parle de
son vin. “Le champagne aide à l’émerveille-
ment”, disait George Sand. Au XXIesiècle, ça
se passe sur un smartphone.
Art de vivre & œnologie
LES CHAMPAGNES
La résistance française
En 2010, la filière a progressé de 8,6 % en valeur.
Après une baisse de 16,1 % l’année précédente, le CA
sest établi à 4,1 Md, dont 2,2 en France. Le marché
français a bien résisté à la crise de 2009 seulement
- 0,3% en volume et a gag 2,4 % en 2010, soit
4,3 millions de cols supplémentaires.
Source: Comité interprofessionnel des vins de
Champagne
CHIFFRES REVELATEURS
Les réseaux sociaux permettent de mettre en place
des stratégies plus fines et plus relationnelles.
“Dans le monde du champagne sur Internet, on
doit instaurer une distribution qui renoue avec la
noblesse.” Arnaud Molin, Champ’market.
Art de vivre & luxe - CHAMPAGNE
La stratégie de Janus
(Le nouvel Economiste 1560 du 31 mars 2011)
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