renciation se fait d’abord par les couleurs et
la forme des bouteilles. “On ne peut pas
confondre un Ruinart avec un Bollinger ou un
Perrier-Jouët avec un Mumm, explique Alain
Marty, président du Wine and Business Club.
Si l’on met des bouteilles de la trentaine de gran-
des maisons côte à côte, l’amateur se repère très
facilement.” Le packaging étant le premier
élément de différenciation pour le consom-
mateur, il fait l’objet d’investissements
importants.
De l’artisanat à l’œuvre d’art
Les grandes marques se prévalent à la fois de
leur modernité et de leur patrimoine histo-
rique. Un mariage délicat qui s’exprime sou-
vent avec brio dans le domaine de l’art, du
cinéma, mais aussi du packaging. Bien que
l’on ne touche pas à la forme de la bouteille,
entrée dans la mémoire collective, le packa-
ging des bulles est devenu, au cours de ces dix
dernières années, un véritable outil de com-
munication. En 2004, la Veuve Clicquot inau-
gure la Clicquot Ice Jacket, une combinaison
en néoprène orange, mobile et créative, qui
remplace le seau à champagne et garde la
boisson au frais pendant deux heures.
L’année dernière, le champagne Ruinart s’est
adjoint les talents de la designer italienne
Patricia Urquiola, qui a réalisé le “Fil d’Or”,
un bouchon doré conçu comme une œuvre
d’art qui se déroule sur le col entier dont l’ob-
jectif est de “sublimer la délicatesse et la puis-
sance du Ruinart blanc de blancs”…
Les Champenois ont, depuis longtemps, com-
pris que si l’on apprécie une boisson pour ses
qualités gustatives, le client apprécie d’au-
tant plus l’expérience de dégustation car elle
stimule plusieurs sens. La vue et le toucher
mettent en éveil les papilles et le flacon,
autant que le vin participe à l’ivresse. “Chez
Taittinger, nous travaillons avec le milieu artis-
tique, confirme Dominique Garreta. Car la
publicité, c’est de la notoriété. Or, le luxe est d’a-
bord une affaire de réputation.” La Taittinger
Collection comprend douze bouteilles
signées par des artistes de culture du monde
entier, inaugurée par Vasarely en 1981 et
achevée l’an dernier par l’artiste sénégalais
Amadou Sow. Chez Piper-Heidsieck, ce sont
de grands noms de la mode, Jean Paul
Gaultier et Christian Louboutin, qui revisi-
tent l’habillage des flacons, proposant escar-
pins en cristal et jersey en vinyle aux
amateurs.
“Chez Louis Roederer, nous avons choisi le mécé-
nat, explique Michel Janneau, directeur
adjoint et responsable marketing des champ-
agnes Louis Roederer. Nous considérons le vin
comme une œuvre. Nous avons donc établi un
univers de communication qui s’appelle ‘Louis
Roederer, chercheur d’œuvre’, par lequel nous
essayons de promouvoir des artistes contempo-
rains.” En 2003, la maison a signé un parte-
nariat avec la Bibliothèque nationale de
France pour exposer les importants fonds
photographiques de la BNF dans une galerie
dédiée tout en produisant des expositions
d’artistes contemporains.
“Dans les années 1930, le président de l’époque
voulait que l’on soit présent dans le cinéma,
raconte Alexandra Rendall, directrice inter-
nationale de la communication chez Piper-
Heidsieck. Il avait fait le premier placement de
produit de l’histoire en mettant une bouteille de
Piper entre les mains de Laurel et Hardy.”
Champagne officiel du festival de Cannes
depuis trois décennies, la maison est parti-
culièrement attachée à son association avec
le septième art. Dans Casablanca, Humphrey
Bogart conseille un Veuve Cliquot 1926 mais
il embrasse Ingrid Bergman devant un
Mumm Cordon Rouge. Sans oublier évidem-
ment les premiers James Bond dans lesquels
Sean Connery marque sa préférence pour
Dom Pérignon. “Ces collaborations présentent
l’intérêt de permettre de nous exprimer sur
nous-mêmes, de nous faire voir, d’animer notre
marque et de l’enrichir de la visibilité qu’on en
tire”, conclut Alexandra Rendall.
En donnant un éclat artistique à leurs bou-
teilles, les grands noms d’Epernay rappellent
que leur produit est aussi une œuvre d’art.
S’il est difficile de déterminer les retombées
économiques réelles de ces campagnes de
promotion, les bénéfices en termes d’image
sont indéniables.
De la diversité en communication
L’habileté des Champenois fut de mettre au
point, très tôt, une promotion efficace autour
des bulles de leur région. Conscients des dan-
gers d’une stratégie trop axée sur le mer-
chandising, ils déploient des outils
diversifiés, de l’œno-tourisme à l’événemen-
tiel, en passant par la maîtrise de leur actua-
lité. Selon Steve Charters, “chaque maison a
son propre style de publicité. Par exemple, Pol
Roger se concentre sur la tradition et l’image
d’aristocrate qui entoure sa Cuvée Winston
Churchill. Moët et Chandon préfère un style plus
jet-set, une ambiance de boîte de nuit”. Piper-
Heidsieck se positionne comme une“maison
d’audace et de fraîcheur”, tandis que Taittinger
se différencie en communiquant sur son diri-
geant et la dimension familiale de l’entre-
prise.
Le type de publicité et les budgets engagés
dans la promotion dépendent de la cible
client. Mais dans le domaine du luxe,
quelques fondamentaux demeurent : élé-
gance et qualité. L’idée qui domine est que
l’on ne peut pas vendre un vin si ce dernier
n’est pas bon. Or, c’est exactement ce que les
consommateurs veulent entendre, affirme
Steve Charters. Selon le spécialiste, “les
grands noms du champagne ont intérêt à com-
muniquer sur ce qui fait la spécificité de leur vin
en capitalisant sur leur patrimoine historique”.
“La tendance, en ce moment, c’est une recher-
che pour des marques fortement chargées en
Art de vivre & œnologie
LES CHAMPAGNES
“Il n’y a pas beaucoup de vins qui sont des
produits de luxe.” Steve Charters, Reims
Management School. “Nous avons tout intérêt à rester dans un
marketing de l’offre.” Dominique Garreta,
Taittinger.
Le packaging étant le premier élément de différenciation
pour le consommateur, il fait l’objet d’investissements importants
L’histoire de la Champagne regorge d’anecdotes, de contes
et de légendes que les services marketing ont tôt fait d’exploiter
Comment se porte le marché du champagne
en cette fin d’année 2011?
Bien. On n’est pas encore sur les records histo-
riques [de 2007, ndlr] qui étaient de 330millions
de bouteilles, mais ça se porte bien et pour l’ins-
tant les Champenois ne voient pas d’effet de
crise. Il faut rester prudent en 2012. Toutes les
commandes de cette fin d’année ont été passées
sur les mois d’avril, mai, juin et juillet 2011 et il
n’y a pas de baisse, en tout cas en volume. Le
marché du champagne a tendance à repartir avec
toujours un petit bémol : environ 50 % des pro-
ductions de champagne qui s’exportent et 50 %
du champagne qui est bu sur le territoire natio-
nal. Donc on a une grosse dépendance au niveau
du marché français, surtout en ce qui concerne
les petits vignerons et les négociants. En revan-
che les grandes marques, elles, exportent à
80 %. C’est le paradoxe du champagne.
Rester fidèle à la tradition tout en élargissant
la cible de ses consommateurs. Est-ce un pari
tenable ?
Il faut d’abord savoir que le champagne évolue
dans un milieu concurrentiel très fort. Les deux
principaux concurrents, ce sont les cava espa-
gnols et les spumanti italiens. Sur le territoire
national, il y a également une concurrence des
crémants de Bourgogne ou de Loire. Mais les
Champenois sont les champions du monde de la
communication et il y a une chaîne de valeur très
positive en Champagne. Mais à cause du prix de
la matière première, ils sont obligés de vendre de
plus en plus cher, donc d’innover en matière de
communication. L’important, aujourd’hui, est de
valoriser, c’est-à-dire vendre le plus cher possi-
ble. La cible, ce sont les consommateurs des
pays émergents dans lesquels on boit de plus en
plus. Il faut les conforter dans une logique de
prestige et de réussite. Ce sont de nouveaux mar-
chés qui vont consommer beaucoup de champ-
agne, en parallèle des marchés traditionnels
comme les Etats-Unis, l’Angleterre et la France.
Internet comme canal de vente, de communi-
cation et de marketing relationnel?
Pour la communication propre des marques,
c’est un formidable outil. D’importants progrès
ont été faits en la matière par les Champenois
depuis une dizaine d’années. Il y a une véritable
conscience du potentiel de l’outil. D’un point de
vue support de vente, la vente directe fonctionne
bien pour les petites maisons de champagne,
mais c’est surtout le canal de distribution organi-
sé sur Internet, avec des sociétés comme Wine &
Co ou VentealaPropriete.com, qui fait un très joli
travail et réalise des chiffres impressionnants. On
voit aussi arriver sur le marché de l’Internet de
nouveaux entrants et des généralistes, comme
Vente-privees.com. Xavier Court, l’un des cofon-
dateurs, me disait qu’ils allaient réaliser près de
dix millions d’euros de vente de vin, ce qui est
colossal. Il y a donc très clairement un engoue-
ment et ça se développe. Aussi bien les sites
généralistes que les sites spécialisés embrassent
la tendance.
L.M.
“Pour la communication, Internet est un formidable outil”
En 2010, les BRICS - acronyme qui désigne le
Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du
Sud - affichent des taux de croissance exception-
nels. Une augmentation des ventes de 63,2 % au
Brésil, de 87,6 % en Russie et une progression de
89,9 % en Chine. Les expéditions à destinations
de la Russie ont été multipliées par 1,9 en 2010
pour atteindre 1,1 million de cols et un chiffre
d’affaires de 24 millions d’euros. Au Brésil, le
champagne s’est vendu pour 16,6 millions d’eu-
ros. La consommation de vins effervescents est
en rapide développement et a dépassé en 2010
les trente millions de bouteilles, dont la majorité
est produite localement. En Chine, et plus parti-
culièrement dans les grandes villes comme
Shanghai, le champagne est la boisson à la
mode. Consommé à 80 % dans des lieux de diver-
tissement comme les restaurants, les hôtels et
les discothèques, les jeunes fortunés chinois
apprécient l’image de luxe et de prestige qui
entourent le champagne. Dans certaines boîtes
de nuit huppées de Pékin, de Shanghai ou de
Hong Kong, les bouteilles se vendent par centai-
nes chaque nuit. La Chine est ainsi le cinquième
importateur de vins et spiritueux français, et les
nouveaux riches s’orientent bien plus volontiers
vers le haut de gamme.
Les chiffres semblent très prometteurs, d’autant
plus que certains de ces pays comme la Russie
ont déjà une histoire relativement ancienne de
consommation de champagne. La croissance
économique des pays comme les BRICS a permis
d’établir un marché qui progresse rapidement
pour un vin associé à la réussite et à la belle vie.
“On assiste dans ces pays au développement
d’une culture du vin et d’une grande curiosité
pour le champagne
, confirme Michel Janneau,
directeur général adjoint chez Louis Roederer.
Ces marchés vont avoir un jour un rôle important
à jouer, de même que depuis quelques années le
Japon a développé une expertise du vin qui en
fait aujourd’hui un marché extrêmement straté-
gique.”
Mais ces chiffres de croissance exceptionnels
masquent des volumes de départ plutôt modes-
tes.
“Si on constate une augmentation sur le
marché russe de 50 % mais seulement de 2 % sur
le marché anglais, cela revient pratiquement au
même en termes de volume”
, confirme Steve
Charters, professeur titulaire de la chaire en
management du champagne à la Reims
Management School. Un fort potentiel, donc,
mais pas encore un “booster” sur le marché du
champagne. En termes d’exportations, ce sont
toujours les dix premiers importateurs qui sont
au cœur des préoccupations des maisons de
champagne, qui couvrent 86 % de l’approvision-
nement à l’étranger. En 2010, les BRICS ont
consommé 3,7 millions de cols. A lui tout seul, le
marché anglais absorbe plus de 35 millions de
bouteilles chaque année. Les BRICS sont donc un
enjeu en devenir. Les nouveaux riches russes,
indiens et brésiliens cherchent à afficher leur
prestige. Le défi est de les convaincre que seul le
champagne peut leur permettre de célébrer
comme il se doit leur réussite.
L.M.
“Ces chiffres de croissance exceptionnels
masquent des volumes de départ plutôt modestes”
3 questions à
Alain Marty, président du Wine and Business Club
“Les Champenois sont les champions du monde de la communication”
Exportations
Les BRICS, véritables “boosters” de marché ?