Bulles de légende

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Art de vivre & œnologie
LES CHAMPAGNES
- Un produit marketing particulier
- De l’artisanat à l’oeuvre d’art
- De la diversité en communication
- Internet ne blouleverse pas la distribution
Le modèle champenois
Bulles de légende
La singularité et le prestige du contenu suffisent (presque) à vendre le contenant
Qui souhaite le succès sur le marché fortement concurrentiel des vins et spiritueux
s’inspirera du modèle champenois. En presque 300 ans d’histoire, les grandes maisons de Champagne ont réussi la prouesse d’imposer leur vin comme emblème du
bonheur et de la réussite sociale. Produit de terroir mais également produit de
luxe, le champagne suppose cependant un marketing particulier. De la promotion
à la distribution en passant par le packaging et l’événementiel, les clefs du succès
champenois se trouvent dans un marketing de l’offre qui place la réputation du
produit au cœur de la stratégie de vente. Une discipline dans laquelle les grandes
maisons de Champagne excellent.
Par Lisa Melia
“
Je ne peux pas vivre sans champagne, en cas de victoire, je le mérite ;
en cas de défaite, j’en ai besoin”, disait Napoléon Bonaparte. Depuis
plus de deux siècles, les vins de Champagne
jouissent d’une réputation prestigieuse et
inégalée, symbole de la fête et de la réussite.
A l’aube du XXe siècle, 40 millions de bouteilles se vendaient dans le monde entier. En
2010, ce sont plus de 319 millions de cols qui
ont été expédiés. La région pèse aujourd’hui
plus de quatre milliards d’euros en chiffre
d’affaires, dont deux engendrés à l’étranger.
Mais si ce succès planétaire ne se dément
pas, la bonne fortune du champagne ne doit
rien, ou presque, au hasard. Très tôt, les
Champenois ont su s’organiser pour s’imposer sur le marché concurrentiel des vins effervescents. Du temps de la Veuve Clicquot, on
exporte déjà en Russie et en Angleterre. Vin
des rois, roi des vins, les bulles sont courtisées
par toute la noblesse européenne et accompagnent toutes les grandes célébrations. La
réputation du champagne est née.
Un produit marketing particulier
Les grandes maisons de Champagne s’em-
Management School. De plus, c’est un produit
de terroir. On ne peut donc pas maîtriser la production ni la délocaliser.” Ce qui implique pour
les services marketing de défendre aussi bien
les valeurs de la maison que les couleurs de
la région. Car si certains consommateurs
Très tôt, les Champenois ont su s’organiser
pour s’imposer sur le marché concurrentiel des vins effervescents
ploient aujourd’hui à pérenniser l’image
d’exception et d’excellence de leur nectar.
Mais l’exercice est compliqué, car c’est le produit qui dicte ses règles au marché et non l’inverse. “Peu de vins sont des produits de luxe, à
l’exception de quelques bordeaux et de certaines
bouteilles de bourgogne, explique Steve
Charters, professeur titulaire de la chaire en
management du champagne à la Reims
Le nouvel Economiste - n°1590 - Du 24 au 30 novembre 2011 - Hebdomadaire
apprécient une marque particulière, la plupart ne font pas de différence entre les diverses maisons.
Limités en termes de volume par l’aire d’appellation de 33 000 hectares, les Champenois
ne pourraient pas, même s’ils le souhaitaient,
inonder le marché mondial de leur boisson.
“Dans l’univers du champagne comme dans l’univers du luxe, nous avons donc tout intérêt à
rester dans un marketing de l’offre, résume
Dominique Garreta, directrice marketing de
la maison Taittinger. Le vin du bonheur, c’est
nous qui faisons en sorte qu’il le reste. Il faut de
l’imagination, il faut de la création et il faut
continuer à être extrêmement rigoureux sur la
qualité du produit.”
Les clefs du succès sont nombreuses, mais
elles se focalisent presque toutes sur le principal moteur de la croissance champenoise :
la réputation. De la communication au packaging, en passant par la distribution et l’événementiel, les services marketing n’ont
qu’un dogme : pérenniser l’image qualitative
de leur vin. Selon Steve Charters, les consommateurs cherchent une marque à l’identité
forte. Dans le goût comme dans l’image, les
amateurs de grandes cuvées s’enthousiasment pour les champagnes qui se distinguent
et qui proposent un produit différencié ainsi
que des valeurs bien définies. Ainsi, la diffé-
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Art de vivre & œnologie
LES CHAMPAGNES
boisson au frais pendant deux heures.
L’année dernière, le champagne Ruinart s’est
adjoint les talents de la designer italienne
Patricia Urquiola, qui a réalisé le “Fil d’Or”,
un bouchon doré conçu comme une œuvre
d’art qui se déroule sur le col entier dont l’objectif est de “sublimer la délicatesse et la puissance du Ruinart blanc de blancs”…
Les Champenois ont, depuis longtemps, compris que si l’on apprécie une boisson pour ses
qualités gustatives, le client apprécie d’autant plus l’expérience de dégustation car elle
stimule plusieurs sens. La vue et le toucher
mettent en éveil les papilles et le flacon,
autant que le vin participe à l’ivresse. “Chez
Taittinger, nous travaillons avec le milieu artistique, confirme Dominique Garreta. Car la
publicité, c’est de la notoriété. Or, le luxe est d’a-
“Il n’y a pas beaucoup de vins qui sont des
produits de luxe.” Steve Charters, Reims
Management School.
renciation se fait d’abord par les couleurs et
la forme des bouteilles. “On ne peut pas
confondre un Ruinart avec un Bollinger ou un
Perrier-Jouët avec un Mumm, explique Alain
Marty, président du Wine and Business Club.
Si l’on met des bouteilles de la trentaine de grandes maisons côte à côte, l’amateur se repère très
facilement.” Le packaging étant le premier
élément de différenciation pour le consommateur, il fait l’objet d’investissements
importants.
De l’artisanat à l’œuvre d’art
Les grandes marques se prévalent à la fois de
leur modernité et de leur patrimoine historique. Un mariage délicat qui s’exprime souvent avec brio dans le domaine de l’art, du
cinéma, mais aussi du packaging. Bien que
l’on ne touche pas à la forme de la bouteille,
entrée dans la mémoire collective, le packaging des bulles est devenu, au cours de ces dix
dernières années, un véritable outil de communication. En 2004, la Veuve Clicquot inaugure la Clicquot Ice Jacket, une combinaison
en néoprène orange, mobile et créative, qui
remplace le seau à champagne et garde la
Le packaging étant le premier élément de différenciation
pour le consommateur, il fait l’objet d’investissements importants
bord une affaire de réputation.” La Taittinger
Collection comprend douze bouteilles
signées par des artistes de culture du monde
entier, inaugurée par Vasarely en 1981 et
achevée l’an dernier par l’artiste sénégalais
Amadou Sow. Chez Piper-Heidsieck, ce sont
de grands noms de la mode, Jean Paul
Gaultier et Christian Louboutin, qui revisitent l’habillage des flacons, proposant escarpins en cristal et jersey en vinyle aux
Bien. On n’est pas encore sur les records historiques [de 2007, ndlr] qui étaient de 330 millions
de bouteilles, mais ça se porte bien et pour l’instant les Champenois ne voient pas d’effet de
crise. Il faut rester prudent en 2012. Toutes les
commandes de cette fin d’année ont été passées
sur les mois d’avril, mai, juin et juillet 2011 et il
n’y a pas de baisse, en tout cas en volume. Le
marché du champagne a tendance à repartir avec
toujours un petit bémol : environ 50 % des productions de champagne qui s’exportent et 50 %
du champagne qui est bu sur le territoire national. Donc on a une grosse dépendance au niveau
du marché français, surtout en ce qui concerne
amateurs.
“Chez Louis Roederer, nous avons choisi le mécénat, explique Michel Janneau, directeur
adjoint et responsable marketing des champagnes Louis Roederer. Nous considérons le vin
comme une œuvre. Nous avons donc établi un
univers de communication qui s’appelle ‘Louis
Roederer, chercheur d’œuvre’, par lequel nous
essayons de promouvoir des artistes contemporains.” En 2003, la maison a signé un partenariat avec la Bibliothèque nationale de
communication. L’important, aujourd’hui, est de
valoriser, c’est-à-dire vendre le plus cher possible. La cible, ce sont les consommateurs des
pays émergents dans lesquels on boit de plus en
plus. Il faut les conforter dans une logique de
prestige et de réussite. Ce sont de nouveaux marchés qui vont consommer beaucoup de champagne, en parallèle des marchés traditionnels
comme les Etats-Unis, l’Angleterre et la France.
Internet comme canal de vente, de communication et de marketing relationnel ?
Pour la communication propre des marques,
c’est un formidable outil. D’importants progrès
ont été faits en la matière par les Champenois
depuis une dizaine d’années. Il y a une véritable
“Pour la communication, Internet est un formidable outil”
les petits vignerons et les négociants. En revanche les grandes marques, elles, exportent à
80 %. C’est le paradoxe du champagne.
Rester fidèle à la tradition tout en élargissant
la cible de ses consommateurs. Est-ce un pari
tenable ?
Il faut d’abord savoir que le champagne évolue
dans un milieu concurrentiel très fort. Les deux
principaux concurrents, ce sont les cava espagnols et les spumanti italiens. Sur le territoire
national, il y a également une concurrence des
crémants de Bourgogne ou de Loire. Mais les
Champenois sont les champions du monde de la
communication et il y a une chaîne de valeur très
positive en Champagne. Mais à cause du prix de
la matière première, ils sont obligés de vendre de
plus en plus cher, donc d’innover en matière de
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ment les premiers James Bond dans lesquels
Sean Connery marque sa préférence pour
Dom Pérignon. “Ces collaborations présentent
l’intérêt de permettre de nous exprimer sur
nous-mêmes, de nous faire voir, d’animer notre
marque et de l’enrichir de la visibilité qu’on en
tire”, conclut Alexandra Rendall.
En donnant un éclat artistique à leurs bouteilles, les grands noms d’Epernay rappellent
que leur produit est aussi une œuvre d’art.
L’histoire de la Champagne regorge d’anecdotes, de contes
et de légendes que les services marketing ont tôt fait d’exploiter
3 questions à
Alain Marty, président du Wine and Business Club
“Les Champenois sont les champions du monde de la communication”
Comment se porte le marché du champagne
en cette fin d’année 2011 ?
France pour exposer les importants fonds
photographiques de la BNF dans une galerie
dédiée tout en produisant des expositions
d’artistes contemporains.
“Dans les années 1930, le président de l’époque
voulait que l’on soit présent dans le cinéma,
raconte Alexandra Rendall, directrice internationale de la communication chez PiperHeidsieck. Il avait fait le premier placement de
produit de l’histoire en mettant une bouteille de
Piper entre les mains de Laurel et Hardy.”
Champagne officiel du festival de Cannes
depuis trois décennies, la maison est particulièrement attachée à son association avec
le septième art. Dans Casablanca, Humphrey
Bogart conseille un Veuve Cliquot 1926 mais
il embrasse Ingrid Bergman devant un
Mumm Cordon Rouge. Sans oublier évidem-
conscience du potentiel de l’outil. D’un point de
vue support de vente, la vente directe fonctionne
bien pour les petites maisons de champagne,
mais c’est surtout le canal de distribution organisé sur Internet, avec des sociétés comme Wine &
Co ou VentealaPropriete.com, qui fait un très joli
travail et réalise des chiffres impressionnants. On
voit aussi arriver sur le marché de l’Internet de
nouveaux entrants et des généralistes, comme
Vente-privees.com. Xavier Court, l’un des cofondateurs, me disait qu’ils allaient réaliser près de
dix millions d’euros de vente de vin, ce qui est
colossal. Il y a donc très clairement un engouement et ça se développe. Aussi bien les sites
généralistes que les sites spécialisés embrassent
la tendance.
L.M.
S’il est difficile de déterminer les retombées
économiques réelles de ces campagnes de
promotion, les bénéfices en termes d’image
sont indéniables.
De la diversité en communication
L’habileté des Champenois fut de mettre au
point, très tôt, une promotion efficace autour
des bulles de leur région. Conscients des dangers d’une stratégie trop axée sur le merchandising, ils déploient des outils
diversifiés, de l’œno-tourisme à l’événemen-
“Nous avons tout intérêt à rester dans un
marketing de l’offre.” Dominique Garreta,
Taittinger.
tiel, en passant par la maîtrise de leur actualité. Selon Steve Charters, “chaque maison a
son propre style de publicité. Par exemple, Pol
Roger se concentre sur la tradition et l’image
d’aristocrate qui entoure sa Cuvée Winston
Churchill. Moët et Chandon préfère un style plus
jet-set, une ambiance de boîte de nuit”. PiperHeidsieck se positionne comme une “maison
d’audace et de fraîcheur”, tandis que Taittinger
se différencie en communiquant sur son dirigeant et la dimension familiale de l’entreprise.
Le type de publicité et les budgets engagés
dans la promotion dépendent de la cible
client. Mais dans le domaine du luxe,
quelques fondamentaux demeurent : élégance et qualité. L’idée qui domine est que
l’on ne peut pas vendre un vin si ce dernier
n’est pas bon. Or, c’est exactement ce que les
consommateurs veulent entendre, affirme
Steve Charters. Selon le spécialiste, “les
grands noms du champagne ont intérêt à communiquer sur ce qui fait la spécificité de leur vin
en capitalisant sur leur patrimoine historique”.
“La tendance, en ce moment, c’est une recherche pour des marques fortement chargées en
Exportations
Les BRICS, véritables “boosters” de marché ?
En 2010, les BRICS - acronyme qui désigne le
Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du
Sud - affichent des taux de croissance exceptionnels. Une augmentation des ventes de 63,2 % au
Brésil, de 87,6 % en Russie et une progression de
89,9 % en Chine. Les expéditions à destinations
de la Russie ont été multipliées par 1,9 en 2010
pour atteindre 1,1 million de cols et un chiffre
d’affaires de 24 millions d’euros. Au Brésil, le
champagne s’est vendu pour 16,6 millions d’euros. La consommation de vins effervescents est
en rapide développement et a dépassé en 2010
les trente millions de bouteilles, dont la majorité
est produite localement. En Chine, et plus particulièrement dans les grandes villes comme
Shanghai, le champagne est la boisson à la
mode. Consommé à 80 % dans des lieux de divertissement comme les restaurants, les hôtels et
“On assiste dans ces pays au développement
d’une culture du vin et d’une grande curiosité
pour le champagne, confirme Michel Janneau,
directeur général adjoint chez Louis Roederer.
Ces marchés vont avoir un jour un rôle important
à jouer, de même que depuis quelques années le
Japon a développé une expertise du vin qui en
fait aujourd’hui un marché extrêmement stratégique.”
Mais ces chiffres de croissance exceptionnels
masquent des volumes de départ plutôt modestes. “Si on constate une augmentation sur le
marché russe de 50 % mais seulement de 2 % sur
le marché anglais, cela revient pratiquement au
même en termes de volume”, confirme Steve
Charters, professeur titulaire de la chaire en
management du champagne à la Reims
Management School. Un fort potentiel, donc,
“Ces chiffres de croissance exceptionnels
masquent des volumes de départ plutôt modestes”
les discothèques, les jeunes fortunés chinois
apprécient l’image de luxe et de prestige qui
entourent le champagne. Dans certaines boîtes
de nuit huppées de Pékin, de Shanghai ou de
Hong Kong, les bouteilles se vendent par centaines chaque nuit. La Chine est ainsi le cinquième
importateur de vins et spiritueux français, et les
nouveaux riches s’orientent bien plus volontiers
vers le haut de gamme.
Les chiffres semblent très prometteurs, d’autant
plus que certains de ces pays comme la Russie
ont déjà une histoire relativement ancienne de
consommation de champagne. La croissance
économique des pays comme les BRICS a permis
d’établir un marché qui progresse rapidement
pour un vin associé à la réussite et à la belle vie.
mais pas encore un “booster” sur le marché du
champagne. En termes d’exportations, ce sont
toujours les dix premiers importateurs qui sont
au cœur des préoccupations des maisons de
champagne, qui couvrent 86 % de l’approvisionnement à l’étranger. En 2010, les BRICS ont
consommé 3,7 millions de cols. A lui tout seul, le
marché anglais absorbe plus de 35 millions de
bouteilles chaque année. Les BRICS sont donc un
enjeu en devenir. Les nouveaux riches russes,
indiens et brésiliens cherchent à afficher leur
prestige. Le défi est de les convaincre que seul le
champagne peut leur permettre de célébrer
comme il se doit leur réussite.
L.M.
Le nouvel Economiste - n°1590 - Du 24 au 30 novembre 2011 - Hebdomadaire
Art de vivre & œnologie
LES CHAMPAGNES
valeur, estime Alexandra Rendall. Et ça se
retrouve dans la communication.”
Le prix joue aussi sur l’image d’un produit de
luxe. Le brut sans année, le champagne de
référence des maisons, représente près de
80 % des ventes, pour une échelle de prix
allant de 15 à 40 euros. Ce sont les champagnes millésimés et les grandes cuvées qui se
vendront logiquement le plus cher, entre 150
et 300 euros. Lors de la crise de 2009, certains
producteurs ont drastiquement baissé leur
prix et le nombre de bouteilles sous la barre
des 10 euros a augmenté. “Or, regrette Alain
Marty, le champagne n’est pas assez cher au
regard de ses concurrents français, notamment
son obtient des retombées dans les médias
allemands, japonais, américains et indiens.
L’histoire de la Champagne regorge d’anecdotes, de contes et de légendes que les services marketing ont tôt fait d’exploiter. Plutôt
que de parler exclusivement du produit luimême, les marketeurs proposent au travers
de leur communication la possibilité d’une
expérience, d’un luxe, d’une singularité.
Enfin, les maisons ne laissent passer aucune
opportunité de faire parler d’elles.
Juillet 2010, une dépêche bouscule l’actualité viticole : des bouteilles de champagne,
retrouvées dans une épave au large de la
Finlande, pourraient être les plus vieux flacons encore conservés à ce jour. Très rapide-
Si de nombreuses maisons de Champagne
sont présentes en grande et moyenne surface,
certaines se concentrent sur des points de
vente jugés plus qualitatifs comme les cavistes et la restauration. “Chez Louis Roederer,
nous ne sommes pas présents en grande distribution, précise Michel Janneau. Cela nous permet de travailler avec d’autres acteurs dont
nous avons le sentiment qu’ils sont des porteurs
d’image.” Transformant ce qui pourrait être
un inconvénient en avantage, la maison cible
de manière très précise sa clientèle sur
quelques marchés. La restauration, et plus
particulièrement la haute gastronomie, offre
un écrin de luxe qui sied à l’aspiration de
prestige des grands champagnes. Les cavis-
“Les réseaux sociaux permettent de mettre en place
des stratégies plus fines et plus relationnelles.”
“Dans le monde du champagne sur Internet, on
doit instaurer une distribution qui renoue avec la
noblesse.” Arnaud Molin, Champ’market.
bordelais, dont les bouteilles dépassent facilement 700 ou 800 euros. Sur le marché français,
la référence pour toutes les célébrations, c’est
déjà le champagne. Aujourd’hui le challenge est
d’augmenter les prix.”
Pour valoriser leur boisson, les Champenois
privilégient donc des outils de communication variés. Perrier-Jouët, Mumm ou encore
Laurent-Perrier ouvrent leurs portes aux touristes pour leur dévoiler les secrets de la
fabrication du champagne. Une manière de
fidéliser le client en renforçant les liens entre
la Champagne et le champagne. Taittinger
choisit de mettre en avant la dimension familiale de son affaire. “Suite au rachat par PierreEmmanuel Taittinger en 2006, nous sommes de
ceux dont les propriétaires et dirigeants ont
encore leur nom sur la bouteille, explique
Dominique Garreta. Nous sommes dans une
logique de transmission et c’est ça, notre stratégie de communication.” Moët et Chandon mise
sur l’événementiel et le spectaculaire. En
septembre 2006, l’entreprise s’offre les services de l’agence Publicis Events et une couverture médiatique mondiale en illuminant
la statue de la liberté à New York.
L’événement passera relativement inaperçu
en France pour cause de loi Evin, mais la mai-
24
ment, les bouteilles de la Baltique sont
annoncées comme appartenant à la Veuve
Clicquot-Ponsardin. Toujours buvables, et
même décrites comme “excellentes”, les précieuses trouvailles s’avéreront être une
opportunité stratégique de communication.
La maison décide de dépêcher son œnologue
ainsi que son historienne pour aider à l’identification des bouteilles. Bien que la première se révèle être une Juglar, devenue en
1832 Jacquesson et Fils, quarante-six d’entre
elles seront formellement identifiées comme
appartenant à la Veuve Clicquot, probablement assemblées par la veuve elle-même.
“Grâce à cette histoire, la maison a souligné ses
liens avec une autre époque, très chic”, résume
Steve Charters. Ce qui lui permet non seulement de vanter la constance et les qualités
organoleptiques du vin, mais aussi de raconter une histoire et renforcer un imaginaire de
marque déjà très riche. En juin 2011, l’une
des bouteilles a été vendue aux enchères
pour 30 000 euros.
Internet ne bouleverse pas
la distribution
Le succès des Champenois, enfin, s’explique
par une politique de distribution qui leur permet à la fois de vendre d’importants volumes
tout en s’associant à des réseaux de cavistes
et de la grande restauration. Selon les chiffres du Comité interprofessionnel du vin de
champagne (CIVC), le circuit de la grande et
de la moyenne distribution représente 90,7 %
des volumes écoulés et 94,2 % du chiffre d’affaires. En 2010, les ventes en hyper et supermarché ont progressé de 2,6 %, soit cinquante
millions de cols au total, pour une valeur de
895,8 millions d’euros. Plus d’un quart de ces
bouteilles se sont vendues à un prix supérieur à vingt euros. C’est mieux que les chiffres de 2009, mais moins bien que ceux de
2008.
tes, eux, sont considérés comme des distributeurs clés pour le succès du vin, car ils
effectuent un travail d’initiation et de conseil
auprès des consommateurs. Selon un sondage réalisé en 2011 par Survey Sampling
International pour l’agence SoWine, 64 %
des consommateurs de vin considèrent qu’il
faut un socle minimal de connaissance pour
apprécier le vin. Pour les trois quarts des sondés, il est primordial de se renseigner avant
tout acte d’achat.
En revanche, les grandes maisons de
Champagne ne souhaitent pas s’inviter sur le
marché florissant de l’Internet. “Internet est
une vitrine supplémentaire, qui permet d’établir une communication, une complicité avec le
consommateur, apprécie Alexandra Rendall.
Mais c’est une boutique sans vente.” La vente
de champagne sur Internet reste donc organisée par des cavistes généralistes tels que
1855.com ou wineandco.com, mais aussi par
des revendeurs moins respectueux des politiques tarifaires des grandes maisons.
“Certaines maisons sont très fâchées avec
Internet car elles retrouvent leurs cuvées dans
des caves qui n’ont pas de qualité et à des prix
qui ne rentrent pas dans la cohérence de la maison”, déplore Arnaud Molin, fondateur et dirigeant de Champ’market, un nouvel acteur
sur le marché de la distribution virtuelle. Les
maisons disposent d’un espace dédié sur
lequel elles peuvent contrôler la profondeur
de gamme, l’image et les prix. Pour son premier anniversaire, Champ’market devrait
totaliser 500 000 visiteurs uniques et plus de
deux millions de pages vues. Un succès qui
illustre l’importance des nouvelles technologies dans le processus d’achat des nouvelles
générations.
En effet, 77 % des quelque 41 millions d’internautes français sont présents sur les
réseaux sociaux. Un nouveau type de merchandising se dessine : le marketing du par-
tage. Les utilisateurs de réseaux sociaux ont
la possibilité d’afficher leurs préférences et
de recommander des produits à leurs
contacts, tout en échangeant conseils et bonnes adresses. “Les réseaux sociaux permettent
de mettre en place des stratégies plus fines et plus
relationnelles, souligne Arnaud Molin. Les
internautes recherchent plus que du contenu
commercial, ils veulent du qualitatif. Il faut
construire cette relation digitale et c’est un
chantier de plusieurs années. Dans le monde du
champagne sur Internet, on doit instaurer une
distribution qui renoue avec la noblesse.”
Les Champenois ont longtemps été en avance
sur leur temps en termes de communication
et de marketing, ce qui leur a permis d’imposer leur boisson comme le vin de la fête et
de la réussite. Mais ils tardent à prendre le
tournant de la révolution Internet et à
embrasser toutes ses promesses : un public
plus large et plus ciblé à la fois, et la puissance de la communication technologique.
D’un flash code dans un magazine ou sur un
rayon de supermarché, l’amateur se retrouve
sur les terres de Reims, au milieu d’un vignoble, pendant que le chef de cave lui parle de
son vin. “Le champagne aide à l’émerveillement”, disait George Sand. Au XXIe siècle, ça
se passe sur un smartphone. CHIFFRES REVELATEURS
La résistance française
En 2010, la filière a progressé de 8,6 % en valeur.
Après une baisse de 16,1 % l’année précédente, le CA
s’est établi à 4,1 Md€, dont 2,2 en France. Le marché
français a bien résisté à la crise de 2009 – seulement
- 0,3% en volume – et a gagné 2,4 % en 2010, soit
4,3 millions de cols supplémentaires.
Source: Comité interprofessionnel des vins de
Champagne
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La stratégie de Janus
(Le nouvel Economiste N° 1560 du 31 mars 2011)
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