rétroactif mais immédiatement et dès ce moment là" (19), hors de ce cas, la date à
prendre en compte quant à la définition des frontières n’est pas spécifiée. Or, cette
date est primordiale car les frontières administratives sont, à l’instar des frontières
internationales, évolutives et mouvantes. En conséquence, si une entité territoriale
venait à faire sécession, en fonction de la date prise en considération pour appliquer
l’uti possidetis juris, l’assiette territoriale du nouvel État indépendant ne serait pas la
même. Le problème a été posé en pratique avec l’accession à l’indépendance des
pays baltes. Partagés entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique par le Pacte
germano-soviétique "Ribbentrop -Molotov" du 23 août 1939, puis annexés de facto à
l’URSS après la chute du IIIème Reich, les frontières de ces républiques furent
redécoupées artificiellement par Staline. Schématiquement, Moscou augmenta le
territoire lituanien au détriment de la Lettonie et de la Biélorussie (20). Ceci posa de
graves problèmes lorsqu’au printemps 1990, ces trois républiques fédérées d’Union
soviétique déclarèrent leur indépendance. Bien que l’on se soit accordé pour
appliquer l’uti possidetis juris, fut soulevée alors la lacune intrinsèque à cette règle :
quelle date fallait-il choisir pour la prise en compte des limites administratives ? La
Lituanie demanda, sans surprise, la transformation des frontières administratives
telles qu’elles existaient en 1990, alors que l’Estonie et la Lettonie souhaitaient un
retour aux frontières définies par le Traité de Tartu du 2 février 1920 (21). Une date de
consensus n’a pu être trouvée et les accords signés en 1991 avec la Fédération de
Russie consacrèrent trois types de solutions : dans une première hypothèse, on garda
la frontière administrative de 1990, dans une deuxième hypothèse, on revint à celle de
1920 et dans une troisième, on définit contractuellement une frontière ex novo (22). Il
en résulte que, hors du contexte de décolonisation, le problème de la date de
référence ne peut être résolu que par un accord subséquent entre les parties. Faute
d’accord, la règle de l’uti possidetis juris ne peut pas être pas utilisée.
En parallèle au caractère évolutif des frontières administratives, on observe le
caractère cumulatif de celles-ci. En effet, sur un même territoire national, peuvent se
superposer différentes entités administratives avec chacune leurs limites
géographiques propres. Ce phénomène touche tous les États qu’ils soient fédéraux,
régionaux ou unitaires. Contrairement aux cas de décolonisation dans lesquels le
destinataire de l’uti possidetis juris est clairement identifié (23), on est ici face à des
structures administratives nombreuses, complexes et dont les champs territoriaux ne
se recoupent pas. Se pose alors la question de savoir, dans cet écheveau, quelle
limite choisir pour appliquer l’uti possidetis juris. Or, force est de constater qu ce choix
emporte des conséquences décisives. Elles ont été mises en relief à propos de
l’hypothétique démembrement de la Belgique (24). Si les différentes strates
administratives du Royaume sont très précises dans leur délimitation, le problème
réside "dans la coexistence et la superposition d’entités différentes" (25). En effet,
mises à part les communes et autres provinces, la Belgique - État fédéral depuis les
Accords de la Saint-Michel conclus sous l’impulsion de feu le Roi Baudoin Ier - se
19 CIJ, Différent frontalier (Burkina Faso/Mali), op. cit., p. 568.
20 Voy. R. YAKEMTCHOUK, "Les Républiques baltes et la crise du fédéralisme soviétique", Studia diplomatica, 1990, vol.
XLIII, n° 4-5-6, p. 245.
21 M. KOSKENNIEMI, M. LETHO, "La succession d’État dans l’ex-URSS, en ce qui concerne particulièrement les relations
avec la Finlande", AFDI, 1992, p. 194.
22 L. WEERTS, "Heurs et malheurs du principe de l’uti possidetis : le cas du démembrement de l’URSS", in O. CORTEN et
alii, Démembrements d’États..., op. cit., pp. 79-142.
23 Il s’agit de l’ensemble du territoire soumis à une domination coloniale ou étrangère. Lorsque les Puissances administrantes
n’ont pas respecté ce principe, comme par exemple pour l’archipel de Chagos, des îles Eparses ou Mayotte, elles ont
engendré des situations de "décolonisation inachevée". Voy. pour exemple, Assemblée générale des Nations Unies, Question
des îles Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India, résolution 34/91 du 12 décembre 1979, A/RES/34/91 :
l’Assemblée générale "[r]éaffirme la nécessité de respecter scrupuleusement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un
territoire colonial au moment de son accession à l’indépendance".
24 N. ANGELET, "Quelques observations sur le principe de l’uti possidetis à l’aune du cas hypothétique de la Belgique", in
O. CORTEN et alii, Démembrements d’États..., op. cit., pp. 199-222.
25 Ibid., p. 204.