l`uti possidetis juris et la memoire des frontieres en droit

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L’UTI POSSIDETIS JURIS
ET LA MEMOIRE DES FRONTIERES EN DROIT INTERNATIONAL
Laurent LOMBART
Centre d’Études et de Recherches Internationales et Communautaires
CERIC-CNRS UMR 6201 Faculté de droit et de science politique
Université Paul-Cézanne (Aix-Marseille III)
« C’est (...) sur des réal(1)
Dans l’imaginaire collectif, les frontières sont "des lieux
2
de mémoire par excellence" ( ). Ainsi, de tout temps, les
« C’est (...) sur des réalités complexes et
titres historiques ont été invoqués pour justifier une
mouvantes que les hommes tracent des
1
extension territoriale par les courants nationalistes. Par
frontières » ( )
exemple, pendant des siècles, les mouvements
Eric David
nationalistes français expliquaient que les frontières de
la France devaient s’étendre jusqu’au Rhin car, ce
ème
faisant, notre pays reconstituerait l’unité des Gaules antiques. Au XVI
siècle, Jean
Lebon écrivit Le Rhin au Roi (1568) et un recueil d’adages où il proclamait que
3
"Quand Paris boira le Rhin, toute la Gaule aura sa fin" ( ). Dans Testament latin,
ouvrage - faussement - attribué au Cardinal de Richelieu, on pouvait lire : "Le but de
mon ministère fut (...) d’identifier la France avec la Gaule et, partout où fut l’ancienne
4
Gaule, de rétablir la nouvelle" ( ). Cette thèse perdura longtemps dans l’histoire de
France. Sous la Révolution et le Premier Empire avec la constitution de la France des
5
130 départements ou sous le Second Empire avec la "politique des pourboires" ( ).
Elle sera reprise en 1918, notamment par le Président de la République, Raymond
6
Poincaré et le Maréchal Ferdinand Foch ( ). L’idée fut avancée un moment par le
7
Général de Gaulle en 1944 ( ), mais ce dernier finit par abandonner ce qui était
devenu une chimère. Autre exemple plus récent, les nationalistes serbes soutenaient
que le Kosovo faisait partie intégrante de la Serbie car, selon eux, la province serait le
er
ème
"berceau du peuple serbe", le Roi Uros I y ayant édifié, au XIII
siècle, le
8
Monastère de Sopocani pour y abriter son tombeau ( ). C’est dans cette esprit que
l’actuel Ministre des Affaires étrangères de Serbie-Monténégro, Vuk Draskovic,
proclama que "les frontières des terres serbes s’étendent aussi loin qu’il y a des
1
DAVID (E.), « Conclusions », in O. CORTEN, B. DELCOURT, P. KLEIN, N. LEVRAT (Dir.),
Démembrements d’Etats et délimitations territoriales : l’uti possidetis en question (s), Bruxelles, Bruylant, 1999,
p. 449.
2
M. FOUCHER, "Les frontières dans la nouvelle Europe", Politique étrangère, 1990, n° 3, p. 576.
3
D. NORDMAN, "Le Rhin est-il une frontière ?", L’Histoire, Dossier spécial, « L’explosion des nationalismes
de Valmy à Maastricht », juillet/août 1996, n° 201, pp. 30-31.
4
M. MOURRE, Dictionnaire encyclopédique d’histoire, Paris, Bordas, 1996, p. 2312.
5
En échange de la neutralité de la France dans le conflit entre la Prusse et l’Autriche-Hongrie, l’Empereur
Napoléon III espérait obtenir du Chancelier Bismarck la rive gauche du Rhin.
6
Le Président Poincaré et le Maréchal Foch firent pression sur les plénipotentiaires français lors des négociations
à Versailles pour obtenir l’annexion de la rive gauche du Rhin, mais le Président des États-Unis, Thomas
Woodrow Wilson, chantre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, s’y opposa.
7
Compte rendu de l’entretien du général de Gaulle avec le Maréchal Staline, 2 décembre 1944, in P.-J. REMY,
Trésors et secrets du Quai d’Orsay, Paris, J.C. Lattès, 2001, pp. 859-860 : "Le maréchal ayant demandé si le
général de Gaulle avait envisagé un plan concret, celui-ci répond que la frontière géographique et historique de
la France est constituée par le Rhin".
8
J.-A. DERENS, "Lendemains amers pour les orphelins de la "Grande Serbie", Le Monde diplomatique,
novembre 1997, p. 14.
9
tombeaux serbes" ( ). Consacrer de telles théories reviendrait à fonder le titre
territorial sur la base de situations passées et mouvantes selon les époques. Ceci
impliquerait "de dessiner à nouveau la carte de l’Europe et de l’Asie, de dissoudre la
quasi-totalité des États africains, d’enlever quelques étoiles au drapeau américain et
de faire renaître les empires des Aztèques et des Incas" comme le remarquait avec le
10
Professeur Kohen ( ). Dans le même sens, à propos du biblique "Erezt Israël", le
Professeur Shlomo Sand écrivait : "je fais partie des Israéliens qui ont cessé de
revendiquer (...) des droits historiques imaginaires ; si l’on invoque (...) des frontières
(...) remontant à deux mille ans pour organiser le monde, nous allons le transformer
11
en un immense asile psychiatrique" ( ). De telles théories basées sur la mémoire
d’anciennes frontières sont intrinsèquement déstabilisatrices et n’ont pas été reçues
12
en droit international public comme mode d’acquisition d’un titre de souveraineté ( ).
La règle de droit international applicable au tracé des frontières est l’uti possidetis
juris. Cette règle préserve aussi d’une certaine manière la mémoire des frontières,
mais celle des frontières administratives. L’uti possidetis trouve ses origines dans le
13
droit romain : l’adage "uti possidetis, ite possideates" ( ) signifiait qu’un interdit du
Prêteur prohibait toute atteinte au statu quo immobilier. Cette règle de droit privé a été
14
transposée en droit international public pour régir la délimitation des frontières ( ).
D’une manière générale, "l’uti possidetis juris (...) consiste à fixer les frontières en
fonction des anciennes limites administratives internes à un État préexistant dont les
15
États nouveaux accédant à l’indépendance sont issus" ( ). En cas d’accession à
l’indépendance, la nouvelle structure étatique va se fondre internationalement dans
les frontières internes qu’elle possédait dans le cadre de l’Etat préexistant. Par
exemple, plutôt que d’opter, comme l’avait demandé la Conférence panafricaine
d’Accra en 1958, pour une refonte "des frontières tracées par les puissances
16
coloniales", les nouveaux États choisirent une "solution de sagesse" ( ) à savoir
appliquer la règle de l’uti possidetis juris : ils ont accédé à l’indépendance dans le
17
cadre des frontières internes des Empires coloniaux ( ). Mais, mis à part les cas
18
résiduels où l’État n’aurait pas de subdivisions administratives ( ), cette définition
hors du contexte de décolonisation souffre de lacunes.
Si, dans un cas de décolonisation, la Cour internationale de justice a précisé que "le
principe de l’uti possidetis juris est applicable au nouvel État (...) non pas avec effet
9
V. DRASKOVIC, cité in D. VERNET, "Quatre guerres pour purifier la "terre sacrée"", supplément Le Monde
"Exit Milosévic", 8-9 octobre 2000, p. IV.
10
M.-G. KOHEN, « Le problème des frontières en cas de dissolution et de séparation d’Etats : quelle
alternative ? », in O. CORTEN et alii, Démembrements d’États..., op. cit., p. 384.
11
S. SAND, "Israël : notre part de mensonge", Le Monde, 5 janvier 2002, p. 9.
12
Voy. SA, The Indo-Pakistan Western Boundary (Pakistan/Inde), 19 février 1968, RSA, 1968, vol. XVII, p.
528 ; CIJ, Différend territorial (Libye/Tchad), arrêt du 3 février 1994, Rec. 1994, § 75, p. 38.
13
Littéralement, cette expression signifie "comme vous possédiez, vous possédez".
14
Sur la notion de frontières : M. FOUCHER, L’invention des frontières, Paris, FEDN, 1986, 325 p. ; M.
FOUCHER, Fronts et frontières - Un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard, 1991, 691 p. ; D.
BARDONNET, "Les frontières terrestres et la relativité de leur tracé (Problèmes juridiques choisis)", RCADI,
1976-V, pp. 9-166.
15
D. NGUYEN QUOC, P. DAILLER, A. PELLET, Droit international public, Paris, LGDJ, 7ème édition, 2002,
p. 468.
16
Selon l’expression de la Cour internationale de justice : CIJ, Différend frontalier (Burkina Faso/Mali), arrêt du
22 décembre 1986, Rec. 1986, p. 567.
17
Cette solution sera directement consacrée par l’adoption, par les Chefs d’États et de gouvernements de
l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), de la résolution du Caire du 22 juillet 1964.
18
S.-R. RATNER, "Drawing a Better Line : Uti Possidetis and the Borders of New States", AJIL, 1996, tome I,
p. 602.
19
rétroactif mais immédiatement et dès ce moment là" ( ), hors de ce cas, la date à
prendre en compte quant à la définition des frontières n’est pas spécifiée. Or, cette
date est primordiale car les frontières administratives sont, à l’instar des frontières
internationales, évolutives et mouvantes. En conséquence, si une entité territoriale
venait à faire sécession, en fonction de la date prise en considération pour appliquer
l’uti possidetis juris, l’assiette territoriale du nouvel État indépendant ne serait pas la
même. Le problème a été posé en pratique avec l’accession à l’indépendance des
pays baltes. Partagés entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique par le Pacte
germano-soviétique "Ribbentrop -Molotov" du 23 août 1939, puis annexés de facto à
ème
l’URSS après la chute du III
Reich, les frontières de ces républiques furent
redécoupées artificiellement par Staline. Schématiquement, Moscou augmenta le
20
territoire lituanien au détriment de la Lettonie et de la Biélorussie ( ). Ceci posa de
graves problèmes lorsqu’au printemps 1990, ces trois républiques fédérées d’Union
soviétique déclarèrent leur indépendance. Bien que l’on se soit accordé pour
appliquer l’uti possidetis juris, fut soulevée alors la lacune intrinsèque à cette règle :
quelle date fallait-il choisir pour la prise en compte des limites administratives ? La
Lituanie demanda, sans surprise, la transformation des frontières administratives
telles qu’elles existaient en 1990, alors que l’Estonie et la Lettonie souhaitaient un
21
retour aux frontières définies par le Traité de Tartu du 2 février 1920 ( ). Une date de
consensus n’a pu être trouvée et les accords signés en 1991 avec la Fédération de
Russie consacrèrent trois types de solutions : dans une première hypothèse, on garda
la frontière administrative de 1990, dans une deuxième hypothèse, on revint à celle de
22
1920 et dans une troisième, on définit contractuellement une frontière ex novo ( ). Il
en résulte que, hors du contexte de décolonisation, le problème de la date de
référence ne peut être résolu que par un accord subséquent entre les parties. Faute
d’accord, la règle de l’uti possidetis juris ne peut pas être pas utilisée.
En parallèle au caractère évolutif des frontières administratives, on observe le
caractère cumulatif de celles-ci. En effet, sur un même territoire national, peuvent se
superposer différentes entités administratives avec chacune leurs limites
géographiques propres. Ce phénomène touche tous les États qu’ils soient fédéraux,
régionaux ou unitaires. Contrairement aux cas de décolonisation dans lesquels le
23
destinataire de l’uti possidetis juris est clairement identifié ( ), on est ici face à des
structures administratives nombreuses, complexes et dont les champs territoriaux ne
se recoupent pas. Se pose alors la question de savoir, dans cet écheveau, quelle
limite choisir pour appliquer l’uti possidetis juris. Or, force est de constater qu ce choix
emporte des conséquences décisives. Elles ont été mises en relief à propos de
24
l’hypothétique démembrement de la Belgique ( ). Si les différentes strates
administratives du Royaume sont très précises dans leur délimitation, le problème
25
"
réside dans la coexistence et la superposition d’entités différentes" ( ). En effet,
mises à part les communes et autres provinces, la Belgique - État fédéral depuis les
er
Accords de la Saint-Michel conclus sous l’impulsion de feu le Roi Baudoin I - se
19
20
CIJ, Différent frontalier (Burkina Faso/Mali), op. cit., p. 568.
Voy. R. YAKEMTCHOUK, "Les Républiques baltes et la crise du fédéralisme soviétique", Studia diplomatica, 1990, vol.
XLIII, n° 4-5-6, p. 245.
21
M. KOSKENNIEMI, M. LETHO, "La succession d’État dans l’ex-URSS, en ce qui concerne particulièrement les relations
avec la Finlande", AFDI, 1992, p. 194.
22
L. WEERTS, "Heurs et malheurs du principe de l’uti possidetis : le cas du démembrement de l’URSS", in O. CORTEN et
alii, Démembrements d’États..., op. cit., pp. 79-142.
23
Il s’agit de l’ensemble du territoire soumis à une domination coloniale ou étrangère. Lorsque les Puissances administrantes
n’ont pas respecté ce principe, comme par exemple pour l’archipel de Chagos, des îles Eparses ou Mayotte, elles ont
engendré des situations de "décolonisation inachevée". Voy. pour exemple, Assemblée générale des Nations Unies, Question
des îles Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India, résolution 34/91 du 12 décembre 1979, A/RES/34/91 :
l’Assemblée générale "[r]éaffirme la nécessité de respecter scrupuleusement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un
territoire colonial au moment de son accession à l’indépendance".
24
N. ANGELET, "Quelques observations sur le principe de l’uti possidetis à l’aune du cas hypothétique de la Belgique", in
O. CORTEN et alii, Démembrements d’États..., op. cit., pp. 199-222.
25
Ibid., p. 204.
26
découpe en deux entités fédérées ( ) : les trois Communautés (Communautés
27
française, flamande et germanophone) ( ) et les trois Régions (Régions wallonne,
28
flamande, bruxelloise) ( ). En outre, le Royaume se compose de quatre régions
linguistiques (régions de langue française, néerlandaise, allemande et la région
29
bilingue de Bruxelles-capitale) ( ). S’il advenait que les Flamands veuillent se séparer
30
"
des Wallons ( ) et si on prenait comme base de référence la région", la frontière
orientale d’une Wallonie indépendante serait l’actuelle frontière belgo-allemande, la
zone belge de langue allemande se situerait dans ce bloc territorial, alors que si on
prenait comme base la "Communauté française", la frontière serait l’actuelle
délimitation entre les régions française et allemande, la Communauté germanophone
31
restant autonome ( ). Dans cette perspective, Nicolas Angelet notait que "l’uti
possidetis juris ne peut remplir sa fonction stabilisatrice qu’à condition que le
bénéficiaire du principe soit préalablement désigné : à défaut de cette identification,
l’uti possidetis pourrait générer une multitude de solutions selon que l’indépendance
32
serait proclamée à tel ou tel échelon de l’État prédécesseur" ( ). Mais, pour identifier
ce "bénéficiaire", on ne peut avoir recours qu’au droit constitutionnel de l’État en
délitement. Or, comme le remarquait Steven Ratner, "politicians do not draw internal
33
lines with the possibility of secession in mind" ( ). La majorité des constitutions
nationales - comme par exemple la Constitution belge - ne reconnaissant pas de droit
de sécession, "ne nous apprend pas si une sécession éventuelle devrait s’effectuer
34
sur une base régionale, communautaire ou autre" ( ). On est donc, une fois de plus,
35
dans une impasse qui ne pourra être levée que par un accord entre les parties ( ).
Ces deux défauts de l’uti possidetis juris hors du contexte de décolonisation traduisent
incontestablement l’imperfection d’une règle qui nécessite la conclusion d’accords
ultérieurs entre les parties pour asseoir sa juridicité. Sur la base de ce constat,
36
d’aucuns se sont demandés si son application ne devrait pas être abandonnée ( ).
Mise à part la conclusion d’accords entre parties, le tracé des frontières
internationales d’un État pourrait se fonder sur deux catégories de critères.
art. 1er de la Constitution belge.
art. 2 de la Constitution belge.
28
art. 3 de la Constitution belge.
29
article 4 de la Constitution belge.
30
Cet exemple ne doit pas apparaître fantaisiste. Ayant fait sécession des Pays-Bas, la Belgique se déclara
indépendante le 4 octobre 1830. Ce fut de facto un État composite, divisé entre Francophones, majoritaires en
Wallonie et Néerlandophones, majoritaires en Flandres. Une coexistence pacifique s’établit sous la tutelle de la
monarchie. Pourtant, depuis les années 1960, les tensions linguistiques et communautaires se sont aggravées à un
point tel que certains s’accordent à penser que la Flandres pourrait accéder à l’indépendance. Les succès aux
élections, tant locales que nationales du parti d’extrême-droite et ouvertement séparatiste flamand, le Vlaams
Blok, confortent cette idée : voy. P. ORY, "Que reste-il de la Belgique ?", L’Histoire, Dossier spécial,
« L’explosion des nationalismes de Valmy à Maastricht », juillet/août 1996, n° 201, pp. 62-63 ; J.-P.
STROOBANTS, "En Wallonie, avec les prophètes du "réunionisme"", Le Monde, 12 mars 2002, p. 35 ; P.-H.
GENDEBIEN, "Fin de la Belgique ?", Le Monde, 10 mai 2003, p. 14.
31
N. ANGELET, op. cit., p. 209.
32
Ibid., p. 219.
33
S.-R. RATNER, op. cit., p. 606.
34
N. ANGELET, op. cit., p. 209.
35
A ce propos, Steven Ratner donne des indices que les négociateurs devraient suivre "for [the] suitability [of
administrative boundaries] as international frontiers ": leur "ancienneté", leur "mode d’élaboration" et " l a
viabilité des entités qui émergeront" de l’application de cette règle : S.-R. RATNER, op. cit., pp. 620-621.
36
Voy. par exemple les remarques du Professeur Maurice Duverger, en 1991, alors que l’URSS était en pleine
déliquescence et que la Yougoslavie titiste commençait à se disloquer : M. DUVERGER, "Yougoslavie - Le
virus de la fragmentation", Le Monde, 27 décembre 1991, p. 2 : "En droit, il n’est pas admissible de confondre
les frontières intérieures entre membres d’une fédération et les frontières internationales entre États
indépendants. Etablies en fonction d’une vie commune dans un même ensemble, les premières reposent sur des
arrangements entre conjoints qui doivent être revus en cas de divorce".
26
27
Tout d’abord, en application de la règle de l’effectivité, "le nouvel État sera[it]
souverain sur le territoire à l’égard duquel il est réellement en mesure d’appliquer ses
37
prérogatives de puissance publique" ( ). C’est historiquement une méthode très
répandue pour étendre ses frontières. On pourrait citer l’exemple de la colonisation de
38
ème
ème
l’Irlande par les Anglais du XVI
siècle au XIX
ou celle de la "Judée-Samarie" ( )
par les Israéliens, depuis 1967, dans le but de prendre un contrôle "physique" de ces
terres. L’application d’une telle règle aux conflits yougoslaves aurait amené à
l’édification d’une "Grande Serbie" et d’une "Grande Croatie" au détriment d’une
Bosnie-Herzégovine réduite à la portion congrue, puisque les armées yougoslave et
croate ont pu contrôler jusqu'à 80 % du territoire bosniaque durant les guerres en exYougoslavie (1991-1995). Le problème fondamental de cette règle - notre dernier
exemple l’illustre pleinement - est que "cette thèse peut fournir une justification
39
juridique à l’emploi de la force" ( ). Elle serait dès lors une légitimation a posteriori de
situations artificielles, fruits de rapports de force ou pire, d’épurations ethniques. En
40
conséquence, si la notion d’effectivité ( ) est reçue en droit international public
41
"jusqu'à en devenir une notion centrale" ( ), notamment quant à l’émergence d’un
42
nouvel État suite à une dissolution ou une sécession ( ), elle ne peut pas l’être quant
au tracé des frontières, "pour éviter que ce soit la force qui détermine l’extension
43
territoriale" ( ). Une telle position serait fondamentalement contraire aux principes
généraux d’interdiction du recours à la force et de règlement pacifique des différends.
Ensuite, si dans l’affaire Burkina Faso/Mali, la Cour internationale de justice constata
que "[le] principe de l’uti possidetis heurte de plein front en apparence celui du droit
44
des peuples à disposer d’eux-mêmes" ( ) et que "le maintien du statu quo territorial
45
(...) apparaît souvent comme une solution de sagesse" ( ), la Haute juridiction
internationale n’établit pas clairement si elle entendait, d’un point de vue juridique,
limiter le second principe au profit du premier. Mais, une partie de la doctrine s’est
engagée dans cette brèche jurisprudentielle pour opposer l’uti possidetis juris, principe
de "conservation" au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, principe "dynamique"
46
du droit international public ( ). Dans cette hypothèse, le statu quo résultant de l’uti
possidetis juris violerait le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Pour cette
frange de la doctrine, il faudrait donc définir les frontières en fonction du droit à
l’autodétermination, c’est-à-dire sur la base de critères ethniques ou de la volonté des
populations. A ce sujet et dans le contexte des guerres en ex-Yougoslavie, la
37
M.-G. KOHEN, op. cit., p. 381.
La Judée-Samarie est le nom biblique de l’actuelle Cisjordanie. Il est couramment employé par les Israéliens et
a pris une coloration nettement politique.
39
M.-G. KOHEN, op. cit., p. 382.
40
Sur la notion d’effectivité en droit international public : J. TOUSCOZ, Le principe d’effectivité dans l’ordre
international, Paris, LGDJ, 1964, 280 p.
41
M. CHEMILLIER-GENDREAU, "A propos de l’effectivité en droit international", RBDI, 1975-I, p. 38.
42
Dans cette perspective, le Professeur Jean-Denis Mouton a expliqué que "l’État est d’abord un phénomène
historique, sociologique, une effectivité qui accède à l’existence juridique" : J.-D. MOUTON , "L’État selon le
droit international : diversité et unité", in SFDI, L’État souverain à l’aube du XXIème siècle, Colloque de Nancy,
Paris, Pedone, 1994, p. 79.
43
M.-G. KOHEN, op. cit., p. 383.
44
CIJ, Différend frontalier (Burkina Faso/Mali), op. cit., § 25, p. 567.
45
Ibidem.
46
A. N’KOLOMBUA, "L’ambivalence des relations entre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et
l’intégrité territoriale des États en droit international contemporain", in Mélanges offert à Charles Chaumont, Le
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Paris, Pedone, 1984, p. 435 : "Ainsi comprise, l’intégrité territoriale
d’un État, tout comme son corollaire l’intangibilité des frontières, conduit logiquement à la sacralisation du
territoire et à la sainteté des frontières, concepts manifestement en contradiction avec le caractère non-figé,
dynamique du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes».
38
47
Commission Badinter ( ) expliqua que "quelles que soient les circonstances, le droit
à l’autodétermination ne peut entraîner une modification des frontières existant au
moment des indépendances (uti possidetis juris) sauf en cas d’accord contraire de la
48
part des États concernés" ( ). Il était donc évident que les critères ethniques,
soulevés dans le cas d’espèce par la République de Serbie, n’étaient pas pertinents,
car ils revenaient à cautionner des épurations ethniques et rendaient aux frontières
49
leur "dimension pathogène" ( ). Il en résulte que la consécration du droit des peuples
à disposer d’eux-mêmes ne vaut que pour le choix d’un statut politique, social et
50
économique ( ) et non pour le tracé des frontières. Les deux règles ne se situent pas
sur un même plan : "le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes exprime
juridiquement la volonté d’un peuple dépendant d’affirmer son identité sur le plan
51
international en se dotant d’un appareil d’État souverain et indépendant" ( ) alors que
"l’uti possidetis iuris concerne la délimitation territoriale entre États nouveaux"
52
53
( ). Ainsi, il ne peut pas y avoir contradiction entre les deux règles ( ). Comme
l’explique le Professeur Giuseppe Nesi, "c’est seulement lorsque les États nouveaux
se sont formés, conformément à l’uti possidetis iuris, à l’intérieur des divisions
territoriales tracées en époque fédérale (ou coloniale), qu’il sera possible de
s’interroger sur une éventuelle violation, in casu, du droit à l’autodétermination des
54
peuples de la part du nouvel État" ( ). En résumé, on a "une séquence
55
chronologique" ( ) qui débute avec l’application de l’uti possidetis juris et se termine
par celle du droit à l’autodétermination. Par conséquent, les substituts possibles à l’uti
possidetis juris n’ont pas reçu de consécration en droit international public en tant que
mode d’acquisition de titres sur le territoire.
Pourtant, le Professeur Rostane Mehdi constata que "l’uti possidetis ne permet pas
56
toujours de prévenir les conflits et dans certains cas même les attise" ( ). L’uti
possidetis juris fut consacrée par la Commission Badinter, puis par les Accords de
Dayton du 14 décembre 1995 pour déterminer les frontières internationales des États
issus de l’éclatement de la Yougoslavie titiste. Malgré ce, le processus de
déliquescence des Balkans, débuté avec le dépérissement puis la dislocation de
l’Empire des Habsbourgs et de la Sublime Porte, ne semble pas être arrivé à son
57
terme et, depuis les accords de paix, des crises majeures ont secoué la région ( ).
Comme le constate Jean-Pierre Maury, "[l]es nouveaux États indépendants ne sont
47
La Commission d’arbitrage pour la paix en Yougoslavie, dite "Commission Badinter" a été mise en place par
la Communauté européenne. Elle était composée de cinq présidents de cours constitutionnelles européennes et
était présidée par Robert Badinter. De novembre 1991 à janvier 1993, elle rendit quinze avis, répondant à des
questions relatives au droit à l'autodétermination, au démantèlement des États, à la reconnaissance des nouveaux
États, à la définition des nouvelles frontières internationales, à la succession d’États et au respect du droit des
minorités.
48
Ibidem.
49
D. DE ROUGEMONT, "Aspects culturels de la coopération dans les régions frontalières", Bulletin du Centre
européen de la culture, n° 6, 1972, p. 71.
50
Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux, résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, § 2 : "Tous les peuples ont le droit de libre
détermination ; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent leur
développement économique, social et culturel».
51
A. N’KOLOMBUA (A.), op. cit., p. 448.
52
G. NESI, "L’uti possidetis hors du contexte de la décolonisation : le cas de l’Europe", AFDI, 1998, p. 20.
53
O. CORTEN, "Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et uti possidetis : deux faces d’une même
médaille ?", in O. CORTEN et alii, Démembrements d’États..., op. cit., p. 418.
54
G. NESI, op. cit., p. 20.
55
O. CORTEN, op. cit., p. 415.
56
R. MEHDI, "L’application par le juge du principe de l’uti possidetis", in P. WECKEL (Dir.), Le juge
international et l’aménagement de l’espace : la spécificité du contentieux territorial, Paris, Pedone, 1998, p. 89.
57
J.-A. DERENS, "Menaces de nouvelle partition dans les Balkans", Le Monde diplomatique, octobre 2001, pp.
8-9.
58
guère plus homogènes que ceux dont ils sont issus" ( ). La guerre ayant creusé les
fossés entre les peuples, les irrédentismes se sont multipliés : au Kosovo, au
Monténégro, en Macédoine mais aussi en Voïvodine, au Sandjak ou en Choumadia.
Dans ces territoires, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et/ou sur la
base de titres historiques, on réclame la redéfinition des frontières internationales et
l’édification d’un État national. Le sort des Balkans semble aujourd’hui être lié à la
définition d’un statut définitif pour le Kosovo. D’aucuns prétendent que si cette
province serbe venait à accéder à l’indépendance, ceci entraînerait une déstabilisation
majeure de la région. La résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies
accordait à la province une "autonomie substantielle au sein de la République
59
Fédérale de Yougoslavie" ( ), en insistant sur le respect de l’intégrité territoriale de
cette dernière. Depuis, le Kosovo est sous administration de l’ONU. Malgré les efforts
de l’United Nations interim administration in Kosovo (UNMIK) pour promouvoir un
Kosovo multiethnique, force est de constater que les Albanophones ne veulent plus
cohabiter avec les Serbes et l’indépendance est d’ailleurs le but commun de tous les
partis albanophones. Sur la base de ce constat, Lord David Owen, ancien coprésident
de la Conférence sur la paix en Yougoslavie posa la question du "bien-fondé d’un
maintien par militaires interposés du Kosovo dans la Yougoslavie contre la volonté de
60
plus de 90 % de ses habitants" ( ). Il expliquait qu’ "il faut à présent trouver une
solution pour l’ensemble des Balkans (...) qui comporte des modifications de
61
62
frontières" ( ). L’idée de "redessiner la carte des Balkans" ( ) était donc lancée.
L’application de l’uti possidetis juris n’engendrerait pas de solution univoque puisque
ces territoires connaissent un enchevêtrement de peuples inextricable. Ainsi, les
limites administratives du Kosovo ne pourraient se muer en frontières internationales
sans un conflit et un détachement des régions septentrionales où les Serbes sont
majoritaires. Il est vrai que l’homogénéité d’une population que ce soit sur des critères
ethniques ou sur la base du "désir de vivre ensemble", mis en exergue par Ernest
63
Renan ( ), à l’intérieur d’un État tend à la stabilisation de ce dernier et à la pérennité
64
de ses frontières ( ). Certains proposent donc de tracer les frontières internationales
65
en fonction de critères "ethniques", le principal étant la langue ( ), pour en assurer
l’univocité et la pérennité. Dès lors le Kosovo accéderait à l’indépendance et
vraisemblablement se rattacherait à l’Albanie. La partie occidentale de la Macédoine
ferait de même pour constituer une "Grande Albanie", tandis que la partie résiduelle à
majorité slave rejoindrait la Bulgarie. La Republika Srpska s’unirait à la Serbie,
amputée de la Voïvodine qui se lierait à la Hongrie, alors que la Croatie s’agrandirait
des régions à majorité croate de Bosnie-Herzégovine, cette dernière formant un État
musulman résiduel. La Roumanie perdrait la frange occidentale de la Transylvanie qui
reviendrait à la Hongrie mais retrouverait la Moldavie. La Turquie récupérerait le
district de Krcali, région sous souveraineté bulgare. Par application de la théorie des
dominos et si on pousse la logique jusqu’au bout, la Russie pourrait revendiquer des
territoires à majorité russophones dans les pays baltes ou l’Allemagne demander la
58
J.-P. MAURY, "La nouvelles perceptions des menaces : l’ex-bloc soviétique et la Yougoslavie", in Colloque
sur La nouvelle perception des menaces en Europe, Fundacio CIDOB, Barcelone, 18-20 juin 1993.
59
Conseil de sécurité, résolution 1244 (1999) du 10 juin 1999, S/RES/1244 (1999).
60
D. OWEN, "Redessiner la carte des Balkans", Le Monde, 21 mars 2001.
61
Ibidem.
62
Ibidem.
63
E. RENAN, Qu’est-ce qu’une nation ?, Conférence faite en Sorbonne, 11 mars 1882.
64
Ainsi, le Professeur Michel Foucher expliquait que "la précarité des frontières de l’Europe de l’Est est due
(...) à leur non coïncidence avec d’autres limites, ethno-linguistiques ou nationales" : M. FOUCHER, "Les
frontières dans la nouvelle Europe", Politique étrangère, op. cit., p. 577.
65
En 1605, l’historiographe Pierre Matthieu rapportait que, recevant en 1601, les représentants de ses nouveaux
sujets bressans, le Roi de France Henri IV leur déclara : "Il était raisonnable que puisque vous parlez
naturellement français, vous fussiez sujets à un roi de France." : R. BECK, D. TURREL, "Langue et
nationalité : sur la fortune d’une phrase d’Henri IV", Cahiers d’histoire, 2001, n° 2.
66
réintégration en son sein de la région des Sudètes ( ), certaines régions polonaises,
voire de l’Autriche, ou encore la France pourrait réclamer la Wallonie, le Luxembourg,
la Suisse romande, le val d’Aoste ! L’apparente logique du raisonnement ne résiste
pas à la confrontation avec la réalité. Appliquer une telle thèse supposerait la
présence de minorités se concentrant sur des territoires limitrophes des ensembles
nationaux, ce qui n’est pas toujours le cas. Il faudrait aussi que les minorités soient
67
elles-mêmes homogènes ( ). Enfin, l’Histoire démontre que cette homogénéisation
ne peut se faire que par la contrainte, l’exclusion, la déportation et souvent la
destruction du groupe différent : le "Lebensraum" des idéologues nazis, la "sphère de
coprospérité asiatique" du Japon impérialiste ou, plus récemment, la "terre sacrée"
des nationalistes serbes, en sont la preuve. A l’instar du Professeur Macelo Kohen, il
faut convenir que "la frontière ethnique porte en elle les germes de l’épuration
68
ethnique ou aboutit à la consécration de celle-ci" ( ). Soutenir une telle thèse
reviendrait alors à ouvrir la boîte de Pandore aux revendications d’une "Grande
Roumanie", d’une "Grande Bulgarie" ou d’une "Grande Hongrie"... Ces revendications
étant intrinsèquement antinomiques, ce serait l’embrasement de la poudrière
balkanique et par ricochet de toute l’Europe ! Comme le soulignait l’ancien Président
slovène Milan Kucan, changer les frontières des Balkans "serait une catastrophe. (...)
Si on les redéfinit encore, cela voudra dire de nouveaux conflits. Ce serait la
conséquence de la thèse selon laquelle nous ne pourront plus vivre les uns avec les
69
autres" ( ).
La contestation de l’approche "ethniciste" montre alors tout l’avantage de la règle de
l’uti possidetis juris ; mais d’une uti possidetis juris conjuguée à un processus de
démocratisation et à la reconnaissance du droit à l’autodétermination interne des
70
minorités. D’où l’importance pour ces pays d’intégrer à terme l’Union Européenne ( ).
Jacques Rupnik expliquait que l’ancien Premier ministre de Serbie, Zoran Djindjic
parlait de l’Europe "comme un "aimant" qui peut aussi soutenir la cohésion dans la
71
région" ( ). L’intégration à l’Union européenne est alors perçue comme un gage de
stabilité politique, notamment par le truchement de la stabilisation des frontières.
Cependant, cette intégration ne résoudra pas tous les problèmes frontaliers. En effet,
si nous nous sommes jusqu’ici focalisés sur des problèmes territoriaux en Europe
72
centrale et orientale, il faut préciser que le phénomène de "mitose" ( ) territoriale
n’est pas circonscrit à cette région. L’Europe de l’Ouest, ce qui peut paraître, prima
facie, paradoxal dans un contexte d’intégration européenne poussée et donc de
"dévaluation" des frontières, connaît elle aussi un réveil des irrédentismes que se soit
en Irlande du Nord, en Ecosse, au Pays de Galles, au Pays basque, en Corse, en
66
Le problème des Sudètes a ressurgi avec l’élargissement de l’UE à l’Est : M. PLICHTA, "Le contentieux des
Sudètes empoisonne l’Europe centrale", Le Monde, 27 mars 2002, p. 6 ; R. RIVAIS, "Le maintien des décrets
Benes n’interdit pas l’adhésion à l’UE de la République Tchèque", Le Monde, 4 octobre 2002, p. 5.
67
Or, comme l’explique le journaliste Jean-Arnaut Dérens, "[l]a logique de modification des frontières
reviendrait en premier lieu à faire disparaître les espaces caractérisés par la coexistence de différents groupes
nationaux, religieux ou linguistiques, au profit de quelques "grandes" nations. Ainsi, en Macédoine, tout le
dialogue politique repose sur un face-à-face entre Macédoniens et Albanais, oubliant les autres communautés
nationales du pays : les Turcs (...), les Roms (...), les Macédoniens musulmans, etc... De même, un éventuel
partage du Kosovo ne prendrait en considération que les revendications serbes et albanaises, oubliant les autres
petites communautés nationales qui, cumulées, représentaient pourtant 10 % de la population totale de la
province lors du recensement de 1981 !" : J.-A. DERENS, "Menaces de nouvelle partition dans les Balkans", op.
cit., pp. 8-9.
68
M.-G. KOHEN, op. cit., p. 389.
69
M. KUCAN, "L’OTAN, l’UE, puis la Slovénie... Il faut y voir un grand symbole", Le Monde, 19 juin 2001,
propos recueillis par Natalie Nougayrède, p. 2.
70
A. FRACHON, "Balkans, le magnétisme de l’Europe", Le Monde, 14 octobre 2003, pp. 1 et 20.
71
J. RUPNIK, "L’après-guerre dans les Balkans : le contexte de la crise macédonienne", septembre 2001.
72
F. THUAL, "Le siècle des séparatismes", RIS, printemps 2000, n° 37, p. 66.
73
Bretagne, en Flandres... Rajoutons que l’adhésion d’une île de Chypre ( ) divisée à
l’Union européenne a été symboliquement un mauvais signe ...
Au terme de notre étude, on peut convenir que les défauts hors du contexte de
décolonisation de l’uti possidetis juris confortent l’idée qu’elle n’est qu’"un instantané"
74
75
( ) en ce sens qu’elle ne permet qu’une "stabilisation provisoire d’une situation" ( ).
Cette règle ne prend toute sa dimension et ne rend la frontière pleinement univoque
que si elle est basée sur un accord entre les parties et si elle est couplée avec
l’instauration d’un régime démocratique respectant les droits de ses minorités.
76
L’exemple de la scission de la Tchécoslovaquie est ici topique ( ) : en l’espèce, l’uti
possidetis juris a apporté la stabilité territoriale sur la base d’un statu quo négocié.
Cependant, si ce gage de stabilité est fondamental, il ne doit pas se muer en
conservatisme rigide. En effet, à l’occasion de certains conflits, on pense ici au
problème des Balkans, la Communauté internationale et les responsables politiques
devraient prendre à bras le corps les problèmes frontaliers pour les résoudre de façon
définitive sans se retrancher derrière la règle de l’uti possidetis juris qui, dans ces
77
hypothèses, ne peut "parle[r] que d’une voix mal assurée" ( ) et donc ne peut
conduire qu’à des solutions partielles et à court terme. Ainsi, comme le remarquait le
géographe allemand Friedrich Ratzel, "Faire la guerre, c’est promener sa frontière sur
78
le territoire d’autrui. Mais, ne pas la modifier, est-ce garantir la paix ?" ( )
73
Ancienne possession britannique, Chypre est divisée depuis l'invasion de l'armée turque dans la partie nord de
l'île, en 1974. Le 11 novembre 2002, le Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, présenta un plan au Conseil de
sécurité prévoyant la réunification des deux entités chypriotes sous la forme d’un État fédéral, composé de deux
États fédérés égaux. Les 12-13 décembre 2002, le Conseil européen accepta l’entrée de Chypre dans l'Union
européenne, étant précisé qu’en cas de maintien du statu quo territorial, seule la "République de Chypre", c'est-àdire la partie grecque de l’île, seul État internationalement reconnu adhérera. Or, le "Président de l'État fédéré
turc de Chypre", Rauf Denktash rejeta le plan onusien en mars 2003. Le 16 avril 2003, seules les autorités de la
République de Chypre signèrent à Athènes le traité d'adhésion à l'Union européenne et le 1er mai 2004, seule la
partie grecque entra dans l’Union.
74
CIJ, Différend frontalier (Burkina Faso/Mali), op. cit., p. 568, § 30.
J.-M. SOREL , R. MEHDI, "L’uti possidetis entre la consécration juridique et la pratique : essai de réactualisation", AFDI,
1994, p. 25.
76
J. MALENOVSKY, "Problèmes juridiques liés à la partition de la Tchécoslovaquie", AFDI, 1993, pp. 305-336.
77
CIJ, Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant), arrêt du 11
septembre 1992, Rec. 1992, tome 2, p. 386.
78
M. FOUCHER, "Les frontières dans la nouvelle Europe", Politique étrangère, op. cit., p. 575.
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