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perspective
Prise en charge multidisciplinaire
du péripartum : le lien mère-bébé
au centre des constellations relationnelles
La grossesse, l’accouchement et le post-partum représentent
des périodes de crise et de vulnérabilité accrue, augmentant
le risque pour l’apparition d’un trouble psychiatrique. Dans ce
contexte, la psychiatrie de liaison joue un rôle primordial dans
la réalisation d’une première évaluation, permettant de poser
un diagnostic et d’initier un traitement si nécessaire. Cet article
décrit les différentes prises en charge psychiatriques périnatales : un suivi de liaison hospitalière à la Maternité, un suivi
ambulatoire à la Consultation de psychiatrie de liaison, et plus
rarement une hospitalisation conjointe mère-bébé dans une
unité psychiatrique hospitalière adulte. L’approche multidisciplinaire et sa constellation autour du lien mère-bébé sont
détaillées et illustrées par deux vignettes cliniques.
Rev Med Suisse 2013 ; 9 : 356-9
E. Girard
N. Ortiz
C. Alberque
A. Almeida
Heymans
M. Epiney
A. Canuto
K. Weber
Multidisciplinary care during peripartum :
mother-baby dyad in the center of the
relational constellations
Pregnancy and new motherhood may be crisis
and vulnerability periods and therefore increase the risk of psychiatric disorders. Liaison psychiatry plays a major role in the first
psychiatric evaluation of mothers in order to
specify a diagnosis and to initiate a treatment
when necessary. This article describes the care
of mothers suffering from peripartum psychia­
tric disorders by the liaison psychiatry in the
maternity ward, an outpatient practice, as well
as an in-patient care unit where mother and
baby can stay together. The multidisciplinary
approach and its constellation around the
mother-baby dyad are detailed and two clinical cases are reported.
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du «blues» à la psychose puerpérale :
le rôle du psychiatre de liaison
La grossesse et l’accouchement sont des périodes de crise et
de vulnérabilité psychique accrue pour la femme, qui nécessitent une réorganisation identitaire et interpersonnelle et la
mobilisation des capacités adaptatives.1,2 Le post-partum com­
porte le bien connu «baby-blues», qui touche 30 à 70% des
mères, mais qui reste une affection bénigne, sans corrélation
avec une psychopathologie sous-jacente. La dépression périnatale est le trouble psychiatrique le plus fréquent (10 à 15%).
Les troubles anxieux sont en grande majorité des cas spécifiques à la grossesse
ou au post-partum, fréquemment associés à une dépression majeure ou modérée. La décompensation d’un trouble psychiatrique préexistant peut également
se manifester au cours de cette période. La psychose du post-partum est bien
plus rare (1 à 2% des mères), mais nécessite plus fréquemment une prise en
charge psychiatrique spécialisée.3,4
Au cours de cette période, la distinction entre des réactions émotionnelles et
comportementales inhabituelles, mais non pathologiques, et des manifestations
psychologiques remplissant les critères diagnostiques peut s’avérer complexe.
Le Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crise (SPLIC) des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) s’inscrit dans un hôpital général, la Maternité
des HUG en l’occurrence, et sert de passerelle entre la psychiatrie et les autres
spécialités médicales pour des patients présentant des symptômes des registres
psychique et somatique intriqués (figure 1). Ainsi, le psychiatre ou le psycholo­gue
de liaison effectue une première évaluation à la demande de la sage-femme ou
du gynécologue-obstétricien pour évaluer les ressources psychologiques, poser
un éventuel diagnostic et clarifier la situation psychosociale. Si nécessaire, d’une
part il affinera l’investigation, mettra en place un suivi psychiatrique-psychothérapeutique soit à la Maternité, soit à la Consultation ambulatoire ; d’autre part, le
psychiatre de liaison pourra également poser une indication à une hospitalisation
en milieu psychiatrique, notamment dans une unité accueillant la mère et son
bébé. Les patientes adressées au SPLIC sont suivies à la Maternité ou par des
soignants référents extérieurs aux HUG (gynécologue-obstétricien, sage-femme,
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Figure 1. Intervenants de l’équipe multidisciplinaire
généraliste, pédiatre de l’enfant, psychiatre, pédopsychiatre,
Planning familial, etc.).
prise en charge de liaison
Une approche multidisciplinaire est indiquée dès le début de la grossesse. Cette période est au centre d’une multitude d’enjeux : la santé de la mère, celle du fœtus ou du
nouveau-né, le vécu de l’accouchement et de la naissance,
les réactions adaptatives face à la parentalité, les désordres
physiologiques et hormonaux, etc.5
Dans la majorité des cas, les interventions ambulatoires
ou hospitalières du psychiatre de liaison comportent trois
volets :
1.l’évaluation de la patiente ;
2.les interventions pour soutenir les équipes de la maternité (supervision, débriefing) et pour promouvoir une attitude autoréflexive autour des situations psychosociales
difficiles ;
3.la participation aux deux colloques multidisciplinaires
de liaison hebdomadaires (colloque psychosocial de l’Unité de
périnatalité et colloque des grossesses à risque de la Maternité)
est indispensable pour cette collaboration multi­disci­pli­
naire.
dopsychiatre et assistant social). Ainsi, une sage-femme
accompagne à l’UPHA les mères à la préparation à la naissance, puis à l’allaitement et aux soins du post-partum.
Lorsqu’une décompensation psychiatrique sévère empê­che
la mère de s’occuper de l’enfant à temps plein, le nouveauné est soit pris en charge par la famille, soit hospitalisé en
pédiatrie. La proximité géographique entre l’UPHA et l’Hôpital des enfants favorise ainsi la rencontre mère-bébé, le
maintien du lien et la possibilité de l’allaitement, dans la
perspective que le nouveau-né puisse rejoindre si possi­ble
sa mère, selon l’évolution psychopathologique. Ces hospitalisations conjointes favorisent l’évaluation des interactions
mère-bébé sur des périodes suffisamment longues pour
prendre en charge d’éventuels troubles de l’attachement
ou d’autres difficultés de la dyade mère-bébé.7,8 L’investissement du rôle de mère résonne avec l’histoire de vie
personnelle et peut déclencher des moments de bouleversements et de pertes de repères, accompagnés d’un état
de souffrance psychologique profond.9 Des distorsions cognitives sont souvent très présentes en début de séjour,
mais évoluent favorablement chez la majorité des mères
avant la fin du séjour.10 L’entourage, et notamment le père,
font partie intégrante de la prise en charge, la naissance
d’un enfant pouvant entraîner un déséquilibre important
dans la famille.11
hospitalisation psychiatrique
Pour permettre une approche multidisciplinaire en cas
de nécessité d’hospitalisation en milieu psychiatrique,
l’Unité psychiatrique hospitalière adulte (UPHA) du SPLIC
s’est ouverte en 1999 à l’Hôpital cantonal des HUG.6 Une
prise en charge psychiatrique périnatale permet des hospitalisations de la mère pendant la grossesse et des hos­
pitalisations conjointes mère-bébé dans le post-partum.
L’approche multidisciplinaire combine des soins individuels, en groupe, en réseau et avec la famille, prodigués
par l’équipe multidisciplinaire de l’UPHA (psychiatre, infirmière, psychologue, psychomotricienne, sage-femme, pé-
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illustrations cliniques
Deux exemples de vignettes cliniques illustreront la prise
en charge depuis le suivi de grossesse à la Maternité jusqu’à
une hospitalisation en milieu psychiatrique.
Vignette 1
Mme C. est une femme d’une trentaine d’années, connue
pour un trouble bipolaire et un trouble de la personnalité de type borderline. Au bénéfice d’une assurance invalidité, elle est divorcée, mère d’un premier garçon
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âgé de dix ans, qui vit avec son père. En rupture de suivi
depuis plusieurs mois, sa situation psychosociale avait
été discutée au colloque de liaison suite à une consultation obstétricale à quatorze semaines d’aménorrhée,
date où la grossesse avait été mise en évidence. Mme C.
accepte un suivi psychiatrique par la Consultation ambulatoire du SPLIC, révélant une humeur stable. Elle
décrit cependant une situation compliquée et conflictuelle avec le géniteur du bébé (situation sociale précaire et père peu soutenant). Après deux rendez-vous,
Mme C. ne se présente ni aux consultations psychiatri­
ques, ni obstétriques pour le suivi de grossesse, malgré
de nombreu­ses tentatives pour la joindre. La patiente
consulte aux urgences d’obstétrique en raison de douleurs abdominales et de fièvre et est hospitalisée à 36
semaines d’aménorrhée dans l’unité d’hospitalisation
prénatale du Service d’obstétrique pour un syndrome
inflammatoire. Le gynécologue fait appel en urgence au
psychiatre du SPLIC pour une nouvelle évaluation : la
patiente est agressive, inadéquate et agitée sur le plan
psychomoteur. L’évaluation met en évidence une décompensation maniaque aiguë nécessitant un transfert
à l’UPHA. Un programme de soins comprenant un traitement somatique et psychiatrique (médication psychotrope adaptée, cadre hypostimulant), un accompagnement par une sage-femme et un suivi pédopsychiatrique
sont mis en place. Un suivi psychothérapeutique individuel et groupal et des entretiens de couple visent un tra­
vail centré sur la psychopathologie de fond (le trou­ble
bipolaire), les facteurs de crises et la souffrance actuelle
(manque de soutien du partenaire, relation conflictuelle
avec sa propre mère et l’appréhension de devenir mère
pour la deuxième fois). Mme C. y reste hospitalisée jus­
qu’au trans­fert à la Maternité pour l’accouchement à
terme.
Après la naissance, au vu de la difficulté de stabiliser
l’état psychique de la patiente, l’équipe multidisciplinaire lui propose un retour à l’UPHA pour une prise en
charge mère-bébé. Le bébé est hospitalisé en pédiatrie
avec des visites quotidiennes de sa mère, avant de la
rejoindre deux mois plus tard après amélioration de son
état psychique. Le pédopsychiatre poursuit la prise en
charge autour de sa parentalité et de ses compétences
maternelles. L’évolution de la patiente est lentement
favorable, lui permettant de prendre soin à temps plein
de son bébé à l’UPHA. La dernière étape de l’hospitalisation vise à mettre en place un réseau de soins extérieur sur lequel elle puisse s’appuyer (suivis psychiatri­que,
pédiatrique, soutiens éducatif et pédopsychiatri­que).
Vignette 2
Mme M. est une patiente âgée de 25 ans, mariée et travaillant à temps partiel, avec un antécédent de dépression périnatale non traitée lors d’une première grossesse,
il y a trois ans. Elle présente un nouvel état dépressif
après la naissance par césarienne de son deuxième enfant,
qui est âgé de quinze jours. Sur recommandation de son
gynécologue privé, elle se présente aux urgences psy-
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chiatriques avec son mari et le bébé. Au vu de la sévérité des symptômes dépressifs, une hospitalisation à
l’UPHA est organisée le jour même pour la mère sans le
bébé. Celui-ci est pris en charge par le père et amené
chaque jour pour des temps de visite, avant de rejoin­dre
sa mère au troisième jour d’hospitalisation. Ces étapes
auront permis à la fois un temps d’évaluation de la mère,
de la relation mère-enfant lors des visites, ainsi qu’un
temps de repos.
Mme M. décrit le sentiment d’être «envahie» par son
deuxième enfant, comme s’il venait perturber l’équilibre
familial. Elle aurait déjà eu ce sentiment après son premier accouchement et dit avoir mis plus d’une année à
l’accepter et à l’aimer. A son arrivée à l’UPHA, elle présente un épisode dépressif sans symptôme psychotique.
Elle accepte un traitement antidépresseur, introduit avec
l’accompagnement d’une sage-femme pour le sevrage à
l’allaitement. Un suivi individuel par la psychomotricienne
l’aide à élaborer autour du vécu difficile de l’accouchement par césarienne. Une prise en charge psychologi­que
permet d’aborder ses représentations négatives quant à
son rôle au sein de la famille : mère, fille, épouse, femme.
Des entretiens de couple permettent de mettre en évidence un conflit de longue date amenant à l’instauration
d’un suivi de couple par la suite. Une assistante sociale
aide à gérer les difficultés financières. La patiente bénéficie également d’une approche pédopsychiatri­que avec
plusieurs entretiens à l’UPHA en présence du bébé,
permettant de soutenir la patiente dans son rôle de
mère. Après un séjour de vingt jours, la symptomatologie dépressive s’améliore, permettant une sortie après
organisation du réseau ambulatoire (suivis psychiatrique,
pédopsychologique et de couple).
conclusion
Ces deux cas cliniques complexes montrent la pertinence
et la nécessité d’une prise en charge multidisciplinaire tout
au long de la prise en soin périnatale ainsi que l’importance
d’une démarche psychiatrique et psychothérapeutique au
sein d’un hôpital général. En effet, les soins pédiatriques,
pédopsychiatriques, gynéco-obstétricaux et psychiatriques
adultes autour de la dyade mère-bébé permettent ainsi
l’élaboration et la mise en place d’un cadre et d’un espace
thérapeutique personnalisé. Les modalités des soins autour
du bébé sont déclinées en fonction de la problématique de
la situation et de la psychopathologie de la mère. La continuité du suivi est garantie par le maintien du même psychiatre référent, qui coordonne les soins hospitaliers et de
liaison autour de la dyade mère-bébé. En effet, cette double
position facilite les liens entre soins psy­chiatriques ambulatoires, hospitaliers ainsi que la prise en charge multidisci­
plinaire pendant toute la période périnatale. Il peut ainsi
être le porteur de l’histoire unique de chaque patiente à
travers les différentes étapes du suivi. Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt en relation avec
cet article.
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Adresse
Implications pratiques
> La grossesse, l’accouchement et le post-partum sont des
périodes de vulnérabilité psychique accrue, susceptibles de
déclencher des troubles psychiques nécessitant des soins
spécialisés
> Dans ce type d’affections allant du «baby blues» à la psy-
chose, le psychiatre de liaison des Hôpitaux universitaires de
Genève (HUG) est à même d’effectuer une évaluation à la
demande des équipes soignantes de la Maternité ou des professionnels extrahospitaliers genevois confrontés aux problématiques périnatales
> La prise en compte des vulnérabilités psychiques ou phy-
siques ou mixtes est indispensable et nécessite une approche
multidisciplinaire et personnalisée, dans l’idéal le plus tôt possible pendant la grossesse
Drs Elodie Girard, Nadia Ortiz, Christel Alberque,
et Alessandra Canuto
Kerstin Weber
Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crise
Département de santé mentale et de psychiatrie
Dr Ana Almeida Heymans
Unité de liaison périnatale
Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent
Département de l’enfant et de l’adolescent
Dr Manuella Epiney
Service d’obstétrique
Département de gynécologie et obstétrique
HUG, 1211 Genève 14
[email protected]
[email protected]
[email protected]
[email protected]
[email protected]
[email protected]
[email protected]
Bibliographie
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2 Bydlowski M. Je rêve un enfant. Paris : Odile Jacob,
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(Eds). Massachusetts General Hospital, Handbook of
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8 * Stern D, Bruschweiler-Stern N, Freeland A. Nais­
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9 Stern D, Robert-Tissot C, Besson G, et al. L’entretien «R» : une méthode d’évaluation des représentations
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L’évaluation des interactions précoces entre le bébé et
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10 Ortiz N, C anuto A, Alberque C. Mothers psychiatric in-patient care : Emotional and cognitive changes
when baby stays with mum. Abstract Book of the 42nd
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11 Fivaz-Depeursinge E, Corboz-Warnery A. Le triangle
primaire. Le père, la mère et le bébé. Paris : Odile Jacob, 2001.
* à lire
** à lire absolument
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