D’après Vantalon et al. [1], diverses raisons objectives
rendent compte, « de façon conjuguée », de l’emploi
« anarchique » des psychotropes chez l’enfant et l’adoles-
cent :
–le manque de données sur la pharmacocinétique et
la pharmacodynamique des substances psychoactives
dans le jeune âge ;
–les difficultés méthodologiques posées par le dia-
gnostic et l’évaluation en pédopsychiatrie avec nécessité
d’homogénéiser les groupes de patients étudiés et de
disposer d’instruments valides et fiables de mesure du
changement apporté par le traitement ;
–la particularité de l’enfant, qui est un être en déve-
loppement, en changement et en constante interaction
avec son environnement, notamment son milieu familial ;
–le problème de l’effet placebo, rarement mesuré avec
précision chez l’enfant, variable selon les études et les
pathologies ;
–l’originalité de l’enfant en tant que patient, rarement
demandeur de la prescription, à l’inverse de l’adulte, et
pour lequel (de même que pour sa famille) se posent les
questions de l’observance et de l’information « éclairée »
sur la conduite pratique du traitement, ses objectifs, ses
effets secondaires habituels ou exceptionnels, ses risques,
mis en balance avec les risques d’abstention thérapeuti-
que pour la pathologie considérée.
La conséquence de ces particularités, inhérentes à la
pédopsychiatrie, est l’absence (ou la rareté) des essais
contrôlés pour nombre de produits. Le psychiatre pres-
cripteur ne dispose ainsi que de résultats d’études condui-
tes chez l’adulte, sans autorisation de mise sur le marché
(AMM) pour l’enfant. Il se trouve placé dans une situation
de « vide juridique », contraint à renoncer à une prescrip-
tion qui pourrait être bénéfique à l’enfant, ou à la réaliser
sous sa propre responsabilité.
Comme nous le rappelle C. Epelbaum [2], en pédo-
psychiatrie plus encore qu’en psychiatrie adulte, l’abord
thérapeutique ne peut être conçu que comme multidi-
mensionnel, mettant en parallèle des méthodes psycho-
thérapiques individuelles ou de groupe, éducatives, réé-
ducatives, que ce soit de façon ambulatoire ou
institutionnalisée. Ces différentes approches, accompa-
gnées d’un travail avec la famille de l’enfant, vont agir de
façon véritablement synergique lorsqu’elles font partie
d’une démarche réfléchie et cohérente. La thérapeutique
médicamenteuse doit alors trouver sa place, à la fois sur
un plan « spatial » et chronologique, au sein d’un dispo-
sitif pertinent. Trop souvent, le médicament est encore
conçu par de nombreux pédopsychiatres comme antino-
mique de leur démarche thérapeutique multidimension-
nelle, surtout lorsque celle-ci est sous-tendue par une
référence psychanalytique. Le médicament est censé
jouer sur les systèmes biochimiques supposés être les
supports des affections psychiques. La psychothérapie est
censée avoir, elle, une action différente : elle vise à obtenir
une modification des systèmes psychiques dont l’altéra-
tion entraîne la maladie mentale. Si ces modes d’action
sont, certes, hétérogènes, ils peuvent tout à fait être com-
plémentaires, à condition qu’ils soient pensés et utilisés de
façon appropriée et coordonnée. En effet, la mise sous
traitement médicamenteux peut permettre l’atténuation
d’une symptomatologie bloquant la mise en mots de la
souffrance psychique, nécessaire au démarrage d’un
abord psychothérapique. Elle peut rassurer l’enfant et sa
famille pour leur permettre d’adhérer à un processus thé-
rapeutique plus global impossible autrement. Le risque
reste que la diminution, voire la disparition des symptô-
mes, provoque une sorte de guérison de surface, liquidant
les enjeux économiques défensifs et communicatifs du
symptôme, et rendant apparemment caduque la nécessité
d’une aide thérapeutique située à un autre niveau, psy-
chothérapique notamment.
C’est pourquoi, la proposition de traitement doit s’ins-
crire dans une appréhension plus globale des troubles de
l’enfant et des modes relationnels familiaux, et non se
situer en réponse immédiate à une demande émanant de
l’un ou l’autre des protagonistes.
Définir la demande
Selon les situations, la demande de prescription peut
émaner de différentes personnes.
Parents
Ils peuvent demander une prescription de « confort »
sans que de véritables troubles n’existent. Dans d’autres
cas, il s’agit pour eux d’éviter une confrontation avec leurs
propres doutes, leurs propres angoisses, leur propre souf-
france psychique, en masquant en quelque sorte le symp-
tôme produit par leur enfant. Certains parents dont les
enfants présentent de réels troubles psychiatriques peu-
vent aussi refuser de s’engager dans un processus théra-
peutique plus global dont ils pressentent qu’il nécessitera
une remise en cause minimale des relations intrafamiliales
et de leur attitude par rapport à l’enfant.
Dans d’autres cas, les parents demandeurs d’un traite-
ment médicamenteux se sentiront très culpabilisés par
leur demande, se vivant d’un côté comme incapables de
supporter les symptômes de l’enfant et d’un autre comme
incapables de l’aider efficacement, quand ils ne se sentent
pas plus ou moins consciemment responsables des trou-
bles. Cette culpabilité peut être verbalisée directement,
mais elle peut aussi empêcher l’expression d’une de-
mande de traitement, voire être retournée en agressivité
vis-à-vis du prescripteur (le traitement est considéré
comme néfaste ; les parents ne mettent en avant que ses
effets secondaires désagréables, etc.).
Équipe soignante (en pédopsychiatrie)
En cas d’hospitalisation « en urgence » dans un service
hospitalier de psychiatrie, la prescription de psychotropes
La prescription des psychotropes en pédopsychiatrie : mythes et réalités
mt pédiatrie, vol. 8, n° 1, janvier-février 2005
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