Professions Santé Infirmier Infirmière - No23 - janvier-février 2001
Toujours membre d’Arches,
Laurence Verani est actuel-
lement infirmière dans un service
hospitalier se consacrant aux ma-
ladies infectieuses.
Chez les patients, les inquiétudes
concernant les effets d’une pa-
thologie, d’un traitement, d’une
opération, sont fréquentes. Les
infirmières peuvent-elles y ré-
pondre aisément ? L’expérience
hospitalière n’est-elle pas pré-
cieuse pour les infirmières tra-
vaillant en ville et confrontées
aussi au problème ?
Laurence Verani : Je ne crois pas
que les infirmières soient toujours
en mesure de le faire. Tout d’abord,
parce que les patients n’osent pas
toujours leur confier ces soucis, ou
aborder avec elles ce sujet délicat.
Même si le patient osait le faire, par
ailleurs, l’infirmière pourrait, elle,
se sentir très mal à l’aise. Bien sûr,
son malaise est souvent dû à un
manque éventuel d’informations.
Elle ne dispose pas toujours des
connaissances précises lui permet-
tant de répondre à ces questions.
Mais en général, il s’agit surtout
d’une gêne liée au tabou de la
sexualité. Une infirmière de chi-
rurgie digestive, par exemple, cô-
toie des patients qui viennent de
subir une opération pouvant af-
fecter, par la suite, leur sexualité.
Or, l’infirmière n’a pas étudié ces
effets possibles lors de sa formation
initiale. Si rien n’est fait au sein du
service, la gêne face à cette mé-
connaissance s’ajoute à celle du ta-
bou de l’intimité. A la moindre
question du malade à ce sujet, elle
se sentira gênée. Elle va “piquer un
fard” à tous les coups.
Que faire ?
L.V. : Il faudrait au moins qu’elle
fasse le point avec le chirurgien,
par exemple sur le retentissement
exact des interventions pratiquées
sur la sexualité.
Doit-elle étudier la sexologie ?
L.V. : Peut-être. Mais l’aide concer-
nant la sexualité du patient de-
vrait relever de connaissances de
base. Lors de ma formation ini-
tiale, on ne m’a jamais présenté
les retentissements des troubles
de la prostate sur la sexualité. Or,
répondre à ces questions néces-
site aussi de pouvoir expliquer les
conséquences d’un cancer de la
prostate ou d’une opération sur
la sexualité.
Que faire à l’hôpital ?
L.V. : Il faudrait d’abord faire le
point dans les services, afin de s’as-
surer que l’équipe connaît préci-
sément les conséquences d’un trai-
tement ou d’un acte chirurgical.
Mais au-delà des simples connais-
sances, il faut admettre qu’il s’agit
d’aspects souvent tabous qui ne
rendent pas la communication
toujours aisée. L’infirmière, se
heurtant à ses propres peurs, n’ose
pas s’engager sur un terrain qu’elle
sent, par avance, glissant. Cela
transparaît d’ailleurs dans l’exhor-
tation faite aux jeunes profession-
nelles : elles doivent savoir garder,
coûte que coûte, la “bonne dis-
tance thérapeutique”. Mais quelle
est, au fond, la bonne distance ?
Est-ce nier certaines préoccupa-
tions particulièrement intimes ?
Ou bien est-ce pouvoir répondre
simplement au besoin qui s’ex-
prime ? Si l’on vise cette seconde
situation, alors il reste encore
beaucoup de travail à faire pour ai-
der la soignante à être à l’aise avec
ces questions.
Dans la pratique, cette exhorta-
tion à la bonne distance veut ex-
primer une mise en garde, censée
aider l’infirmière à se protéger de
l’épuisement professionnel. Elle
ne fait que manifester le tabou de
l’intimité dans la relation soi-
gnant-soigné.
Ces zones d’ombre sur la sexua-
lité participent-elles d’un ensem-
ble de tabous que l’on retrouve
dans les soins ?
L.V. : Oui. Nos études menées en
Europe ne font que le confirmer.
Être “proche du patient” présente
vite une connotation ambiguë. La
fameuse “bonne distance” doit être
la règle. Nous craignons, par
exemple, de proposer un massage,
en raison d’une éventuelle ambi-
guïté sous-jacente. C’est pourquoi,
pour toute question intime, les soi-
gnants disent souvent qu’ils n’ont
pas le temps. J’admets que cela
prend du temps d’être proche.
Mais cet argument finit par s’éri-
ger en faux problème. Au fond, ce
n’est qu’une façon de vouloir se
préserver. Car l’intimité du patient
nous renvoie, comme un miroir, à
nos émotions et nos peurs.
De telles réticences nuisent-elles
à la qualité des soins ?
L.V. : Sans aucun doute. L’intime
est au cœur de la qualité des soins.
Si nous nous heurtons déjà à de
nombreuses résistances à ce stade,
comment réagirons-nous face à
des personnes souffrant de
Sexualité des patients
Comment garder la bonne distance
Infirmière, Laurence Verani fonde, en 1991, l’associa-
tion Arches (Association de réflexion, de communica-
tion hospitalières et éducatives pour la santé) qui a or-
ganisé le congrès européen “Sexualité et santé” en
1994, à Paris. Puis elle a mené, durant plusieurs années,
le programme européen de recherche “Tabous et
santé”. Entretien.
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