Université de Provence Aix-Marseille 1 Département d’Anthropologie MASTER PROFESSIONNEL « Anthropologie & Métiers du Développement durable » ETH.R11 Mémoire de recherche bibliographique La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize Contribution des outils de l’anthropologie à l’émergence d’un métier du développement LAETITIA MORLAT Directeur : Philippe Lavigne Delville 2006 – 2007 REMERCIEMENTS J’adresse mes sincères remerciements à toutes les personnes qui ont contribué la réalisation de ce travail. Mamadou Gacko, Chérif ould Brahim, Thierno Bâ, Abderahmane Ndiaye, Dado Ndiaye, Cheikh Tijane Kelly, Mohamed Djibi Sow, Houlèye Tall, pour leur grande disponibilité, leur implication et leur sympathie. Moussa Abdoulaye pour son aide, son soutien et son accompagnement tout au long du travail. Emilie Barrau pour son excellent encadrement, son accompagnement régulier, la précision et la justesse de ses conseils, la rapidité de ses réactions. Philippe Lavigne Delville pour ses précieux conseils méthodologiques et la profondeur de ses questionnements lors du stage, dans la rédaction de la publication de la capitalisation et dans la réalisation de ce mémoire. Christophe Hennart pour le temps qu’il m’a accordé, nos échanges, ses conseils, ses corrections et remarques. Annick Mauro pour son éclairage sur l’animation et les questions de professionnalisation. Toute ma reconnaissance pour son aimable appui en dépit de ses difficultés de santé. Anne Sophie Casteigt pour son écoute, la pertinence de ses conseils, son soutien quotidien, son amitié. Igor, Khalil et Cilia pour leur professionnalisme dans l’amitié. Et aussi …. Guillaum e, Samuel, Ata, Youssouf, Ablaye, Bénédicte, Hélène, Bébé et la petite souris, Oliver, Katleen, Alexis, Céline, Lalla, Mariem, Salimata, Sow qui ont fait de ces cinq mois en Mauritanie un moment inoubliable. Un immense merci à Marie-Thé, Gérard et Loulou pour leur amour, leur soutien et leur confiance. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 1 SOMMAIRE Remerciements Sommaire Sigles et abreviations Introduction PARTIE 1 L’équipe AAC : des animateurs en manque de reconnaissance professionnelle I. L’animation dans le développement urbain en Mauritanie II. L’équipe AAC dans un monde du développement professionnalisé III. La capitalisation : un moment tant attendu PARTIE 2 Le processus de co-production d’une connaissance sur les activités d’animation I. Chacun ses rôles : positionnement des acteurs et production de connaissances II. Décomposition du processus de maïeutique : formaliser l’informel III. La capitalisation : un moment de formation ? PARTIE Quelques traits du travail d’animation au sein de Twize I. Les microprojets communautaires dans leur contexte social II. Dimension publique de l’action et relations aux autorités locales III. L’animation au service d’un projet de développement Conclusion Bibliographie Table des matières Annexes Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 1 2 3 4 15 16 23 32 37 38 44 57 63 64 71 77 87 90 94 96 2 SIGLES ET ABREVIATIONS AAC Appui aux activités communautaires ADU Agence de développement urbain CDHLCPI l’insertion Commissariat aux droits de l’Homme, à la lutte contre la pauvreté et à CUN Communauté urbaine de Nouakchott DAT Développement institutionnel, acteurs et territoires FRD Fonds régional de développement Gret Groupe de recherche et d’échanges technologiques PDQ Plans de développement des quartiers Pnud Programme des Nations Unies pour le développement PRDS Parti républicain démocratique et social Unicef United Nations International Children’s Emergency Fund Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 3 INTRODUCTION « Sur des kilomètres le long des deux voies bitumées et à perte de vue sur les dunes, comme des champignons ont poussé, des maisonnettes grandes comme des boîtes d’allumettes, des baraques lilliputiennes, des tentes informes… disposées à la diable en un tableau indescriptible. Depuis des semaines, matin et soir, tout ce qui roule est mis à contribution pour porter la logistique d’une véritable conquête foncière : baraques toutes prêtes, planches (…) » NOUAKCHOTT : UN MIRAGE EN PLEIN DESERT1 ? Partie de rien, ou plutôt de quelques tentes et d’un poste de contrôle en 1960, la ville de Nouakchott, capitale de la Mauritanie rassemble aujourd’hui près d’un tiers de la population du pays. Depuis les années 1970, les flux migratoires en provenance de l’intérieur du pays n’ont pas cessé. Poussés à rejoindre la capitale à cause de la sécheresse, c’est par quartiers entiers que les Mauritaniens viennent peupler la ville. Des zones se couvrent donc à une vitesse vertigineuse de petites baraques en bois et de maisons en parpaings et deviennent ce que l’on appelle communément des « kebbe 2 .» Non préparés à une telle affluence, les pouvoirs publics réagissent à coup de recasement des habitants illégaux des kebbe dans des zones périphériques où ils leur attribuent des terrains. D’autres espaces de la ville, définis comme des zones à lotir, ont été investis illégalement, ce qui leur donne le nom de « gazra 3 », par des habitants cherchant à devenir propriétaires. Les kebbe, les gasra, les zones de recasement, quelque soit leur nom et leur statut foncier, sont des parties de la ville en manque cruel d’équipements et d’infrastructures urbaines. Elles ne sont pas desservies par les réseaux de transport collectif. L’électricité n’y est pas présente et l’éclairage se fait avec les moyens du bord : fils tirés à même le sol, bougies, lampes à pétrole. L’eau est acheminée depuis les bornes fontaine jusqu’aux habitations par des charretiers à un coût nettement plus élevé que dans les quartiers du centre. Les postes de santé sont éloignés et ont une capacité d’accueil et de traitement des cas bien inférieure aux besoins. Les services de collecte des ordures ménagères sont quasiment inexistants et les détritus s’amoncèlent dans les espaces vides. Les quartiers périphériques de la ville dégagent souvent un sentiment d’abandon, d’isolement. Les habitations surgissent ça et là, faites de bric et de broc, sans un arbre pour abriter ses occupants, sans une allée pour y 1 Choplin, p. 8 Terme hassaniya qui signifie dépotoir, lieu d’entassement des ordures. 3 Terme hassaniya qui signifie « occuper par la force ». 2 Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 4 conduire, sans une touche de décoration pour les embellir. Elles sont de simples abris de fortune pour des familles entières. Ces familles sont le plus souvent nombreuses et, pour beaucoup d’entre elles, monoparentales avec une femme à leur tête. Les habitants de ces quartiers dépensent en moyenne entre deux et trois euros par jour pour l’alimentation quasi exclusivement. Dans ce contexte de grande pauvreté, les réseaux de solidarité sont les seuls recours des individus pour survivre. Si les déplacements ont profondément modifié la nature du lien social, la relation de protection entre ceux qui ont des moyens matériels, financiers, mais aussi symboliques ou politiques, et les plus démunis fonctionne activement. Elle contribue d’ailleurs à créer, dans ces nouveaux territoires, des figures de leadership parmi des individus qui s’improvisent porte-parole de leurs quartiers auprès des institutions. ? « TWIZE » Inspiré par les formes de solidarité à la mauritanienne, le programme Twize 4 est un programme de développement urbain mis en œuvre par le Groupe de Recherche et d’Echanges Technologiques (Gret), une association française disposant d’une représentation permanente en Mauritanie. Il est tout d’abord lancé sous une forme pilote en 1999 dans le quartier de Dar El Beïda à Nouakchott. En 2002, il devient un programme de développement urbain intégré, organisé en quatre composantes, et financé par le Commissariat aux droits de l’Homme, à la lutte contre la pauvreté et à l’insertion (CDHLCPI) et le Programme de Développement Urbain (Banque mondiale). Son objectif est de lutter contre la pauvreté, dans les villes de Nouakcho tt et de Nouadhibou, en favorisant l’accès de la population des quartiers périphériques de ces villes à un habitat social en dur. Sept quartiers sont concernés dans la capitale et quatre à Nouadhibou5 . 4 Terme hassaniya correspondant à un travail collectif solidaire, souvent réalisé par des membres de même sexe et de même catégorie sociale. 5 A Nouakchott, les quartiers concernés sont Basra, Couva, Dar El Beïda, Médina, Nezaha, Saada, Teissir. A Nouadhibou, il s’agit de Voum Elbase, Sale Elbase, Dar Es selam, Hay Salem. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 5 H. Baril (à partir d’une carte éditée par la CUN, 2002) Au départ centré sur une association du microcrédit et de l’habitat, le programme Twize fonctionnait avec des agents de terrain à la fois animateurs, agents de crédit et chefs de chantier. A partir de 2002, il prend une forme intégrée et se divise en plusieurs composantes correspondant à différentes facettes de la pauvreté en milieu urbain. La composante Habitat a pour but de contribuer à la définition d’une politique de l’habitat social en Mauritanie. Elle propose un habitat qui se veut accessible et adapté aux populations pauvres et dont la maîtrise d’œuvre est confiée aux acteurs de la filière BTP mauritanienne en vue de contribuer à sa structuration. Il comporte trois autres composantes destinées à travailler en complémentarité tout en poursuivant leurs propres objectifs. La composante Microfinance propose aux familles souhaitant construire des crédits à l’habitat Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 6 qui viennent compléter la subvention étatique 6 et leur apport financier. Elle offre aussi des microcrédits aux activités économiques pour favoriser le développement d’activités génératrices de revenus dans ces quartiers. Une composante formation est dédiée au renforcement des compétences des individus grâce à une offre de sessions de formation et des opportunités d’apprentissage dans des domaines variés tels que la teinture, la couture, la gestion financière et associative, l’électricité, la soudure, la mécanique, etc. La composante Appui aux activités communautaires et projets de quartier (AAC) a pour vocation d’appuyer le s initiatives des habitants en accompagnant leurs efforts d’organisation en coopératives, associations, comités et de mise en œuvre de projets de quartier. L’équipe AAC est composée de neuf personnes : sept conseillers de quartier, plus communément appelés animateurs, sont chacun installés dans un quartier d’intervention du programme. Ils sont encadrés par un chef conseiller quartier, qui supervise l’ensemble des activités d’animation réalisées par la composante, un chef conseiller projet responsable du travail d’accompagnement des microprojets et un chef de composante. Les activités de l’équipe AAC sont diverses. Elles se divisent en deux grandes catégories. La première rassemble des activités permettant à la composante d’atteindre ses objectifs propres. Il s’agit d’un travail de structuration des groupes d’habitants afin que ceux-ci s’organisent en coopératives, en associations, en comités capables de démarrer des activités génératrices de revenus ou de mettre en œuvre des microprojets destinés à améliorer les conditions de vie dans le quartier (collecte de ordures ménagères, réhabilitation d’écoles, ouverture de jardins d’enfants, de centre d’activités économiques, approvisionnement en eau, etc.) La seconde catégorie d’activités est destinée à appuyer les autres composantes du programme dans leurs activités. Les animateurs de la composante AAC sont des intermédiaires entre le programme et les habitants et réalisent notamment un important travail de communication sur le programme dans les quartiers. Leur travail est essentiellement de l’ordre du relationnel. Les animateurs ont pour vocation d’être, pour le programme Twize, les premiers interlocuteurs des habitants avant les agents de crédits et les autres agents intervenant dans les quartiers. Ils ont une position d’interface qui a la caractéristique de se décliner en une multitude d’activités. 6 Elle s’élève à 50% environ du montant total d’un module d’habitat social. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 7 ? CAPITALISER L’EXPERIENCE DES ANIMATEURS Cette multiplicité rend l’action de la composante difficile à comprendre de l’extérieur. Les autres composantes, mais également les bailleurs de fonds, cernent mal sa spécificité, son utilité, sa démarche. Après quatre années d’activité et à moins d’un an de la fin du programme Twize, l’équipe a donc formulé le souhait de réaliser un travail de capitalisation qui a été relayé par le siège du Gret à Paris, intéressé par une étude sur les pratiques des animateurs. Le recrutement d’un stagiaire a été décidé car ce statut permettait à l’organisation de répondre aux diverses contraintes qui s’imposent à ce travail. La capitalisation est un processus qui nécessite plusieurs mois d’étude. L’envoi d’un expert interne ou extérieur au Gret est donc impossible pour des raisons financières et de disponibilité7 . Le rôle de la stagiaire a été énoncé ainsi dans les termes de référence du stage : « [elle] est la cheville ouvrière de la capitalisation. Elle coordonne et accompagne l’équipe d’animation dans son travail de bilan de leurs pratiques. Elle est une sorte d’ensemblier de la réflexion de chacun et rédacteur des produits finis 8 . » Pour cela, elle a pu recevoir un double appui : celui d’Emilie Barrau, base arrière de l’équipe AAC sein du pôle Développement institutionnel, acteurs et territoires (DAT) au siège du Gret et celui de Philippe Lavigne Delville, directeur scientifique. Les objectifs de la capitalisation sont ainsi définis dans le cahier des charges 9 : ? Mener un bilan critique de la démarche et des pratiques de la composante AAC en termes d’acquis et de limites ? Donner une lisibilité aux activités de la composante et analyser la pertinence d’une composante de développement local dans un programme sectoriel ? Réaliser des recommandations opérationnelles pour améliorer les pratiques et méthodes de l’animateur ? Mener une réflexion prospective sur le positionnement d’une composante d’animation sociale dans les quartiers périphériques au-delà du programme TWIZE La démarche méthodologique est double : « elle mêle une dimension auto-évaluative réalisée par les animateurs et une dimension « d’extériorité » pour une partie du travail de la stagiaire 10 . » Plus précisément, le travail de capitalisation est basé sur trois temps qui sont aussi trois principes transversaux à l’ensemble des activités et qui se justifient par la 7 Dans le monde du développement, les consultants réalisent en général des missions allant d’une à trois semaines et leur coût s’élève à plusieurs centaines d’euros par jour pour l’organisme qui fait appel à eux. Cette estimation comprend l’ensemble des charges versées par l’organisation qui a recours au consultant. 8 Cf. Annexe 4 : Termes de référence du stage, p. 100 9 Cf. Annexe 5 : Cahier des charges de la capitalisation, p. 103 10 Idem Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 8 présence d’une personne extérieure au sein de l’équipe. Sa distance naturelle vis-à-vis de l’action doit lui permettre d’engager un dialogue avec l’équipe sur leurs pratiques professionnelles. Il s’agit, dans un premier temps, de susciter la réflexion, d’impulser une prise de recul, de provoquer l’expression, l’explication des animateurs sur les méthodes, leurs outils, leurs pratiques. Simultanément, la stagiaire doit travailler à se forger une vision des pratiques des animateurs et de leur insertion dans les quartiers d’intervention du programme. Elle le fait par des enquêtes de terrain menées dans les quartiers et sur les différents sites d’intervention de l’équipe AAC dans le but de proposer une première analyse de son activité et d’approfondir encore la réflexion de ses membres. Enfin, des séances de discussion et de débats doivent permettent l’échange et la confrontation sur des visions devant aboutir à une analyse collectivement validée. Déroulement de la capitalisation et activités ETAPE 1 : Constitution d’un cahier des charges validé par les acteurs concernés Activités : définition de la méthodologie et réalisation d’un chronogramme Participants : Equipe AAC, Emilie Barrau, Laetitia Morlat ETAPE 2 : Mise en œuvre de la méthodologie Activités : bilans, états des lieux, entretiens individuels avec les animateurs, enquêtes de terrain dans les quartiers Participants : Equipe AAC, Laetitia Morlat ETAPE 3 : Analyse et rédaction Laetitia Morlat ETAPE 4 : Discussion et validation Activités : présentation de l’analyse, débat, approfondissement, validation du contenu Participants : Equipe AAC, Laetitia Morlat ETAPE 5 : Restitution finale Activité : Présentation des résultats de la capitalisation Participants : l’ensemble des membres du Gret en Mauritanie ETAPE 6 : Finalisation du document et publication Emilie Barrau, Philippe Lavigne Delville, Laetitia Morlat, l’équipe des éditions du Gret ? CAPITALISER QUOI ET POURQUOI ? QUELQUES DEFINITIONS La notion de capitalisation. La capitalisation est une activité récente dans le monde du développement mais certainement destinée à se développer compte tenu du nombre et de la diversité des interventions, de la variété des démarches et du très faible partage des expériences. L’analyse de l’expérience est ce qui pourrait définir le plus simplement possible la capitalisation. Plus précisément, c’est « le passage de l’expérience à la connaissance partageable. » (De Zutter) C’est un travail de formalisation d’activités Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 9 informelles, intuitives, naturelles dans le but de les diffuser, de les faire connaître. Le passage de l’implicite à l’explicite n’est pas évident. Il se fait par un « processus d’externalisation de la connaissance tacite. » (Lavigne Delville, 2004, p.8) C’est également un travail organisé qui comprend différents volets ou exercices. Si capitaliser c’est prendre du recul sur un travail opérationnel, c’est aussi le faire avec un objectif clair et donc la formulation d’une problématique à laquelle on souhaite apporter une réponse. Dans un souci d’objectivité et de crédibilité vis-à-vis de l’extérieur, la capitalisation comprend une part d’évaluation et de questionnement des choix, des stratégies d’action et de la démarche. Ce travail a ainsi une double finalité : le dégagement de recommandations ou de leçons pour l’avenir et la réalisation d’un document de communication du contenu de la capitalisation. Destinée à valoriser une activité, la capitalisation n’est pas une évaluation. Elle ne doit pas aboutir à porter un jugement de valeur. Il est, en revanche, nécessaire qu’elle s’appuie sur une démarche rigoureuse d’enquêtes et d’analyse. Ainsi, si la capitalisation n’est pas une recherche scientifique, elle tente de répondre à l’exigence d’objectivité en puisant dans les outils de la recherche en sciences sociales. Les objets de la capitalisation. La capitalisation tente de mettre en mots, de définir le contenu d’une expérience. Elle porte donc sur des activités, c'est-à-dire des actions réalisées par des individus dans un domaine défini. Plus largement, elle cherche à cerner des pratiques, c’est-à-dire des manières concrètes d’exercer une activité 11 , les procédures, les règles suivies, la méthodologie mais aussi les habitudes diverses, etc. Au coeur de ces pratiques, un certain nombre de savoirs peuvent être identifiés, c’est-à-dire des ensembles de connaissances. Par connaissance, il faut entendre une idée exacte d’une réalité, de sa situation, de son sens, de ses caractères, de son fonctionnement 12 . Les savoir- faire sont alors des capacités à mobiliser des savoirs en situation, ce qui correspond également à la définition de la compétence. La compétence est une habilité à reproduire l’exercice de capacités dans des environneme nts et des conditions diverses pour aboutir au résultat attendu. De la capitalisation à la professionnalisation. L’ensemble des pratiques et des compétences détenues par un groupe d’individus participent à la définition d’une profession. La capitalisation peut donc avoir pour vocation de contribuer à la définition ou 11 12 Définition tirée du dictionnaire de la langue française Le Petit Robert. Définition tirée du dictionnaire de la langue française Hachette. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 10 à la réaffirmation des caractéristiques d’une profession. En effet, une profession ne se définit pas uniquement par le contenu de ses activités, la formation qui lui correspond et le savoir scientifique qu’elle mobilise. Elle est également un groupe social porteur de valeurs et d’une vision du monde qui lui est propre et qu’elle cherche à promouvoir pour se faire reconnaître comme telle auprès des institutions ou à défendre vis-à-vis d’autres corps de métier. (Dubar, 1998) Les activités d’animation telles qu’elles sont pratiquées par la composante AAC au sein du programme Twize n’ont pas encore acquis, en Mauritanie, le statut de profession. Elles appartiennent cependant à un ou des champs professionnels plus larges qui sont des réservoirs de références et apportent un éclairage lors de la capitalisation. En France, le champ du travail social est une nébuleuse de métiers dont fait partie le travail d’animation. Dans les pays du sud, les interventions en faveur du développement sont de plus en plus normalisées ce qui pousse à parler de l’émergence d’un champ professionnel de l’humanitaire (Dauvin & Siméant) dans lequel pourraient s’inscrire l’équipe AAC au même titre que l’ensemble des membres du programme Twize. ? LA SOCIO-ANTHROPOLOGIE COMME CADRE THEORIQUE L’adoption d’une approche socio-anthropologique pour comprendre l’émergence d’une profession dans le cadre complexe que constitue une situation de développement semble donc trouver une multiple justification. La capitalisation de la composante AAC n’est pas une activité ad hoc décidée par les membres de l’équipe par simple curiosité. Elle est une étape dans la constitution du travail d’animation en profession. En ce sens, elle peut être éclairée par la sociologie interactionniste de E. Hughes, H. Becker ou A. Strauss, qui comprend les professions comme des processus. Pour ces sociologues de l’école de Chicago, une profession n’est pas une entité figée mais un processus biographique, une « forme d’accomplissement de soi. » (Dubar, 1998) Les professions sont donc des lieux de socialisation c’est-à-dire d’intégration d’une culture professionnelle et, par conséquent, trava illent, dans leurs interactions avec d’autres professions, à défendre leur identité, leurs représentations du monde et leurs pratiques professionnelles dans le but de revendiquer leur légitimité à exercer leur activité. (Dubar, 2000) La sociologie interactionniste des professions a donc beaucoup étudié les phénomènes de « fabrication » des professions de concierge, musiciens, enseignants, médecins, boxeurs et les ressorts activés par leurs membres pour se faire reconnaître comme tel. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 11 La formation de la profession d’animateur qui nous intéresse ici se fait dans le contexte particulier du monde du développement en Mauritanie. En effet, ces animateurs sont essentiellement des membres des équipes d’ONG de développement urbain. Leurs pratiques s’inscrivent dans un contexte complexe où de multiples acteurs entrent en relation pour la réalisation d’interventions de développement. L’anthropologie du développement par son approche orientée sur ces acteurs constitue donc un second éclairage particulièrement approprié pour cerner ce que peut recouvrir le travail de l’équipe AAC. Sa démarche a été ainsi définie par J.P. Olivier de Sardan (2005) : « dans un domaine (le développement) saturé de points de vue moraux et normatifs (« pour » ou « contre » le développement) cette nouvelle anthropologie du développement, clairement transnationale, donnera au contraire le primat à l’enquête, refusera autant que possible les a priori moraux ou idéologiques, et utilisera la gamme des méthodes de terrain habituelles de l’ethnologie pour étudier simultanément les institutions de développement et les populations auxquelles elles s’adressent, les interactions entre « développeurs » et « développés », et les stratégies d’acteurs appartenant à des mondes sociaux très variés mis en relations par les pratiques et les politiques de développement. » L’anthropologie du développement, née dans les années 1980, est une branche de l’anthropologie qui se caractérise par l’étude des situations de développement. Elle part du postulat selon lequel, à l’heure actuelle, on ne peut étudier les sociétés du sud sans avoir à considérer les interventions de développement réalisées, appuyées, financées par une multitude d’opérateurs que sont les ONG, les organisations intergouvernementales, les Etats, les services décentralisés, etc. Dans la lignée de l’école sociologie de Manchester, l’anthropologie du développement a adopté une approche centrée sur les interactions et les réseaux d’acteurs. Elle considère le développement comme le champ d’un déploiement de logiques et d’intérêts par tous les acteurs qui se disent concernés : les bailleurs de fonds des dispositifs de développement, les ONG mettant en œuvre les projets, les agents au sein des organisations, expatriés ou nationaux, les membres de la population ciblée par ces dispositifs, etc. Pour les anthropologues du développement, chacun de ces acteurs ou groupes d’acteurs, y compris la population, dispose de capacités à agir pour retirer des profits des dispositifs de développement en fonction de ses intérêts propres. Les projets peuvent ainsi être assimilés à des arènes où se confrontent ces intérêts et où s’identifient leurs réelles conditions de mise en œuvre. (Bierschenk, 1988) Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 12 Cette grille de lecture constitue un outil particulièrement adapté à la position des animateurs du programme Twize. Situé à l’interface entre des acteurs très différents dans leur compréhension et leur conception du développement, et en l’occurrence du programme Twize, ils ont à composer avec leurs enjeux. Les logiques de ces acteurs traversent en quelque sorte les pratiques des animateurs, sans manquer de les influencer et de les conditionner. Leur position les pousse à analyser les logiques de leurs interlocuteurs afin de contribuer à les articuler. Il n’est donc pas possible de chercher à comprendre leur activité sans porter ce regard propre à l’anthropologie du développement. ? PROBLEMATIQUE ET STRUCTURE DE LA REFLEXION Dans le contexte d’émergence d’une pratique, la question de la construction de savoirs professionnels formalisés et stabilisés est essentielle. Elle est une des pierres angulaires de la professionnalisation et fait l’objet de toutes les attentions au sein des groupes qui cherchent une reconnaissance. Elle est au centre du travail de capitalisation qui a pour objectif la production d’un savoir partageable sur une pratique professionnelle. La question est de définir la nature de ce savoir. Il peut s’agir d’un savoir dans la profession, « produit de l’acte de formation [qui] peut être défini comme une nouvelle capacité mobilisable par l’acteur. » (Barbier, p. 41) Il peut également s’agir d’un savoir sur la profession comme « produit de l’acte de recherche [qui] peut être défini comme une nouvelle représentation pouvant donner lieu à énoncé et à communication. » (Barbier, p. 41) La capitalisation peut correspondre à ces deux processus. Par la prise de recul et la formalisation de pratiques professionnelles, elle peut susciter un apprentissage des acteurs opérationnels et par conséquent un renforcement voir la construction de pratiques. Dans une démarche moins ambitieuse, elle tente, par l’analyse des pratiques, de les clarifier, d’en dégager les grands traits, de mettre l’accent sur ce qui en fait la spécificité et donc de contribuer à la construction d’un savoir sur la profession. En ce qui concerne la capitalisation au sein de l’équipe AAC, il semble que ce soit sur ce plan que nous nous situons. La question ici posée est donc la suivante : comment, dans un contexte d’émergence des activités d’animation dans le déve loppeme nt urbain en Mauritanie, l’approche par l’anthropologie a-t-elle permis de faire avancer la compréhension de la position de l’animateur dans cette nébuleuse d’acteurs ? Cette réflexion cherche à montrer en quoi l’interaction entre une équipe d’acteurs opérationnels et un intervenant extérieur porteur d’une approche socio-anthropologique a pu conduire à la production d’une connaissance Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 13 partagée sur les pratiques de l’animation. Ce texte a donc une double vocation dans la mesure où, si elle s’intéresse aux résultats de la capitalisation et à l’analyse de la fonction d’animateur, elle souhaite également contribuer à montrer de quelle manière l’anthropologie peut s’insérer dans une intervention de développement. La première partie sera consacrée à une analyse du contexte dans lequel a été conçu le projet de capitalisation, puis s’est déroulé l’ensemble du processus. Sur cette base, nous décrirons, dans une deuxième partie, de quelle manière l’interaction entre les membres de l’équipe et la stagiaire a été organisée pour produire une analyse partagée sur leurs pratiques professionnelles. La dernière partie a pour vocation de présenter les traits du travail d’animation de l’équipe qui peuvent être considérés comme des lignes de force destinées à contribuer à la réalisation d’un référentiel sur ce métier en devenir. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 14 PARTIE 1 L’équi pe AAC : des anim ateurs en manque de reconnai ssanc e pro fessionnell e L’animation dans le développement social urbain est une activité nouvelle en Mauritanie. La figure de l’animateur, également appelé agent de développement local, agent social, ou encore conseiller de quartier est apparue avec les dispositifs ou programmes de développement urbain. Avec l’exode rural massif de la population mauritanienne, la fin du nomadisme et la sédentarisation dans la capitale, Nouakchott est « devenue la seule ville au monde qui a vu sa population multipliée par mille en l’espace de quarante ans. » (Choplin, 2003) La grande pauvreté dans laquelle se trouvent ces nouveaux arrivants et la fragilisation du tissu social dans des zones qui se peuplent à vue d’œil ont attiré l’attention des organisations internationales de développement ainsi que de l’Etat mauritanien. Des projets et programmes destinés à favoriser le développement urbain, tels que Twize, ont ainsi été initiés dans une démarche de lutte contre la pauvreté par le renforcement des capacités de la société civile et la promotion de la décentralisation de l’Etat. Dans ce cadre, s’est développée une fonction nouvelle, celle de l’agent de développement qui se positionne à l’interface entre habitants, autorités locales et nationales, ONG internationales, et est chargé de fonctions d’accompagnement et de médiation pour la mise en œuvre d’actions de développement impliquant la population. Cette première partie est destinée à donner les grands traits du contexte politique, économique, social, institutionnel dans lequel s’est déroulée la capitalisation au sein de la composante AAC. Nous montrerons, dans un premier temps, en quoi l’animation dans le développement urbain en Mauritanie est une activité nouvelle. Nous analyserons ensuite les conséquences de ce caractère nouveau sur les perceptions des acteurs qui entourent l’équipe. Sur cette base, nous déboucherons, dans un troisième temps, sur la comparaison Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 15 des attentes exprimées à l’égard de la capitalisation par ces mêmes acteurs en montrant les différences d’interprétation qui peuvent exister autour d’un même travail. I. L’animation dans le développement urbain en Mauritanie Du fait de sa nouveauté dans le champ du développement urbain, l’animation ne dispose pas de référentiel d’activité ni de compétences reconnu collectivement et par les institutions. Ce cadre encore instable ne permet donc pas de parler de métier au sujet de cette catégorie d’activités. 1. L’appui aux activités communautaires du programme Twize : un apprentissage sur le tas L’histoire de l’équipe AAC est celle de la mise en place progressive d’une démarche, d’outils et de procédures souvent selon le principe de l’expérimentation et de l’apprentissage à partir des erreurs. Cela s’est fait dans le contexte d’un faible encadrement interne comme externe au départ. Les premiers responsables de l’équipe AAC se sont avérés plus ou moins expérimentés. La composante ne disposait pas d’une assistance technique au siège du Gret. Si le coordinateur du programme Twize a une expérience préalable en la matière et a contribué à poser les bases de la démarche, il n’a pas pu s’y concentrer du fait des enjeux globaux du projet. La composante a donc développé ses capacités essentiellement par la pratique et avec l’appui de stagiaires. Dans le cadre d’un stage pour l’obtention du Diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en Urbanisme et aménagement, à l’Université Paris VIII, Emilie Barrau13 a contribué, de juillet à décembre 2004, à structurer la démarche de l’équipe. Il s’agissait « d’enrichir la réflexion concernant les plans de développement de quartiers (PDQ) dont le processus a commencé avec des réunions avec les maires (…) de proposer des axes d’orientation et de contribuer à la réflexion sur la définition des méthodes et outils pour la mise en oeuvre de projets de proximité dans le prolongement des priorités identifiées par les PDQ. » (Barrau, 2005, p. 97) 13 Emilie Barrau est actuellement chargée de mission au pôle Développement institutionnel, acteurs et territoires au siège du Gret et base arrière pour l’équipe AAC. Elle a supervisé la capitalisation lors d’une semaine de mission de cadrage et ensuite depuis Paris. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 16 Lors de ses études en DESS « Aménagement Local et Dynamiques Territoriales dans les Pays en Développement » à l’Institut d’Etude du Développement Economique et Social, à l’Université Paris 1- Panthéon-Sorbonne, Hélène Baril a effectué un stage de février à octobre 2005 au sein de l’équipe AAC. Son travail a consisté au renforcement des pratiques de l’équipe sur la base d’une analyse des premières réalisations. ? STRUCTURATION DE LA DEMARCHE Les PDQ avaient pour but de définir les grandes priorités en matière de développement dans les quartiers. Différents acteurs répartis en groupes y ont été invités afin de représenter les habitants, les communes et le programme Twize. La démarche s’est déroulée de la manière suivante. Deux demi-journées d’échanges sur cinq thèmes ont permis d’identifier les principaux problèmes que rencontre le quartier sur ce thème et de préconiser des objectifs et des actions en vue d’améliorer les conditions de vie. Les propositions des habitants ont été classées par ordre de priorité. Une assemblée générale dans le quartier a rendu compte des résultats aux habitants. Cet évènement fut également l’occasion pour les membres du programme Twize d’informer la population sur les types de projets finançables et ceux qui ne le sont pas. Les premières propositions de projets ont été recueillies dans la foulée. Les microprojets sont des projets portés par des groupes d’habitants constitués en comités, associations ou encore coopérative s. Leur objectif est de contribuer à l’amélioration des conditions de vie dans le quartier. Les microprojets AAC sont le plus souvent des projets d’aménagement, de réalisation d’infrastructures ou de mise en place de services dans différents domaines. Ils se traduisent concrètement par la fourniture d’équipements, la réalisation de travaux de réhabilitation, de désensablement, de construction ou d’extension d’infrastructures. Avec l’appui de la première stagiaire, l’équipe a travaillé à la systématisation du montage, à l’articulation des projets avec les sessions d’animation et de sensibilisation, sur la question de la participation des groupes porteurs et des communes au montage, au financement et à la mise en œuvre. Le schéma suivant montre l’approche de l’équipe en ce qui concerne les microprojets : Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 17 « Satellite » : Journées de sensibilisation (hygiène, santé, éducation…) Réalisation concrète et visible (réhabilitation, équipement, aménagement…) « Satellite » : Formations spécifiques dans le cadre du projet (gestion financière…) « Satellite » : Echanges entre groupes de différents quartiers (APE, comité de santé…) Diagramme de la démarche AAC pour les microprojets (E. Barrau) La réflexion sur le financement a conduit à la définition d’un certain nombre de principes. Les microprojets consistent en des investissements publics destinés à satisfaire des besoins sociaux. Ils fonctionnent selon le mécanisme des fonds de développement : « une demande de financement portée par un ou des acteurs locaux, est étudiée et acceptée (ou non) par une instance de décision, et financée à partir d’une ligne budgétaire déterminée 14 ». Il s’agit de soutenir financièrement et techniquement les habitants ayant des initiatives concernant l’amélioration des conditions de vie dans leur quartier dans le but de répondre au mieux à leurs besoins. Le financement d’un projet n’est donc pas une fin en soi mais renvoie à une démarche de développement. Un des critères d’éligibilité des initiatives de développement au financement est celui de la capacité du groupe à apporter une participation au montage du projet et à son exploitation. Celle-ci peut être financière, en travail ou encore en bien valorisé. Cette exigence repose sur l’idée selon laquelle « la participation financière serait l’indicateur essentiel de la motivation des populations et le 14 Lavigne-Delville Ph., 2001. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 18 moyen pour elles de s’approprier véritablement les réalisations 15 . » Elle est calculée en fonction de la nature de l’impact attendu du projet, de sa pérennité et de sa rentabilité, c’est-à-dire des bénéfices que l’activité peut générer à moyen ou long terme. Plus l’impact social estimé est fort, plus grande sera participation du groupe porteur. ? ANALYSE DES PREMIERES EXPERIENCES ET RENFORCEMENT DE LA DEMARCHE AVEC HELENE BARIL Les activités d’évaluation de la première génération de microprojets mis en œuvre par l’équipe AAC ont conduit à la formulation d’un certain nombre de recommandations : Mettre en place des activités satellites lors du montage de projets. Les activités satellites accompagnant le montage des projets peuvent être variées, mais pas forcément systématiques. Une ligne budgétaire devra être crée pour ces activités. Le montage d’un projet doit comporter, au préalable, la réalisation d’un diagnostic des besoins. La réalisation d’activités de sensibilisation lors de la phase d’instruction du projet permet de s’assurer de la mobilisation du plus grand nombre autour du projet et de l’information de tous les membres du groupe et des habitants. Des visites et des échanges sur le site de projets similaires peuvent par ailleurs permettent au groupe porteur de réfléchir et de formuler un mode de gestion. Systématiser les contributions financières des groupes porteurs et des mairies. La contribution monétaire constitue un gage de motivation des groupes porteurs et des mairies. Elle doit être systématisée pour garantir l’implication des individus qui portent le projet et de la mairie pour son suivi. Formaliser des modalités de gestion et de suivi des projets dès la phase de montage. Il est important que les bénéficiaires des projets réfléchissent et proposent des modalités de gestion des projets avant que ceux-ci ne soient mis en œuvre. Ces modalités de gestion doivent être accompagnées d’un compte d’exploitation. 16 La question du suivi des projets a fait l’objet d’une attention particulière. Avec l’aide de la seconde stagiaire, l’équipe a tenté de mettre en place un suivi formalisé avec la création d’une fiche mensuelle de suivi ainsi qu’une méthode d’évaluation systématique des projets. Le montage de onze projets a permis de consolider encore les acquis et de réfléchir notamment sur la phase de sélection des requêtes. Les critères d’éligibilité des projets sont au nombre de six. Le groupe porteur doit être dynamique, organisé et solide. Il doit proposer un projet destiné à améliorer les conditions de vie des habitants du quartier. La proposition de projet doit prévoir une rentabilité financière suffisante pour couvrir les frais de fonctionnement. Le projet doit être en accord avec les priorités identifiées dans les plans de développement des quartiers et avec les objectifs du programme Twize. Le groupe doit être en mesure d’apporter une participation financiè re, en nature ou en travail au montage 15 16 Dorner V., 2006. D’après le compte rendu de stage d’H. Baril, 2005b, p. 5 Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 19 du projet et à son exploitation. Il doit être capable de formaliser le projet et de réaliser un budget avec l’appui du conseiller de quartier. La fonction d’identification de projets éligibles au financement revient aux animateurs qui transmettent ensuite les propositions retenues au chef conseiller projets. Ce partage des tâches reste cependant problématique car la complexité du montage de projet ne permet pas aux animateurs d’y participer réellement. Le montage des microprojets est presque entièrement assumé par le chef conseiller projets de la composante, ce qui allonge considérablement le temps entre les différentes vagues de projets mis en œuvre et explique les retards de l’équipe vis-à-vis des objectifs fixés initialement. Le cycle du microprojet AAC (H. Baril) Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 20 La période d’accueil d’une seconde stagiaire a également été celle de l’impulsion un partenariat avec le Fonds social de développement de la Coopération française destiné au soutien de petits projets de développement d’initiative et de mise en œuvre locale. De plus, l’implication des communes a fait l’objet d’une réflexion, suite au constat de leur faible présence tout au long du cycle du projet. Les projets mis en œuvre par l’équipe AAC relèvent bien souvent de domaines qui correspondent aux prérogatives des communes. Le partenariat AAC-communes devrait donc être étroit et préparer dès le départ le désengagement du programme Twize et le transfert du suivi de certains projets aux communes. Cette question reste aujourd’hui encore en suspens. Leurs relations se sont consolidées au fur et à mesure de la mise en œuvre des projets. Dans leur quête de reconnaissance en tant qu’acteur à part entière du développement local, les communes voient leur participation aux microprojets comme une occasion de se rendre visible auprès des habitants. Mais cette implication reste très inégale tant en terme d’accompagnement des groupes que de participation financière et insuffisante pour réaliser le transfert dans de bonnes conditions. Enfin, la réalisation d’un catalogue projet fut une première étape du travail de capitalisation qui s’est progressivement révélé nécessaire pour l’équipe. 2. Une profession à construire dans le pays Le caractère expérimental des activités de l’équipe AAC ne lui est pas propre. D’une manière générale, « le terme d’agent de développement permet de rassembler en un seul profil un ensemble de tâches qui existent sans doute dans d’autres métiers mais qui, structurées dans un même ensemble, constituent une profession nouvelle et spécifique. » (Hofmann & Najim, 2003, p. 46) Loin d’être encore une profession, le travail d’agent de développement ne fait pas, dans beaucoup de pays du sud, l’objet d’un référentiel d’emploi, ni de formation. Les agents de développement urbain en Mauritanie sont issus de parcours de formation divers. Une étude, réalisée en 2004 grâce aux financements du Service de coopération et d’action culturelle de Nouakchott préalablement à la mise en œuvre du Programme de développement social, a montré que 2/3 des agents de développement urbain en Mauritanie ont entre 21 et 40 ans. 1/3 sont des femmes. Ils disposent en majorité d’une formation universitaire en économie, droit, géographie, sociologie, statistique, développement local, etc. Les cursus en développement local n’existent pas en Mauritanie. De tels diplômes ont donc été obtenus à l’étranger, notamment au Sénégal ou au Maroc. Certains agents de développement urbain sont Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 21 également titulaires de diplômes plus techniques en ingénierie, génie rural, assistance sociale. D’autres, enfin, ont acquis leurs compétences sur le terrain après la fin de leurs études secondaires. Des formations complémentaires non diplômantes au sein de leurs structures d’emploi leur permettent d’acquérir des compétences plus spécifiques à leur fonction telles que l’animation, la communication, la réalisation de diagnostics de situations, la recherche de financement, le pilotage de projets, etc. D’une manière générale, si les dénominations concernant les agents de développement urbain en Mauritanie sont diverses, leurs activités le sont également en fonction des projets et des organismes ou institutions au sein desquels ils travaillent et ces agents ont eux- mêmes des difficultés à se situer au sein des systèmes d’acteurs. Il n’existe pas de profil type leur permettant de s’identifier clairement vis-à-vis de leurs interlocuteurs. Enfin, « si les initiatives en matière de développement social sont nombreuses, chacun mène ses expérimentations et les capitalise, mais la diffusion en dehors de la structure reste limitée. » (Niang, 2004, p. 6) Si aucune étude exhaustive n’a jusqu’à présent été réalisée sur l’ensemble des acteurs qui définissent leurs activités comme relevant de l’animation, il est cependant possible de constater que l’animation ne remplit pas l’ensemble des critères énoncés par le sociologue Wilensky pour définir une profession. En effet, il ne suffit pas, pour une activité, d’être exercée à temps plein par un certain nombre de personne pour être reconnue comme profession. L’animation dans le développement urbain à Nouakchott remplit bien ce premier critère mais manque cependant à l’appel des suivants. Comme nous l’avons développé dans le premier paragraphe de cette partie, elle ne comporte pas de règles d’activité communément partagées par tous les animateurs. Le contenu du travail d’animation est largement défini par les organisations et les programmes qui intègrent une dimension d’animation. Dans le cadre de Twize, nous verrons que l’animation est conçue pour répondre à un certain nombre des objectifs spécifiques du programme. Elle ne satisfait pas aux exigences du troisième critère qui demande, pour une profession, d’être articulée à une formation et des écoles spécialisées. Il n’existe pas, selon le quatrième critère, d’organisations professionnelles d’animateurs en Mauritanie qui permettent à ces travailleurs de défendre leurs intérêts et de présenter aux autorités un interlocuteur représentatif de leur catégorie. Leur activité n’est pas reconnue dans le code du travail et elle n’a pas encore donné lieu à l’établissement d’un code de déontologie 17 . 17 Critères repris par Dubar & Tripier, 1998, p. 90. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 22 II. L’équipe AAC dans professionnalisé un monde du développement Cette absence de cadre institutionnel et de contenu stabilisé des pratiques d’animation est en contradiction avec les exigences de plus en fortes des bailleurs de fonds du développement en termes de normalisation des interventions. Répercutées au sein du programme Twize, ces exigences placent l’équipe AAC dans une position difficile lui demandant un travail permanent de légitimation. 1. La professionnalisation du monde du développement : une illustration par le programme Twize Depuis le début des années 1990, un mouvement de professionnalisation des acteurs du développement, et plus précisément des ONG et associations de solidarité internationale, est à l’œuvre. Ce phénomène apparaît nécessaire « pour s’adapter aux contraintes des puissances publiques consécutives à l’augmentation des masses financières qui leurs sont déléguées par les bailleurs de fonds et pour s’insérer dans le jeu international comme des acteurs à part entière. » (Le Naëlou, 2004, p. 773) Par son organisation, ses activités, sa démarche, le Gret et Twize, qui est un de ses programmes phares, en sont une illustration. LE GRET : UNE « ENTREPRISE HUMANITAIRE » 18 ? Dans ce contexte de professionnalisation, le Gret a progressivement mis en place des pratiques standardisées afin de répondre aux exigences de ses partenaires financiers que sont, entre autres, l’Union européenne, le Bureau international du travail, la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement, la Banque interaméricaine de développement, l’Unicef, Usaid, l’Agence française de développement, le Ministère des affaires étrangères, certains conseils régionaux français, le Commissariat mauritanien aux droits de l’Homme, à la lutte contre la pauvreté et à l’insertion, le Ministère de l’agriculture du Bénin, Vivendi Waterdev, Ondéo Lyonnaise des eaux, le Crédit Agricole, etc. Pour ces bailleurs, et plus spécialement les grandes institutions internationales de développement dont les principes d’action sont la promotion de la démocratie et de la stabilité politique dans les pays du sud, l’imposition de pratiques normalisées et transparentes aux ONG est un moyen de «stabiliser des normes dans un ‘contexte hors normes’ » (Dauvin & Siméant, 2002, p. 243). Elle permet la « mise en place de poches de 18 Le Naëlou, 2004, p. 234 Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 23 stabilité et de prévisibilité économique, de poches de fonctionnement légal-rationnel dans des contextes instables. » (p. 253) La dépendance vis-à-vis des bailleurs de fonds pour la réalisation de leurs actions a ainsi conduit les organisations de solidarité internationales à agir comme des acteurs privés, à la recherche des financements et donc du profit pour étendre encore leur champ d’action. « Le caractère non lucratif ne change rien au fait que, comme pour les entreprises « normales », ce sont des critères de gestion économique qui déterminent l’organisation du collectif de travail et de l’activité de l’ONG, qui s’apparente de plus en plus nettement à une prestation de service pour le compte des bailleurs » (Freyss, 2004, p. 769) Ainsi, comme de nombreux acteurs du développement, le Gret peut être qualifié d’« entreprise humanitaire ». La gestion rationnelle qui en découle se traduit concrètement par un certain nombre de procédures auxquelles le programme Twize n’a pas échappé. Le document de projet est une somme de plusieurs centaines de pages décrivant de la manière la plus exhaustive possible la démarche proposée, mais également l’ensemble des ressources humaines engagées dans cette aventure. Chaque expert impliqué est présenté au bailleur dans un détail de son parcours professionnel. Le budget prévisionnel a également subi le même degré d’exigence dans la définition et la jus tification des besoins de financement. Un manuel de procédures a également été rédigé après le lancement du programme 19 . Il rassemble outils, méthodes, indications de déroulement des activités pour chacune des équipes du programme. Un processus de suivi-évaluation a également été conçu, disposant d’outils, d’indicateurs précis, de procédures de journalières à annuelles et de ressources humaines spécifiques. Le programme dispose d’un auditeur interne et est destiné à subir une évaluation externe avant la fin de sa période de mise en œuvre dans le cadre d’un partenariat avec l’Ecole polytechnique de fédérale de Lausanne. La dimension clairement entreprenariale des organisations de solidarité internationale se retrouve également dans leur manière de « s’inscrire dans l’économie de leurs pays d’accueil. » (Dauvin & Siméant, 2002, p. 236) Elles sont, en premier lieu, une importante source d’emp loi pour la main d’œuvre locale et offrent des postes très prisés du fait des avantages financiers et matériels qu’ils comportent. Leur très grande diversité depuis la responsabilité de missions, l’administration centrale, la logistique, jusqu’à la sécurité, le 19 Hennart C. (dir.), Kapps Lebeau L. (dir.), 2002, Manuels de procédures : appui aux activités communautaires et projets de quartier, microfinance, habitat, Programme Twize, CDHLCPI. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 24 transport ou encore la cuisine offre un large spectre d’opportunités. Le programme Twize est, ici encore, un exemple en la matière avec un personnel mauritanien permanent s’élevant à environ quatre-vingt individus. A ce chiffre s’ajoutent un certain nombre de partenaires tels que les ONG nationales mais également les micro-entreprises du bâtiment contractées par le programme pour la construction des habitations Twize. ? LES RESSORTS D’UNE INTERVENTION PROFESSIONNELLE DE DEVELOPPE MENT : L’EXEMPLE DE TWIZE La professionnalisation du monde du développement correspond à l’acquisition d’une expertise en matière d’intervention dans les pays du sud. J. Freyss et A. Le Naëlou signalent un certain nombre de modes d’action qui témoignent de la professionnalisation des ONG de développement. La spécialisation des acteurs du monde du développement en est un. Elle se produit à différents niveaux. Le recrutement de professionnels de la gestion, des questions administratives, de la recherche de financements et de la maîtrise des procédures de co- financement, de la communication et de la relation aux médias, est une première forme de spécialisation dans l’organisation de la structure. Une « départementalisation » (Le Naëlou, 2004, p. 784) en pôles d’intervention en est une autre. Au Gret, on compte six grands champs d’intervention intitulés de la façon suivante : « Accès aux services essentie ls », « Alimentation et agriculture durables », « Développement institutionnel, acteurs et territoires », « Information et communication pour le développement, « Microfinance et petite entreprise », « Politiques publiques et régulations internationales ». Ces différents secteurs de compétences se composent de professionnels aux parcours de formation et aux expériences spécialisées. La dimension technique de ces compétences est également valorisée. Le Groupe de recherche et d’échanges technologiques compte, parmi ses principales vocations la « promotion des innovations techniques, sociales et institutionnelles20 ». Le programme Twize et son objectif de lutte contre la pauvreté par l’appui à la structuration de la filière BTP pour la mise en œuvre d’une politique d’habitat social se situent au cœur de cette démarche. La professionnalisation du monde du développement se repère aussi, selon A. Le Naëlou, dans la place donnée à la compréhension de la complexité sociale pour la réalisation des interventions. (2004, p. 783) Les ONG de solidarité internationale présentes dans les pays du sud sont perçues par les bailleurs de fonds comme proches de la population du pays et 20 Pour plus de détails, consulter le site Internet : www.gret.org Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 25 ayant une bonne connaissance des besoins. Avec l’insistance, dans les politiques de développement, sur la participation et l’implication de la population dans les projets, les ONG font jouer leur expertise dans ce domaine et leur capacité à « prendre en compte les aspirations et les modes d’action des acteurs locaux. » (p. 284) Aussi, dans sa charte d’engagement, le Gret affirme : « Parce que nous sommes convaincus que le développement durable se construit par et avec les acteurs concernés, à partir de leur situation concrète (…) nos actions sont conçues et mises en oeuvre en concertation avec les populations et les acteurs socioéconomiques et politiques locaux. Elles s’appuient sur un diagnostic de la situation, à partir d’enquêtes de terrain. Nos projets sont le plus souvent possible conduits en partenariat avec des organisations locales compétentes et qui portent l’intérêt général. » La recherche-action est une troisième preuve de professionnalisation des acteurs de la solidarité internationale. Elle est directement liée à la démarche participative car elle cherche notamment à faire avancer la connaissance sur le contexte social dans lequel sont mis en œuvre les projets. Ceci se fait grâce aux enquêtes socio-anthropologiques, encore trop peu souvent réalisées dans le cadre des projets du fait d’un manque de temps, de financement et de compétences dans ce domaine. La compréhension des impacts de actions menées se fait également grâce aux travaux d’évaluation, les capitalisations et les récits d’expérience. Selon J. Freyss, « une telle approche n’est pas sans conséquence sur l’organisation, le fonctionne ment et l’état d’esprit dans une ONG. » (2004, p. 765) C’est le cas au sein du Gret où une direction scientifique a été créée en 1999. Cette instance « contribue à la conception des projets de terrain, appuie les pôles thématiques dans leurs projets de recherche et leurs processus de capitalisation d'expérience, elle favorise une réflexion décloisonnée sur les démarches d'intervention, suscite des passerelles avec la recherche en sciences sociales, anime deux séries de documents de travail sur ces questions 21 . » Ce travail de recherche et de capitalisation tend à prendre de l’ampleur au sein de l’organisation grâce à la spécialisation de quelques personnes dans ce domaine. La professionnalisation de l’intervention c’est aussi une forme particulière d’action : celle du programme-projet qui correspondent aux pratiques du néo- management décrites par L. Boltanski et E. Chiapello dans Le Nouvel Esprit du capitalisme. (Dauvin & Siméant, 2002, 21 http://www.gret.org/ressource/pdf/charte.pdf Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 26 p. 255) Un projet de développement se définit comme une démarche politique qui s’exprime à travers une ou plusieurs finalités. Ces finalités sont formulées en termes d’objectifs globaux et d’objectifs finaux à atteindre dans un certain laps de temps et avec des moyens précis. Les résultats obtenus seront les produits d’activités programmées et conduites durant le projet au moyen de ressources techniques, financières et humaines. (Neu, 2005, p. 8). Dans une volonté de correspondre au plus près aux demandes de la population, les projets et programmes sont souvent conçus selon une forme intégrée. Celleci est réalisée grâce à la collaboration de différents métiers et spécialités disciplinaires. C’est le cas du programme Twize qui se divise en quatre composantes ayant, chacune, leurs objectifs propres et contribuant, cependant, à l’objectif global du programme qu’est la lutte contre la pauvreté dans les quartiers périphériques de Nouakchott. Ainsi, la composante Habitat a été conçue pour permettre aux habitants de construire leurs logements en dur. La composante Microfinance aide les familles a les financer mais également à démarrer des activités génératrices de revenus dans ces quartiers. La composante formation cherche à offrir aux habitants les moyens de développer des compétences dans ces activités. Enfin, la composante AAC a pour double vocation d’appuyer les habitants dans leurs efforts de mise en œuvre de projets de quartier et d’accompagner les autres composantes dans leurs activités. 3. L’équipe AAC en quêt e de reconnaissance ? LECTURE INTERACTIONNISTE DES PROFESSIONS AU SEIN DE TWIZE Le programme Twize correspond donc clairement à ces dispositifs d’intervention de développement professionnalisés faisant appel à divers corps de métiers pour la mise en œuvre des actions. Il illustre bien en quoi « l’activité [de solidarité internationale] mobilise des professions socialement constituées, chacune ayant, en dehors de l’action solidaire, son existence propre, son domaine de compétence, ses critères d’appartenance, son marché du travail. » (Freyss, 2004, p. 771) C’est ce qui fait dire aux sociologues des professions de l’humanitaire que l’engagement solidaire ne constitue pas une profession en soi et que les ONG ne sont pas des acteurs mais des espaces autour desquels différents groupes professionnels interagissent et se rencontrent pour remplir des objectifs communs. (Le Naëlou, 2004, p. 781) Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 27 La sociologie a développé plusieurs lectures des professions et des mouvements de professionnalisation. L’approche interactio nniste offre un éclairage intéressant sur le processus de professionnalisation à l’œuvre dans le monde du développement. Elle met en évidence le phénomène de socialisation des individus qui se réalise au sein des professions. Selon E. Hugues, un groupe professionnel revendique le mandat de sélectionner, former, initier et discipliner ses propres membres. Il se développe, en conséquence, en son sein, une perception du monde, une philosophie partagée, des valeurs propres à lui mais également une revendicatio n du monopole de l’activité, des discriminations et des stéréotypes professionnels excluant les personnes ne correspondant pas aux critères établis. (Dubar, 2000, p. 138) L’analyse des pratiques, un courant des sciences de l’éducation, fait le même constat : « dans un champ d’activité donné, le développement d’une pratique mobilise et en même temps développe des composantes identitaires correspondant à ce champ d’activité » (Barbier, p. 51) Appliquée au phénomène de professionnalisation du monde du développement, cette analyse permet de comprendre que des concurrences entre professions apparaissent au sein même des ONG et des projets de développement. Pour Le Naëlou, on peut observer un phénomène de tri « entre les « vraies » et les « semi » professions. Les personnes et groupes titulaires de diplômes reconnus et de formations techniques et spécialisées détiennent plus facilement une légitimité à agir dans le domaine de la solidarité internationale. « Le repli et l’exigence corporatiste sont activés, laissant peu de place à une réflexion, interne aux professions ou entre professions anciennes et nouvelles, sur l’émergence de nouvelles compétences ou d’un nouveau métier dans la solidarité internationale. (p. 796) Le programme Twize n’échappe pas à ce phénomène. Une concurrence entre les composantes existe. Certains facteurs historiques peuvent y apporter quelques explications. La composante Habitat jouit d’un certain prestige au sein du programme car elle y est au cœur du fait de l’objectif global de lutte cont re la pauvreté par la promotion d’un habitat en dur. Les résultats de ses activités sont en outre les plus visibles dans les quartiers d’intervention du programme : les modules Twize se dressent, très nombreux dans certains quartiers, et dénotent clairement avec le reste de habitations. Chez les habitants, le programme est directement associé aux modules. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 28 Module Twize dans un quartier d’intervention du programme (O. Regazzoni) La composante Formation, en revanche, a été créée plus tardivement après la rupture d’un partenariat entre le programme Twize et une organisation mauritanienne chargée de mettre en œuvre les activités correspondant à cette facette du programme. Elle est donc perçue comme jeune et en phase de maturation de sa démarche. D’une manière générale, ce sont les critères de performance et de bonne gestion qui sont les plus valorisés au sein du programme et que chaque équipe cherche à satisfaire. Dans ce contexte, la composante Microfinance revendique la première place. Selon le coordinateur du programme, elle entretient, depuis le lancement, une vision élitiste de sa position et de ses activités qu’elle justifie par ses bons résultats. Elle a d’ailleurs préparé son autonomisation qui se réalisera au terme du programme Twize par la création d’une institution nationale de microfinance mauritanienne. En revanche, la composante AAC souffre d’un manque de reconnaissance de ses compétences et des résultats de ses actions. ? TRAVAIL D’ANIMATION SOCIALE ET RECONNAISSANCE Dans ce contexte, le travail d’animation dénote par la dimension insaisissable d’une partie de ses activités. Au cœur de l’animation se trouve le travail relationnel, un travail d’information, d’explicitation, de mise en relation d’individus et de groupes, d’accompagnement, etc. Cette catégorie d’activités fait une large place à l’intuition et à un esprit créatif afin de promouvoir des situations d’échange de qualité entre acteurs telles que les sessions d’information, les discussions collectives, les débats pour le choix de priorités de développement dans les quartiers. Par définition, elles ne sont pas formalisées et Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 29 perdraient une bonne partie de leur valeur si elles l’étaient. D’une manière générale, les objectifs assignés aux animateurs ont un caractère très général. Dans le cadre du programme Twize, il s’agit notamment de « favoriser la structuration des quartiers. 22 » La notion de structuration est en elle- même difficile à définir dans le contexte du quartier : structuration de l’habitat, structuration du tissu social en groupes, associations, comités, coopératives, structuration de l’organisation de ces associations ? Les indicateurs permettant de témoigner de l’efficacité des actions sont tout aussi difficiles à définir. En outre, c’est un travail de long terme qui dépasse de loin des échéances des programmes de développement, généralement, fixées de trois à cinq ans. D’une manière générale, pour De Gaulejac, sociologue spécialiste du travail social en France, le développement social « est un domaine où la mesure de la production, de la qualité du service, des performances est aléatoire et multidimensionnelle. Elle ne peut jamais se réduire à une comparaison quantitative entre les objectifs fixés et les résultats obtenus. » (1989, p. 76) Ces incertitudes quant aux résultats du travail d’animation se retrouvent très fortement dans le discours des agents des autres composantes du programme Twize. Pour les membres de l’équipe de microfinance, l’activité d’animation relève beaucoup de l’improvisation. Ils encouragent l’équipe AAC à définir davantage de procédures, à utiliser rigoureusement les indicateurs prévus par le dispositif de suivi-évaluation du programme afin d’estimer mensuellement les réalisations de l’équipe. Ils préconisent une rationalisation de la journée de l’animateur avec une utilisation planifiée du temps entre les différentes tâches. D’une manière générale, pour cette composante fortement organisée, les animateurs AAC « ne savent pas ce qu’ils ont à faire 23 ». Le travail d’animation au sein de Twize manque d’organisation et relève trop de l’immédiat et du spontané pour garantir des résultats tangibles et durables. Le travail d’animateur ou d’agent de développement relève donc des «métiers flous » décrits par P. Jeannot (2005). Selon lui, cette imprécision concerne tant l’objet du travail, comme nous venons de le décrire, que la position. Elle est en effet une position d’interface entre une multiplicité d’acteurs : habitants, élus, leaders de quartiers, associations locales, ONG nationales ou internationales, institutions intergouvernementales, etc. Ainsi, «entre l’autonomie laissée aux agents face à des objets qui résistent à des partages de domaines 22 23 Cf. Cadre logique du programme Twize. Selon les propos recueillis au sein de l’équipe de microfinance. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 30 thématiques d’intervention et des prescriptions précises (…) l’activité se déploie dans un espace ouvert et n’est prédéfinie que de manière très floue. » (p. 138) L’imprécision du travail d’animation entrave la reconnaissance professionnelle de l’animation par d’autres corps de métiers. Le manque de reconnaissance est également d’ordre statutaire. Le difficile travail d’évaluation de l’animation met en cause son utilité, le condamnant ainsi à une position marginale au sein du programme, un travail qui s’occupe « d’états d’âmes », « d’idéalité », « de rêve. » (De Gaulejac, 1989, p. 76) 24 ? LA LEGITIMATION PAR L’UTILITE C’est précisément sur l’utilité que les membres de l’équipe AAC basent leur travail de légitimation de l’animation. L’approche interactionniste des professions met en évidence les ressorts utilisés par les individus exerçant une même activité pour être reconnus comme profession. Dans un article intitulé «Emergence d’un groupe professionnel et travail de légitimation », I. Baszanger montre comment les médecins de la douleur ont cherché à se faire une place sur la scène médicale. Victimes d’un manque de reconnaissance no tamment du fait de la difficulté qu’ils rencontraient à définir des pratiques stables pour leur activité, les médecins de la douleur ont développé « une revendication de l’utilité. » (p. 269) Ils ont cherché à démontrer en quoi, en ouvrant un espace spécialement centré sur la douleur, ils rendaient un grand service aux hôpitaux dans le cas où ils ont épuisé toutes les alternatives thérapeutiques contre ce mal incessant chez certains patients. La rhétorique de l’utilité, d’une manière générale, est un important levier du travail de légitimation pour une (future) profession. Il s’agit, pour l’activité en question, de convaincre le milieu socioprofessionnel dans lequel elle cherche à se faire reconnaître, qu’elle a une place spécifique. Dans le travail de légitimation, l’idée de place spécifique devient souvent place centrale avec la revendication, non plus de l’utilité, mais de la dimension incontournable du travail accompli. Certaines caractéristiques peu valorisantes deviennent alors le levier permettant de présenter le travail comme le « sale boulot » que peu de gens veulent faire mais qui pourtant est essentiel. Pour E. Hugues, effectuer un sale boulot contribue à donner au travail en question un certain prestige. (1996, p. 82) Ce schéma de pensée correspond pleinement à la stratégie de légitimation de l’équipe AAC. Elle se revendique en effet comme réalisant le travail le plus ingrat comparativement à l’ensemble des agents du 24 Je remercie A. Huygue Mauro pour son éclairage sur ce double manque de reconnaissance à la fois professionnelle et statutaire. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 31 programme Twize, à savoir celui d’arpenter constamment les quartiers à la rencontre des habitants. Pour les animateurs, ce travail est, également et par définition, le plus utile au programme car sans cette mise en contact du programme avec les individus auxquels il est destiné, les objectifs ne pourraient pas être atteints. On se trouve ainsi dans le schéma décrit par Hugues de la manière suivante : « Pour beaucoup de métiers, on peut définir la catégorie de ceux qui sont, pour ainsi dire, les consommateurs du travail et ou des services produits par d’autres. Les membres de ces métiers mènent fréquemment contre ces consommateurs un combat permanent pour leur statut et pour leur dignité personnelle. » (p. 83-84) Les animateurs AAC présentent en effet volontiers les autres équipes du programme comme des consommatrices des services d’animation pour la réalisation de leurs activités. Dans cette perspective, si le travail d’accompagnement des habitants dans la mise en œuvre de leurs projets aurait pu être considéré par l’équipe comme le plus prestigieux et donc constitutif de leur identité professionnelle, c’est, contre toute attente, le travail d’appui aux autres composantes qui est le plus source de valorisation pour les animateurs. III. La capitalisation : un moment tant attendu Le travail de capitalisation ne s’est donc pas déroulé dans un contexte vierge d’enjeux. Il est né des enjeux précédemment décrits et a été traversé par eux durant sa réalisation. Par conséquent, les attentes qui animaient les acteurs concernés de près ou de loin par ce travail étaient loin d’être collectivement partagées. Lors du déroulement des activités de capitalisation, elles ont révélé leurs différences et parfois leurs contradictions. 1. Pour la coordination du programme Twize : clarification et évaluation Les exigences en terme de performance, transparence et visibilité imposées par le CDHLCPI au programme Twize ont été à l’origine des controverses sur la création même d’une équipe d’animation comme quatrième composante. Moins efficace et visible d’emblée dans les quartiers que les autres composantes, elle n’était pas, pour le bailleur, une priorité. En outre, sa vocation à tisser des relations avec les communes de Nouakchott et à renforcer leurs capacités d’action sur les quartiers périphériques représentait une source de conflit d’intérêt avec l’administration centrale qui cherchait à freiner le processus de décentralisation afin de ne perdre ses prérogatives. Cependant, l’intégration d’une Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 32 équipe d’animation sociale au programme Twize a été défendue par le Gret parce qu’en accord avec sa démarche participative, et parce que l’amélioration de l’environnement urbain et la création de liens entre les quartiers populaires et les autorités municipales lui semblent un élément important de la lutte contre la pauvreté urbaine, complémentaire à l’amélioration de l’habitat. Elle a ainsi débuté son activité avec la nécessité de faire ses preuves. A quelques mois du terme du programme, les attentes vis-à-vis d’un travail de bilan s’exprimaient en termes de clarification mais également d’évaluation des activités de la composante. Pour la coordination du programme, la composante AAC manquait de lisibilité vis-à-vis du bailleur : les microprojets ne correspondent pas à une démarche assez claire et se pose la question de leurs répercussions en termes d’amélioration des conditions de vie. Pour le bailleur, « la structuration des quartiers, c’est de la philosophie. » Une évaluation de l’impact du travail de l’équipe AAC se présentait donc comme un besoin crucial. Le travail de capitalisation a donc fait l’objet d’un intérêt, de la part de la coordination et également relayé au sein du programme par la composante Microfinance, à voir se dessiner dans le rapport de capitalisation les résultats concrets voire chiffrés des actions de la composante AAC qui n’étaient pas perceptibles par simple observation dans les quartiers. Les premiers retours de la part de la coordination du programme sur le travail de capitalisation ont d’ailleurs témoigné de ce besoin de formulation d’une estimation finale de l’efficacité et de la pertinence de la composante d’animation du programme Twize. 2. Pour le siège du Gret : approfondir la connaissance La capitalisation des activités de la composante AAC a été suivie au niveau du pôle « Développement institutionnel, acteurs et territoires » (DAT) auquel l’équipe est rattachée ainsi qu’au niveau de la Direction scientifique en charge des questions de recherche et de capitalisation. Leur participation à ce processus s’est faite depuis le recrutement de la stagiaire, jusqu’à la validation du document final en passant par le suivi permanent, l’appui méthodologique, la relecture du document, etc. Leur influence a donc été non négligeable, notamment dans la définition des attentes. Celles-ci ont été énoncées lors du premier cadrage du travail de la stagiaire, avant son départ. Elles ont ensuite été réaffirmées tout au long du déroulement de la capitalisation. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 33 Pour le pôle DAT et la Direction scientifique, il s’agissait de faire avancer la connaissance et la réflexion sur la thématique de l’animation sociale dans le cadre d’une démarche revendiquée par le Gret « d'affirmer l'intérêt d'une production de connaissances, à partir de l'action, pour autant qu'elle s'appuie sur une exigence de rigueur et de distanciation25 . » Cette attente n’était pas exempte d’évaluation. Le processus de capitalisation proposé au niveau du pôle DAT et validé par l’équipe AAC se déclinait de la manière suivante dans le cahier des charges 26 : ? Mener un travail de bilan des acquis, activités et pratiques de la composante : réussites, échecs, actions plus ou moins pertinentes : qu’est ce qu’on fait ? Qu’est ce qu’on sait faire ? Comment on a fait ? Il s’agit de restituer une analyse cohérente de ce qui a été fait et produit par la composante AAC. ? Analyser ce bilan en resituant la composante dans le cont exte institutionnel et le jeu d’acteurs ainsi que dans les spécificités de la démarche du programme TWIZE. ? A partir, de ce bilan et de ces analyses, mener une réflexion collective sur les pratiques et la démarche de la composante et les limites. ? Atterrir sur des éléments de recommandations opérationnelles pour une démarche de développement local. D’une manière générale, la question formulée était la suivante : Quelles sont l’utilité et la pertinence d’une telle composante au sein d’un programme de développement urbain intégré ? L’évaluation diffère, cependant, nettement de la démarche de capitalisation. « La première doit produire un jugement de valeur, la seconde n’a d’autre objet que d’offrir ce qui dans l’expérience peut être utile aux autres 27 . » Si la capitalisation est proche de l’évaluation car elle doit procéder à une comparaison entre les objectifs et les résultats, elle n’a pas pour vocation d’effectuer un jugement de valeur. Elle est avant tout un outil de communication sur une pratique professionnelle et doit être formulée comme une connaissance à partager 28 . Pour cela, la recherche de l’objectivité est centrale. Lors de l’entretien de cadrage du stage avant le départ, les attentes de la Direction scientifique avaient été formulées ainsi : « Il s’agit de rendre visible ce qui a été fait, de produire une analyse cohérente, ancrée dans les pratiques des gens, de montrer ce qui a marché, ce qui n’a pas marché avec la vision la plus juste possible de ce qui s’est passé 29 . » 25 http://www.gret.org/activites/recherche_capit.htm Extrait du cahier des charges de la capitalisation. 27 Robert S., Ollitrault-Bernard A. (collab.), 2005. 28 De Zutter P., 1994. 29 Propos de Ph. Lavigne Delville, Directeur scientifique du Gret, vendredi 23 juin 2006 à Paris. 26 Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 34 3. Pour l’équipe AAC : démontrer les compétences et valoriser le travail Au départ, le souhait de réaliser un travail de capitalisation d’expérience provient de l’équipe AAC elle- même. Ce moment devait correspondre, pour les animateurs, à celui de la mise en lumière de leurs compétences afin d’annuler le préjugé de faible efficacité qui pesait sur la composante au sein du programme comme chez le bailleur. En effet, « le plus souvent, les praticiens qui promeuvent [l’analyse des pratiques] y voient une affirmation de leur pouvoir et de leur identité de professionnels (…) et il est probable que la mentalisation et la formalisation des processus [de leurs actions] permettent une affirmation plus forte de leur espace réel de responsabilité dans le fonctionnement social. » (Barbier, p. 36) Plus simplement, il apparaît important, lorsque les savoir- faire sont disséminés et que la formation s’est faite sur le tas, de « resituer le sens que les praticiens (…) attribuent à leur action, la manière dont ils se représentent les particularités et les enjeux de leur métier. » (Recondo, p. 32) Dans son travail sur la légitimation de nouvelles professions, I. Baszanger a montré le rôle que peut jouer la formulation de pratiques professionnelles stabilisées dans ce processus. A l’aide des théories de A. Staus s, elle explique comment, pour être reconnus comme catégorie à part entière du domaine de la médecine, les médecins de la douleur ont dû tout d’abord écrire collectivement l’histoire de leur groupe (theorizing) puis élaborer des « conceptualisations légitimantes », des standards qui incarnent de façon authentique les activités et les évaluent, des arguments qui puissent servir vis-à-vis de l’extérieur et comme indications (guidance) pour les membres ». (p. 274) D’une manière générale, les membres de l’équipe AAC souhaitaient montrer qu’ils disposent de compétences pratiques dont la mise en œuvre permet une amélioration incontestable des conditions de vie des habitants des quartiers d’intervention du programme Twize. Pour eux, cette démonstration demandait de mettre un accent tout particulier sur les méthodes et les outils développés. Cette attente entrait alors quelque peu en contradiction avec celles du siège du Gret. Pour le pôle DAT et la Direction scientifique, la formalisation des méthodes et des outils mobilisés par la composante ne devait pas tenir une place centrale. Un état des lieux des pratiques devait servir de base à des réflexions plus problématisées qui s’écartaient parfois des préoccupations premières des animateurs AAC. Pour ces derniers, il s’agissait avant tout de formaliser des pratiques afin de donner de la « consistance » au travail d’animation aux yeux des acteurs extérieurs. Dans cette démarche de réponse à l’extérieur, la capitalisation était fortement comprise Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 35 comme une valorisation de l’activité, écartant naturellement certaines exigences d’objectivité de l’analyse. La mise en œuvre de la méthodologie a donc été traversée par ces différents enjeux. Le bon déroulement de la capitalisation et la garantie d’un résultat cohérent demandaie nt d’adopter une posture constante tout au long du travail. La recherche de l’objectivité d’une analyse basée sur une investigation de terrain rigoureuse a été progressivement reconnue comme garante de la crédibilité du document final par l’équipe et a constitué le fil conducteur autour duquel s’est déployé un certain nombre d’outils, de méthodes mais également de négociations. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 36 PARTIE 2 Le pro cessus de co-pro duction d’une connai ssanc e sur les activi tés d’ animation Le lancement du travail de formalisation des pratiques professionnelles de l’équipe AAC a débuté par une fixation des objectifs et de la méthodologie. Cela a donné lieu à plusieurs séances de travail collectif réunissant l’équipe AAC, Emilie Barrau du siège du Gret en charge du suivi des activités de l’équipe et moi (on me reconnaîtra sous le nom d’ « accompagnatrice » tout au long de cette partie). L’accompagnatrice et la base arrière ont proposé la méthodologie qui a été validée par l’équipe AAC. La question de la place des outils et des méthodes employés par l’équipe pour mener à biens ses activités a été discutée. Les animateurs ont réaffirmé leur volonté de voir leurs outils et leurs méthodes mis en valeur. Ils ont été rassurés sur la place qui leur serait donnée dans le document final. La nécessité de se donner des thèmes de travail pour guider la capitalisation a conduit à un consensus autour de quatre axes reconnus comme importants et couvrant l’ensemble des activités de l’équipe : le travail d’animation, les microprojets, les relations avec les autorités locales et l’appui fourni aux autres équipes du programme Twize. Les divergences dans les attentes ne se sont pas révélées d’emblée. Elles se sont précisées progressivement lorsque le travail de capitalisation est réellement entré dans sa phase de mise en oeuvre. Elles ont alors donné lieu à des discussions et éclaircissements sur la démarche à plusieurs reprises afin de retrouver des terrains d’entente et de s’assurer que l’ensemble des acteurs allait dans le même sens. Cette deuxième partie a pour vocation de décrire de manière approfondie différents aspects et étapes de la réflexion collective. Nous verrons dans un premier temps quel rôle jouent les modalités d’interaction entre les acteurs dans la production de connaissance sur les pratiques. Dans un deuxième temps, nous examinerons les étapes du processus en luiLaetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 37 même et les enjeux inhérents à chacune d’elles pour atteindre les objectifs. Enfin, nous questionnerons l’utilité de ce travail en cherchant à identifier ses effets immédiats sur l’action de l’équipe. I. Chacun ses rôles : positionnement production de connaissances des acteurs et Une part importante du travail de capitalisation a consisté à faire en sorte que les acteurs opérationnels adoptent une attitude réflexive sur leurs pratiques professionnelles afin de nourrir les échanges. Les différentes modalités d’interaction avec l’accompagnatrice ont stimulé cette réflexion. Il s’agit ici de décrire les positionnements des acteurs et de voir en quoi ils ont contribué à la production d’analyses. 1. La position d’accompagnatrice ? L’APPRENTISSAGE COMME PREALABLE Pour l’accompagnatrice, la position d’intervenant extérieur devait apporter un regard distancié afin de permettre à l’équipe de prendre du recul sur ses pratiques. Cependant, afin d’alimenter le travail de maïeutique, l’accompagnatrice devait avoir une « connaissance intime des situations » (Lavigne Delville, 2004, p. 26). Une période d’apprentissage a donc été nécessaire afin de lui permettre de poser des questions impulsant réellement une réflexion. Du fait de sa faible connaissance de leurs activités, les premières questions et pistes proposées se sont souvent révélées stériles. Pour P. Vermersch, psychologue et psychothérapeute spécialisé dans l’accompagnement à la réflexion sur les pratiques professionnelles, « les questions qui viennent spontanément à un interviewer non formé sont basées sur ses besoins d’information. » (2004, p. 79) La phase d’apprentissage de l’accompagnatrice a donc consisté tant à l’acquisition de techniques d’entretien pour la formulation de questions favorisant une attitude réflexive qu’à l’acquisition de connaissances précises sur la pratique des animateurs. Il a été permis par une immersion au sein de l’équipe et par la participation de l’accompagnatrice à ses différentes activités. D’une manière générale, cette période a été celle d’une rencontre, d’une prise de connaissance des manières de faire et de penser des animateurs, d’une identification de leurs attentes réelles vis-à-vis de la capitalisation, de leur perception du travail de l’accompagnatrice, etc. Ce fut celle d’une intégration au sein de l’équipe et de la construction d’une relation favorable à la réalisation du travail. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 38 ? LA CONSTRUCTION D’UNE RELATION DE CONFIANCE ET DE DIALOGUE La production d’une connaissance partagée au sein de l’équipe et entre l’équipe et l’accompagnatrice a dû passer par la mise en place d’un réel dialogue. Compte tenu de l’histoire des pratiques de coopération entre les agents du Nord et les agents du Sud dans les projets de développement et aux logiques largement descendantes qui ont longtemps été utilisées dans un but de transfert des compétences, le risque de créer une relation asymétrique entre les animateurs et l’accompagnatrice était important. De par sa formation et sa provenance, l’accompagnatrice disposait de ce que P. Bourdieu a nommé un « capital symbolique », lui conférant un pouvoir d’imposer sa vision des choses aux membres de l’équipe. (Darré, 2006, p. 19) Cependant, le fait que l’accompagnatrice soit une jeune femme au statut de stagiaire a permis de limiter la violence symbolique qu’elle aurait pu exercer par sa maîtrise de la langue française et son discours bien construit. En outre, si la « position de non-savoir sur le métier » (Masson & Cypel, 2004, p. 117) est un inconvénient pour le travail de maïeutique car elle nécessite un apprentissage, elle permet un équilibrage des savoirs favorable à l’établissement d’un dia logue symétrique. L’accompagnatrice disposait certes de compétences en matière de réflexion, d’analyse et de rédaction, mais elle avait tout à apprendre des manières de faire de l’équipe au sein de laquelle elle s’insérait. Ainsi, la plupart des animateurs ont pu développer aisément leur pensée, leurs remarques et leurs critiques sur les propositions d’ana lyse que faisait l’accompagnatrice. Pour cela, il était souvent nécessaire de rappeler la nature provisoire, la dimension de proposition ou d’essai qu’avait cette analyse afin de la rendre « attaquable » aux yeux des animateurs. Il était nécessaire de s’assurer de l’humilité du ton de présentation pour favoriser un échange constructif et éviter soit le désaccord total, soit l’absence de débat. D’une manière générale, il s’agissait de construire une relation de confiance avec les animateurs. Si la capitalisation n’est pas une évaluation, certaines activités sont similaires. En effet, «capitaliser, c’est questionner une expérience, la discuter, voire la remettre en cause (…) Même si [elle] ne consiste absolument pas à porter un jugement sur les qualités professionnelles des personnes qui ont conduit ou porté un projet, elle peut être ressentie comme telle. » (Lavigne Delville, 2004, p. 5) Il a donc été essentiel pour l’accompagnatrice de se construire une image qui s’éloigne au maximum de celle de l’évaluateur afin de recueillir de la part des animateurs un discours le plus sincère possible. Il s’agissait de ne pas reproduire, avec l’équipe, la relation qui s’est tissée avec les autres Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 39 composantes du programme c’est-à-dire de ne pas faire en sorte que les animateurs se retrouvent dans la position de vouloir démontrer leurs qualités professionnelles à l’accompagnatrice. Plus que la confiance, c’est quasiment une complicité qu’il fallait créer, tout en restant vigilant pour ne pas perdre son extério rité. La confiance devait permettre à l’équipe de se défaire de ses complexes pour parvenir à dialoguer de manière constructive. ? LES FONCTIONS DE L’ACCOMPAGNEMENT Le rôle d’accompagnatrice a demandé d’occuper différentes positions aux différentes étapes de la capitalisation. Certaines, comme le travail d’enquête, ne consistent pas en un accompagnement. D’autres en revanche ont une dimension d’aide ou d’appui pour la réalisation des objectifs qui étaient fixés. L’aide à l’explicitation en est une. Elle est développée de manière plus approfondie dans les paragraphes suivants30 . Le principe de la proposition en est une autre. C’est une manière de susciter la réflexion, de la faire avancer. C’est une action qui doit permettre d’« activer la production de parole » chez les acteurs opérationnels. (Darré, 2006, p. 73) En proposant, l’accompagnatrice invite les membres de l’équipe à réfléchir plus avant sur certaines questions. Elle soumet à la discussion sa propre vision des choses, présentée comme une image de la réalité prête à être déconstruite, critiquée, transformée, annulée dans le but d’en produire une autre correspondant davantage à la vision de l’équipe. « Cette activité n’est efficace que si les propositions d’orientation sont fondées, de façon visible, sur ce qui est dit par les membres du groupe. (…) Cela doit se trouver dans la direction, dans le « sens » de la parole du groupe. » (p. 75) Appliquée à la capitalisation des activités de l’équipe AAC, cette recommandation renvoie à la confrontation entre la vision que l’accompagnatrice se construisait des pratiques des animateurs grâce aux enquêtes de terrain et celle de l’équipe elle- même. Elle justifie le principe méthodologique selon lequel le dialogue entre l’accompagnatrice et les animateurs devait être fondé, côté accompagnateur, sur une lecture de la réalité sociale appuyée sur une grille et par des outils provenant des sciences sociales. La rencontre des visions est également une rencontre des façons de comprendre la réalité. L’accompagnement devait donc également être celui de l’information produite à l’issue 30 Pour plus de détail, voir « De la connaissance tacite à la connaissance explicite », p. 47 Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 40 des enquêtes de terrain, selon l’expression de J. P. Baré (1995). Les grilles de lecture, les façons d’analyser et de rédiger ces analyses sont conditionnées par le champ professionnel ou disciplinaire auquel appartiennent les individus. « Le rôle de la socio-anthropologie ne se limite pas à produire de la connaissance. Il est aussi de la rendre accessible. » (Lavigne Delville, 2004, p. 99) Si le travail anthropologique réalisé par l’accompagnatrice durant la capitalisation de l’équipe AAC n’est pas de l’ordre d’une recherche scientifique, la production de connaissances issues des enquêtes était toutefois déterminée par sa formation universitaire en anthropologie du développement. Elle nécessitait la transformation du jargon des sciences sociales en une information plus proche des manières de s’exprimer des animateurs. D’une manière générale, l’accompagnement de la capitalisation est de l’ordre d’un travail d’animation. Il s’agissait d’organiser la réflexion en planifiant les séances de discussion, leur préparation, leur déroulement. Au cours des débats, le rôle de l’accompagnatriceanimatrice était de guider la discussion par le principe de proposition, la formulation de questions permettant un approfondissement, par le recentrage sur certains thèmes, la mise en évidence de l’évolution de la réflexion et enfin la synthèse. 2. Modes d’interaction avec les animateurs et production de connaissance Si les conditions de la participation des animateurs AAC à la capitalisation étaient précisées dans le cahier des charges 31 , les conditions de leur implication dans les enquêtes de terrain n’avaient pas été définies au préalable. A posteriori, on constate que ce temps de capitalisation a été ponctué d’une multitude de types d’interaction différents entre les animateurs et l’accompagnatrice, interactions productives de manière variable en termes de connaissances sur les pratiques des animateurs. Ces derniers ont été alternativement producteurs d’information brute sur leurs pratiques, facilitateurs et/ou collaborateurs dans les enquêtes de terrain, parties prenantes de la réflexion collective et enfin détenteurs de la 31 Extrait du cahier des charges de la capitalisation (Cf. Annexe 5, p. 103) : « L’équipe AAC est totalement impliquée dans le travail de capitalisation : Elle participe activement au temps de réflexion collective Réalise les enquêtes et questionnaires spécifiques dans les quartiers Valide les hypothèses et les conclusions Accompagne Laetitia dans son travail de terrain. » Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 41 responsabilité de valider une version définitive de l’analyse de leurs pratiques. Ces différentes positions ont apporté une contribution particulière au travail de capitalisation. ? LA FOURNITURE D’INFORMATION BRUTE : UNE PREMIERE FORMA LISATION La fourniture d’information brute répondait à deux objectifs : l’information de l’accompagnatrice durant sa phase d’apprentissage et l’explicitation de savoir-faire et de pratiques. Au cours des échanges individuels entre l’animateur et l’accompagnatrice, une première formalisation des pratiques avait lieu. Se faisant à un niveau individuel, elle était valable uniquement pour l’animateur concerné. Le travail d’analyse et de comparaison permettait ensuite d’effectuer une formalisation des pratiques de l’ensemble de l’équipe. L’extrait d’entretien qui suit montre ce travail de formalisation par un animateur de ses activités d’information des habitants. Extrait d’un entretien entre l’accompagnatrice et Thierno Bâ (animateur dans le quartier de Médina) A la fin d’une matinée d’enquêtes dans le quartier de Médina, l’accompagnatrice retourne à l’antenne Twize où elle rencontre, Mariam, leader dans la zone appelée LAR 4 du quartier. Elle était en colère car elle avait entendu dire que cette personne faisait un recensement des coopératives dans le quartier et mais elle ne l’avait pas vu passer chez elle. Thierno Bâ (l’animateur), a essayé de lui expliquer les raisons de sa présence dans le quartier mais en vain. Retour sur ce moment lors d’un entretien au bureau de l’équipe AAC. LM : Tu as revu Mariam, elle est toujours fâchée ? TB : Oui, elle croit toujours la même chose. Je lui ai encore expliqué mais elle ne veut rien entendre. Avec les habitants, il faut faire preuve de beaucoup de pédagogie. On leur explique souvent plusieurs fois les mêmes choses. Les gens ont du mal à comprendre le principe du programme Twize. Il faut les informer de manière très pédagogique pour qu’ils finissent par comprendre ce que nous faisons et comment nous le faisons. Les habitants peuvent soupçonner très rapidement l’animateur de tirer profit des fonds fournis par le programme Twize. Il faut souvent réexpliquer la démarche et prouver qu’on ne s’accapare pas d’argent, qu’on ne profite pas de sa position pour tirer des bénéfices personnels. On veut accompagner les gens dans leur changement de mentalité dans le sens du bien commun. Cette pratique s’est révélée être partagée par les autres animateurs et a donc été développée et validée par l’ensemble de l’équipe. Les animateurs se sont reconnus comme pratiquant une sorte pédagogie permanente, comme étant des traducteurs du message du programme à la population. Les animateurs AAC doivent sans cesse rappeler que les objectifs du programme Twize vont dans le sens de l’intérêt général et de l’amélioration des conditions de vie de tous, ce qui n’est pas quelque chose d’évident pour les habitants. En effet, dans le fonctionnement de la société mauritanienne ceux qui possèdent redistribuent leurs Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 42 richesses autour d’eux dans le but d’accroître leur prestige. Les actes en faveur de la communauté ne sont donc jamais gratuits. Et les activités du programme Twize sont comprises à travers cette grille de lecture. L’animateur doit en permanence montrer qu’il ne retire aucun intérêt du projet d’assainissement qui a été mis en œuvre avec son appui et le financement du programme Twize. ? L’ANIMATEUR COMME ENQUETEUR Les enquêtes de terrain, destinées à construire chez l’accompagnatrice une connaissance et une vision de l’activité de l’équipe AAC, ne pouvaient se réaliser sans l’appui des animateurs. Ils ont donc joué un rôle de facilitateur, d’intermédiaire permettant de mettre en relation l’accompagnatrice avec les différents acteurs concernés par les enquêtes (habitants, leaders de quartier, porteurs de projets, élus municipaux, etc.). Ces positions ont pris des formes aussi variées que l’étaient les personnalités des membres de l’équipe. Faciliter le contact des gens à rencontrer sans participer aux entretiens, jouer le rôle de traducteur lorsque celui-ci faisait défaut, accompagner l’enquête du début à la fin ou encore se mettre dans la position de l’enquêteur sont les différentes configurations qui ont existé. Elles ont été fonction de la volonté des animateurs, de leur compréhension de la démarche de capitalisation et de leur rôle. Cette liberté laissée à l’animateur de se positionner pour ce type d’activité correspondait au souci de l’accompagnatrice d’obtenir de sa part le maximum de sincérité dans la participation à la capitalisation et visait à contrecarrer au maximum le discours automatique de valorisation de son activité. Le respect par l’accompagnatrice de la position qu’il avait choisi d’occuper devait permettre de rendre l’interaction la plus productive possible en termes de réflexion sur les pratiques. Certains animateurs ont d’emblée adopté une position réflexive et se sont placés du côté de l’enquêteur pour participer à la réalisation des entretiens. Leur principal souci était de limiter au maximum la langue de bois à laquelle un intervenant extérieur de provenance occidentale est systématiquement confronté dans les entretiens avec les habitants. Il s’agissait donc pour eux de présenter l’accompagnatrice de la capitalisation, l’objet de sa présence et de son travail, l’objectif de l’entretien mais également de poser des questions lors de l’entretien et de chercher à obtenir de l’interviewé des informations de qualité. Pour Abderahmane Ndiaye, animateur AAC dans le quartier de Couva, la simple présence de l’animateur lors des entretiens permet de gagner en sincérité de la part des enquêtés. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 43 Extrait de l’entretien de Hinte, leader dans le quartier de Couva Dans le cadre de la réflexion sur les relations que les animateurs entretiennent avec les leaders de quartier, Abderahmane Ndiaye présente l’accompagnatrice de la capitalisation à Hinte pour un entretien. LM : Tu lui as expliqué pourquoi nous sommes là ? NA : Je lui ai dit que nous sommes là pour parler avec elle de sa fonction de leader dans le quartier et de personne ressource de Couva. Je lui ai dit qu’elle n’a qu’à répondre, c’est tout. Qu’elle n’essaye pas de… Qu’elle n’a qu’à répondre tel que c’est et c’est tout. Bon, elle ne peut pas beaucoup durer parce, bon, elle sait que j’en sais quelque chose. Malgré les précautions prises par les animateurs, les entretiens comportaient en général une part importante de discours construit en fonction de l’interlocuteur. Un travail rétrospectif avec l’animateur sur ce qui a été dit pendant l’entretien permettait ensuite d’en faire une première analyse et de décoder les paroles qui avaient été prononcées. II. Décomposition du processus de maïeutique : formaliser l’informel La méthode ETED 32 , mise au point au Centre de recherche pour l’emploi et les qualifications (CEREQ) propose une démarche à laquelle ressemble beaucoup celle mise en œuvre lors de la capitalisation des activités de l’équipe AAC. Elle a pour objectifs de « [structurer] le recueil d’information, l’analyse de cette information, la présentation des résultats et le dialogue entre les personnes chargées de conduire cette analyse et celles qui attendent un éclairage. » (Liaroutzos & Sulzer, 2006, p. 9) L’ouvrage de J.P. Darré sur La recherche coactive de solutions entre agents de développement et agriculteurs offre également des repères méthodologiques fondateurs sur le dialogue entre acteurs issus de cultures, notamment professionnelles, différentes. Après la définition collective des objectifs, le processus mis en œuvre pour la capitalisation de l’expérience des animateurs AAC a suivi un certain nombre d’étapes précises. Il a débuté par un travail d’expression des animateurs sur leurs pratiques à l’occasion de différentes activités (principalement des entretiens) permettant une première formalisation plus individuelle que collective. A la suite de cette première phase, les enquêtes de terrain menées avec l’accompagnatrice devaient permettre d’élargir la réflexion au contexte social d’intervention de l’équipe et de questionner les discours des animateurs par rapport à ce contexte. L’analyse produite par l’accompagnatrice était donc présentée à l’ensemble de 32 Emploi-type étudié dans sa dynamique. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 44 l’équipe et exposée à ses réactions pour validation. La version définitive de l’analyse est ainsi le reflet du consensus obtenu à l’issu des débats. 1. La formalisation des pratiques : l’exemple de la relation aux leaders de quartier ? ELEMENTS DE DEFINITION SUR LES SAVOIRS IMPLICITES La description demande de formuler un certain nombre de détails sur les manières de faire, les procédés, la méthodologie de l’action. Or, ceux-ci ne sont pas accessibles d’emblée. P. Vermersch met en évidence la distinction entre conscience préréfléchie et conscience réfléchie sur la base des travaux de Husserl. La plupart du temps, au moment, d’une action, nous avons conscience de ce que nous vivons et non de la façon dont nous percevons ce moment. La conscience préréfléchie correspond, par exemple, à l’état dans lequel on se trouve lorsqu’on prend connaissance du contenu d’une notice, lorsqu’on assiste à un spectacle. La conscience réfléchie correspond au fait d’avoir conscience de la conscience que l’on a du spectacle ou du contenu de la notice. C’est cette conscience là qui nous permet de décrire ce que nous faisons, d’en avoir connaissance et donc de l’analyser. « En conséquence, tout ce qui est encore seulement préréfléchi est comme absent de ma connaissance, comme si je ne le connaissais pas faute de l’avoir reconnu. Ce n’est pas gênant pour agir, et même de manière efficace. En revanche, pour produire une description détaillée de ce que j’ai fait, ce qui n’est encore que préréfléchi est comme inconnu, absent. (…) Ce que j’ai vécu ne se donne pas à moi spontanément dans le détail. » (Vermersch, 2004, p. 74) Il faut donc aller chercher ce vécu, provoquer une expression à son sujet. Pour la capitalisation des activités de l’équipe AAC, différents supports et procédés ont été mobilisés : les documents, les entretiens et les observations. ? LE ROLE DES TRACES ECRITES Dans le cadre des projets de développement, différents types de documents tels que les documents de projets, les documents de suivi, les comptes rendus de réunions ou d’événements, les rapports d’activités sont autant de supports de fixation d’une description de l’action ou de la démarche suivie pour réaliser l’action. Les activités de l’équipe AAC comportent cette partie de production de traces de l’action afin de pouvoir en rendre compte. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 45 Pour le travail de capitalisation, ils ont été mobilisés à différentes fins. Ils servaient essentiellement de support pour comprendre l’action. Ils étaient consultés en premier lieu avant d’entrer dans une démarche de réflexion sur l’action en question, avant la réalisation d’entretiens avec les animateurs et d’enquêtes de terrain. Ils correspondaient à l’étape d’apprentissage de l’accompagnatrice et aidaient à la préparation des entretiens et plus généralement à la construction de la méthodologie d’enquête. Les documents présentés au comité d’attribution des microprojets servaient, par exemple, de base à la compréhension de la démarche suivie pour la mise en œuvre du projet : demande de départ, objectifs, acteurs impliqués et leur rôle, montage institutionnel et financier, impacts attendus, etc. Une capitalisation comprend également une part de listage des activités menées. Il s’agit de donner une vision globale et historique des actions, notamment sous la forme de tableaux permettant de visualiser facilement le travail accompli. Les divers documents de suivis sont alors très utiles pour réaliser ces récapitulatifs. Tableau 1 Projets mis en oeuvre par l'équipe depuis 2003 Nouakchott Date 2005 Couva Intitulé du projet Aménagement et équipement d’un centre féminin de tannage de cuir Domaine Economique 2004 Equipement d’un jardin d’enfants Education 2003 Projet de ramassage des ordures ménagères Environnement Basra 2005 Construction d’une loge de gardien, réhabilitation des bassins d’eau et extension d’une salle de lecture Education Médina 2005 Délégation du service de ramassage des ordures ménagères par la mairie à un comité de gestion Environnement 2005 Réhabilitation des salles de classe et construction d’une loge de gardien Education 2004 Equipement et appui au centre de santé « femmes et enfants de Nezaha » Santé 2005 Désensablement et réhabilitation du mur d’enceinte de l’école Mohamed Mahmoud O/ Tlamid Education 2004 Aménagement et équipement d’un centre de promotion des activités féminines Economique 2003 Equipement du jardin d’enfants « Nejah » Education 2005 Réhabilitation de 8 bassins de stockage d’eau Eau 2004 Prolongement du projet pilote d’arborisation Environnement Projet de ramassage des ordures ménagères Environnement Projet pilote d’arborisation Environnement Nezaha Saada Dar El Beïda 2003 Teyssir Mise en place d’un système d’approvisionnement en 2005 eau 2004 Eau Equipement d’un jardin d’enfants Education Réfection de l’école « El Amani » Education Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 46 Ces documents fournissent cependant une information très partielle sur la réalité en fonction de l’utilité qui leur est conférée au sein de l’équipe, des conditions matérielles et psychologiques dans lesquelles se trouvait l’animateur moment de la rédaction, etc. Cette information ne peut se suffire à elle- même et ne vient qu’en appui à un travail plus approfondi notamment par la réalisation des entretiens permettant d’entrer dans le détail des activités menées. DE LA CONNAISSANCE TACITE A LA CONNAISSANCE EXPLICITE33 ? « Le mot « détail » est important. Si l’on me demande ce que je fais en ce moment, je n’ai aucune difficulté à dire que je tape sur le clavier de l’ordinateur et que j’écris un article. J’ai la conscience réfléchie de mon activité globale et de mes buts. En revanche, si l’on me demande de décrire les fils conducteurs qui me guident dans l’écriture de ce passage, ou de décrire les activités motrices des doigts, ou les endroits où mon regard se pose spontanément, cela ma demande l’effort de m’y rapporter et peut me paraître inaccessible. Je sais ce que j’ai fait, mais cela ne se donne pas immédiatement dans le détail, et même souvent, je n’ai pas la croyance que je puisse le retrouver. » (Vermersch, 2004, p. 74) Le travail réflexif présente un certain nombre d’obstacles : il s’agit de pouvoir revenir dans le passé pour se remémorer les actions réalisées mais également de pouvoir les décrire dans le détail. Le travail de l’accompagnatrice de la capitalisation consiste à fournir une aide à la remémoration et à l’explicitation. Avec l’équipe AAC, le retour dans le passé ne fut pas central. Les activités concernées par la capitalisation étaient toujours en cours. C’est d’ailleurs pourquoi les moments d’observation et de participation au travail des animateurs par l’accompagnateur ont joué un rôle important, qui sera développé ci-après, dans la production de connaissances sur leur travail. Il s’agit ava nt tout de favoriser l’explicitation, la formulation des pratiques grâce à des questions. Dans l’entretien entre l’accompagnatrice et l’animateur, « l’enjeu (…) est d’obtenir une verbalisation suffisamment détaillée du vécu afin qu’elle devienne intelligible. » (Vermersch, 204, p. 78) La formulation des questions et des relances a donc un rôle central. Elles doivent aboutir à l’expression d’une réponse contenant une information précise permettant de faire avancer la connaissance sur l’action. La formulation des questions doit permettre la remémoration. Elle doit guider sur des 33 Lavigne Delville, 2004, p. 8 Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 47 événements concrets lors desquels le type d’activité étudié a été mis en œuvre. Les relances ont notamment pour but de préciser l’information et de faire ressortir sa cohérence avec les autres informations énoncées auparavant. Relancer demande une grande vigilance dans la formulation dans la mesure où l’on peut facilement tomber dans l’induction de réponses. Il convient de s’efforcer de poser les questions les plus ouvertes possible pour ne pas entraîner la personne dans une direction particulière. Le thème de la relation entre les animateurs et les leaders de quartier a donné lieu à la réalisation d’entretiens longs et approfondis. Un entretien avec Abderahmane Ndiaye a permis de mettre en évidence les informations dont il dispose sur les leaders de son quartier mais également l’attitude qu’il adopte avec les uns et les autres. Entretien avec Abderahmane Ndiaye sur sa relation avec les leaders du quartier de Couva LM : Est-ce qu’il y a des gens qui sont considérés comme leaders dans le quartier mais qui ne sont pas utiles pour toi parce que trop politisés… AN : Dah, M’Barké. LM : Délibérément, tu ne veux pas travailler avec eux… AN : J’ai vu qu’il n’y en a rien à tirer. Dans les réunions, ils ont tendance à tirer vers le parti, à s’approprier la réunion, les idées. Ce qu’on amène… ils ont tendance à dire, c’est nous qui avons amené cette chose. On a vu ça avec le marché. Ils ne veulent pas que les autres cotisent parce qu’ils veulent que ça soit leur marché. C’est M’Barké, Hidoumou, un leader que je n’ai jamais voulu rencontrer. Je le connais depuis le sixième. Un type politisé, un voyou. Lui, M’Barké et Dah. (…) LM : A ton avis, qu’est-ce que ça leur apporte à ces leaders d’être impliqués dans le programme Twize, de porter un projet ? AN : Pour les projets, ils retirent un prestige. Ils disent que c’est eux qui ont apporté le projet. LM : Donc ils se l’approprient en quelque sorte… AN : Ils se l’approprient et parfois ça se conclut comme le projet d’assainissement. Dès que le projet a été financé, elles se sont tout partagé. Au lieu que les charrettes servent à ramasser les ordures et consorts, ils vendaient l’eau. Lorsqu’il y a plus d’eau, de pression…. M’Barka a arrêté. Bien avant Libraze. Elle a fonctionné une année après. Mais elle aussi, elle vendait trop l’eau. Elle a trouvé que la charrette était trop lourde. Elle l’a vendue. (…) LM : Et Chabe, le projet de tannage, ça lui a aussi permis… AN : Ah oui, oh la la ! Ça c’est très dommage. Ça lui a permis de se mettre au devant. Avant, les gens croyaient que c’était à cause d’elle qu’il y avait le projet. Il a fallu que je refuse. J’ai fait des réunions au tannage, là où elles travaillent. J’ai dit si c’est celle-ci seulement que vous retenez, je ne parle plus avec elle. Parce que peut être elle amène des informations, peut être qu’elle n’amène pas des informations correctement. Vous allez croire aussi que le projet, que c’est elle… Elle dit à certaines d’entre vous « si tu fais le malin, je te sors de mon projet. » J’ai dit : « ça, je refuse. Donnez moi des gens…. » J’ai demandé un groupe de trois ou quatre personnes avec lesquelles on va faire les démarches. Les demandes, les devis, etc. toutes les démarches qu’il devait y avoir, la mairie, la préfecture, les demandes de terrains… surtout pour les demandes de terrain, j’ai vu que souvent elle venait me voir. On partait voir le préfet. A un moment donné, on a failli… les femmes commençaient à croire qu’on donnait un terrain à Chabe. (…) LM : Donc il a fallu un peu recadrer Chabe… AN : Ah oui, oui. Il a fallu la recadrer carrément, carrément. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 48 Cet entretien a ainsi contribué à la mise en évidence d’une pratique qui s’est révélée commune à l’ensemble des animateurs de l’équipe : celle d’écarter les leaders trop ambitieux et animés par des élans personnels. Si la personne du leader est utile aux animateurs pour mobiliser les habitants des quartiers, les réunir, faire passer un message, elle peut également être un frein à l’activité de l’animateur en cherchant à faire des responsabilités qui leur sont données, dans le cadre des microprojets notamment, des moyens d’augmenter leur ressources à la fois matérielles et symboliques. Ainsi, les leaders les plus enclins à ce type de stratégie sont surveillés de près par les animateurs. Ils sont « marginalisés 34 » lorsque le partenariat avec eux est trop chargé d’enjeux. ? IDENTIFIER L’INTUITIF : LE ROLE DE L’OBSERVATION PARTICIPANTE La participation aux activités des animateurs a permis de rendre l’action en train de se faire plus réflexive qu’elle ne l’est ordinairement. Les situations vécues étaient questionnées dans la foulée. Le regard distanc ié de l’accompagnatrice lui permettait de poser des questions qui explicitaient la démarche alors même qu’elle était en train de se faire. Le fait de se situer dans une posture d’action et non dans celle de l’entretien favorisait, en outre, les discussions informelles, en général plus productives d’information que les situations formelles. Au cours d’une semaine d’observation et de participation aux activités de l’animateur dans le quartier de Dar el Beïda, certaines situations de rencontres non organisées avec les leaders ont permis un approfondissement de la connaissance sur les relations avec les leaders. La question de la marginalisation des leaders trop politisés a notamment été éclaircie grâce à l’observation d’une longue conversation riche en argumentation mais également en plaisanteries entre l’animateur et le leader le plus politisé du quartier et donc présenté préalablement comme écarté du programme pour cette raison. Lors d’un entretien sur son travail avec les leaders de son quartier, l’animateur avait décrit l’histoire la relation entre le leader et le programme Twize jusqu’à son écartement du programme sans donner davantage de détails. Après observation de cette conversation, il a ainsi été possible de mettre en évidence toute une facette de la relation, beaucoup plus intuitive et non formalisée qui consistait pour l’animateur à ne pas se couper totalement de lui. Il a ainsi donné de plus amples explications : 34 Selon les propos de Chérif Ould Brahim, conseiller de quartier à Dar el Beïda. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 49 « Pour ne pas trop les (les leaders) marginaliser, l’animateur se détourne d’eux gentiment. Il les tient toujours informés. On reste gentil avec eux. On les taquine. Ils savent qu’on les connaît. » 35 Ce retour réflexif a donc permis d’identifier avec davantage de précision les liens existants entre les animateurs et les leaders. Ces derniers sont des personnes centrales pour la réalisation des activités des animateurs qui ont donc dû développer des stratégies afin de ne pas se priver de leur aide mais également de ne pas risquer de se faire instrumentaliser par eux. Le jeu entre l’observation et la discussion est donc de l’ordre du processus itératif. Les premiers entretiens ont donné des clés de compréhension indispensables à l’accompagnatrice. Cependant, ils se sont bien souvent avérés insuffisants et n’ont pas permis d’épuiser, par la parole seulement, l’ensemble des pratiques mises en œuvre. L’observation a donc donné accès à des manières de faire plus intuitives et spontanées qui ont ensuite été de questionnées et explicitées lors de nouveaux entretiens ou lors des débats collectifs. 2. L’analyse contextualisée ? ELARGIR LA REFLEXION AU D’ASSAINISSEMENT A MEDINA SYSTEME D’ACTEURS : L’EXEMPLE DU SERVICE L’animation étant un ensemble d’activités éminemment relationnelles, le travail d’analyse des pratiques de l’équipe AAC demandait donc de porter attention aux différents acteurs qui interagissent avec les animateurs ainsi que leurs logiques. Une analyse des perceptions de l’action de l’équipe par les acteurs concernés devait permettre de questionner et d’approfondir un certain nombre d’éléments du travail d’animation. C’est à ce niveau que les enquêtes de terrain menées par l’accompagnatrice ont joué leur rôle. L’analyse de la mise en œuvre des microprojets, par exemple, a demandé un élargissement de la réflexion par rapport à la seule démarche méthodologique. Une identification puis la rencontre des différents acteurs concernés a permis de mettre en évidence le contexte social dans lequel les microprojets AAC viennent s’insérer. Le service d’assainissement fourni dans deux secteurs du quartier de Médina par un comité d’habitants soutenu par 35 Idem. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 50 l’équipe AAC a fait l’objet d’enquêtes de terrain donnant lieu à des observations et des entretiens avec les membres du comité, les adhérents et un élu municipal. Il a ainsi été possible d’identifier les différents enjeux entre lesquels évolue l’animateur et de mettre en évidence sa compréhension de cet environnement, ses marges de manœuvre, ses choix stratégiques, son influence dans la mise en œuvre d’un service devant, à terme, fonctionner de manière autonome. La satisfaction des adhérents de pouvoir bénéficier d’un service de ramassage des déchets régulier et peu coûteux s’est révélée quasiment générale. Leur intérêt était donc de voir ce service perdurer voire s’étendre. Il était partagé par l’équipe municipale qui, ayant été impliquée dans la mise en œuvre du projet, avait pu augmenter sa visibilité auprès des habitants. Ces derniers considèrent d’ailleurs que le comité d’assainissement est rattaché à la commune. Cependant, la mise en service d’une collecte des déchets dans le quartier ne s’est pas faite dans un contexte vierge de rapports de pouvoirs et logiques d’intérêts. Au sein du comité d’habitants porteur du projet, les visions divergent sur la manière de faire fonctionner le service. Une des membres, présidente au moment du lancement du projet, devenue secrétaire générale par la suite, jouit d’une certaine notoriété dans le quartier de par son activisme politique et sa bonne connaissance du monde du développement. Le projet d’assainissement représentait pour elle un moyen d’accroître un peu plus son influence. Elle a cherché à avoir une importante emprise sur le projet. Ceci s’est traduit par exemple, par la confusion de son espace privé et des locaux du projet dans les premiers mois après le lancement et par la prise d’initiatives sans concertation avec les autres acteurs du projet, entraînant des difficultés de coopération avec le conseiller de quartier. Enfin, la zone de recouvrement qui était sous sa responsabilité représentait la moitié de l’ensemble des usagers du service. Dans sa logique d’accaparement du projet, la secrétaire générale pratiquait une gestion peu transparente du recouvrement, refusant par exemple de donner le nombre et l’identité des adhérents présents sur sa zone. Le montant de son recouvrement mensuel était également très irrégulier. Or, c’est la seule source de financement du projet et il a fallu puiser dans les économies réalisées par le comité pour assurer le paiement des salaires et la nourriture des ânes. La vision du projet des autres membres du comité, davantage soucieux de l’efficacité et de la transparence du service, permettait la canalisation des ambitions personnelles de la Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 51 secrétaire générale et l’atténuation de leurs conséquences. Le conseiller AAC s’est donc trouvé dans l’obligation de jouer un rôle très actif dans le rappel des principes de l’intérêt général qui doivent guider le fonctionnement du comité et d’une manière générale le projet. Le projet a connu des périodes d’ « ingérence » plus ou moins prononcée de sa part. D’une manière générale, il conseille de manière constante et parfois insistante les membres sur le fonctionnement du projet. Il a pris la décision d’annuler certaines initiatives prises par les membres et les a incité au remaniement de leurs fonctions respectives au sein du comité. Suite à un vote, la présidente a ainsi dû céder sa place en échange de la fonction de secrétaire générale. Au moment de la capitalisation, alors que la pérennité financière du projet était menacée, il a activement conseillé les membres du comité de modifier de nouveau la répartition des responsabilités et de recourir à une personne extérieure au comité afin d’assurer une plus grande efficacité et transparence du recouvrement, mesure qui a été validée par un vote au sein du comité. C’est en ayant connaissance de ces divers enjeux que l’animateur a pu décider d’influencer le comité dans telle ou telle direction pour redresser la situation financière du projet. Ceci illustre ce que Ph. Lavigne Delville considère comme un « terrain idéal » pour l’anthropologie du développement : dans les projets de développement, « loin de se limiter à une définition formelle de procédures, l’enjeu est bien de prendre en compte les jeux d’acteurs et les enjeux sociopolitiques, pour favoriser, par une série d’essais-erreurs, la mise en place de règles du jeu à peu près fonctionnelles. » (1997, p. 104) ? METTRE EN COHERENCE LES RESULTATS DE LA REFLEXION Une part importante du travail de capitalisation a consisté à sélectionner l’information, à la trier, à retenir celle qui est la plus pertinente au regard du questionnement de départ. Il s’agit de comparer, de mettre en regard les discours recueillis et les manières de faire observées afin de systématiser un certain nombre de pratiques. Une très grande partie de l’expression des animateurs sur leurs pratiques s’est faite sous la forme du récit. L’analyse a donc consisté en l’interprétation de ces récits et leur transformation en données stabilisées sur le travail d’animation au sein du programme Twize. Le croisement des discours a été fait de manière systématique afin d’obtenir une vision des pratiques la plus proche de la réalité. Les animateurs avaient en effet une tendance naturelle à produire une description de leurs pratiques correspondant à un idéal plus qu’à la réalité. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 52 Le travail d’analyse a été pour beaucoup un travail d’organisation. La capitalisation avait pour objectif de rendre de visible le travail d’une équipe dont on percevait mal la cohérence parmi une multitude d’activités. L’information collectée a donc subit le même sort. Elle se composait d’un grand nombre de données correspondant à des activités mais également à des animateurs différents. Le cœur du travail tenait donc à une mise en cohérence de ces données qui devait donner de la visibilité à la cohérence des activités de l’équipe. L’analyse devait permettre de raccrocher le sens des activités à la démarche globale de l’équipe mais aussi du programme Twize. La mise en évidence et la description précise de deux facettes dans l’activité de la composante a permis d’apporter cette clarification et de montrer qu’elle est doublement cohérente avec l’ensemble du programme Twize. Ses objectifs propres, que sont l’appui à la mise en œuvre des initiatives des habitants en termes de développement local, viennent se coordonner à ceux des composantes habitat, microfinance et formation dans une volonté d’amélioration des conditions de vie dans les quartiers périphériques. Sa mission d’appui lui donne la particularité d’être totalement transversale et de travailler à faciliter les activités des autres composantes. D’une manière générale, la composante est un facteur d’insertion du programme dans son environnement. Par son travail de communication sur le programme Twize, elle attire les habitants dans les antennes, diffuse l’information dans le quartier. Elle fait preuve d’une capacité de mobilisation et de rassemblement de la population reconnue jusqu’à l’extérieur du programme. Elle noue avec les habitants, et plus particulièrement avec leurs leaders, une relation qui n’est pas de l’ordre du contrat comme c’est le cas pour les autres composantes. C’est une relation partenariale, de conseil, parfois directive, parfois amicale et dans tous les cas qui se veut durable. Dans ce cadre, elle initie à la notion de bien commun, faiblement présente dans les représentations des habitants et pourtant au cœur du programme. 3. La restitution/validation des résultats ? TRADUIRE DE MANIERE FIDELE L’analyse représentait donc un apport, un plus par rapport à la vision que se fait l’équipe de son travail. Sa transmission aux animateurs a donc été un moment crucial de la capitalisation. Elle était présentée lors de réunions qui rassemblaient l’ensemble de l’équipe. Cette position correspondait, pour l’accompagnatrice, à la fonction « dire » dans la méthodologie de J.P. Darré pour la mise en œuvre d’une recherche collective de Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 53 solutions entre agents de développement ou chercheurs et groupes d’agriculteurs. Le « dire » a pour objectifs « d’aider à produire de la parole, d’aider à clarifier, à préciser ce qu’on a dit, à faire entendre, à provoquer des rebonds, d’aider à réfléchir sur ce qu’on dit. » (2006, p. 74) Il s’agissait d’une proposition de la part de l’accompagnatrice destinée à faire réagir et à approfondir encore la réflexion, collective cette fois, sur les pratiques. Selon lui, «cette fonction [du dire] ne peut pas être mécanique. Elle ne peut être assimilée à l’image commune du ‘miroir’, de ‘reflet’. Le terme habituel de ‘reformulation’ est lui- même insuffisant. » Elle doit apporter une valeur ajoutée tout en restant fidèle. La fidélité, ici encore, n’a pas pour vocation d’être totale sinon la proposition ne serait qu’un reflet. Elle doit se faire ressentir dans le contenu de la proposition de telle sorte que « les membres du groupe concerné se sentent assurés que l’aide fait tout ce qu’il peut pour « dire » de façon juste ce qu’eux-mêmes ont voulu dire. » (p. 74) Ainsi, l’accompagnatrice se protège contre le soupçon de vouloir faire passer dans l’analyse ses propres idées, sa vision des choses et par conséquence imposer une autre manière de faire. ? UN MOMENT DE CATHARSIS Les moments de débat collectif sur la base des analyses proposées étaient en général très actifs et riches en réactions. Une part importante des échanges et des idées exprimées peuvent être considérées comme ayant une fonction de catharsis pour les animateurs. La description du contexte et des attentes vis-à-vis de la capitalisation développée plus haut laissait imaginer que la réalisation de ce travail pouvait contribuer à diminuer certaines tensions. Les réunions de restitution de l’analyse de l’accompagnatrice étaient effectivement l’occasion de s’exprimer sur le métier de manière libre en fonction des thèmes abordés. La comparaison avec les autres équipes du programme était souvent présente en filigrane dans les discussions. Si les entretiens individuels avec les animateurs favorisaient une réflexion approfondie sur les pratiques, les débats collectifs faisaient davantage émerger l’identité collective de l’équipe. Dans ce contexte, les animateurs avaient souvent tendance à rappeler leurs différences avec les autres équipes et leur utilité incontestable dans le cheminement de l’ensemble du programme vers la réalisation de ses objectifs. C. Blanchard-Laville, professeur en sciences de l’éducation et spécialiste de l’analyse des pratiques professionnelles explique la dimension de catharsis présente dans ce travail, notamment en ce qui concerne les professions ayant une forte dimension Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 54 relationnelle. Selon elle, l’analyse des pratiques n’a pas pour « but de modifier à tout prix les comportements mais simplement, dans la mesure où ils deviennent progressivement conscients, de les rendre moins rigides et de se libérer un peu des contraintes imaginaires qu’ils imposent. » (2004, p.17) ? L’INFLUENCE DU TEXTE DANS LA REFLEXION Les multiples réactions aux analyses proposées permettaient difficilement de cerner à quel point la restitution est fidèle aux pratiques ou non. Les remarques et débats au sein de l’équipe sur la base d’une proposition portaient en général sur des points précis de l’analyse. Cela peut être interprété de différentes manières. L’analyse va dans « le sens de la parole du groupe » (Darré, 2006, p. 75) c’est-à-dire qu’elle est fidèle aux pratiques et constitue réellement une plus value par rapport à la vision du groupe. Elle joue alors effectivement un rôle de stimulateur de l’expression sur les pratiques qui ajoute, précise et valide l’analyse ainsi enrichie. Mais l’analyse peut également se situer trop loin des pratiques des animateurs, soit parce qu’elle est difficilement intelligible, soit parce qu’elle ne traduit pas réellement leurs pratiques. Ils se focalisent alors sur des détails de l’analyse qu’ils portent à la discussion sans en percevoir le sens global. La question de l’intelligibilité de l’analyse est centrale. Elle pose celle du rapport des animateurs au texte proposé, base des débats et première version du document final qui sera diffusé. Dans la pratique, les animateurs produisent eux- mêmes un certain nombre d’écrits : les comptes rendus des initiatives d’information dans les quartiers et les monographies36 de leur quartier. Mais cette démarche ne semble pas avoir un caractère structurant pour leurs savoirs. Elle est plutôt perçue comme une nécessité imposée par le programme, une question de procédure. Lorsque les encadrants de l’équipe AAC ont décidé de la réactualisation des monographies de quartier, des contestations se sont élevées parmi les animateurs pour qui l’ampleur de la tâche était démesurée par rapport à l’utilité de son résultat. C’est l’expérience orale qui a le plus d’impact en terme d’apprentissage. Le 36 Document rédigé par les animateurs rassemblant de manière thématique les différentes informations recueillies dans le quartier : composition et organisation de la population, coopératives, associations, comités de quartiers, services, infrastructures, équipements (modes d’approvisionnement en eau, sources d’énergie, centres de santé, modes de gestion des déchets, réseaux de transport, écoles, jardins d’enfants), manques et les besoins prioritaires, filières de production, niveau économique des ménages, ONG locales actives, etc. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 55 travail de capitalisation comportait cependant une part importante de travail sur le texte. Le chef de l’équipe AAC a tenu à ce que l’ensemble de la production écrite destinée à être publiée soit à disposition des animateurs afin de s’assurer qu’aucune contestation sur le contenu du texte n’intervienne après sa publication. Lors des débats, les animateurs étaient donc en possession du texte depuis quelques jours et avaient eu le temps d’en prendre connaissance. Il était présenté par l’accompagnatrice sous la forme d’un power point mettant l’accent sur les idées principales afin qu’elles soient discutées. La difficulté du rapport à l’analyse proposée tenait à ce moment-là à sa complexité et son degré d’abstraction. Il s’agissait de faire en sorte qu’elle soit compréhensible mais également que sont contenu soit en rapport avec le cheminement de la réflexio n en cours. C’est ici que se situe une différence importante entre la recherche et l’accompagnement. Dans le cadre de la recherche, le texte produit est à destination des pairs et se présente sous sa forme finale. Dans le cadre de l’accompagnement, il doit être recevable par les acteurs opérationnels qu’il concerne dans le but de provoquer une réaction de leur part pouvant, au final, le modifier. Il ressemble à ce que J.P. Darré nomme la « synthèse heuristique ». C’est un texte (mais pas nécessairement) qui, parce qu’il doit permettre de faire encore avancer la réflexion, doit restituer l’analyse telle qu’elle est à ce moment- là. Sa pertinence dépend de sa capacité à traduire l’état de la réflexion à un stade donné. 37 La question du rapport au texte est égale ment celle de la perspective de publication des résultats de la capitalisation des activités de l’équipe. Elle a eu une influence non négligeable dans la démarche de réflexion. En effet, la distinction entre attitude réflexive sur les pratiques et mise en texte des résultats pour leur publication a parfois été insuffisamment marquée et a empêché de favoriser une attitude objective chez les animateurs. La concentration sur les termes utilisés et les exemples cités a parfois risqué de détourner le contenu du texte. Le travail de formulation a donc tenu une grande importance. C’est parfois le jeu sur les mots qui a permis d’arriver à un consensus plutôt que l’idée en tant que telle. Dans le document final, destiné à être diffusé, l’impératif de fidélité est central. Il s’agit d’intégrer seulement les analyses qui font consensus au sein de l’équipe. 37 Je remercie Ph. Lavigne Delville pour son éclairage sur cette question du rapport à l’écrit. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 56 ? DE LA CONFRONTATION DES VISIONS A L’OBJECTIVATION Le travail ainsi organisé à une forte dimension itérative. La formalisation des pratiques se réalise à différents niveaux. Elle se produit une première fois lors des entretiens individuels, une seconde fois à l’issue de la comparaison des discours recueillis et de l’analyse par l’accompagnatrice, et enfin une troisième fois lorsque le débat collectif a abouti à une validation collective. Aussi, la divergence des discours du fait de la multiplicité des acteurs concernés et de leurs intérêts vis-à-vis de la capitalisation ne constitue pas un obstacle à la production collective d’une connaissance sur la pratique de l’animation par l’équipe AAC. Au contraire, cette démarche permet de s’assurer de la validité du contenu. Elle est reconnue dans la méthodologie de l’analyse des pratiques comme garante de l’objectivité. Pour S. Masson et S. Cypel, consultantes en organisation du travail, «la ‘vérité’ de la situation apparaît, elle aussi, comme le résultat d’une construction, d’un travail auquel tous les acteurs ont participé, qu’ils reconnaissent comme étant leur et qu’ils valident » (2004, p. 41) En anthropologie, ce principe fait parti des critères de scientificité des analyses produites. « Recouper les informations », « ne pas être prisonnier d’une seule source » fait partie d’une «stratégie scientifique » qui permet de conduire à l’obtention d’une information que l’on peut considérer comme « véridique ». (Olivier de Sardan, 1995, p. 93) D’une manière générale, les réactions de l’équipe au travail de l’accompagnatrice sont allées dans le sens d’une satisfaction quant à l’analyse produite. Le moment de restitution générale à l’ensemble des équipes du Gret en Mauritanie par trois membres de l’équipe AAC et l’accompagnateur de la capitalisation peut être considéré comme un test du caractère réellement collectif de la production : leur capacité à présenter les grands traits de l’analyse mais également à les expliciter à l’audience témoignent du fait qu’ils s’y reconnaissaient. III. La capitalisation : un moment de formation ? « La construction de savoirs nouveaux n’est pas seulement un bénéfice secondaire de la pratique réflexive, mais sa vocation essentielle . » (Perrenoud, 2004, p. 51) Le temps de capitalisation serait donc également être un temps de formation pour l’équipe. En effet, en permettant de réfléchir sur sa pratique, il est source d’apprentissage. Il permet Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 57 de « se décharger de l’expérience, de reprendre sa propre expérience avec un regard nouveau inspiré de celle des autres. » (De Zutter, 1994) Les effets du recul et de la réflexion en termes de construction de nouveaux savoirs applicables aux différentes situations sont cependant difficilement perceptibles. Identifier les effets de la capitalisation sur les pratiques des animateurs nécessiterait un travail d’analyse d’impact a posteriori. Cependant, certaines évolutions ont été visibles au cours de son déroulement. Nous les développerons ici sans chercher à estimer en quoi elles représentent des apprentissages ou non. Il s’agit davantage de montrer comment « la description, la compréhension et l’interprétation des différentes dérives que subissent les interventions en développement, peuvent permettre à ces intervention de se réajuster et de s’adapter à leur tour aux sélections et détournements que les populations leur font subir. » (Olivier de Sardan, 1995, p. 198) Dans tous les cas, « un savoir nouveau peut être, simplement, un savoir enrichi, nuancé, problématisé, différencié, généralisé, dialectisé. » (Perrenoud, 2004, p. 51) 1. Evolution des perceptions : l’exemple du centre de promotion des activités féminines ? UN PROJET PHARE POUR L’EQUIPE AAC Le centre de promotion des activités féminines est situé dans le quartier de Saada. Inauguré le 31 mars 2005, il a pour objectif de diversifier la production dans le quartier. Trois domaines d’activités sont retenus comme porteurs : la teinture, la couture et le tissage. Le centre de promotion des activités féminines serait un centre d’activités économiques au sein duquel les femmes pourraient également accéder à des formations professionnelles dans ces trois domaines. Le projet est porté par une union de coopératives regroupant environ 150 femmes. Depuis l’ouverture, des formations ont été organisées dans les trois domaines d’activité. Une cinquantaine de femmes au total en ont bénéficié. Mais, les activités du centre ont connu un démarrage progressif avec la définition tâtonnante d’un mode de gestion et de règles de fonctionnement pour la fabrication et la vente des produits. Le montage du projet s’était en effet concentré sur des questions matérielles telles que la réhabilitation d’un bâtiment ou l’installation d’équipements, laissant aux femmes la responsabilité de créer les règles de fonctionnement du centre. Or, elles ont des difficultés à les mettre en place et ne s’orientent pas clairement vers une production privée ou une production communautaire. Certains coûts de matière première, tels que la teinture et le tissage, sont supportés Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 58 collectivement. La contribution financière pour l’utilisation du matériel n’est pas systématique. La production reste privée. Les femmes travaillent sur leurs pièces et les vendent, excepté pour le tissage qui demande le travail de plusieurs femmes sur la même pièce. Parmi les projets mis en oeuvre par l’équipe AAC, le centre de promotion des activités féminines de Saada est un projet fortement vecteur d’espoir pour le quartier mais aussi de fierté pour les membres de l’équipe compte tenu du nombre de femmes qu’il rassemblait mais également de ses objectifs ambitieux. La réflexion collective appuyée sur les résultats de l’enquête de terrain a fait l’objet de débats intenses entre l’équipe et l’accompagnateur. L’équipe avait du mal à se détacher de ses représentations idéalisées du fonctionnement du centre pour y porter un regard plus analytique. La présentation de certaines remarques et propositions de la part de l’accompagnateur a tout de même permis de faire évoluer les perceptions des animateurs. ? COMMENT AUGMENTER LA CONFIANCE DES MEMBRES DANS LA STRUCTURE Le constat d’une activité insuffisante du centre, compte tenu des équipements disponibles et du nombre de femmes qui composent le groupe porteur du projet, était quasiment partagé par toutes les personnes de l’équipe concernées 38 . Cependant, la réflexion sur les causes et les solutions possibles a fait l’objet de nombreux débats. Ils ont permis de mettre en évidence une impuissance de l’équipe à impulser une réelle activité dans le centre, un sentiment d’avoir fait tout ce qui était en leur pouvoir. Selon eux, si le montage du projet, son financement et son lancement était de leur ressort, la balle est désormais dans le camp des membres des coopératives porteuses. Il s’agissait donc, dans le cadre de la capitalisation, d’essayer d’avancer dans la réflexion et la connaissance du problème pour pouvoir envisager certaines solutions. Les entretiens réalisés avec les membres du centre et avec l’appui de l’animatrice AAC ont révélé une absence de confiance des femmes dans la structure. Elles perçoivent le centre comme un accès à la manne du développement du fait qu’il a été réhabilité et doté d’un fonds de roulement par une ONG occidentale. Elles le perçoivent également comme un espace où 38 Les personnes impliquées, ou qui l’ont été, dans la mise en œuvre du projet sont au nombre de quatre. Il s’agit du chef de composante, du chef conseiller projets et ancien animateur AAC dans le quartier de Saada, de l’animatrice actuelle ainsi que d’une animatrice extérieure, membre d’une ONG locale partenaire du Gret en Mauritanie et qui s’est fortement impliquée dans la conception et le lancement du prjet. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 59 elles peuvent avoir accès à des équipements leur permettant de produire. Elles ne souhaitent cependant pas investir leur argent et leur travail dans le centre afin de développer une production commune dont les bénéfices seraient redistribués en fonction du travail fourni par chacune. Elles refusent de mettre en commun la gestion des bénéfices et la vente car elles n’ont pas confiance en le bureau censé gérer la structure. C’est donc plutôt pour une production privée qu’elles semblent opter c’est-à-dire une utilisation des équipements à des fins privées sans même consentir à une participation financière pour leur entretien ou leur renouvellement. Ce mode de fonctionnement diffère de la démarche de développement communautaire suivie par l’équipe AAC. Ce manque de confiance dans le centre et la mise en place d’une production privée ont été progressivement reconnus par les membres de l’équipe les conduisant à chercher d’autres manière d’appuyer son fonctionnement afin qu’il contribue réellement à la diversification de la production dans le quartier. 2. Réorientation d’actions ? COMMENT AUGMENTER L’IMPACT DU TRAVAIL D’INFORMATION DES HABITANTS Le cœur du travail de l’animation est un travail de communication. S’il a un caractère permane nt et quotidien, il est aussi formalisé par des techniques et organisé dans le cadre de ce que l’équipe AAC appelle des micro- initiatives. Ce sont des journées de sensibilisation dédiées à un thème choisi en fonction de l’« actualité » du quartier : un problème de santé publique, la mise en œuvre d’un microprojet, la baisse de la demande de microcrédit classique ou habitat, l’arrivée de nouveaux résidents dans le quartier non sensibilisés au programme Twize, etc. Les opérations de sensibilisation se déroulent en deux étapes et mobilisent différents types d’acteurs. La journée est consacrée à l’information des habitants. Une équipe chapeautée par le conseiller de quartier et composée de personnes ressources sillonne le quartier de porte en porte pour convoquer les habitants. Une séance d’information collective est ensuite animée par le conseiller, éventuellement un ou plusieurs intervenants extérieurs spécialistes du thème et en présence des leaders du quartier. Elle a pour objectif de diffuser auprès des habitants un certain nombre d’informations destinées à faire évoluer leur comportement face à une situation donnée (assainissement, hygiène, scolarisation, santé, etc.) Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 60 La sensibilisation est un vecteur central d’information pour les habitants des quartiers périphériques de Nouakchott. Elle est l’occasion pour eux d’acquérir des connaissances et de prendre conscience de l’importance de certains actes pour diminuer les risques et améliorer leurs conditions de vie. Le travail de réflexion sur les pratiques a mis en évidence le caractère trop ponctuel des opérations d’information. L’équipe AAC n’a pas une vocation de sensibilisation des habitants des quartiers périphériques de Nouakchott. Cependant, afin de garantir un impact significatif à ses actions, elle doit pouvoir les systématiser davantage. Les comités locaux et notamment ceux qui portent des microprojets soutenus par le programme Twize ont été identifiés comme pouvant, une fois formés, servir de relais. Les comités porteurs de projets d’assainissement développeraient leur rôle d’animation et de sensibilisation des habitants à la propreté des espaces publics. Il en va de même pour les comités de santé qui doivent jouer un rôle central dans le quartier pour la sensibilisation en matière d’hygiène, de contrôle des naissances, de vaccination, de prévention des risques d’épidémies, etc. L’équipe AAC a commencé à travailler dans ce sens. Un projet d’amélioration de la prise en charge des enfants dans les jardins d’enfants a été validé en janvier 2007. Il comporte un volet de sensibilisation des mamans sous la forme de causeries hebdomadaires au jardin animées par les monitrices sur différents thèmes relatifs à la santé et à l’éducation des enfants. ? VERS UN SERVICE PUBLIC D’ASSAINISSEMENT DANS LE QUARTIER DE MEDINA Parmi les objectifs de la capitalisation des activités de l’équipe AAC, figurait celui d’identifier la nature des services fournis dans le cadre des projets mis en œuvre avec l’appui de l’équipe. Sont-ils des services publics, des services communautaires, collectifs ou encore à caractère privé ? L’étude du service d’assainissement fourni dans le quartier de Médina a permis de le caractériser comme un service collectif s’adressant aux familles qui le souhaitent et acceptent de payer la cotisation mensuelle. Il est perçu comme étant public car pour la plus grande partie des habitants, l’assainissement est du ressort de la commune. C’est, d’une manière générale à Nouakchott, la première mission de service public dont se revendiquent les communes et c’est par elle qu’elles se rendent visibles aux yeux des habitants, avec l’organisation de journées d’assainissement notamment. Bien que faisant l’objet d’une délégation de la commune, il ne s’agit pas d’un service public car tous les habitants de la zone n’en bénéficient pas. Cependant, il a vocation à s’élargir. Les membres du comité, accompagnés par le conseiller de quartier, sont partis du Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 61 constat d’une insatisfaction généralisée des habitants du quartier vis-à-vis des services d’assainissement précédents. Ils ont décidé que le projet devait se démarquer par la qualité du service et s’étendre par le phénomène des adhésions volontaires plutôt que de prendre un caractère obligatoire dès son lancement. L’extension est souhaitée tant par les habitants du quartier qui ne bénéficient pas encore du service, que par la commune qui recueille de nombreuses demandes de leur part. Au terme de la capitalisation, l’équipe AAC envisage donc d’augmenter le nombre d’adhérents dans les secteurs concernés par le projet afin d’intensifier le service sur la zone concernée et de prévoir le nettoyage des espaces publics par un troisième charretier spécialement chargé de cette tâche et rémunéré par les cotisations ou grâce à une participation de la commune. Une association de jeunes du quartier a récemment déposé plusieurs requêtes de projets au bureau de l’animateur du quartier. Parmi elles figure un projet d’assainissement qu’il pense articuler avec l’existant : le second se concentrerait sur le nettoyage des espaces publics pour compléter le premier qui concerne les espaces privés. Ces décisions ou infléchissements de l’action de l’équipe, aussi légers qu’ils soient, témoignent de son implication dans le travail de capitalisation. Si ses effets concrets en terme d’apprentissage sont difficilement identifiables et nécessiteraient une analyse d’impact, le contenu du document final est considéré par l’ensemble de l’équipe comme fidèle à ses pratiques. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 62 PARTIE 3 Quelques trai ts du trav ail d’animation au sein de T wi ze Le processus de capitalisation peut être considéré comme un processus de co-construction d’une connaissance sur le travail de l’équipe AAC. Au cœur de ce processus s’est réalisée une négociation quasiment permanente entre les animateurs et l’accompagnatrice pour la préservatio n du caractère objectif de l’analyse. Si les animateurs étaient conscients que l’objectivité était garante de crédibilité pour le document à diffuser, le discours de valorisation de leur démarche était naturel, automatique et quasiment systématique. L’accompagnatrice a essentiellement disposé de deux leviers pour aboutir à un accord sur le contenu. Le premier était celui de la discussion lors des réunions de validation des résultats. Le second était celui du texte et de la manière de présenter et de formuler les idées que l’on voulait faire passer. L’analyse finale est donc clairement le résultat d’un compromis entre l’équipe et l’accompagnatrice. Elle se décompose en quatre chapitres que sont le travail d’animation, les microprojets communautaires, les relations avec les autorités locales et la dimension transversale de la composante AAC dans sa mission d’appui aux autres composantes du programme. Ces thèmes étaient destinés à couvrir l’ensemble des activités des membres de l’équipe tout en permettant de formuler, pour chacun, en ensemble de questions problématiques devant guider la réflexion39 . Cette troisième et dernière partie restitue d’une manière plus condensée les résultats de l’analyse contenus dans le document diffusion. Elle comporte essentiellement des éléments de réflexion, sans s’attarder sur une description détaillée des activités, en ce qui concerne 39 Morlat L. et Abdoulaye M., L’animation dans un programme de développement urbain. Approche et expériences de la composante « Appui aux activités communautaires » du programme Twize en Mauritanie, Coll. Études et Travaux, Éditions du Gret. (à paraître) Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 63 l’accompagnement des microprojets, la relation aux autorités locales et l’animation comme activité au service d’un programme de développement urbain. I. Les microprojets communautaires dans leur contexte social La composante AAC a pour mission d’accompagner la mise en œuvre de projets de proximité, concrets et visibles à l’échelle du quartier, portés par des groupes d’habitants et qui ont pour but d’améliorer matériellement les conditions de vie dans le quartier. Si elle n’est pas la seule, cette mission est l’une des principales de l’équipe AAC et celle qui peut contribue r le plus à lui conférer une identité professionnelle car elle renvoie à des méthodes, des procédures, une expertise propres aux animateurs. A l’issue du travail de capitalisation, quelques réflexions sur la démarche des microprojets apparaissent centrales pour comprendre leur insertion dans le contexte social des quartiers d’intervention du programme Twize. 1. Les microprojets AAC ou la rencontre de deux visions de la société ? CARACTERISTIQUES DU LIEN SOCIAL EN MAURITANIE La Mauritanie est peuplée par deux principaux groupes ethniques, les Maures et les Négroafricains. L’ensemble maure exerce une influence considérable sur le fonctionnement de la société mauritanienne en général et la connaissance des caractéristiques du lien social au sein de ce groupe constitue un éclairage pour certains aspects du fonctionnement des microprojets de la composante AAC. L’ensemble maure est très hiérarchisé. Il fonctionne selon le principe des castes. Au sommet de l’échelle sociale se trouvent les «maures blancs » qui dominent un ensemble d’autres groupes. Parmi eux se trouvent les harratines ou « maures noirs », des esclaves affranchis mais sur lesquels leurs anciens maîtres continuent d’exercer une importante domination. Il existe, selon Ph. Marchesin, trois principaux modes d’exercice de la domination : la coercition, la légitimité et les biens et services matériels. Le troisième fournit un certain nombre de clés de compréhension des logiques qui se déploient autour des microprojets. La détention de moyens de production et d’échange est concentrée dans les mains d’une petite partie de la population mauritanienne. Le secteur salarié représente également un infime pourcentage de la population active, ce qui permet de déduire que c’est la redistribution économique qui permet la survie de la majeure partie des Mauritaniens. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 64 « L’accès aux biens et services matériels de toutes sortes est donc très souvent conditionné par la relation que l’on peut avoir avec celui qui possède 40 . » Les rapports sociaux entre les individus sont donc très souvent à caractère clientéliste. La recherche de l’accès à une forme de redistribution de la part des plus puissants est particulièrement valable pour les migrants nouvellement installés à Nouakchott et la plupart du temps sans ressources. D’ailleurs, selon P. Bonte, les migrations massives vers Nouakchott s’expliqueraient en partie par le fait que les réseaux clientélistes sont réputés très bien fonctionner dans la capitale 41 . Le fonctionnement d’un réseau de clientèle est une boucle dans laquelle chacun trouve son intérêt. En effet, le capital économique ainsi redistribué est trans formé en prestige social et souvent en pouvoir politique. On constate donc un enchevêtrement de logiques les uns renforçant le prestige des autres en contrepartie d’une protection. La redistribution économique concerne tant les biens que les services. Dans ce contexte, les microprojets ne sont pas épargnés par ces logiques. Ce sont des dispositifs fournissant aux habitants les services essentiels faisant défaut dans les quartiers pauvres de la ville. Les personnes en charge de les gérer peuvent donc retirer un important prestige de cette position. Parallèlement, les organisations internationales de développement sont perçues par les populations comme détentrices d’importantes ressources financières et matérielles. Les personnes faisant preuve de capacité à entrer en relation avec elles augmentent ainsi considérablement leur prestige social. ? AAC : DE L’ACCOMPAGNEMENT A L’ENCADREMENT DE S MICROPROJETS La vision du développement partagée au sein de l’équipe AAC est très différente. Le principe sous-jacent est celui de l’intérêt général. Ceci signifie que le projet doit bénéficier au plus grand nombre dans le quartier. C’est une vision égalitaire qui ne tolère pas les distinctions entre les individus en ce qui concerne les retombées des projets. De ce principe, découlent ceux de gestion démocratique, transparente et collective du service ou de l’infrastructure réalisés par le projet. Pour garantir cela, seuls les projets portés par des groupes constitués en comités, associations, coopératives faisant preuve d’une organisation démocratique sont financés par le programme. La démarche de l’équipe AAC hérite d’une vision du développement qui considère les territoires comme investis par des dynamiques sociales communautaires amenant naturellement les habitants à s’organiser afin de mener 40 41 Marchesin, Ph. Tribu, ethnies et pouvoir en Mauritanie, Paris, Karthala, 1992, p. 306. Bonte, P., Mouvements de population et migrations en Mauritanie. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 65 des actions au bénéfice du plus grand nombre. Or, à Nouakchott, l’échelle du quartier ne semble pas être celle à laquelle s’identifient les individus. Si le quartier devient progressivement « le principal territoire de référence 42 » pour les habitants, l’arrivée récente de beaucoup d’entre eux dans les quartiers périphériques limite pour l’instant la portée de ce phénomène. Cette vision communautariste idéalisée est ancrée dans une longue histoire de la perception des sociétés africaines par l’administration, l’élite, les partis politiques, les organisations de développement comme étant par essence consensuelles. L’analyse que fait J.P. Olivier de Sardan du stéréotype de la « communauté » villageoise consensuelle est également valable pour le milieu urbain. Il oppose une perception « égalitaire » des organisations collectives à une réalité caractérisée par des « contradictions de type statutaire, [des] compétitions liées aux facteurs de production ou aux enjeux de pouvoir, voire [des] rivalités plus fluides, interpersonnelles ou mettant en jeu des réseaux formels ou informels 43 . » Les microprojets AAC ne sont pas épargnés par cette réalité. Tous sont l’objet des élans et ambitions personnels des membres des groupes qui les portent et de tentatives ouvertes d’accaparement. Le phénomène d’accaparement des projets correspond à une remise en cause de la gestion par le comité. Elle est assurée par une personne, le plus souvent leader ou notable, qui s’identifie au projet, en revendique la paternité et la responsabilité et pratique une gestion privée. Les conseillers de quartier AAC ont ainsi développé des stratégies leur permettant de contrecarrer les tentatives d’accaparement. Ils font preuve d’une vigilance accrue sur les pratiques des leaders dans la conduite des comités de gestion des projets. Ils contrôlent autant que possible les cahiers de gestion, observent le fonctionnement des groupes et réitèrent fréquemment les principes de gestion collective et d’organisation démocratique qui doivent être respectés par les porteurs de projets. Cette vigilance est d’autant plus forte que ce phénomène est perçu, par les animateurs AAC, comme une menace récurrente pour la réussite des projets. 2. Ambitions personnelles des porteurs de projets : quelles conséquences pour l’impact des projets? Les projets mis en œuvre avec l’appui de l’équipe AAC ont des parcours particuliers et parfois bien différents malgré les similitudes dans les perceptions et dans les logiques des 42 43 Choplin, A., 2001. Olivier de Sardan, 1995. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 66 individus qui s’y impliquent. La logique qui veut qu’une personne ou petit groupe de personnes prennent la responsabilité d’un projet a des effets variables parmi les projets AAC. ? L’ECHEC DU SERVICE DE COLLECTE DES ORDURES MENAGERES Un service de collecte des ordures mis en place dans le quartier de Couva a connu un échec total du fait de la mise en œuvre de cette logique. Deux femmes très politisées et exerçant une influence considérable dans le quartier étaient à l’origine de ce projet. Elles se positionnaient dans le quartier comme des références pour les habitants utilisant leur pouvoir et un réseau s’étendant jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat pour leur venir en aide. La mise en œuvre du projet était une occasion de plus pour elles d’agir en bienfaitrices. Ceci s’est traduit par une appropriation du matériel, une gestion personnelle des comptes et surtout la fourniture du service de manière quasiment gratuite, rendant le service économiquement non viable. Il s’agissait avant tout de se présenter comme les personnes grâce auxquelles les habitants ont accès au service. Les deux femmes n’avaient cependant pas les moyens d’aller au bout de leur logique et de le fournir presque gratuitement dans la durée. ? UN JARDIN D’ENFANTS QUI FONCTIONNE GRACE AU BENEVOLAT Un jardin d’enfants ouvert avec l’appui financier et organisationnel de l’équipe AAC connaît, quant à lui, un très grand succès malgré l’application de cette même logique de distribution quasiment gratuite d’un service en échange du prestige. La nécessité d’une participation financière mensue lle par les usagers de ce service n’a pas été imposée comme une condition indispensable au fonctionnement du jardin au départ. Les rentrées d’argent au jardin sont très irrégulières. Les responsables du jardin sont perçues dans le quartier comme ayant un accès au monde du développement que les habitants n’ont pas. Elles jouissent, de ce fait, d’un pouvoir et d’une autorité qui leur vaut d’être qualifiées de « dirigeantes » par certaines adhérentes du jardin. Pour les mères de famille, la création d’un jardin d’enfants est le résultat de l’activation par les « dirigeantes » de ce réseau d’aides et la participation financière des bénéficiaires n’est pas vue comme déterminant son fonctionnement. Le jardin fonctionne donc avec une logique d’assistance très marquée et grâce à la bonne volonté de quelques personnes. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 67 SOUPCON GENERALISE AU CENTRE DE PROMOTION DES ACTIVITES FEMININES44 ? Le centre de promotion des activités féminines porté par une union de coopératives aidée par l’équipe AAC connaît une évolution encore différente. La volonté, pour quelques femmes, de se démarquer du groupe composé de plusieurs centaines d’individus, est ici contestée. L’accaparement, si tant est qu’il existe, est en tout cas anticipé et dénoncé à l’encontre du bureau de l’union des coopératives, dans un refus du groupe de lui accorder un minimum de confiance pour la gestion. Ainsi, dans un centre conçu pour produire tapis, vêtements, voiles, etc. les femmes membres ne souhaitent pas laisser le fruit de leur travail entre les mains des gestionnaires et s’en remettre à elles pour la répartition des bénéfices. Elles considèrent l’union de coopératives à laquelle elles appartiennent comme une institution créée non pas pour le bénéfice de l’ensemble de ses membres mais pour celui de quelques unes. Ceci a pour conséquence une fréquentation du centre bien inférieure à ce qu’elle devrait être compte tenu des équipements disponibles et donc une production minimale. J.P. Olivier de Sardan et A. Elhadji Dagobi ont identifié un phénomène de soupçon généralisé qui règne autour des projets communautaires d’hydraulique villageoise au Niger. Un bien public ne renvoie pas, dans les représentations de la population, à un mode de gestion défini. « Le nouveau modèle de gestion communautaire imposé par les projets est ainsi, source de frictions et d’accusations. 45 » Centre de promotion des activités féminines dans le quartier de Saada (L. Morlat) 44 45 Se référer à la page 58 pour un descriptif plus détaillé du fonctionnement du centre Olivier de Sardan et Elhadji Dagobi, 2000. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 68 3. Comment prévoir l’autonomisation ou la question de la propriété des équipements ? AUTONOMISATION ET PRIVATISATION DES PROJETS Dans ce contexte complexe, l’équipe AAC travaille à promouvoir au maximum les principes du développement communautaire. Elle reste peu ouverte à des modes de gestion des services ou des infrastructures mises en place qui seraient plus hybrides et laissés à l’appréciation des groupes à condition qu’ils puissent assurer une gestion et un fonctionnement efficaces. Dans le cas étudié par J.P. Olivier de Sardan et A. Elhadji Dagobi montre que l’accaparement d’un projet par une personne aisée permet d’assurer les réparations des équipements. La continuité du service importe alors davantage aux habitants que la transparence de la gestion46 . La privatisation de la gestion n’implique pas nécessairement l’absence de transparence. Le service peut être géré par une personne privée qui récolte la totalité des bénéfices et assure sa pérennité grâce à une tenue rigoureuse des comptes. La privatisation n’est donc pas nécessairement en contradiction avec les exigences de qualité, de pérennité et d’accès au service. Elle peut être une adaptation du service aux dynamiques économiques, sociales et politiques du quartier et du modèle de gestion à logique du groupe porteur. Cette question est centrale pour la préparation du désengagement du programme Twize au terme de sa période de mise en œuvre. Ce passage à l’autonomie des groupes en question ne doit pas correspondre, pour les membres de l’équipe AAC, au transfert de la propriété des équipements aux porteurs des projets. La question de la propriété reste en suspens car elle n’a pas été définie au préalable pour les différents équipements financés par le programme Twize et les groupes à l’initiative des projets. Pour les animateurs AAC, attribuer la propriété des équipements aux groupes impliquerait presque systématiquement la fin du service ou de l’équipement, dans tous les cas un détournement des principes et la fin d’une gestion collective. Ce point de vue s’explique par la nécessité, même après plusieurs années de fonctionnement du service, d’un encadrement rapproché tel que nous l’avons décrit précédemment. Les animateurs n’adhèrent pas à l’idée selon laquelle l’importance du service dans le quartier conduirait les habitants à faire pression sur ses responsables pour qu’il perdure quelque soit le mode de gestion. En effet, la notoriété 46 Ce phénomène est décrit dans un article de J.P. Olivier de Sardan et A. Elhadji Dagobi (2000) à propos de la gestion de l’hydraulique villageoise au Niger. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 69 donne aux individus qui en disposent une autorité peu contestée par le reste des habitants. La contestation des actes d’un leader dans le quartier est difficilement envisageable. ? LE PASSAGE DU SUIVI DES PROJETS AUX AUTORITES LOCALES Les animateurs AAC voient dans les communes la solution à ce problème. Considérées comme garantes de l’intérêt public, elles leur apparaissent comme les futurs encadrants des groupes porteurs de projets, assurant la poursuite du respect des principes du développement communautaire. Dans la démarche AAC pour les microprojets, deux procédures prévoient déjà les conditions de transfert des équipements financés par Twize aux communes. La première correspond à une situation de non respect des engagements pris par le groupe porteur du projet. Ce fut le cas pour le service d’assainissement mis à Couva. Les deux femmes qui se sont attribué la responsabilité de la gestion ont pris l’initiative de revendre les charrettes financées par Twize. Elles ont été contraintes de les restituer pour qu’elles soient remises à la commune. La seconde intervient lorsque l’activité du groupe est considérée comme pouvant fonctionner de manière autonome. Le désengagement du programme Twize s’accompagne d’un transfert des équipements et des infrastructures à la mairie qui doit reprendre le suivi du projet et peut éventuellement faire évoluer le projet comme elle le souhaite. Un seul projet mis en œuvre par la composante AAC a fait l’objet de ce type de transfert. Il s’agit d’un jardin d’enfants dans la ville de Nouadhibou. Le jardin est situé dans le pôle de développement El Kheir, propriété de la commune. Les équipements ont été fournis par le programme Twize. Lors du transfert, ils sont devenus propriété de la commune. De plus, un animateur dépendant du service social de la commune a été chargé d’assurer le travail de suivi effectué par le conseiller de quartier. Il comporte différentes tâches telles que consulter le carnet de bilan rempli par les monitrices et répertoriant les cotisations des adhérents, vérifier la présence des monitrices et des enfants et surveiller l’hygiène du groupe d’enfants. Ce transfert a été possible du fait d’une collaboration très étroite entre le programme Twize et la commune de Nouadhibou. Les deux entités se connaissent bien et leur partenariat est plus rapproché qu’à Nouakchott où le programme doit composer avec cinq communes différentes. Cependant, un certain nombre de projets n’entrent pas directement dans les prérogatives de la commune. Ils ont une dimension collective et sociale mais n’ont pas vocation à devenir Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 70 un service ou une infrastructure publique. C’est le cas du centre de promotion des activités féminines de Saada et du centre de tannage de Couva. En effet, pour ce type d’activité, il apparaît légitime que le groupe revendique la propriété du matériel avec lequel il travaille. II. Dimension publique de l’action et relations aux autorités locales Par l’appui à des actions de développement dans les quartiers orientées vers l’intérêt collectif, l’activité de l’équipe AAC recoupe fortement celle des communes de Nouakchott. L’histoire de l’équipe est également celle d’un rapprochement avec les communes qui n’était pas évident au lancement du programme Twize du fait d’un frein de l’administration centrale, bailleur de fonds du programme, au processus de décentralisation d’autant plus fort que les quartiers concernés par l’intervention étaient situés, à ce momentlà, sur le territoire de communes d’opposition au régime en place. 1. AAC et les communes : chevauchement des domaines de réalisation ? LES COMMUNES DE NOUAKCHOTT : DES INSTITUTIONS DEPOURVUES DE MOYENS D’ACTION Les communes ont été instituées en Mauritanie par l’Ordonnance du 20 octobre 1987 dans le cadre du processus de décentralisation. Il s’agissait de rapprocher l’Etat des habitants en faisant des communes des acteurs centraux du développement local. La commune de Nouakchott était alors une commune parmi les quelque deux cents communes de Mauritanie. Avec le décret du 28 juin 2001, elle fut divisée en neuf communes rassemblées au sein de la Communauté Urbaine de Nouakchott (CUN) et dénommées Arafat, DarNaim, El Mina, Ksar, Riad, Sebkha, Teivragh-Zeina, Teyarett et Toujounine. Chacune est désormais autonome dans la gestion de son budget et la planification de ses actions mais elles restent sous la tutelle de la CUN dont les actions concernent la ville de Nouakchott dans sa globalité. Les communes ont une large gamme de prérogatives. Elles ont des responsabilités dans le domaine de la santé et de l’éducation. Les locaux et les terrains des écoles fondamentales, des unités de santé de base, des postes et des centres de santé font partie du domaine public communal. L’Etat définit les politiques, contribue à la construction des bâtiments, rémunère le personnel. La commune quant à elle est chargée de l’entretien, de la maintenance, du gardiennage des bâtiments, de la fourniture de l’eau et de l’électricité. Le Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 71 domaine public communal comprend également les routes communales, les cimetières, les marchés, les parcs et jardins, les bâtiments des services municipaux, les équipements sportifs, culturels et religieux. Les communes sont donc investies de différentes missions en ce qui concerne ces espaces ou édifices. Elles sont par exemple en chargées de l’animation culturelle et sportive sur leur territoire. Elles ont un rôle de contrôle économique et de surveillance des marchés. Elles sont responsables de la voirie locale, de l’alimentation en eau, de l’éclairage public, des transports urbains, de la lutte contre l’incendie, de l’hygiène, de l’enlèvement des ordures ménagères, de l’entretien et de la sécurité des cimetières, des abattoirs, des parcs et les jardins. Le processus de décentralisation ne s’est pas accompagné d’un transfert aux communes des moyens matériels, humains et financiers nécessaires à la réalisation de leurs nouvelles missions. Le personnel municipal est faiblement qualifié et accuse d’importants besoins en formation. L’adjoint au maire chargé des relations extérieures de la commune d’Arafat témoigne, par exemple, de l’incapacité des agents de la mairie à réaliser des études techniques et à monter des projets susceptibles de recevoir l’appui de partenaires tels que les organismes internationaux de développement. Les ressources financières font également défaut. Les communes doivent recevoir, pour leurs activités, des financements de trois natures : les taxes locales, les impôts perçus par les services déconcentrés dont une partie leur est restituée et le Fond régional de développement (FRD). Or, le paiement de taxes à la commune n’a pas encore été admis par les habitants comme étant de leur devoir et, face à leur incivisme, la commune ne dispose pas de moyens légaux de faire pression. Les financements du FRD sont quant à eux fortement soumis aux logiques des réseaux politiques locaux. La délégation de pouvoirs aux communes ressemble à une énumération de responsabilités qui empêche de cerner le réel partage des compétences entre les différentes autorités de l’Etat et conduit bien souvent à leur chevauc hement. Les communes sont régulièrement court-circuitées par l’administration centrale et il n’est pas rare que des actions soient menées par les autorités étatiques sur le territoire d’une commune sans qu’elle ait été impliquée, ni même informée. En tant qu’agent de l’Etat, le maire est sous l’autorité de l’administration centrale et doit se plier au contrôle du Hakem (le préfet) et du Wali (le gouverneur). Il transmet, par exemple, ses arrêtés et décisions au Hakem dont il doit recueillir l’approbation avant toute publication. En cas de désaccord sur une décision, le Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 72 maire a la possibilité de former un recours. Mais il est parfois difficile d’éviter les blocages. La mairie de Sebkha a été ainsi privée de financements durant la majeure partie de l’année 2006 du fait d’un désaccord avec le ministère de l’Intérieur sur le changement de poste d’un de ses employés. Le maire déplore la tutelle exercée par l’administration centrale qui lui enlève toute autonomie dans son action. ? DU CHEVAUCHEMENT DES PREROGATIVES A LA COLLABORATION Les microprojets mis en œuvre par la composante AAC s’inscrivent dans le champ des responsabilités des communes : réhabilitation d’écoles, de postes de santé, fourniture d’un service d’assainissement, approvisionnement d’un quartier en eau, etc. Ce sont le plus souvent la réalisation d’aménagements et d’infrastructures qui sont du ressort communal. La composante se devait donc de développer des relations avec les communes, tant pour préserver la cohérence des actions de développement sur le territoire communal que pour légitimer ses activités. L’équipe AAC a ainsi progressivement mis en place un partenariat avec les élus municipaux qui a débuté avec l’organisation de journées de concertation. La réalisation des PDQ correspond à la première pierre de la collaboration entre la composante AAC et les élus. Occasion d’échanges riches et parfois difficiles à canaliser et à synthétiser, les PDQ ont une forte dimension symbolique. Ils représentent la première étape de la collaboration entre les communes, les habitants et la composante AAC. En validant des objectifs de développement partagés avec le programme Twize, les communes lui ont accordé leur autorisation d’intervenir sur leur territoire sous la forme d’un mandat pour la réalisation de ses activités. De plus en montrant sa volonté d’instaurer une relation de proximité avec les communes, le programme Twize a atténué son image de programme purement étatique et a témoigné son intérêt pour le développement communal. Depuis 2003, les communes ont contribué à la mise en œuvre d’un certain nombre de microprojets. Leur implication s’est faite progressivement avec la mise en place d’une collaboration entre les élus, l’équipe AAC et les habitants. Leur participation peut être financière ou en nature. Pour les maires, tous les projets mis en œuvre par la composante AAC du programme Twize sont susceptibles d’être appuyés par eux car ce sont des projets à caractère social qui ont pour objectif l’amélioration des conditions de vie des habitants sur le territoire de leur commune. Ainsi le niveau d’implication des communes dans les Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 73 microprojets AAC ne dépend pas de leur nature mais de la capacité matérielle de la mairie à contribuer. Identification d’un groupe et de sa proposition de projet par le conseiller quartier Les mairies concernées par les projets sont membres du comité et participent à la délibération. Montage du projet et constitution du dossier Comité d’attribution Contractualisation entre les différents partenaires du projet La mairie apporte la contribution prévue par la convention. Mobilisation des fonds nécessaires à la mise en œuvre des projets Commission de sélection du promoteur pour la réalisation des travaux Le maire ou son représentant participe à l’inauguration du projet. Le comité d’attribution est présidé par le maire de la commune où il se déroule. La mairie et le groupe porteur signent une convention déterminant les engagements de chacun. La mairie est associée à la sélection. Réalisation des travaux et inauguration du projet Organisation d’activités satellites pour le lancement du projet La mairie est parfois sollicitée par les porteurs du projet en cas de probl ème. La mairie rencontre le groupe porteur. Elle décide de sa participation ou non au projet et donne son engagement tacite. La mairie est invitée aux manifestions. Mise en œuvre et suivi du projet La participation des communes aux différentes étapes du microprojet (extrait du document final de capitalisation) Le 31 mars 2005, un projet d’assainissement porté par un comité d’habitants a été inauguré à Médina. L’objectif du projet est la lutte contre la pauvreté par la mise en place d’un service de ramassage des ordures ména gères à faible coût pour les habitants et la structuration d’un comité capable de gérer dans le temps ce service. L’élaboration du projet s’est faite par la collaboration d’un groupe d’habitants, constitué en comité pour porter le Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 74 projet, du conseiller de quartier du programme Twize et de la commune. La commune et le comité ont signé un contrat délégant le service de ramassage des ordures ménagères au comité dans deux secteurs définis par la commune. Ce contrat établit les responsabilités de chacune des parties. La commune s’est engagée à nettoyer les 10 dépôts sauvages avant le lancement du projet, à former deux membres du comité aux règlementations du service d’hygiène, à leur déléguer le contrôle de la zone et à fournir les carnets de reçus pour les cotisations des habitants. Elle s’est également engagée à participer au financement du projet à hauteur de 5% du budget total. ? LES PROJETS AAC COMME VECTEURS DE RECONNAISSANCE POUR LES COMMUNES Les élus des communes de Nouakchott ont compris que le programme Twize poursuit les mêmes objectifs, à savoir l’amélioration des conditions de vie des habitants, avec une démarche animée par le principe de l’intérêt général. Ils considèrent ainsi le programme comme un partenaire dans la réalisation de leurs missions. Le soutien des organisations internationales de développement ou des collectivités locales européennes est en effet indispensable pour permettre aux communes de Nouakchott de fonctionner et de faire face à leurs manques de compétences et de financements. Ainsi, l’adjoint au maire de Sebkha reconnaît orienter les habitants de sa commune détenteurs de requêtes de projets directement vers les partenaires tels que le programme Twize. Si un appui par Twize est accordé, la commune s’engage à cautionner le projet et à y contribuer selon ses moyens. Les microprojets AAC peuvent avoir pour conséquence de mettre en évidence les faiblesses des communes en donnant aux habitants les moyens de réaliser eux-mêmes ce que leurs élus ne sont pas en mesure de faire. L’implication des communes dans les différentes étapes du cycle des microprojets leur a pourtant permis de ne pas être exclues des actions mises en œuvre sur leur territoire. Et l’adjoint de la mairie de Sebkha de remercier le programme Twize « qui a de la considération pour nous plus que nos tuteurs ». En effet, dans leur quête de reconnaissance en tant qu’acteur à part entière du développement local, la participation aux microprojets est une occasion de se rendre visible. Les activités de la composante AAC participent donc au rapprochement entre les élus et leurs habitants. A la mairie d’Arafat, on loue les qualités d’animation du conseiller de quartier de Médina qui a su tisser des relations durables avec un grand nombre d’habitants et se présente comme un intermédiaire de qualité. Un adjoint au maire de Sebkha explique également que, le conseiller de quartier de Couva, par sa connaissance du Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 75 quartier et sa neutralité, lui permet d’entrer en contact avec un panel d’habitants qui s’étend au-delà de ses seuls sympathisants politiques. 2. L’animation au sein des communes : une perspective pour le développement local à Nouakchott Le bilan de quatre années de travail de l’équipe AAC fait apparaître les communes comme des partenaires incontournables pour mener des actions de développement dans les quartiers périphériques. En outre, les équipes municipales se sont familiarisées avec les animateurs et reconnaissent l’utilité de leur travail avec les habitants. Une réflexion sur le métier d’animateur et son avenir conduit à imaginer une forme de partenariat plus forte encore par l’insertion d’un ou plusieurs animateurs de développement local au sein des équipes municipales. Cette évolution institutionnelle est en phase avec la démarche du programme Twize qui prévoit, à terme, l’autonomisation de ses composantes. Elle va dans le sens de la politique de décentralisation en contribuant au rapprochement entre élus et citoyens et au renforcement des capacités des communes à intervenir comme acteur central du développement local urbain. L’intervention d’un animateur au sein d’une commune nécessite un certain nombre de préalables qui pourront garantir efficacité et reconnaissance de son travail. Ils ont fait l’objet, lors de la capitalisation, d’une réflexion élargie à un ensemble d’acteurs du développement local en Mauritanie lors d’un atelier organisé dans les locaux du programme Twize 47 . La volonté politique de l’équipe municipale apparaît comme une condition sine qua non. L’établissement du plan de développement communal (PDC) doit correspondre à une volonté de mener des actions concrètes et abouties. Celle-ci se reflète dans la disposition de la commune à mobiliser ses ressources propres ainsi que dans sa capacité à nouer des partenariats. Dans le cadre de ces derniers, il est important de définir précisément les critères de sélection des projets afin de garantir une bonne coordination des financements. Les PDC doivent être réalistes afin d’identifier les besoins prioritaires mais également de ne pas entretenir de faux espoirs au sein de la population. La volonté politique de l’équipe municipale est avant tout celle du maire. La bonne relation entre le maire et l’animateur est un important facteur d’efficacité pour l’animateur car leurs activités et leurs compétences 47 Cf. Compte rendu de l’atelier : annexe 7, p. 222. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 76 sont complémentaires. Il ne s’agit pas pour l’animateur de se substituer au maire. Il apparaît donc important de définir collectivement la fiche de poste de l’animateur. Placé sous l’autorité du maire, l’animateur est au service de la commune et de sa stratégie de développement local. Il orchestre la mise en œuvre de celle-ci en impliquant les acteurs locaux. Son action est polyvalente. Il mène des activités contribuant à la mise en œuvre de la politique de développement de la commune : connaissance du territoire et de la population, communication à destination des habitants dans un but de clarification des rôles de l’équipe municipale, médiation entre la société civile et les élus, renforcement des capacités des groupes, organisation de la concertation pour la réalisation des PDC, appui aux initiatives des habitants, recherche de partenaires. Il supervise les projets et réalise leur capitalisation. Le travail d’un animateur au sein d’une commune doit s’inscrire dans un dispositif plus général d’appui à la commune à la fois financier, technique et organisationnel. L’apport financier est nécessaire pour que le travail de l’animateur se concrétise en réalisations : accompagné d’un fonds destiné à la mise en œuvre de ses activités, l’animateur peut jouir d’une plus grande crédibilité auprès de l’instance municipale. L’appui technique peut prendre la forme d’une unité de rattachement, installée à la Direction générale des collectivités locales, à la Communauté urbaine de Nouakchott ou encore à la cellule d’ingénierie sociale du Gret, sorte de réseau ou de cellule productrice d’outils et d’information, lui permettant de prendre du recul, de recevoir un soutien méthodologique, un renfort matériel et humain pour des actions de grande envergure, par exemple. III. L’animation au service d’un projet de développement L’estimation de l’utilité de l’animation au service d’un programme tel que Twize est chargée d’enjeux, comme nous l’avons montré plus haut. Ceci relève davantage d’un travail d’évaluation que de capitalisation. Néanmoins, le processus de capitalisation a permis de mettre en évidence certains effets de l’animation sur le fonctionnement du programme. Ce travail reste difficile à réaliser. Les rôles des animateurs AAC relève nt pour beaucoup de l’information, de l’explication, de la médiation entre le programme, ses composantes et les habitants. L’impact de ce travail est difficile à évaluer. Comment le programme aurait- il fonctionné dans les quartiers sans la présence de l’animateur ? Chaque Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 77 quartier disposant d’un animateur AAC, la comparaison est difficile. L’analyse de leurs activités permet néanmoins estimer de quel ressort est cette utilité. 1. Mobilisation pour informer les habitants ? LA CONNAISSANCE DES QUARTIERS COMME PREALABLE AU TRAVAIL D’ANIMATION La connaissance des quartiers d’intervention fut la première tâche des animateurs lors du lancement du programme. C’est une activité constante qui permet de réactualiser les données dont disposent les animateurs pour pouvoir agir. La connaissance de la composition et de l’organisation de la population fait l’objet de toutes les attentions. Elle s’acquiert par la réalisation d’enquêtes et de diagnostics. Mais elle est pour beaucoup enrichie par les relations et les discussions informelles que les animateurs impulsent. Les conseillers de quartier ont une connaissance sélective et organisée de leur quartier. Elle est axée sur un certain nombre de données nécessaires à l’exercice de leur travail. Si la délimitation géographique de leur espace d’intervention est logiquement la première information à détenir pour commencer à y travailler, la connaissance de la composition et de l’organisation de la population apparaissent essentielles pour le travail d’animation. Ceci est tout particulièrement important dans le contexte mauritanien du fait de la division complexe de la population en un certain nombre de groupes ethniques et linguistiques différents. Les quartiers périphériques de Nouakchott sont majoritairement peuplés de Harratines mais d’importantes communautés négro-africaines s’y sont également installées : Peuls, Toucouleur, Soninkés et Wolofs. Ces populations ont pour la plupart vécu dans différents quartiers de la ville. Les conseillers AAC en connaissent la provenance, le parcours et leur degré de cohésion. Leur vision du quartier est avant tout dynamique c’est-à-dire qu’elle met en évidence non seulement les communautés existantes mais également leurs relations, leurs rapports de pouvoirs, leurs jeux d’influence orchestrés par les leaders, chefs traditionnels ou hommes politiques influents. La connaissance des groupes est également un préalable important pour promouvoir le développement du quartier. Par « groupe », il faut entendre les coopératives, les associations, les comités de quartiers, etc. rassemblant les habitants et menant des activités dans le quartier. Un ensemble d’informations vient ensuite servir de base à la démarche de développement qui est celle des conseillers AAC. Ils recensent les services, les infrastructures et les équipements présents dans le quartier : modes d’approvisionnement en eau, sources Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 78 d’énergie, centres de santé, modes de gestion des déchets, réseaux de transport, écoles, jardins d’enfants, etc. Ils identifient les manques et les besoins prioritaires qui sont confirmés ou amendés lors des journées d’échange pour la définition des PDQ. Ils répertorient les activités économiques (boutiques, marchés) et identifient les filières de production (teinture, vente de couscous, tannerie, tissage, dépôts de briques, etc.). Ils évaluent l’activité et le niveau écono mique des ménages et localisent les poches de pauvreté. Enfin, ils entrent en contact avec les autorités locales (Maire, Hakem), les associations et ONG locales actives, partenaires potentiels pour leurs différentes activités, ainsi que les autres opérateurs et ONG internationales intervenant dans le quartier et prennent connaissance de leur approche du développement afin de coordonner leurs actions. Carte de la connaissance du quartier de l’animateur de Couva (extrait du document final de capitalisation) Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 79 La connaissance du quartier se développe en tache d’huile. Elle est généralement très approfondie autour de l’antenne Twize et s’étend progressivement. Elle n’est donc pas homogène et dépend beaucoup de la capacité de l’animateur AAC à parcourir le quartier et à s’insérer dans les zones les plus éloignées de l’antenne. Elle est également conditionnée par les personnes relais, leaders et personnes ressources, qui facilitent l’accès des conseillers aux habitants. Elle dépend également du dynamisme des habitants et de leur intérêt pour le programme Twize. Chaque activité accompagnée par le conseiller de quartier est une occasion pour lui de s’enfoncer un peu plus dans la zone concernée. La logique de cette connaissance n’est donc pas de l’ordre de l’exhaustif. Elle renvoie aux principes qui guident le conseiller dans sa prise de contact avec les habitants : une relation informelle, qui se veut de qualité et durable. La connaissance est, par essence, inachevée, ce qui implique pour le conseiller un travail de veille et d’enregistrement systématique des nouvelles informations à l’aide de fiches thématiques dans un but de l’étendre et de l’enrichir de manière continue. ? TOUCHER, RASSEMBLER, MOBILISER Grâce aux relations tissées sur le long terme avec les habitants et leur partenariat avec les leaders, ils sont à même d’activer les réseaux et les ramifications sociales qui se déploient dans les quartiers pour atteindre un grand nombre de personnes. Cette compétence en terme de mobilisation est reconnue au sein du programme mais aussi à l’extérieur par d’autres opérateurs qui souhaitent intervenir dans le quartier. Ainsi, le conseiller du quartier de Dar El Beida a été sollicité par le Croissant Rouge pour identifier les familles les plus démunies en vue de leur distribuer des fûts destinés à stocker l’eau. Dans le cadre d’une opération de redistribution des terres sur la commune d’El Mina, le Hakem a fait appel aux conseillers de quartier AAC pour leur connaissance des habitants : il s’agit d’éviter l’opportunisme de certains qui peuvent prétendre habiter dans le quartier afin de se voir attribuer un terrain. A l’occasion de la journée mondiale de lutte contre la pauvreté, le Pnud a sollicité, par l’intermédiaire du Commissariat aux Droits de l’Homme, les compétences de l’équipe AAC pour mobiliser les habitants des quartiers périphériques de Nouakchott. Deux journées de travail de terrain ont suffit aux conseillers de quartier pour rassembler environ 600 personnes. Au sein du Gret en Mauritanie, d’autres projets ont recours à la connaissance des conseillers AAC. C’est le cas du projet Zazou, un projet de recyclage des sacs plastiques dans deux communes de Nouakchott s’appuyant sur les coopératives. Les concepteurs du projet ont sollicité les conseillers de quartier afin de Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 80 prendre contact avec les coopératives pour leur étude préalable et la recherche de partenaires. La mobilisation, l’appel au soutien d’un réseau d’individus ne sont pas étrangers aux pratiques sociales en Mauritanie. Ces modes de communication basés sur le rassemblement et le groupe sont en adéquation avec les pratiques des leaders qui recherchent l’allégeance d’un maximum de personne sur le territoire sur lequel ils revendiquent leur leadership. Ces réseaux d’allégeance correspondent à ceux dont ils héritent de génération en génération dans le cadre de leurs appartenances tribales. Dans les quartiers périphériques de Nouakchott, nouvellement et très rapidement peuplés, d’autres facteurs expliquent la constitution de leaderships. Certaines personnes l’ont acquis par leur dynamisme et leur capacité à entrer en relation avec les autorités politiques et administratives. Les quartiers d’intervention du programme Twize comportent de nombreux exemples de femmes et d’hommes qui, partis de rien, ont su se frayer un chemin jusque dans les plus hautes sphères de l’Etat. Ils font en retour bénéficier de leurs facilités aux habitants du quartier, trouvent des solutions à leurs problèmes et conquièrent par la même occasion leur allégeance. La plupart des leaders font partie des premiers habitants du quartier. La croissance démographique fulgurante de la ville de Nouakchott a nécessité le déplacement et le recasement de milliers d’habitants dans des espaces absolument vierges d’infrastructures. Certains d’entre eux se sont improvisés porte-parole de leurs concitoyens pour défendre leurs intérêts et sont ainsi devenus les leaders du quartier. Ils sont souvent politisés et ont été fortement instrumentalisés par le Parti Républicain Démocratique et Social (PRDS) au pouvoir jusqu’en 2005. Portrait d’un leader dans le quartier de Couva : « Je descends dans mon quartier comme un président descend dans son pays. » C’est dans ces termes que s’exprime Libraze, une femme harratine qui s’est progressivement imposée comme une personne n i contournable, une bienfaitrice pour tous les habitants du quartier par la multitude de services qu’elle leur rend. Sa force réside dans sa capacité à aller frapper à la porte des plus hautes autorités administratives et politiques. Elle a intégré un réseau de personnes influentes grâce à son engagement politique au sein du parti au pouvoir. Sa stratégie repose sur le principe de la visibilité. Lors des réunions, elle se met en scène, anime, interpelle les gens. Elle n’hésite pas à prendre le râteau pour nettoyer le quartier ou à distribuer elle-même de l’eau. Elle ne tient donc pas cette position du fait de son rang social, moins encore de ses ressources financières mais grâce à son dynamisme. Ce statut lui vaut d’être largement écoutée et suivie. Si certains leaders ont une capacité de mobilisation des habitants circonscrite à une zone déterminée, Libraze touche l’ensemble du quartier. Elle est à la tête d’une coopérative et gère une boutique communautaire. Elle est membre de l’Association pour le Développement Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 81 Communautaire de Couva. Elle est également à l’origine d’un projet d’assainissement soutenu par le programme Twize. D’une manière générale, elle cherche à être associée à toutes les activités communautaires du quartier et ne tolère pas de ne pas être impliquée dans l’organisation d’une réunion ou dans la mise en œuvre d’un projet. Cette attitude a généré des conflits avec le conseiller de quartier qui a, par exemple, refusé son implication dans le projet de jardin d’enfants. Elle ne s’est cependant jamais détournée du programme Twize, consciente qu’elle se couperait d’un certain nombre d’activités lui permettant de cultiver sa visibilité dans le quartier. Grâce à l’appui des leaders, les conseillers de quartier ont un large accès à la population et peuvent rassembler jusqu’à plusieurs centaines de personnes notamment à l’occasion des opérations de sensibilisation. Ils renforcent également leur crédibilité auprès des habitants car leur parole et leur action sont cautionnées par un notable. Le leader est donc avant tout un vecteur de communication de l’animateur en direction de la population et non un moyen de faire remonter les besoins et les revendications de la population au programme Twize. Les conseillers AAC décrivent clairement leurs relations avec les leaders de quartier en termes d’utilité. Ils «exploitent » leur capacité de mobilisation, tout en ayant conscience que certains sont plus « rentables » que d’autres48 . 2. Interface, intermédiation, traduction La capacité de mobilisation des animateurs s’est développée du fait de la nécessité d’assurer le travail d’information des habitants sur le programme Twize. Plus que de l’information, c’est un véritable travail d’intermédiation qui est réalisé par l’équipe AAC. ? DE L’INFORMATION ORGANISEE A LA PE DAGOGIE PERMANENTE Le cœur du travail de l’animation est donc un travail de communication. Il est aussi formalisé par des techniques et organisé dans le cadre de ce que l’équipe AAC appelle des micro- initiatives. Ce sont des journées de sensibilisation dédiées à un thème choisi en fonction de l’« actualité » du quartier : un problème de santé publique, la mise en œuvre d’un microprojet, la baisse de la demande de microcrédit classique ou habitat, l’arrivée de nouveaux résidents dans le quartier non sensibilisés au programme Twize, etc. Le choix du thème se fait en fonction de l’urgence du besoin, sur proposition du médecin ou du comité de santé du quartier, de l’équipe microfinance ou encore d’habitants, etc. Les journées de sensibilisation sont organisées durant le week-end (samedi ou dimanche) afin de toucher le maximum de personnes. Ce sont très majoritairement les femmes qui répondent à cette 48 Selon les propos recueillis auprès des conseillers de quartier. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 82 mobilisation pour différentes raisons. Elles sont plus présentes dans les quartiers que les hommes qui se déplacent chaque jour pour aller travailler dans d’autres parties de la ville (centre ville, port, etc.). Il est donc plus facile de les informer. En outre, dans une très grande proportion des foyers des quartiers périphériques de Nouakchott, les femmes assument seules la subsistance des membres. Elles sont donc les premières interlocutrices du programme Twize tant en ce qui concerne l’habitat, le microcrédit, les formations ou les projets de quartier. Les opérations de sensibilisation se déroulent en deux étapes et mobilisent différents types d’acteurs. La journée est consacrée à l’information des habitants de la tenue d’une réunion dans le quartier sous la khaïma en fin d’après- midi. Une équipe chapeautée par le conseiller de quartier et composée de personnes ressources sillonne le quartier de porte en porte pour convoquer les habitants. La séance d’information sous la khaïma est ensuite animée par le conseiller, éventuellement un ou plusieurs intervenants extérieurs spécialistes du thème et en présence des leaders du quartier. Elle a pour objectif de diffuser auprès des habitants un certain nombre d’informations destinées à faire évoluer leur comportement face à une situation donnée. Parallèlement aux sessions d’information programmées et organisées, les animateurs travaillent à une information constante, plus spontanée, informelle, en fonction des besoins auprès des habitants. Ceux-ci sont pour la majeure partie analphabètes. Il existe donc dans les quartiers d’intervention de Twize un important besoin d’explication des procédures et d’adaptation du vocabulaire du programme. Le processus à suivre pour construire un module ou bénéficier d’un micro-crédit est complexe pour les habitants. Les mauvaises informations circulent très rapidement dans les quartiers car les individus retiennent bien souvent la première information qu’ils ont reçue de leur voisin ou d’un parent. Les conseillers AAC doivent réexpliquer le contenu des contrats et le rôle des différents intervenants avec lesquels les bénéficiaires doivent traiter (agents de crédit, contrôleurs techniques, entrepreneurs, etc.) C’est un travail de pédagogie permanente qui témoigne de la nécessité d’adapter un discours technique aux réalités sociales de l’environnement auquel il est destiné. A l’heure de l’évaluatio n du programme Twize, cette question apparaît centrale. Il semble qu’une des plus grandes contributions de l’équipe AAC à la réalisation des objectifs du Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 83 programme 49 réside dans leur position permanente de réception des demandes d’information, des requêtes en cas de problèmes dans les travaux, de médiation des conflits, de rappel des procédures du programme, etc. Les animateurs incarneraient le programme Twize dans les quartiers plus que les trois autres composantes. Leur polyvalence et leur vocation à être en relation continue avec les habitants les différencient des autres agents du programme dont les tâches de contrôle technique, d’agent de crédit les rend moins disponible au travail relationnel. Si le travail d’agent de crédit comporte une importante par de relation aux clients, celle-ci garde souvent un caractère formel dans le cadre des procédures prévues pour l’octroi d’un microcrédit. Pour Ndiaye Abderahmane, animateurs dans le quartier de Couva : « Les gens du microcrédit donnent des infos pas toujours très adaptées (…) Les frais de gestion, de papier, c’est pas clairement expliqué. Pour les gens, c’est des plus-values. Il faut expliquer clairement au gens pourquoi le taux est plus élevé qu’ailleurs. (…) il faut dire que c’est quelque chose de social, que c’est fait pour renforcer les capacités. » Les animateurs se présentent donc comme des intermédiaires, d’agents en interface dont la fonction est essentielle. ? L’ANIMATEUR A L’INTERFACE DE DEUX MONDES Le champ du développement est un lieu de rencontre entre le monde des organisations internationales et celui des populations auxquelles sont destinées leurs actions. Ces deux mondes sont mus par des logiques d’action et des systèmes de référence qui leur sont propres. Comme l’analyse sur les microprojets communautaires l’a montré, les ONG ont des objectifs et des procédures qui sont souvent bien loin des stratégies quotidiennes de survie de la population. Ces deux entités sont mises en relation par l’intermédiaire des projets. Conçus par la première, ils doivent pénétrer la seconde. Cette pénétration est facilitée par le travail des animateurs, intermédiaires, médiateurs et traducteurs des messages véhiculés par les projets à la population. D’une manière générale, on peut dire que les conseillers AAC sont des traducteurs du message du programme à la population. Par traduction, il ne s’agit pas ici d’entendre seulement la recherche du mot poulaar ou hassaniya qui désigne le crédit ou l’assainissement. Il s’agit de faire se rencontrer « deux 49 1791 modules ont été construits au 31 décembre 2005 depuis la convention de juin 2003. Ceci représente presque un quart des 7500 fixés comme objectif de fin de projet. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 84 façons de penser la réalité 50 . » Les conseillers AAC doivent sans cesse rappeler que les objectifs du programme Twize vont dans le sens de l’intérêt général et de l’amélioration des conditions de vie de tous, ce qui n’est pas quelque chose d’évident pour les habitants. Dans une société telle que la société mauritanienne, ceux qui possèdent redistribuent leurs richesses autour d’eux dans le but d’accroître leur prestige. Les actes en faveur de la communauté ne sont donc jamais gratuits. Et les activités du programme Twize sont comprises à travers cette grille de lecture. Le conseiller AAC doit en permanence montrer qu’il ne retire aucun intérêt du projet d’assainissement qui a été mis en œuvre avec son appui et le financement du programme Twize. Les membres de l’équipe AAC ont ce rôle de lien entre les deux mondes car ils les connaissent bien et ont, en quelque sorte, un pied dans l’un et un pied dans l’autre. Ils ont un pied dans le monde du développement parce qu’ils ont intégré les règles de fonctionnement du Gret en Mauritanie, mais également les règles de leurs employeurs précédents. La plupart des membres de l’équipe ont, en effet, un parcours de plusieurs années au sein d’autres ONG occidentales. Ils ont également un pied dans les réseaux sociaux des quartiers intervention du programme Twize. Les relations qu’ils y tissent dépassent, pour certaines, le cadre du programme Twize. Ils ont tous dans les quartiers des parents, plus ou moins proches, auxquels ils sont donc nécessairement liés. Ils développent également les liens amicaux avec certaines personnes ou familles qu’ils réinvestissent ensuite dans leur travail d’animation. Enfin, certains vivent ou ont vécu dans ces quartiers. Par exemple, c’est le cas de l’animateur du quartier de Teissir dont le logement se situe dans le quartier de Médina. D’une manière générale, le travail d’animation dans le développement urbain en Mauritanie rassemble un certain nombre de caractéristiques de ce que l’on appelle le « travail social ». Il n’est pas certain que ce rapprochement le serve dans son processus de professionnalisation dans la mesure où la définition du social est encore difficile à formuler. En effet, selon J. N. Chopart, les personnes appartenant à ce champ professionnel peuvent définir le social comme l’objet de leur trava il (« le social objectivé »), comme leur pratique (« le social institué ») ou encore à une certaine éthique qui accompagne cette pratique (« le social incorporé »). Ainsi, « les définitions du social comme objet de la 50 Olivier de Sardan, 1995, p. 158. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 85 profession ou comme champ d’intervention (…) révèlent la très grande polysémie du mot et l’imprécision de la chose. » (2000, p. 199) Cependant, dans le cadre d’une étude approfondie sur les mutations du travail social en France, cet auteur identifie quelques traits constitutifs d’une définition basée sur les représentations que les travailleurs sociaux se font de leur profession et qui devrait contribuer à améliorer sa lisibilité et sa reconnaissance. Il n’est pas improbable que les animateurs de l’équipe AAC se reconnaissent également dans cette proposition. Le travail social se définirait en premier lieu par un rapport au terrain dans le sens d’une proximité, d’un rapport direct aux individus et aux groupes. Cette proximité se fait, non pas dans le cadre d’une aptitude toute particulière des intervenants à tisser des relations humaines, mais dans celui d’une expérience du terrain fondée sur une formation qui nourrit une expertise. Dans le cas où cette formation ferait défaut, c’est « la connaissance intime, existentielle pourrait-on dire, du terrain qui fonde cette légitimité en procurent la compétence » (p. 205) Enfin, le respect d’une déontologie est d’autant plus valorisé lorsque les fondements de l’expertise sont remis en question. Chez les animateurs AAC, ce rapport à la déontologie se confirme avec leur très fort attachement aux principes du développement communautaire et tout particulièrement à l’équité qui explique leur vigilance à ne pas, y compris contre leur gré, favoriser tel ou tel habitant ou groupe dans leurs quartiers. Ce qu’il semble important de mettre en évidence ici, c’est la dimension du travail social qui relève d’une « connaissance intime et [de] l’expérience vécue, phénoménologique » (p. 207) du contexte d’intervention du programme qui réaffirme leur position d’interface. Dans l’environnement complexe du monde du développement, celle-ci leur donne la capacité à mettre en relation, à réaliser une intermédiation, à articuler les logiques et donc à construire du lien entre les acteurs qu’ils soient professionnels du développement, autorités locales, institutions nationales, habitants, leaders ou encore acteurs économiques. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 86 CONCLUSION ? QUELLE REPONSE A QUELLES ATTENTES ? A l’issue du travail de capitalisation, le contenu du document final a recueilli la satisfaction de l’équipe qui le considère comme traduisant sa pratique de manière fidèle. La capitalisation a été reconnue par les animateurs comme un moment important non seulement pour son résultat mais également par la cohésion d’équipe qu’elle a provoqué durant cette période. Elle reste marquée dans les esprits de chacun comme un moment riche en apprentissages en matière de collaboration interculturelle mais également interprofessionnelle. Elle se caractérise, à notre sens, comme l’expérimentation et la réalisation d’un compromis entre différentes visions d’un même travail. Si, au cours du processus, nous avons pu identifier une variété de trois types d’attente, il semble qu’à son issue, le compromis se situe réellement entre deux. En effet, la satisfaction s’est également manifestée du côté du siège du Gret qui a permis la publication du document final dans une des collections supervisées par la direction scientifique. Ce travail est venu apporter quelques éléments de réflexion sur un sujet encore peu investigué au sein de l’organisation. En revanche, comme il était prévisible, le document de capitalisation ne répond pas entièrement aux interrogations de la coordination du programme en termes de résultats concrets et d’impacts mesurés des actions de l’équipe AAC permettant de statuer clairement sur son utilité au sein du programme. La démarche qui aurait permis d’aboutir à des réponses de cet ordre était bien différente de celle qui a été effectivement adoptée. Le compromis ne pouvait donc s’étendre à ce troisième type d’attente qui relevait d’une logique radicalement différente. ? ALORS FINALEMENT … LES APPORTS DE L’ANTHROPOLOGIE ? Sa contribution apparaît à trois niveaux. Sa démarche centrée sur les logiques d’acteurs a permis d’identifier el s nœuds d’enjeux qui se sont formés autour de ce travail. Ceci a constitué un appui considérable pour l’accompagnatrice de la capitalisation dont la position était à la rencontre de différentes logiques qu’il s’agissait de faire dialoguer. Cette situation n’est pas exceptionnelle mais bien inhérente à tout acteur opérationnel du monde du développement. Le regard anthropologique fait ici la preuve de sa pertinence. L’anthropologie dans le développement c’est, en premier lieu, une manière de voir et de mettre à plat en se retenant de porter un quelconque jugement sur les intérêts que Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 87 manifestent les individus. C’est une anthropologie diffuse, permanente, spontanée. Un état d’esprit qui se cultive avec l’expérience. Mais c’est également un certain nombre d’outils, depuis la démarche d’enquête jusqu’au travail de croisement des discours, en passant par la technique de l’entretien, qui permettent une production de connaissances. L’approche anthropologique apparaît comme un important réservoir méthodologique pour la réalisation d’un travail maïeutiq ue tel qu’a été la capitalisation. Toute la richesse des échanges se fonde sur la capacité des individus à cerner comment ils se perçoivent mutuellement, comment ils se positionnement l’un par rapport à l’autre et quelles sont leurs attentes respectives vis-à-vis de l’échange même. Ainsi, le passage par l’anthropologie, c’est le moyen de disposer d’une base solide d’informations ancrées dans une réalité sociale permettant d’alimenter la réflexion, d’apporter un certain nombre d’éclairages et des éléments de réponse sur l’activité d’animation dans un programme de développement urbain. En effet, si toute activité professionnelle a un ancrage avant tout technique, cette dimension ne peut avoir le monopole pour expliquer les choix et les actes qui sont posés pour parvenir aux résultats escomptés. (Latour, 1999) La grille de lecture doit prendre en considération les positions sociales des individus qui les réalisent, leurs rapports de pouvoir et leurs intérêts individuels et collectifs car, dans la réalité, « rien n’est indiscutablement technique », ni « indiscutablement social » (Callon, Lascoumes & Barthe, 2001, p 45). Les interventions sont profondément hybrides en ce qui concerne les raisons qui poussent les gens à agir de telle ou telle manière. ? ET APRES ? Les issues de la capitalisation peuvent être plurielles. Une présentation publique et la diffusion la plus large possible du document sont les perspectives immédiates. La réflexion prospective sur l’animation dans le développement urbain à Nouakchott devait proposer des perspectives à plus long terme. Une discussion à ce sujet s’est réellement enclenchée à l’issue de capitalisation, relayée par le siège du Gret à Paris et soutenue par la coordination Twize. Elle concerne la question de l’insertion d’animateurs au sein des communes de Nouakchott qui apparaît comme une piste prometteuse pour la professionnalisation de l’animation en Mauritanie. En effet, cette possibilité s’inscrit pleinement dans le cadre du processus de décentralisation qui vise à donner dava ntage de prérogatives et de moyens d’action aux institutions locales en matière de développement. Les réflexions au sujet de l’animation dans les communes lors de la capitalisation ont été reçues de manière très positive par les membres de la Direction générale des collectivités locales (DGCL). Deux Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 88 de ses représentants ont participé à l’atelier organisé à ce sujet dans les locaux du programme Twize et la DGCL a accepté de signer la préface du document produit par l’équipe. Ce rapprochement avec les institutions constitue une importante avancée dans leur reconnaissance du travail d’animation dans la mesure où, comme l’a démontré Abbott, la naissance d’une profession ne se réalise par uniquement par le processus historique de construction d’une pratique profe ssionnelle mais également par son inscription dans la politique nationale (2003, p. 30). En Mauritanie, cela se traduit actuellement par des réflexions croisées au niveau du Gret-Mauritanie et de la DGCL sur la création d’un cursus de formation et sur les bases et conditions nécessaires à la mise en place d’un dispositif d’encadrement de l’animation dans les communes. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 89 BIBLIOGRAPHIE Abbott A., « Ecologies liées : à propos du système des professions », 2003, in Menger P. M., Les professions et leurs sociologies. Modèles théoriques, catégorisations, évolutions, Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris : 29-50. Barbier J.M., 2000, « L’analyse des pratiques : questions conceptuelles », in BlanchardLaville C., Fablet D., L’analyse des pratiques professionnelles, L’Harmattan, Paris : 286 p. Baré J.P., 1995, Les applications de l’anthropologie, Karthala, Paris : 282 p. 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Strauss A., 1982, « Social worlds and legitimation processes », Studies in symbolic interactions, vol. 4, Greenwich, Jai Press : 123-139. Vermersch P., 2004, « L’aide à l’explicitation et retour réflexif », Education permanente, n°160, mars : 71-80. Vermersch P., 2006, L’entretien d’explicitation, Paris, ESF, 221 p. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 93 TABLE DES MATIERES ? ? ? ? ? ? Remerciements Sommaire Sigles et abreviations Introduction Nouakchott : un mirage en plein desert « Twize » Capitaliser l’expérience des animateurs Capitaliser quoi et pourquoi ? quelques définitions La socio-anthropologie comme cadre théorique Problématique et structure de la reflexion PARTIE 1 L’équipe AAC : des animateurs en manque de reconnaissance professionnelle I. 16 16 17 19 21 L’équipe AAC dans un monde du développement professionnalisé 1. La professionnalisation du monde du développement : une illustration par le programme Twize ? Le gret : une « entreprise humanitaire » ? Les ressorts d’une intervention professionnelle de développement : l’exemple de twize 3. L’équipe AAC en quête de reconnaissance ? Lecture interactionniste des professions au sein de twize ? Travail d’animation sociale et reconnaissance ? La légitimation par l’utilité 23 23 23 25 27 27 29 31 III. 1. 2. 3. La capitalisation : un moment tant attendu Pour la coordination du programme Twize : clarification et évaluation Pour le siège du Gret : approfondir la connaissance Pour l’équipe AAC : démontrer les compétences et valoriser le travail PARTIE 2 Le processus de co-production d’une connaissance sur les activités d’animation I. 15 L’animation dans le développement urbain en Mauritanie L’appui aux activités communautaires du programme Twize : un apprentissage sur le tas ? Structuration de la démarche ? Analyse des premières expériences et renforcement de la demarche avec hélene baril 2. Une profession à construire dans le pays 1. II. 1 2 3 4 4 5 8 9 11 13 32 32 33 35 37 Chacun ses rôles : positionnement des acteurs et production de connaissances La position d’accompagnatrice ? L’apprentissage comme préalable ? La construction d’une relation de confiance et de dialogue ? les fonctions de l’accompagnement 2. Modes d’interaction avec les animateurs et production de connaissance ? La fourniture d’information brute : une première formalisation ? L’animateur comme enqueteur 38 38 38 39 40 41 42 43 Décomposition du processus de maïeutique : formaliser l’informel La formalisation des pratiques : l’exemple de la relation aux leaders de quartier ? Elements de définition sur les savoirs implicites ? Le rôle des traces écrites ? De la connaissance tacite à la connaissance explicite ? Identifier l’intuitif : Le rôle de l’observation participante 2. L’analyse contextualisée ? Elargir la reflexion au système d’acteurs : l’exemple du service d’assainissement à médina ? Mettre en cohérence les resultats de la reflexion 3. La restitution/validation des résultats ? Traduire de manière fidèle 44 45 45 45 47 49 50 50 52 53 53 Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 94 1. II. 1. ? ? ? III. 1. ? ? 2. ? ? Un moment de catharsis L’influence du texte dans la reflexion de la Confrontation des visions à l’objectivation La capitalisation : un moment de formation ? Evolution des perceptions : l’exemple du centre de promotion des activités féminines Un projet phare pour l’equipe aac Comment augmenter la confiance des membres dans la structure Réorientation d’actions Comment augmenter l’impact du travail d’information des habitants Vers un service public d’assainissement dans le quartier de Médina PARTIE 3 Quelques traits du travail d’animation au sein de Twize 54 55 57 57 58 58 59 60 60 61 63 I. Les microprojets communautaires dans leur contexte social 1. Les microprojets AAC ou la rencontre de deux visions de la société ? Caractéristiques du lien social en Mauritanie ? AAC : de l’accompagnement à l’encadrement des microprojets 2. Ambitions personnelles des porteurs de projets : quelles conséquences pour l’impact des projets? ? L’échec du service de collecte des ordures ménagères ? Un jardin d’enfants qui fonctionne grâce au bénévolat ? Soupcon généralisé au centre de promotion des activités féminines 3. Comment prévoir l’autonomisation ou la question de la propriété des équipements ? Autonomisation et privatisation des projets ? Le passage du suivi des projets aux autorités locales 64 64 64 65 66 67 67 68 69 69 70 II. Dimension publique de l’action et relations aux autorités locales 1. AAC et les communes : chevauchement des domaines de réalisation ? Les communes de nouakchott : des institutions dépourvues de moyens d’action ? Du chevauchement des prérogatives à la collaboration ? Les projets AAC comme vecteurs de reconnaissance pour les communes 2. L’animation au sein des communes : une perspective pour le développement local à Nouakchott 71 71 71 73 75 76 III. L’animation au service d’un projet de développement 1. Mobilisation pour informer les habitants ? La connaissance des quartiers comme préalable au travail d’animation ? Toucher, rassembler, mobiliser 2. Interface, intermédiation, traduction ? De l’information organisée à la pédagogie permanente ? L’animateur à l’interface de deux mondes Conclusion ? Quelle réponse a quelles attentes ? ? Alors finalement … les apports de l’anthropologie ? ? Et après ? Bibliographie Table des matières Annexes Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 77 78 78 80 82 82 84 87 87 87 88 90 94 96 95 ANNEXES Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 96 TABLE DES ANNEXES Annexe 1 : Cadre logique de la composante AAC p. 97 Annexe 2 : Acteurs concernés par la capitalisation p. 99 Annexe 4 : Termes de référence du stage p. 100 Annexe 5 : Cahier des charges de la capitalisation p. 103 Annexe 6 : Entretien avec Ndiaye Abderahmane sur sa relation avec les leaders du quartier de Couva p. 112 Annexe 7 : Compte rendu de l’atelier sur l’animation au sein des communes de Nouakchott p. 122 Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 97 II. Contribuer à une politique de l’habitat social I. Contribuer à la réduction de la pauvreté en milieu urbain, à Nouakchott et Nouadhibou, par l’amélioration des conditions de vie des populations des quartiers précaires Objectifs globaux du projet Objectif général du volet Objectifs spécifiques du volet Favoriser la structuration des quartiers et leur intégration au schéma de développement de la ville (3) Renforcer les capacités des habitants à définir les projets d’amélioration de leur quartier et à les mettre en œuvre, en concertation avec les autorités communales (2.3) Améliorer les conditions de vie et l’accès aux service de base/de proximité dans les quartiers (3.1) Appuyer les initiatives des habitants en termes d’activités socio-culturelles et socioéconomiques (3.1) Résultats attendus Indicateurs objectivement vérifiables Des modalités de dialogue et débat sur la situation des quartiers sont mises en place Chaque quartier dispose d’un plan de développement, élaboré de façon participative entre les acteurs sociaux et les autorités publiques locales Les capacités des habitants et des associations locales, sont renforcées en termes de diagnostic, identification de priorités, négociations avec les services techniques et les autorités communales, mise en œuvre de projets Existence de lieux de dialogue, ponctuels ou institutionnalisés Nb de diagnostics de quartiers et de PDQ Qualité des processus Participation des autorités locales Nb de projets prép arés par les ass. Autonomie dans la prép aration et la négociation Qualité des projets 20 infrastructures/équipements Existence d’un guide prioritaires/de proximité sont réalisés et sont de procédures gérés selon des modalités précises et négociées entre les acteurs Nb et types de réalisations Qualité de la gestion 50 projets, portés par des groupes d’acteurs Nb et types de locaux, sont soutenus projets soutenus Sources de vérification Rapports Rapports Enquête PV de réunion Rapports d’activités Suivi des fonds PV d’étude des dossiers Evaluations Guide de procédures Suivi des fonds Evaluations ex post Suivi des Fonds Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 98 Contribuer à intégrer les quartiers dans le cadre légal et réglementaire de l’urbanisme (3.2) Le statut juridique des équipements réalisés est clarifié. Les outils cartographiques issus du projet sont conçus pour être compatibles avec les documents des services de l’urbanisme, et sont transmis aux services techniques et aux mairies Les services techniques communaux intègrent les quartiers précaires dans leurs stratégies Les autorités communales appuient l’équipement des quartiers et les initiatives des habitants Le statut juridique et les modalités de gestion sont clarifiées Compatibilité des outils Transmission effective Contrats entre commune et ass. Participation aux réunions sur les quartiers PV de réunion Plans communaux Participation aux réunions, appuis apportés PV de réunions Rapports d’activités Bordereau de transmission Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. 99 Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 100 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. Microfinance Habitat Chef de composante Conseillers de quartier Chef conseiller quartier/chef conseiller projet Appui aux activités communautaires Formation Coordination du programme Représentation en Mauritanie Pôle DAT Direction scientifique GRET Acteurs concernés par la capitalisation Stage de bilan - capitalisation de la composante « Animation, Activités Communautaires, projets de quartier » du programme TWIZE, Nouakchott, Mauritanie CONTEXTE DU STAGE Le GRET Créé il y a 30 ans, le Gret est une association professionnelle de solidarité et de coopération internationale. Nous travaillons, en Afrique, en Asie, en Amérique latine et en Europe, pour contribuer à un développement durable et solidaire et lutter contre la pauvreté et les inégalités structurelles. Nos actions visent à accroître les revenus des populations rurales et urbaines, réduire leur vulnérabilité, améliorer leur accès à des infrastructures et des services de qualité, développer leur capacité à faire entendre leur voix. (Pour en savoir plus : www.gret.org ) Le programme TWIZE Le programme TWIZE est un vaste programme d’habitat social. Il s’inscrit dans le Cadre Stratégique de Lutte Contre la Pauvreté Mauritanien. Il est cofinancé depuis 1999 par le Commissariat aux Droits de l’Homme, à la Lutte Contre la Pauvreté et à l’Insertion (C.D.H.L.C.P.I.) et mis en œuvre par le GRET dans les quartiers périphériques de Nouakchott. Son objectif global est de réduire la pauvreté en milieu urbain et de participer à la définition de la « Politique de l’habitat social en Mauritanie ». Pour ce faire, il s’appuie sur une approche intégrée et territoriale et favorise l’implication des acteurs locaux (autorités et habitants) dans les réalisations du programme. Le programme TWIZE est composé de quatre composantes assurant ainsi une démarche plurisectorielle : la composante habitat, la composante microfinance, la composante « Animation, activités communautaires, projets de quartier » (AAC) et la composante formation. La composante AAC est une composante chargée de l’ingénierie sociale et de l’animation dans les quartiers. Elle vise à renforcer les compétences et l’organisation des groupes d’habitants des quartiers à travers le soutien à des projets qui contribuent à l’amélioration des conditions de vie collectives (projets sociaux ou culturels, production d’équipements publics ou communautaires, réalisation d’infrastructures de quartier, gestion de services collectifs) et à un travail d’animation dans les quartiers. Cette composante est composée d’une dizaine d’animateurs (conseillers projets et conseillers quartiers) coordonnés par un chef de composante. OBJECTIFS DU STAGE L’objectif du stage est de travailler sur un bilan - capitalisation des méthodes et pratiques utilisées dans le cadre des activités de la composante AAC. Ce stage s’inscrit dans le travail de suivi – évaluation du programme TWIZE qui est en cours. Il sera l’occasion d’une prise de distance par l’équipe AAC permettant de faire un bilan et Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 101 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. d’évaluer les méthodes utilisées par l’équipe d’animation. Si ce travail ne constitue pas une évaluation au sens traditionnel du terme, il s’agit d’une sorte d’évaluation participative des pratiques d’animation et de montage de projets de quartier utilisées par l’équipe d’animation elle -même. En fonction des axes choisis pour la capitalisation par l’équipe AAC lors de la mission de cadrage, le stage consistera à coordonner, animer et formaliser la réflexion des animateurs de la composante sur les outils, méthodes et pratiques élaborés dans le cadre de la composante AAC afin de dresser un bilan partagé sur les enjeux et les « bonnes pratiques » d’une telle composante. La capitalisation de la composante AAC devra permettre au regard de l’expérie nce de cette composante de se forger une ligne de conduite et une pratique la plus aboutie possible sur l’accompagnement des projets de quartier en Mauritanie. Deux objectifs de travail sous forme de question seront approfondis dans ce cadre : Comment faire en termes de méthodologie, d’outils et de pratiques ? Ce travail se basera sur les méthodes et les outils utilisés par la composante AAC qui seront mis en débat et en question : qu’est ce qui marche ? Qu’est ce qui ne marche pas ? Pourquoi ? Les grands thèmes identifiés par l’équipe pour organiser la réflexion sont les suivants (ils seront amenés à être affinés et précisés lors de la mission de cadrage) : 1. La connaissance des territoires et le diagnostic de quartier (les monographies) 2. L’animation de quartier concernant les micro-initiatives 3. Le cycle du microprojet (identification, conception et mise en œuvre des microprojets.) Pourquoi faire des projets de quartier ? A partir de 2/3 thèmes particulièrement pertinents qui seront définis lors de la mission de cadrage, il s’agit d’essayer d’apporter des éléments de réponse sans dogmatisme pour avancer sur la compréhension de ce type de programmes dits d’appui au développement local. Cette réflexion devra notamment s’interroger sur des spécificités de la composante AAC et du contexte d’intervention que sont les quartiers périphériques de Nouakchott. Elle constituera un « chapeau » de présentation problématique de la démarche qui introduira et complétera les réflexions sur la méthode. ORGANISATION DU STAGE Le stagiaire est la cheville ouvrière de la capitalisation. Il coordonne et accompagne l’équipe d’animation dans son travail de bilan de leurs pratiques. Il est une sorte d’ensemblier de la réflexion de chacun et rédacteur des produits finis. Déroulement Définition et élaboration collective du cahier des charges du travail de capitalisation : organisation d’un atelier de travail pour définir collectivement les thèmes de réflexion et les axes de travail (avec la participation éventuelle d’animateurs d’autres programmes pour enrichir la réflexion de l’équipe) (Equipe AAC, stagiaire, mission de cadrage de la capitalisation réalisée par Emilie Barrau) Constitution de petits groupes de travail : par exemple deux animateurs par thème. Les animateurs s’emparent d’un thème et élaborent un premier exposé qu’ils présentent à l’équipe lors des réunions hebdomadaires. Ces réunions sont l’occasion de discuter et de valider les premières hypothèses. Cette démarche collective et progressive par petits Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 102 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. groupes de travail devra permettre d’impliquer les animateurs dans le processus ; les restitutions en réunion de composante permettront une appropriation du travail de chacun par toute l’équipe. Le travail du stagiaire est d’encadrer méthodologiquement les animateurs dans leur réflexion, d’animer le travail collectif et de rédiger au fur et à mesure ce qui constituera les chapitres de la capitalisation. (Equipes d’animation, stagiaire AAC) A la fin de ce travail collectif, le stagiaire fera un travail d’harmonisation et de mise en forme des différents travaux afin de produire un document qui constituera un petit ouvrage de bilan – capitalisation de la composante AAC. Production d’un « chapeau » plus transversal de présentation de la démarche (Stagiaire, suivi Emilie Barrau, validation par l’équipe d’animation) Un encadrement du chef de composante et du coordinateur du programme TWIZE tout au long de ce travail. Emilie Barrau, intervenante au GRET - siège sera chargée du cadrage et du suivi du stage et du travail de capitalisation dans son ensemble. Eventuellement et en fonction des disponibilités, des animateurs d’autres projets d’appui aux dynamiques locales pourront présenter certaines de leurs pratiques pour enrichir la réflexion de l’équipe tout au long du processus (SCAC, FSD). LES PRODUITS ATTENDUS Un ou plusieurs documents, en fonction de la forme choisi (un manuel ou plusieurs petit fascicule), qui mettent à plat « intelligemment » les pratiques et les méthodes de la manière la plus aboutie possible les articuler avec des éléments sur le « pourquoi ? » de ces pratiques. Un document d’analyse en « chapeau » qui pose quelques questions de fonds sur le pourquoi ? Ces documents pourront faire l’objet d’une publication en Mauritanie qui serait diffusée au niveau des ONG et des animateurs mauritaniens ainsi que d’une diffusion plus large par le GRET (diffusion en ligne sur le site du GRET) MODALITES Un stagiaire : durée de 4 mois (1er juillet – fin octobre) Conditions proposées : 120 000 UM / mois pendant 4 mois Billet d’avion et visa pris en charge par le programme Logement pris en charge par le projet Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 103 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. Capitalisation de la composante AAC du programme TWIZE – Cahier des charges PROJET DE CAPITALISATION Justification La composante « Animation, Activités Communautaires – Projets de quartier » est la composante d’animation et d’ingénierie sociale du programme TWIZE. Elle a pour objectif général de « favoriser la structuration des quartier et leur intégration au schéma de développement de la ville ». Dans le cadre d’un programme sectoriel d’accès à l’habitat social, la composante AAC a, depuis le début du programme, un problème de lisibilité et de visibilité par rapport aux autres composantes et de justification vis-à-vis des partenaires institutionnels et bailleurs. Ce travail de capitalisation – à un an de la fin du programme TWIZE 1 – s’inscrit donc dans un contexte de fin de projet avec un fort besoin de rendre lisible les actions de la composante mais aussi de clarifier les axes de forts de la démarche afin de « resserrer » autour d’objectifs forts les activités durant la dernière année. La capitalisation devra donc permettre de « donner un visage à la composante » 51, de donner à voir la « dimension invisible de la composante » et apporter une visibilité au travail d’ingénierie sociale. Notons qu’il y a une forte demande de l’équipe pour être appuyé dans ce travail de bilan – capitalisation, pour mettre à plat les acquis et les limites de leur démarche, de leurs actions et leurs pratiques. Il faut « analyser nos forces et nos faiblesses ». L’équipe est également demandeuse d’un travail de clarification du « métier d’animateur » et de ce qu’est l’animation et de recommandations opérationnelles sur les outils et méthodes qui généralisent certaines de leurs pratiques. Enfin il y a une volonté de mener une réflexion prospective sur ce que pourrait devenir une composante ou un projet d’animation et d’ingénierie sociale au-delà de la composante : quel positionnement possible ? Quelle complémentarité avec des projets sectoriels ? Objectifs A partir de ces attentes et du contexte de la capitalisation, nous pouvons définir quatre objectifs synthétiques à ce travail : Mener un bilan critique de la démarche et des pratiques de la composante AAC en termes d’acquis et de limites 51 Citations et formules de l’équipe lors de la première réunion sur leurs attentes sur cette capitalisation Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 104 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. Donner une lisibilité aux activités de la composante et analyser la pertinence d’une composante de développement local dans un programme sectoriel Réaliser des recommandations opérationnelles pour améliorer les pratiques et méthodes de l’animateur Mener une réflexion prospective sur le positionnement d’une composante d’animation sociale dans les quartiers périphériques au-delà du programme TWIZE Public Le public visé par cette capitalisation est de trois types (c’est d’ailleurs là une des difficultés de ce travail, car il faut parvenir à combiner les attentes de ces trois types d’acteurs) : Les animateurs AAC Les animateurs et organisations d’ingénierie sociale en Mauritanie Les acteurs institutionnels et partenaires du projet (bailleurs…) Format Un ouvrage d’une cinquantaine de page sera publié par le programme TWIZE localement. Il sera divisé en 4 chapitres qui traitent des grands axes de réflexion approfondis durant le travail de capitalisation. Titre très provisoire : «Enjeux et perspectives de l’animation et l’ingénierie sociale dans les quartiers périphériques de Nouakchott : quelques éléments de réflexion issus de l’expérience de la composante AAC du programme TWIZE » Méthodologie Principes Ce travail de capitalisation mêle une dimension auto-évaluative réalisée par les animateurs et une dimension « d’extériorité » pour une partie du travail de Laetitia (enquêtes, entretiens…). Cette double approche sera mise en commun, partagée et discutée lors de nombreux temps de travail collectif. La capitalisation se concentrera sur 4 axes, définis à partir d’un travail préalable sur le cadre logique et les objectifs spécifiques de la composante, validés par toute l’équipe comme étant des axes de réflexion pertinents. Sur chacun des axes, il conviendra : de mener un travail de bilan des acquis, activités et pratiques de la composante : réussites, échecs, actions plus ou moins pertinentes : qu’est ce qu’on fait ? Qu’est ce qu’on sait faire ? Comment on a fait ? Il s’agit de restituer une analyse cohérente de ce qui a été fait et produit par la composante AAC d’analyser ce bilan en resituant la composante dans le contexte institutionnel et le jeu d’acteurs ainsi que dans les spécificités de la démarche du programme TWIZE A partir, de ce bilan et de ces analyses, de mener une réfle xion collective sur les pratiques et la démarche de la composante et les limites d’atterrir sur des éléments de recommandations opérationnelles pour une démarche de développement local Eléments de méthode A partir de ces principes de capitalisation mêlant autoévaluation, regard extérieur et mise en commun de la réflexion, les activités de ce travail se déclineront ainsi : Des moments de bilan et d’état des lieux. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 105 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. Les outils de suivi du programme TWIZE seront utilisés pour dresser ce bilan (informations quantitatives et suivi de toutes les activités du programme). Dans d’autres cas, des petites enquêtes ciblées sous forme de questionnaires seront réalisés auprès de partenaires du programme (groupes porteurs, mairies…) Des réunions de restitution de ces premiers éléments de bilan afin de travailler sur les acquis et les limites et de cerner les points à approfondir Des enquêtes, entretiens et études de cas approfondies réalisés par Laetitia (pour travailler notamment sur l’impact des projets et les relations institutionnelles) Des moments de mise en en commun des résultats de ces enquêtes et de validation collective des hypothèses Des propositions permettant d’atterrir sur des « bonnes pratiques » en termes de méthodes et de démarche. Il s’agira de réinterroger et reformuler la démarche et les outils par rapport à la compréhension des enjeux. Introduire une dimension mode d’emploi sur les outils, aspect de systématisation et de reformulation A partir des conclusions partagées, rédaction du « chapitre » correspondant à l’axe de réflexion. Les chapitres devront comprendre les éléments suivants : Des éléments de bilan et d’état des lieux de la composante sur le thème Des éléments d’analyse sur les limites et les acquis Des éléments de recommandations : recommandations opérationnelles pour un projet de ce type et / ou recommandations prospectives sur le positionnement possible de la composante au-delà de Twize 1. Il conviendra également d’insérer des exemples ou des témoignages pour illustrer la réflexion Organisation du travail Laetitia Morlat Cheville ouvrière du travail de capitalisation, elle est chargée : d’organiser et de préparer les temps de travail collectif avec l’équipe AAC à partir du cahier des charges de réaliser les questionnaires et guides d’entretie n utilisés ensuite par les animateurs pour les premières enquêtes de réaliser les enquêtes plus approfondies et les études de cas de rédiger et finaliser le produit de la capitalisation L’équipe AAC L’équipe AAC est totalement impliquée dans le travail de capitalisation : Elle participe activement au temps de réflexion collective Réalise les enquêtes et questionnaires spécifiques dans les quartiers Valide les hypothèses et les conclusions Accompagne Laetitia dans son travail de terrain Moussa Abdoulaye En tant que chef de composante : Il suit de près l’avancement du travail de capitalisation et veille à son déroulement dans les temps Il suit le travail de Laëtitia et est un interlocuteur privilégié pour échanger au long du travail Il mobilise l’équipe dans son implication sur ce travail Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 106 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. La coordination du Gret – RIM (Samassa, Christophe) Elle suit le travail de capitalisation Elle valide par étape les avancées et conclusions du travail (réunion tous les 15 jours avec Laetitia et Moussa ?) Elle valide la fina lisation du document et les dimensions financières et pratiques de la publication Emilie Barrau, chargée du suivi de la capitalisation AAC au siège Elle définit les axes de travail de la capitalisation Elle rédige un cahier des charges de la capitalisation Elle suit le travail à distance Elle valide la version finale du document Calendrier Cadre général Définition des axes et de la méthodologie de la capitalisation : 5 au 12 juillet Travail de capitalisation : 15 juillet au 15 octobre Travail de rédaction / finalisation : 15 octobre au 30 octobre Publication : Novembre / Décembre Chronogramme des activités (Voir annexe) LE CONTENU Axe 1 : la question de l’impact des microprojets Les questionnements Il s’agit d’interroger la composante sous l’angle d’un des objectifs spécifiques défini dans le cadre logique, « l’amélioration des conditions de vie et d’accès aux services de proximité dans les quartiers ». Cet axe de capitalisation visera à mesurer l’impact des projets réalisés par la composante AAC en termes d’amélioration des conditions de vie dans les quartiers. Mesurer l’impact du projet en termes d’accès aux services de base et de pérennité Il s’agira d’évaluer la pérennité des projets réalisés et leur impact en termes d’amélioration des conditions de vie des populations : quel impact des projets ? Quelles limites observées sur la pérennité des équipements ? Comment expliquer les limites en termes de durabilité et de pérennité (des problèmes d’entretien, sous investissements…) ? Cette réflexion pose la question de l’échelle du projet et des limites d’une intervention au niveau « micro » avec des financements très faibles (1M UM maximum) et des groupes de base peu expérimentés : quels avantages ? Quels inconvénients ? Dans quelles mesures cela écarte des actions plus structurantes et plus utiles ? Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 107 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. Cette réflexion pose également la question de l’analyse des règles du jeu de la démarche AAC : critères d’éligibilité, modes de financement : quel impact en termes de proposition de projet et demande des gens ? En quoi cela biaise la pertinence des propositions ? La question de la gestion des projets et ses effets sur l’impact Il s’agit d’évaluer la qualité et les limites en termes de fonctionnement et de gestion financière et administrative des projets. Quel est l’ impact d’une gestion transparente sur le fonctionnement des projets ? La gestion privée, publique ou communautaire, quelles nuances en termes de résultats ? Il s’agira également de mener un travail sur la perception des projets par les usagers sur le service : quelle perception du service par les usagers ? Un service privé, un service ouvert à tous ou limité à une clientèle spécifique ? Quels sont les liens entre le service privé / communautaire et l’accès public / collectif au service ? Evaluation de l’impact en termes de structuration des groupes Quel impact du projet et quel effet structurant pour le groupe ? Quelle durabilité du groupe (accès à d’autres financements…) ? La méthode pour travailler sur cet axe Elaboration d’une fiche / questionnaire de me sure d’impact / état des lieux de tous les projets réalisés par la composante. Prendre en compte (notamment) : l’état des équipements et infrastructures le nombre d’usagers l’organisation et de la gestion du service la structuration du groupe La satisfaction des usagers … Laetitia, validé par Moussa Réalisation de ces petits questionnaires de mesure d’impact sur tous les projets Equipe animateurs Restitution et mise en débat en réunion de composante Equipe AAC + Laetitia études de cas approfondies sur certains projets pertinents Types de projets pour les études de cas (à confirmer) : projet d’assainissement projet économique projet jardin d’enfant Laetitia Analyse et présentation de l’analyse en réunion de composante pour discussion et validation des hypothèses Rédaction du chapitre sur l’impact des microprojets présentation de la démarche AAC sur cet axe éléments d’analyse et de généralisation Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 108 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. recommandations opérationnel sur l’amélioration des méthodes et des propositions sur l’amélioration des pratiques Laëtitia (validé par Moussa, EB et coordination TWIZE) Axe 2 : l’articulation entre la composante AAC et les pouvoirs publics locaux. A partir d’une réflexion sur l’objectif spécifique n°2 de la composante, « renforcer les capacités des habitants à définir et mettre en œuvre des projets en concertation avec les autorités communales », le deuxième axe d’analyse de la capitalisation s’est centré sur la question de l’articulation de la composante AAC avec les pouvoirs publics locaux. Questionnements Quelle implication des communes dans la démarche AAC ? Analyser les degrés et les niveaux d’intervention des communes dans la démarche : quels rôles ? Quels liens ? Quelles limites ? Quelles évolutions (projet de cofinancement, participation au comité d’attribution, inauguration : plus dans le rôle d’un partenariat formel) ? La question du transfert aux communes et de l’implication des communes dans les projets Les projets AAC doivent en principe être transférés aux communes au bout de 6 mois de suivi. Ce transfert a déjà été réalisé à NDB pour deux projets (centre de santé, bibliothèque). Il s’agira d’analyser la question du transfert des équipements à la mairie : dans tous les cas ? Pour certains types de projets seulement ? (partir des conventions signées avec les mairies) Questionner le niveau d’implication des communes selon les types de projets : répartition du jeu d’acteurs sur les différents types de projet : pas les mêmes exigences et pas le même type de suivi selon les projets. Quels liens et articulations possibles entre une composante d’animation sociale et les mairies ? Comment une équipe d’animation peut s’insérer dans les communes et participer au renforcement des compétences des communes et à l’articulation entre les communes et la société civile ? Comment une cellule d’animation peut participer à la compréhension des rôles et des devoirs des communes envers les populations ? Méthode Travail sur les communes Quelle réalité ? Quels moyens ? Quelles compétences ? LM (entretien avec Bénédicte et visite Toujounine) Préparation des questionnaires évaluer la relation mairie / AAC LM Réalisation des enquêtes auprès des communes Animateurs Restitution discussion en réunion de composante Equipe AAC + LM Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 109 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. Enquêtes plus approfondies sous forme d’entretiens avec 2 / 3 maires LM Analyse et restitution LM + équipe animation + intervention d’Hélène Baryl sur le projet PDS (appui à la société civile ancré au sein des communes) Rédaction du chapitre sur l’articulation mairie / projet d’animation sociale LM va lidé par Moussa, EB et coordination TWIZE Axe 3 : AAC, un fort ancrage territorial de l’ingénierie sociale : pourquoi ? Comment ? Ce quatrième axe vise à interroger la spécificité du positionnement des animateurs : un ancrage territorial des animateurs, une présence sur le terrain quotidienne dans un projet de développement local : pourquoi ? A quoi ça sert ? Questionnements Les fonctions de l’animateur dans son quartier Quelles sont les fonctions de l’animateur dans le quartier ? Définir toutes les fonctio ns d’animation dans le quartier : médiation informelle pour les activités du programme et hors du programme, lien, levier, mobilisation dans le quartier Quels atouts de l’ancrage des animateurs sur le terrain, dans les antennes ? L’ancrage territorial permet –il d’atteindre un type d’OB et de groupes qui ne sont pas « visibles » sans cette connaissance approfondie du quartier ? Etudier les différences de démarche entre le transfert de la mise en œuvre des projets au niveau d’ONG intermédiaires (à NDB) et le montage et le suivi direct des projets par des animateurs « permanents » dans le quartier à NKT ? Quelle perception des animateurs par les habitants ? Pourquoi et comment formaliser ce travail d’ancrage dans les quartiers par l’utilisation d’outils ? Etudier la pertinence des outils utilisés pour formaliser ces fonctions et activités : décalage possible entre la connaissance intuitive des animateurs et de la formalisation des outils. Enjeu de la formalisation des outils et des activités : pourquoi ? Pour qui ? Comment ? Savoir ce qui est utile ou inutile. Comment peut-on réviser notre manière de faire. Les activités d’animation sociale : pourquoi, comment ? L’animation sociale (les activités d’animation, de communication et de sensibilisation dans les quartiers) : Quel impact en termes de messages ? Quel public visé et atteint ? Quel l’impact dans la vie du quartier ? Quels sont les effets structurants des «micro-initiatives », interventions ponctuelles sur des thèmes spécifiques ? Quelles activités pourraient être plus structurantes et lisibles ? Les partenaires des animateurs dans le quartier Qui sont les personnes ressources, les groupes porteurs et les leaders, relais des animateurs pour les activités d’animation et de mobilisation ? Qu’est ce qu’ils font ? Quelle est leur légitimité à être relais pour la composante? Quelle motivation ? Quels intérêts ? Est-ce que leur implication dans le programme change leur positionnement ? Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 110 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. Méthode Deux semaines « d’immersion » dans des antennes AAC (Couva, Médina) LM avec les animateurs de ces antennes. Entretiens auprès des personnes ressources, des leaders et des porteurs (mobilisation d’un traducteur) Atelier sur le travail d’animation et les relations avec les populations dans les quartiers LM + équipe Analys e et rédaction (description, analyse, aboutir à des pratiques renouvelées) LM, validé par Moussa, équipe coordination TWIZE et EB Axe 4 : questionner la transversalité de la composante AAC et la pertinence de cette transversalité au sein du programme TWIZE Questionnements Donner à voir le travail de transversalité de la composante AAC Décrire le rôle de la composante AAC pour les autres composantes, afin de clarifier les démarches : Rôle dans la relance de l’habitat, rôle dans les zones de recasement. (Opération habitat 2005) Micro-initiatives de communication sur le programme Questions foncières : permis d’occuper, conformité du permis de construire … Définir toutes les fonctions « transversales » des animateurs : remontée d’info, communication, suivi et structuration des groupes, médiation… Réflexion sur la pertinence de la transversalité avec les composantes AAC n’est pas un projet de développement local mais une composante « au service » des autres composantes et inscrite dans le programme TWIZE. Dans quelle mesure cette fonction est-elle utile et permet de mettre en œuvre les composantes sectorielles ? En quoi les autres composantes ont besoin d’AAC ? A quoi sert l’animation sociale pour la composante mcc, formation et habitat ? Quelle pertinence ? A quoi servent les activités de « connaissance du milieu » AAC : diagnostic, connaissance des quartiers, médiation… Dans quelle mesure la connaissance fine des quartiers périphériques est une valeur ajoutée importante pour un projet sectoriel ? Méthode Consultation des documents de suivi – évaluation de la composante pour réaliser une description des activités « transversales » d’AAC et les quantifier LM Ateliers de travail sur la transversalité et l’utilité d’AAC pour les autres composantes Equipe AAC, membres d’autres composantes (mcc, habitat et formation), LM Entretiens avec des membres des autres composantes LM + autres composantes (formation, mcc, habitat) Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 111 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. Entretiens sur la pertinence d’un programme intégré, les options possibles de la dimension animation et ingénierie sociale dans un TWIZE 2 LM, Christophe, Samassa Restitution en réunion sur l’articulation d’une telle composante avec des composantes ou programmes sectoriels Equipe + LM Rédaction d’un chapitre sur cet axe LM Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 112 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. Entretien avec Ndiaye Abderahmane sur sa relation avec les leaders dans le quartier de Couva A l’antenne…. (non enregistré) L’entretien commence avec la visite d’un leader du quartier, Dah Abdoul Bocar. Il connaît très bien le quartier. C’est un des premiers habitants du quartier. Il sait quels terrains ont été attribués à qui lors de l’attribution gratuite de 1400 lots. Il est président de l’APE de l’école et gardien. LM : Qu’est-ce qui fait qu’on devient leader dans un quartier ? AN : Il était très dégourdi. Il participait à la distribution de l’eau, celle des vivres, etc. Il était proche du maire et du préfet. On devient leader parce qu’on est dégourdi, qu’on se mobilise, parce qu’on est opportuniste, parce qu’on prend des risques. On suit les personnes influentes, les autorités. Il est de connivence avec le préfet. Ils avaient des arrangements. Et il s’en revendique auprès des habitants. On est leader aussi du fait de sa position sociale au village. Les chefs de village deviennent leaders dans le quartier. Libraze est devenue leader par la force des choses. Ce n’est pas du à sa classe, ni a son origine ethnique, mais a son dynamisme et a sa dévotion devant les personnes influentes. Elle sait attirer leur attention et leur témoigner qu’elle est toute entière à leur disposition (elle tient sa melahfa d’une certaine façon pour indiquer cela). Elle pouvait ainsi aller au contact du préfet et du ministre. Elle peut mobiliser beaucoup de monde. Elle est très présente lors des réunions : elle crie, elle encourage les gens. Elle n’hésite pas à faire la griotte. Elle est arrivée à son statut de leader par la force du travail. Elle n’hésite pas à prendre le râteau, à distribuer de l’eau elle même. Elle ne recule pas devant les travaux d’investissement humain. En revanche, elle n’est pas charismatique. Elle a bien su faire fonctionner la boutique communautaire financée par le CDHLCPI. La boutique en a été gratifiée de 500000 UM. Elle n’est pas leader grâce à son rang social mais parce qu’elle s’intéresse. Elle sait se faire remarquer. Elle est membre du PRDS. Le parti l’a repérée dans le quartier. Elle peut mobiliser beaucoup de personnes. Chabe est la présidente du groupe des tanneuses de peau. Elle était la plus présentable, amie de tout le monde. Elle est jeune et jolie. Elle n’est pas politisée. Elle est devenue leader par son dynamisme et son charme. Je l’ai connue un peu tard parce que les gens ne parlaient pas beaucoup d’elle. Elle s’est manifestée dans les réunions. Elle faisait des interventions pertinentes. Mais elle est dominée sur le plan politique par M’Barka et Libraze. Elles se sont partagées les postes du PRDS. M’Braka, Libraze et Dah Abdoul Bocar sont les trois leaders politiques du quartier. J’ai fait une enquête des leaders quand je suis arrivé dans le quartier. J’ai demandé aux gens quelle était la personne la plus humaine dans le quartier. Celle qui aide le plus quand une personne est malade. Des noms sont ressortis souvent. Par exemple, Guissé et Hinte. Ce ne sont pas des leaders politiques. Hinte a un atelier de tissage. Il fonctionne très bien. Le financement n’est pas perdu. Elle est très gentille et sincère. Elle mobilise bien les gens. Dah Abdoul Bocar ne mobilise que les gens de son bord politique. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 113 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. Suite de l’entretien au pôle…. LM : Actuellement, les leaders les plus dynamiques sont Hinte, Chabe, Libraze et les gens de Bock Hole depuis peu. Les gens de Bock Hole, c’est surtout Penda Sow. Elle était venue au comité blanc. Elle parle très bien. C’est une animatrice. En même temps, c’est un leader politique. Elle est leader. Pour l’animation, c’est bien parce qu’elle est très très bien. Elle parle toutes langues. Elle maîtrise bein la sensibilisation et consorts. Il suffit que tu lui dises ce que tu veux. Et elle explique très très bien. LM : Elle s’est formée où ça ? AN : Elle s’est formée dans des ONG. Bon elle a fait le lycée puis elle a fait une école professionnelle je crois. Et puis elle s’est beaucoup investie dans le domaine de la santé. Elle a eu des formations sur le SIDA, sur les MST. Elle a fait beaucoup de stages sur ça. Elle avait même des cassettes. Donc on a fait deux réunions de sensibilisation. C’était sur le SIDA. Elle a amené une cassette et elle expliquait dans trois langues : français, pulaar et hassaniya. La deuxième c’était au centre de santé. La fréquentation était devenue très faible. La sage femme a demandé ce qu’on pouvait faire pour ramener les gens. On a convoqué les jeunes plus 12 filles formées sur la sensibilisation. On les a envoyé faire du porte à porte. On a fait une demie journée de nettoyage autour du dispensaire, autour de l’antenne et autour de l’école. Il y avait trop d’ordures ménagères. On a dégagé ça. Les filles ont fait du porte à porte et convoqué les gens pour une réunion le soir. Pendant le porte à porte, j’ai demandé aux gens de poser des questions sur pourquoi ils ne fréquentent pas le centre. Est-ce que c’est la sage femme qui est un peu arrogante, est-ce que c’est la non compétence. On a fait une réunion de restitution et avec les recoupements des réponses, on a trouvé que certaines femmes disaient que les personnes du dispensaire ne se levaient pas la nuit pour soigner les gens. D’autres disaient qu’il n’y avait pas de lumière la nuit donc c’est dangereux de traiter les gens comme ça. Donc on a dit qu’il fallait de l’éclairage, améliorer le comportement du personnel. C’est à N et G de faire changer d’attitude : « sachez que vous habitez au dispensaire, donc on peut vous réveillez même la nuit. » Elle a fait un grand discours sur ça et elle a dit comment une infirmière doit se comporter. C’est une femme qui est très très bien. LM : Elle habite dans le quartier depuis longtemps ? AN : Non, non, non. Depuis une année. Pas plus. LM : Donc elle est en train de devenir leader…. AN : Elle est incontournable. Parce que même avant les Bock Hole et consorts.. Avant ils étaient côte à côte mais maintenant il y a beaucoup d’endroits, on préfère l’envoyer elle parce qu’elle parle mieux. LM : Donc elle devient leader parce qu’elle est dynamique, elle sait très bien parle r. AN : Elle est dynamique, elle sait très bien parler. Et aussi c’est une femme un peu… LM : … imposante. AN : Elle aime bien la politique. LM : Elle est engagée dans un parti politique ? Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 114 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. AN : je ne sais pas ou peut être tout dernièrement. LM : Donc Bock Hole, c’est le projet d’assainissement… AN : Oui, l’assainissement. LM : Donc ça va commencer là… AN : Bon, ça va commencer. Je crois qu’on va faire une réunion, leur expliquer et essayer de récupérer leur participation. LM : Ces différents leaders, est-ce qu’ils ont une influence sur certaines parties du quartier et pas d’autres ? Il y a quelques unes qui peuvent toucher tout le quartier : Libraze, Guissé, Hinte. Mais Penda Sow, c’est seulement la partie qu’elle couvre. Mais après deux réunions à Couva, à côté de l’antenne, elle peut toucher beaucoup de monde parce qu’elle a gagné la sympathie de beaucoup de monde. L’association des jeunes qui a été créée, ils ont voulu qu’elle l’intègre. LM : Elle les a rencontré pendant les réunions. AN : A l’occasion des réunions, parce que c’est Soda qui me l’a fait rencontrer. Je pouvais parler du Sida mais c’est un peu déplacé que l’animateur, ça soit lui qui fasse l’animation sur le Sida. J’ai appelé l’infirmière mais elle n’était pas compétente. Je connaissais beaucoup mieux qu’elle. Soda m’a dit qu’il y a Penda Sow. Elle faisait des animations sur les MST. Je l’ai appelée et elle a dit qu’il y a pas de problème. Elle a même des cassettes s’il y a de l’électricité. L’infirmière n’a même pas parlé. Moi, j’ai fait une introduction. Les parents étaient tellement contents. Il fallait lever le tabou entre père et filles et frères et sœurs. Parce que c’est des choses dont on ne parle pas. Elle a un peu levé ces tabous parce qu’elle a demandé aux frères de faire attention. Il faut conseiller vos sœurs… si vous ne vous occupez pas de ça, vous hypothéquez la vie de vos enfants. Moi, je l’ai considérée comme telle parce que vraiment c’est une femme très bien, méthodologique et elle parle toutes les langues. Et elle est très bien écoutée dans son quartier. Elle est un peu nantie aussi. Plus que les autres. Donc il y a certains leaders, c’est parce que c’est des gens très volontaires. D’autres, parce qu’ils ont eu à faire à des partis politiques, à des préfets. C’est la distribution des vivres. C’est la réception des gens quand ils viennent. Donc ils sont là, à côté du préfet. Quand il faut, ils partent voir le préfet. Ils donnent des informations au préfet. Le préfet les prennent pour des gens… Mais ce n’est pas forcément des gens très utiles. J’ai peu travaillé avec Dah. Seulement pour avoir des informations. D’où venaient les populations ? Il connaît ça de A à Z. Où ils étaient avant ? Quel préfet vous a amenés ici ? Quels terrains ont été distribués gratuitement ? Tout ça, il connaissait ça sur le bout des doigts. J’ai fait des recoupements qui ont confirmé ce qu’il disait. Mais il est bon que pour ça. Mais si tu lui dis de te convoquer des gens, il n’amène personne. LM : il n’amène que ses partisans ou des gens proches de lui… AN : Que les gens très proches de lui. Même bord politique, que quelques uns seulement. Si il a à distribuer quelque chose, seulement ses proches auront quelque chose. Alors que Libraze, tout le monde aura quelque chose. M’Barké, qui est leader politique. Ça s’arrête là. Elle ne Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 115 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. peut mobilier personne et je n’ai presque jamais travaillé avec elle. S’il y a des réunions, elle vient comme tout le monde, elle essaie de parler. LM : Mais, Libraze on avait dit l’autre fois qu’elle arrivait moins à mobiliser qu’avant, non ? AN : C’est M’Barka. Libraze mobilise toujours autant. LM : Est-ce qu’il y a des gens qui sont considérés comme leaders dans le quartier mais qui ne sont pas utiles pour toi parce que trop politisés… AN : Dah, M’Barké. LM : Délibérément, tu ne veux pas travailler avec eux… AN : J’ai vu qu’il n’y en a rien à tirer. Dans les réunions, ils ont tendance à tirer vers le parti, à s’approprier la réunion, les idées. Ce qu’on amène… ils ont tendance à dire, c’est nous qui avons amené cette chose. On a vu ça avec le marché. Ils ne veulent pas que les autres cotisent parce qu’ils veulent que ça soit leur marché. C’est M’Barké, Hidoumou, un leader que je n’ai jamais voulu rencontrer. Je le connais depuis le 6ème. Un type politisé, un voyou. Lui, M’Barké et Dah. LM : Tous les trois, ils veulent porter le projet du marché. AN : Ils veulent porter le projet du marché, mais ils tiennent à ce que ça soit eux seulement qui le gèrent. Ils veulent distribuer les places entre leurs parents, etc. Hidoumou, on avait fait une réunion avec la mairie… la participation de la mairie est prête.. il manque la contribution du groupe. Comme lui il était ancien président de ADCC. Ils n’étaient pas d’accord pour que la mairie donne parce qu’elle était de l’opposition. Nous on a dit, si la mairie ne participe pas, on ne fera rien dans ce quartier. Il y avait aussi le problème de la réhabilitation du réseau. Il y a cinq bornes fontaine dans le quartier… mais il n’arrive pas à…. LM : A être approvisionné ? AN : A être approvisionné. Les quatre bornes sont fermées. Il ne reste qu’une seule borne fontaine. Et il n’y a que le bassin. Donc ils voulaient réhabiliter ça … On lui a dit : « tu dis que tu vas réhabiliter, tu dis que tu vas donner l’argent au groupe porteur alors que tu vends le fût à 600 UM. Et tu ne vends pas les bidons. » Personne n’achète, quelques uns. Les charretiers ne peuvent pas acheter le fût à 600 et aller le revendre. C’est pas possible. Il vend le bidon à 100 UM. Le bidon de deux litres alors que le bidon est vendu à 15 UM à la borne fontaine. LM : Donc le marché qui ne se fait pas, c’est quoi qui bloque ? AN : Eux, ils bloquent. Ils ne veulent pas que la mairie soit partie du projet parce qu’elle n’est pas acquise à leur cause. LM : Mais la mairie, elle a donné sa contribution, non ? AN : Oui, donc si le projet ne se fait pas, le programme Twize leur restitue ça. LM : Donc, en fait ils n’ont pas du tout une vision communautaire. AN : Pas du tout. M’Barka, Dah, pas du tout. Mais Libraze… elle accepte d’aller avec eux. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 116 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. LM : A ton avis, qu’est-ce que ça leur apporte à ces leaders d’être impliqués dans le programme Twize, de porter un projet ? AN : Pour les projets, ils retirent un prestige. Ils disent que c’est eux qui ont apporté le projet. LM : donc ils se l’approprient un peu… AN : Ils se l’approprient et parfois ça se conclut comme le projet d’assainissement. Dès que le projet a été financé, elles se sont tout partagé. Au lieu que les charrettes servent à ramasser les ordures et consorts, ils vendaient l’eau. Lorsqu’il y a plus d’eau, de pression…. M’Barka a arrêté. Bien avant Libraze. Elle a fonctionné une année après. Mais elle aussi, elle vendait trop l’eau. Elle a trouvé que la charrette était trop lourde. Elle l’a vendue. LM : Et du coup, là vous êtes intervenus et vous avez dit c’est pas possible de vendre la charrette… AN : Gacko a visité tous les équipements. Il a constaté que M’Barka n’avait rien vendu mais qu’elle n’avait pas ramassé les ordures ménagères. Il a donné à Libraze une semaine pour récupérer la charrette. La charrette a été rendue. Je savais là où elle avait été vendue. J’ai indiqué à Gacko. LM : Comment tu as su ça ? AN : J’ai des policiers. … J’ai Gidna… LM : Ah, oui, le gardien. Il sait tout. AN : Il sait tout ! Je me demande même si c’est pas un bandit ou un voyou. Je te jures… LM : Sur le quartier, c’est une personne ressource formidable… AN : Parfois tu arrives à avoir un demi sac de ciment, tu arrives à le subtiliser. Il connaît tout. Il me dit tout : untel a pris ça et l’a vendu à machin, tel a pris ça et l’a prêté à tel autre. Pour le ciment, un sac, un demi sac ou 2 sacs est-ce que ça vaut la peine d’ameuter les gens ? Si ça pète, on se manifeste. Si ça ne pète pas, c’est pas la peine d’attirer les foudres sur le quartier. Alors que si c’était une tonne, ou 10 sacs, 15-20 sacs. Bon… une fois c’était 4 sac mais 4 sacs déchirés. Il m’a montré où c’était vendu. J’ai demandé, bon effectivement. C’est après ça j’ai demandé à ce qu’il quitte. C’est pas intéressant. Ça va attirer l’attention de tout le monde sur le quartier. Les auditeurs tout ça. Moi je préfère attirer l’attention sur des gens, des twizes, l’habitat que sur les tcheb tcheb des magasiniers. Mais il connaît tout de A à Z et c’est lui qui m’a dit à qui la charrette a été vendue et à quel prix. Tout ce qui se passe à Couva, il connaît. Il n’est pas obligé de me le dire. S’il voit que ça va nous engager nous, il faut le dire… on ne peut pas tout blâmer. Il faut surtout surveiller ce qui déposé au dehors. LM : Donc c’est à toi qu’il donne ces informations mais il n’a pas la même relation avec Beit el Mal…. AN : Non, non, parce que s’il leur donnait… LM : C’est toi en tant que responsable de l’antenne… Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 117 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. AN : Moi, aussi je le ménage un peu. Je le traite comme un homme. Voilà, tu es responsable. Nous on travaille dans ce quartier. Si ça pète ici on est tous responsable. Tu surveilles ce qui est dehors. Si quelqu’un ouvre son magasin et prend ce qu’il veut, il peut prendre ce qu’il veut. Quand la police vient, qu’on ne trouve pas que la porte a été fracturée. Il ne faut pas fracturer la porte. Une fois ils ont ouvert la porte et ils ont laissé la clé. Il m’a appelé, j’ai dit tu laisses ça ouvert. Tu ne touches pas. Tu surveilles juste que personne ne vient prendre quelque chose. LM : Il est là bas depuis très longtemps ? AN : Avant c’était sa maman. Mais elle était tout le temps au marché, à la maire, etc. Elle n’était pas disponible. C’est pas interdit de mettre son fils ou son mari. Et puis il y avait trop de matériel. Il est là -bas depuis 1999. Mais c’est maintenant seulement qu’il est gardien. Tout ce qui se passe, il connaît. Tu ne peux pas faire quelque chose et qu’il ne le sache pas. LM : Et tu penses que le projet d’assainissement qui n’a pas marché ça les a desservies auprès des habitants ? AN : Ca les a beaucoup desservi. Là où on a fait une visite, les gens n’ont pas voulu vraiment dire mais si on était partis dans le quartier de M’Barka … les gens ne sont pas contents. Il y avait des gens qui voulaient acheter des fûts et elle a refusé parce que tu n’es pas son ami ou tu n’es pas de son parti, parce que tu n’es pas sous… et consorts. Parce qu’elle dans le quartier, elle n’a plus rien. Tout ce qu’elle ava it au niveau du parti dans le quartier, ça a été arraché par Chabe. Et tout ce qu’avait Dah aussi a été arraché par elle. Chabe a beaucoup repris. A l’heure du coup d’Etat, les gens n’étaient plus quelque chose dans le parti alors qu’avant ils avaient des sections, des sous sections. Dah n’avait plus rien. M’Barka n’avait plus rien. Libraze avait un comité. Chabe s’était très bien maintenue. LM : Pourquoi ils ont perdu tout ça, les deux ? AN : Parce que quand il y avait de la viande à distribuer ou du mil, ils n’en donnaient qu’à leurs parents, leurs proches. Pas forcément les plus pauvres. C’est les enfants, c’est tout. Pareil pour les petits postes, les petits jobs. C’était toujours les parents de M’Barka. Par exemple, c’est sa fille qui était au Cren, sa fille qui est au jardin d’enfant, qui aide soignante au dispensaire, son frère qui est gardien au dispensaire. Elle a voulu aussi que sa petite fille soit magasinière. Elle a fait un stage de 4 mois mais elle ne faisait pas l’affaire. Tout ce qu’il y a, elle veut imposer sa famille. Lorsqu’il y avait le problème de l’eau, la gestion était roulante. Chaque mois, c’était une famille différente. Il y avait un tirage au sort. Avec M’Barka, pendant 7 à 8 mois, la gestion tournait autour de sa famille. Mais Libraze, elle acceptait de faire le tour, alors que M’Barka elle a 10 ou 12 enfants et des petits enfants en pagaille. C’était n’importe quoi… et quand il y avait la viande qui venait de l’Arabie Saoudite, elle prend pour distribuer, elle vend… Même chose pour les dattes. Alors elle a été un peu haïe. Alors que Guisset, Hinte, Libraze… LM : Plus large que la seule famille.. AN : Oui, plus large, beaucoup plus large. Hinte, c’est à cause de ça que dans son groupe elle a des toucouleur, des wolofs. Libraze aussi. Alors que Dah et M’Barka, non. LM : Et Chabe, le projet de tannage, ça lui a aussi permis… c’est bien ça, elle est présidente ? AN : Ah oui, oh la la ! ça c’est très dommage. Ça lui a permis de se mettre au devant. Avant, les gens croyaient que c’était à cause d’elle qu’il y avait le projet. Il a fallu que je refuse. J’ai Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 118 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. fait des réunions au tannage, là où elles travaillent. J’ai dit si c’est celle -ci seulement que vous retenez, je ne parle plus avec elle. Parce que peut être elle amène des informations, peut être qu’elle n’amène pas des informations correctement. Vous allez croire aussi que le projet, que c’est elle… Elle dit à certaines d’entre vous « si tu fais le malin, je te sors de mon projet. » J’ai dit : « ça, je refuse. Donnez moi des gens…. » J’ai demandé un groupe de trois ou quatre personnes avec lesquelles on va faire les démarches. Les demandes, les devis, etc. toutes les démarches qu’il devait y avoir, la mairie, la préfecture, les demandes de terrains… surtout pour les demandes de terrain, j’ai vu que souvent elle venait me voir. On partait voir le préfet. A un moment donné, on a failli… les femmes commençaient à croire qu’on donnait un terrain à Chabe. LM : Donc, elle s’est complètement approprié le projet. AN : Oui, bon, parce que c’était la plus volontaire. Elle partait, elle laissait son travail. Mais j’ai dit non, non. Pour aller voir le préfet, on est partis à 10. Il y a avait une stagiaire là qui était là. Y avait une toubab et ça nous a un peu aidé avec le préfet. Bon, même aujourd’hui…Il a vu qu’il y avait une stagiaire. Mais, j’ai dit que le Commissariat est au courant. Il faut qu’il sache que je programme Twize est financé par eux. LM : Oui, par l’Etat mauritanien…. AN : Oui, oui, si tu ne dis pas ça, ils vont croire que c’est des ONG. Ils vont essayer de mettre des pressions, de chercher de l’argent par ci, par là. Alors que c’est le financement de l’Etat mauritanien par le Commissariat donc on n’a rien à voir. Et les groupes, quand on fait un équipement, il n’est pas à la propriété du groupe. Tant qu’ils sont ensemble, qu’ils marchent ensemble c’est bien. Sinon, là j’ai menti un peu… LM : T’as dit que c’était le Hakem… AN : Oui le maire… mais c’est pas eux ! (Rires) LM : J’ai bien compris ! Mais faut savoir parler ! T’as pas complètement menti, t’as dit la mairie aussi. AN : Oui, y a des conventions. Si on ne fait pas ça, il va se compliquer. LM : Donc vous y êtes allés à 10… AN : Pour que les femmes sachent que le terrain est donné au non du groupe et que si le groupe est disloqué, le terrain revient automatiquement à l’Etat. Faut pas que Chabe ou une autre femme croit que c’est à elle où… LM : Donc il a fallu un peu recadrer Chabe… AN : Ah oui, oui. Il a fallu la recadrer carrément, carrément. Parce que vraiment… Bon, on ne peut pas la blâmer parce que c’est elle qui était la plus volontaire. Et c’est que même quand j’ai eu le pied cassé, c’est elle qui venait à la maison. Les lettres d’engagement, les devis, etc. elle venait avec une autre. On fait les dossiers, elles partent faire taper ça. On lisait, on signait. J’ai eu peur vraiment qu’elle s’approprie ça. Il fallait que les autres soient impliqués. Mais malgré tout ça, elle a tiré tellement de prestige là -dedans. Parce que les canaris, c’est elle qui connaissait le type qui fait les canaris. C’est elle qui est partie négocier avec lui, c’est sûr que là… Il y a eu des canaris cassés pendant le transport… est-ce que c’est cassé, est-ce que c’est ceci…. Bon Gacko a un peu suivi ça mais quand même….sûrement elle a du un peu grignoter Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 119 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. ou quelque chose comme ça. Mais bon, il y avait un certain nombre de canaris. Pourvu que ce nombre soit là… LM : Et sinon, il a fallu faire des réunions pour reparler un peu …. C’est le groupe qui porte… Pour que tout le monde se sente partie du projet et pas que elle… AN : Lorsque j’ai vu qu’elle était en train de collecter seule avec ses parents et même le ministre …la participation, alors j’ai dit non. LM : Elle mobilisait elle-même l’argent. Elle ne demandait pas aux femmes du groupe ? AN : Elle demandait à quelques unes seulement. Je l’ai vue demander au ministre. Alors j’ai fait une réunion. J’ai dit « J’ai vu Chabe qui mobilisait l’argent. Vous me faites une liste. Moi, je viendrai récupérer l’argent. Si vous ne cotisez pas, sachez que le projet va s’arrêter. Depuis le départ, je vous ai dit que ce n’est pas avec une personne que je travaille. Le projet n’est pas pour Chabe. Si c’était pour Chabe, on allait faire ça chez elle. Mais le projet est pour tout le groupe. Toutes les femmes qui travaillent, il y en a qui viennent de Néma… Je les ai obligées à participer. Presque 90% des femmes ont participé. Ça c’est pour que demain, s’il y a des canaris et les 500 peaux, vous ne sentez pas que c’est pour elle. Et qu’elle peut en faire ce qu’elle veut. C’est pour vous toutes. Les équipements c’est pour vous toutes… ça, je l’ai rabâché. Parfois même les curieuses viennent là -bas. J’ai fait des réunions sur le centre de tannage. Les gens disent voilà, ça c’est clair. Si on les laisse elles vont croire que c’est pour elle… alors que maintenant que tout le monde a participé et que tout le monde sait que le terrain est donné par le préfet. Elle savent qu’elles ne peuvent rien s’approprier. Mais elle reste la plus brave. Elle était toujours prête à payer pour faire des allers-retours pour aller imprimer le document, etc. Mais en retour, elle espère toujours le prestige. Il y a cet espoir-là…. « Bon voilà, c’est moi qui vous ai amené… » Exactement, le jour de l’inauguration, elle a dit « voilà, il n’y a pas quelque chose que je n’ai pas fait. J’ai fait tout pour vous. Je ne peux que vous aider jusqu’à ce que le projet vienne… » Mais elle a lâché ça. Donc, c’est toujours pour leur dire, « oui, c’est moi qui vous ai amené ce projet-là. Sans moi, vous n’auriez pas… ceci, cela. » Bon, c’est un peu dangereux mais on ne peut pas l’empêcher. LM : On peut limiter un peu. AN : On peut le limiter mais pas l’éviter. Mais ce que tu penses là, le prestige ou l’intérêt. Ca reste entier. LM : Et la gestion maintenant, ça se passe comment ? C’est elle qui la fait ? AN : Non, non, non, la gestion du centre de tannage se fait par groupe. Les 500 peaux, elles les ont achetées. Chaque groupe a reçu quelques peaux. Vous les tannées, vous les préparez très bien. Après vous les amenées dans les boutiques. Ce qui est vendu, on ramène l’argent, on rachète d’autres peaux. Ce qui n’est pas vendu, on le réunit et c’est elle qui part à Dakar par ce que c’est la plus dégourdie. Elle vend tout là -bas. Elle achète là-bas de produits qu’elle revend ici ou elle ramène l’argent qu’elle change ici. C’est clair que c’est géré collectivement. Les canaris aussi. Chaque groupe a deux ou trois canaris qu’il utilise à tour de rôle. Le groupe qui monte est celui qui utilise les canaris. Il y a deux groupes qui vont au marché et deux groupes qui travaillent. Les boutiques sont payées collectivement par la coopérative. LM : Et le jardin d’enfants, est-ce qu’il y a eu un peu le même phénomène ou ce n’était pas pareil … Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 120 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. AN : Non, non, non. Bon, il y avait Houlèye mais on l’a écartée très tôt. Elle faisait tout. Même les réunions étaient chez elle. J’ai tout arrêté. LM : C’est toi qui a dit … AN : Oui, j’ai dit pas chez elle, il fat qu’on tourne. Elle est sera aux relations extérieures. Moi, je vais prendre la formatrice, la présidente, la vice présidente et la secrétaire générale, c’est tout. C’est avec ce comité que j’ai travaillé. Et d’autres femmes qui venaient assister aux réunions. La plupart du travail, c’est avec elle. Mais c’est Houlèye qui a fait les demandes. LM : Parce que c’est elle qui s’exprime le mieux… AN : Non, y a aussi l’autre là, la formatrice qui s’exprime très bien. LM : Néné ? AN : Néné Ndiaye. Mais Houlèye aussi s’exprime très bien. L’autre professeur d’anglais…. Mais elle est un peu timide. LM : Donc c’est toi finalement qui a décidé avec qui tu voulais travailler. AN : Bon, franchement. Parce que Houlèye, c’est comme les vivres et les habits. Elle fait croire aux gens que c’est elle qui a tout amené. Houlèye nous a amené des céréales, Houlèye nous amène des habits, Houlèye nous a amené des draps et vous voulez les vendre… Alors ça, pour le jardin, je n’ai pas accepté ça. A cause de ça, les femmes ont cru que c’est le programme Twize qui gère tout. Parce que même pour diminuer le personnel et consorts… après j’ai commencé à prendre du recul. Parce que même pour la bâche déchirée c’est moi qu’on appelle. Alors j’ai dit ah non ! j’ai refusé que tout soit concentré chez Houlèye. Mais ce n’est pas moi qui gère. C’est le comité qui gère. Vous avez une gérante, une présidente, une formatrice… Sur le plan pédagogique et consorts, c’est la formatrice, sur le plan équipement et consorts c’est la présidente et la gérante. LM : Et la présidente, elle a pas voulu s’accaparer… elle est plus discrète j’ai l’impression. AN : Elle est plus discrète et beaucoup plus disponible que Houlèye. Dans les réunions, où on doit aller, où Couva doit être représenté, elle est toujours prête pour venir. Alors que Houlèye, par son travail…Elle est très occupée. Mais la présidente, elle est très disponible. Elle est sérieuse et beaucoup plus correcte. Même plus correcte que la gérante. LM : Ah, bon ! Mais correcte dans quel sens ? AN : La gérante parfois, elle calomnie. La présidente est beaucoup directe disponible. LM : Elle calomnie sur quoi par exemple ? AN : Houlèye nous fait ceci, elle nous implique pas… LM : Elle ne s’entend pas très bien avec Houlèye ? AN : Pas beaucoup, parce que une fois, en tant que groupe, elles ont reçu une invitation pour une conférence à Johannesburg mais Houlèye n’en a pas fait profiter aux autres femmes de l’association et a privilégié ses proches. J’ai mis le paquet ! J’ai dit ce que je pensais ! C’est Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 121 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. minable. Alors que la gérante est peut très bien en bénéficier. C’est elle qui gère le jardin, elle est mal payée. Elle peut avoir une formation… c’est le minimum ! LM : Comment elle fait pour subvenir à ses besoins si elle n’a pas d’autres ressources que ce qu’elle touche au jardin ? AN : C’est comme ça. Elle vivote. C’est des femmes qui vivotent. C’est à cause de ça que sa fille qui avait un niveau de terminale a été acceptée pour la classe d’alphabétisation. Et j’ai bien fait les choses parce que finalement c’est la meilleure alphabétisatrice. Très polie, elle connaît très bien l’arabe. Un peu le français. Très régulière. Je lui ai dit que la présidente du groupe est prête à la renvoyer. Si tu te comportes mal. Tu es beaucoup moins âgée qu’elle. Je l’ai choisi parmi d’autres mais finalement elle est très brillante. Elle a fait une bonne formation. Et en 6 mois, elle a financé 60000 UM pour leur module. Elles vont donc financer encore trois mois et ensuite attendre Dieu pour la suite. Avant elles n’osaient pas demander un module mais avec l’alphabétisation elles ont décidé. Les premier mois, elles m’ont demandé de garder l’argent pour elles. Les deux derniers mois, elles ont donné une avance pour trois mois. Elle a une autre fille qui fait un stage à la fédération mais les gens ne lui donnent rien. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 122 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. Comment contribuer au renforcement des communes grâce à la présence d’un animateur ? Atelier organisé par la composante « Appui aux Activités Communautaires » du programme Twize Pôle Twize d’El Mina – Lundi 6 Novembre 2006 Compte rendu Dans le cadre de la capitalisation de leur expérience, les membres de la composante « Appui aux Activités Communautaires » du programme Twize mènent une réflexion prospective sur le métier d’animateur de développement local. Le bilan de leurs quatre années de travail dans les quartiers périphériques de Nouakchott montre qu’ils ont tissé des liens avec un certain nombre d’acteurs du développement local urbain. Les communes sont progressivement apparues comme des partenaires incontournables pour mener des actions de développement dans les quartiers. En retour, les équipes municipales se sont familiarisées avec les animateurs et reconnaissent l’utilité de leur travail avec les habitants. Une réflexion sur le métier d’animateur et son avenir conduit à imaginer une forme de partenariat plus forte encore par l’insertion d’un ou plusieurs animateurs de développement local au sein même des équipes municipales, contribuant ainsi au renforcement de leurs capacités et de leurs relations avec les habitants. Pour me ner cette réflexion, l’équipe AAC a organisé un atelier rassemblant, autour de sa table, un ensemble d’acteurs ayant fait l’expérience de l’animation au sein des communes. Les participants Les membres d’équipes municipales ? M. Souraké Ousmane Diarra, Adjoint à la commune de Sebkha ? M. Ahmed Cheikh, Responsable administratif et financier à la commune de Toujounine ? M. Ousmane Ould Mohamed, Adjoint à la commune de Dar Naïm La Direction générale des collectivités locales ? M. El Hadj Ould Tolba, Chef de service de la coopération décentralisée ? M. J.L Lods, Conseiller Les représentants de programmes d’appui aux communes en Mauritanie ? Pour le Projet de développement social : M. François Kieffer, conseiller technique, Melle Hélène Baryl, volontaire international, Mme Khadijetou Wellé, agent social, M. Béckaye, cadre de la DRPSS détaché au PDS ? Pour le Programme de Développement Local de Proximité : M. Yacoub ould Abdallahi, Agent de développement local à la commune de Méderdra (2003-2005) ? Pour le San de Sénart : Caroline Pévrier, chargée de mission Le Gret ? M. Christophe Hennart, coordinateur du programme Twize Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 123 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. ? ? ? ? ? M. Moussa Abdoulaye, chef de la composante AAC M. Mamadou Gacko, chef conseillers projets AAC M. Chérif ould Brahim, chef conseillers quartiers AAC M. Thierno Bâ, conseiller quartier AAC Melle Laetitia Morlat, stagiaire à la composante AAC Trois projets ou dispositifs d’appui aux communes ont servi de base à cet échange. Le Projet de développement social52 est un projet d’appui aux initiatives locales ancré dans trois communes de Nouakchott avec pour objectif de contribuer au renforcement de leurs capacités. Un agent social est affecté dans chaque commune et chargé de la mise en œuvre du projet. Le Programme d’Appui aux Initiatives de Développement Local53 a pour objectif le renforcement des relations entre les élus communaux et la société civile. Pour cela, un agent de développement local anime des instances de concertation communale, assemblées de citoyens chargées de suivre les projets de développement prévus par un plan d’action prioritaire. Le Programme de Développement Local de Proximité 54 est un programme d’appui aux communes par la mise à disposition d’un agent de développement local chargé de la mise en œuvre de projets de développement initiés par les acteurs locaux. Déroulement de la matinée • • • • • • • • • Mot d’introduction de C. Hennart Tour de présentation des participants Introduction et présentation des objectifs de l’atelier Introduction de J.L. Lods Présentation d’expériences : M.Gacko pour la composante AAC, Y. Ould Abdallahi pour le PDLP, Khadijetou Wellé pour le PDS Pause Débat : comment contribuer au renforcement des communes grâce à la présence d’un animateur ? Pause Restitution Les bilans tirés des trois expériences d’appui aux communes démontrent la pertinence d’y insérer un animateur. Ils mettent également en évidence l’importance d’un certain nombre de préalables pour garantir la bonne intégration et par conséquent l’utilité de l’animateur dans la commune. Les conditions d’une bonne insertion de l’animateur au sein de la commune La volonté politique comme condition sine qua non Pour que l’animateur puisse réellement intégrer l’équipe municipale, celle -ci doit, en premier lieu, lui témoigner un réel intérêt. La volonté politique est la condition pour que sa greffe au sein de la mairie soit réussie. Ainsi, il n’est pas souhaitable de tenter une telle expérience dans une commune non réceptive. Nombreuses sont les expériences infructueuses dues à une mauvaise compréhension de l’utilité d’accueillir un animateur dans la commune. Dans le cadre 52 Projet financé par la coopération française pour les communes de Dar Naïm, Sebkha et Toujounine Programme mis en œuvre par le GRDR dans les communes rurales du Guidimakha, du Gorgol et de l’Assaba. 54 Programme mis en œuvre par le SAN de Sénart avec l’appui de l’ONG mauritanienne Ecodéveloppement dans sept communes du Trarza et une commune du Brakna. 53 Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 124 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. du Programme de Développement Local de Proximité, les communes les plus ouvertes au dispositif, telles que la commune de Méderdra, sont celles qui ont recueilli le plus de résultats. L’animateur doit donc disposer d’un statut, par exemple celui d’agent de la fonction publique locale rattaché à la Direction générale des collectivités locales, et d’une place définie au sein de la commune 55. La commune responsable du poste de l’animateur L’animateur sera d’autant mieux intégré au sein de l’équipe municipale si c’est elle qui lui donne sa place. En participant à son recrutement, au financement de son poste et en contrôlant son activité. Le recrutement de l’animateur par la commune est une étape est particulièrement délicate. Il n’est pas évident qu’elle se fasse selon les principes de l’objectivité et en fonction des compétences réelles de la personne car les processus de recrutement en Mauritanie sont soumis aux réseaux de parenté. Dans ce cas, l’animateur risque d’être assimilé au maire et de perdre l’autonomie et la neutralité nécessaires à la réalisation de sa mission. La participation de la commune au financement du poste de l’animateur est également une condition difficile à remplir compte tenu du manque de ressources dont elles souffrent. L’appui à la décentralisation dans les pays d’Afrique fait partie des objectifs de la plupart des organisations internationales et intergouvernementales. Des partenariats sont donc possibles et leur mise en place fait partie des missions de l’animateur. Cependant, il semble important que la commune investisse une partie de ses fonds propres dans le poste de l’animateur. A ce niveau également, il peut rendre possible cette condition. En travaillant au rapprochement de la commune avec ses administrés et au renforcement des capacités de celle -ci à réaliser des projets de développement ayant un impact fort sur la population, l’animateur contribue à faire prendre conscience de l’intérêt de s’acquitter des taxes communales. Enfin, directement placé sous l’autorité du maire, l’animateur peut être plus facilement intégré dans la commune et évite d’être assimilé au programme ou à l’ONG qui l’appuie. Dans les petites agglomérations, l’animateur prend le poste de l’agent de développement et de coopération prévu dans l’organigramme des communes. Dans les institutions plus conséquentes, il est placé sous son autorité et venir en appui au service de développement de la mairie. Complémentarité des activités et accord des personnalités La bonne rela tion maire/animateur est un important facteur d’efficacité pour l’animateur car leurs activités et leurs compétences sont complémentaires. Il ne s’agit pas pour l’animateur de se substituer au maire. Les compétences techniques de l’animateur, qui font bien souvent défaut au maire, lui permettent de réaliser des études de faisabilité, de concevoir des dossiers de demandes de financement et de mettre en œuvre des projets. De son côté, grâce à sa fonction, le maire est en mesure d’ouvrir des portes qui peuvent être utiles à l’animateur telles que la prise de contact et les relations avec les organisations internationales. Leur complémentarité permet en outre à l’animateur de délester le maire de certaines de ses tâches, notamment en filtrant les requêtes des ha bitants avant que celles-ci ne lui parviennent. L’agent social installé dans la commune de Sebkha dans le cadre du Projet de développement social est, par exemple, progressivement devenu l’interlocuteur privilégié des associations au niveau de la mairie. 55 Se référer à la fiche de poste de l’Agent de développement et coopération dans le manuel de gestion de gestion communale de la Direction Générale des Collectivités Locales. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 125 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. Une collaboration constructive maire/animateur demande une compatibilité de leurs personnalités. L’animateur doit être à même de maintenir sa neutralité au sein de l’équipe municipale afin de travailler avec toutes les composantes de la société civile quelque soit leur appartenance politique. Cette neutralité peut être garantie par la nature de son poste : en tant qu’agent de la commune, il est au service de l’intérêt général. Elle est également assurée par sa personnalité qui lui permettra de résister aux tentatives de récupération politique dont il peut faire l’objet et de jouir d’une certaine marge de manoeuvre. La nécessité d’un dispositif d’appui Le travail d’un animateur au sein d’une commune doit s’inscrire dans un dispositif plus général d’appui à la commune à la fois financier, technique et organisationnel. L’apport financier est nécessaire pour le travail de l’animateur se concrétise en réalisations : accompagné d’un fonds destiné à la mise en œuvre de ses activités, l’animateur peut jouir d’une plus grande crédibilité auprès de l’instance municipale. L’appui technique permet à l’animateur de mobiliser les outils et de développer les compétences nécessaires à son activité. Il peut être fourni par une ONG ou une cellule technique 56. Dans le cadre du PDLP, l’ONG Ecodev a assuré un accompagnement rapproché et la formation des agents de développement local. Enfin, un appui organisationnel à la commune apparaît indispensable. La jeunesse et la désorganisation caractéristique des institutions communales en Mauritanie rendent difficile le rassemblement des conditions nécessaires à la création d’un environnement favorable à l’animateur. Son intégration dans la commune doit donc se faire parallèlement à la mise en œuvre d’un plan de recentrage des fonctions et de rationalisation des activités des différents services de la commune. Proposition de fiche de poste pour l’animateur L’animateur est au service de la commune et de sa stratégie de développement local. Il anime la mise en œuvre de celle -ci en impliquant les acteurs locaux. En ce sens, il est un intermédiaire entre la population et l’instance communale. Activités contribuant à la mise en œuvre de la politique de développement de la commune La connaissance du territoire et de la population. L’animateur a pour première fonction d’être une source d’information pour l’équipe municipale. Il développe sa connaissance du territoire de la commune par la réalisation de monographies, le recueil d’informations sur les caractéristiques économiques, sociales, environnementales de la commune ainsi que sur les infrastructures existantes. La connaissance du territoire, c’est aussi la connaissance de ses acteurs : l’animateur procède à un recensement et prend contact avec les associations, coopératives, ONG, groupes divers, leaders, notables, etc. de la commune. Enfin, il réalise des diagnostics ou études sur différents thèmes liés au développement (santé, hygiène, éducation, assainissement, activités génératrices de revenus, etc.) qui serviront de base à la mise en œuvre des projets de la commune. Le territoire d’une commune représente une superficie trop importante pour pouvoir parler d’ancrage territorial. La connaissance développée par l’animateur peut ainsi aider à dégager des priorités thématiques et géographiques qui circonscriront les activités de la commune et par conséquent celles de l’animateur. 56 Dans le cadre du PDS, elle est composée d’un cadre de la DRPSS, d’un conseiller technique français et d’un volontaire international. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 126 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. La communication. Le rôle de la commune est encore très mal connu des habitants de Nouakchott. La communication est donc une activité centrale de l’animateur. Il s’agit d’informer les habitants sur l’institution communale et son fonctionnement : chacune des interactions entre l’animateur et les habitants peut contribuer à une clarification des rôles de chacun. La sensibilisation peut aussi être ponctuelle et thématique afin de résoudre un problème particulier (difficulté de recouvrement des taxes communales, dépôt sauvages d’ordures, etc.) Dans ce cas, il s’agira d’une campagne de sensibilisation destinée à toucher le maximum de personnes, mobilisant un ensemble de techniques de communication spécialement conçues pour l’opération et se déroulant de manière intensive sur une période donnée. Ce type d’évènement peut demander qu’une équipe d’animateurs soit spécialement mobilisée à cet effet. Elle peut être constituée de l’ensemble des animateurs installés dans les communes de Nouakchott. Il peut également s’agir d’une cellule d’animation spécialisée dans l’organisation d’interventions ponctuelles de grande ampleur. Médiation société civile/élus et renforcement des capacités des groupes. La sensibilisation place l’animateur dans une position d’intermédiaire entre les habitants et leurs élus par laquelle il contribue à leur rapprochement. Il est en quelque sorte une courroie de transmission de l’information entre eux. Il fait remonter la connaissance de la population qu’il acquiert sur le terrain au niveau l’équipe municipale. Il favorise la concertation entre habitants et élus en organisant réunions et rencontres et en suscitant le dialogue entre eux de manière individuelle ou collective. Afin que les requêtes des habitants auprès de la commune soient structurées et adaptées aux capacités de celles-ci, l’animateur constitue un premier filtre. Il aide les groupes à s’organiser et à formuler leurs demandes avant que celles-ci soient transmises à l’équipe municipale. Il identifie les besoins en formation et organise la formation des différents interlocuteurs de la commune en vue de renforcer leurs capacités. L’organisation de la concertation pour la réalisation du Plan de Développement Communal. C’est une forme de médiation entre élus et habitants. Les priorités de la commune en matière de développement devant être définies de manière participative, les Plans de développement communal font l’objet d’un processus de concertation rassemblant tous les acteurs du développement (habitants, élus, associations, etc.) Le rôle de l’animateur dans le déroulement de cet évènement est central. Ses capacités à mobiliser la population, ses compétences en animation et en gestion des conflits lui permettent d’amener les participants vers un consensus et de formuler une stratégie de développement communal. Afin de ne pas générer de déceptions et de bâtir une relation de confiance entre élus et administrés, il est important que les priorités retenues soient en accord avec les capacités de la mairie et qu’elle soit en mesure d’atteindre les objectifs formulé compte tenu de ses ressources humaines et financières. L’appui aux initiatives des habitants. L’animateur accompagne les démarches des habitants dans la mise en œuvre de projets à l’échelle de la commune. Il recueille leurs propositions, les sélectionne en fonction de critères de pertinence et de faisabilité et les aide à formuler un projet. Il transmet les requêtes à l’équipe municipale. Si le proje t est retenu, il réalise, en partenariat avec les porteurs du projet et le personnel communal, la contractualisation des financements, le montage, la mise en œuvre et le suivi du projet. Ce travail varie en fonction du dispositif d’appui dont bénéficie la mairie. Les dispositifs prévoyant l’insertion d’un animateur au sein d’une mairie s’accompagnent bien souvent d’un fonds pour la réalisation de microprojets. Dans ce cas, les différents partenaires sont réunis dans un comité de sélection des projets auquel participe l’animateur. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 127 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. La recherche de partenaires. Si la commune ne bénéficie d’aucun appui financier, l’animateur est chargé de procéder à la recherche de fonds pour la mise en œuvre des projets. Une partie importante de son travail consiste donc à tisser des liens avec des partenaires : ONG internationales, Union européenne, coopération décentralisée, etc. Supervision des projets et capitalisation L’animateur coordonne la mise en œuvre des projets en intervient tout au long de leur mise en œuvre (montage, mise en œuvre, suivi-évaluation, etc.) Il contrôle les opérateurs (ONG ou bureaux d'études privés chargés de l'ingénierie sociale et de la maîtrise d'oeuvre technique). Il réalise la capitalisation des activités et prépare les rapports d'activité et financiers. La capitalisation consiste en une réflexion sur l’approche en ce qui concerne le cycle du projet, les procédures, les outils, etc. Elle a une dimension d’évaluation des actions menées et propose éventuellement des recommandations et réajustements. Elle est diffusée afin de faire connaître les méthodes. Formation et compétences L’animation au sein d’une commune se caractérisée par la polyvalence. Les compétences requises sont de différents ordres : elles sont à la fois techniques et relationnelles. Les compétences techniques couvrent plusieurs champs : l’animation et la communication, le diagnostic territorial, l’étude de faisabilité, le montage, la planification, l’exécution et le suivi de projets, la gestion administrative et les techniques infor matiques. Un certain nombre de compétences relationnelles viennent s’y ajouter pour garantir son intégration dans son milieu d’intervention : parler plusieurs langues, être capable de faire passer des messages clairs à la population, comprendre le fonctionnement et des relations des différents acteurs avec lesquels il interagit et adapter son comportement en fonction. Il n’existe actuellement aucun diplôme spécifique pour ce type de poste. Les animateurs ont en général une formation généraliste couplée à une expérience de terrain. Une licence professionnelle intitulée « Collectivités locales et management territorial57 » est sur le point de s’ouvrir à l’université de Nouakchott. Destinée en premier lieu à former les membres et futurs membres des équipes municipales à la gestion des communes, elle a une dimension pluridisciplinaire qui correspond aux exigences du métier d’animateur ou d’agent de développement local : gestion administrative et financière, gestion du patrimoine communal et des services à la population, management et conduite d’équipe, management et pilotage de projets, communication, animation et développement de partenariats. La mise en œuvre de la décentralisation dans les pays d’Afrique offre donc au métier d’animateur des perspectives et des débouchés intéressants au sein des collectivités locales par le vaste champ d’activités qu’elle ouvre et la création de formations et de professions qu’elle suscite. La formation apparaît comme un préalable au développement de cette profession. La création d’un corps de métiers de l’animation doit être encouragée pour mettre à la disposition des communes un personne l compétent et spécifiquement formé pour ces fonctions. 57 Institut Supérieur des Etudes Professionnelles, Université de Nouakchott, www.univ-nkc.mr. Laetitia Morlat. Mémoire de master « Anthropologie et métiers du développement » : La capitalisation de l’équipe « Appui 128 aux activités communautaires » du programme Twize, juin 2007. NOM : MORLAT PRENOM : LAETITIA Date de soutenance : 26 juin 2007 DIPLÔME : Master Professionnel « Anthropologie & Métiers du développement durable » - Département d’anthropologie - Université de Provence TITRE : La capitalisation de l’équipe « Appui aux activités communautaires du programme Twize. Une contribution des outils de l’anthropologie à l’émergence d’un métier du développement. RESUME en français : L’animation dans le développement urbain est une activité nouvelle en Mauritanie. L’équipe « Appui aux activités communautaires » du programme Twize du Gret la pratique depuis 2002. Avant le terme du programme, elle a souhaité capitaliser son expérience afin de donner une image concrète et lisible de ses pratiques aux professionnels du développement et aux bailleurs de fonds. Pour cela, elle a reçu l’appui d’une étudiante en anthropologie chargée d’accompagner le processus de réflexion au sein de l’équipe. L’objet de ce mémoire est de décrire comment s’est déroulée la collaboration entre l’équipe et cette intervenante extérieure. Plus précisément, il s’agit de montrer comment l’anthropologie a contribué à la réalisation d’une construction collective d’une analyse des pratiques professionnelles de l’équipe. MOTS CLES : développement local urbain, animation, projets communautaires, intermédiation, ingénierie sociale. TITLE : Experience analysis of the community development team in the Twize Programme. A contribution of anthropology to the creation of a profession in the development field. ABSTRACT in English : Animation in the urban development field is a new activity in Mauritania. It has been experimented by the community development team in the Twize Programme implemented by GRET since 2002. Before the programme ends, the members of the team wanted to analyse their experience in order to give a clear and concrete image of their practices to development workers and financials partners. They have been supported by a anthropology student whose role was to accompany the analysis process. This paper is aimed to describe how the team and the student have collaborated. We will try to show how anthropology helped to build a collective analysis of the professional practices of the team. KEY WORDS : local urban development, animation, community projects, mediation, social engineering. CENTRE DE FORMATION : Département d’anthropologie, Université de Provence, Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme : 5 rue du Château de l’Horloge - B.P. 647, 13094 Aix-en-Provence CEDEX 2 France